Ceux qui m’ont appris à sourire (The Dark Love - Cyk version)

Chapitre 10 : Le secret de Cyril Willem

2935 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2023 22:18

Chapitre 10

ooOoo Le secret de Cyril Willem ooOoo


Cyk avait l’impression que son cœur allait exploser, c’était encore plus puissant que lorsqu’il avait admis devant Théo qu’il était gay. Il mordit inconsciemment sa lippe. Mal à l’aise, mais pas uniquement. Il ressentait surtout une forme de griserie envahissante. Il pensa une dernière fois à Théo avant de céder à son incontrôlable tentation et de gouter ces fines lèvres roses étirées sur leur sourire ensorceleur.

Cyril avait beau avoir l’habitude d’embrasser Théo, face à Matthieu Paris, il redevenait novice. Il n’était pas à l’aise. Il était emballé, follement emballé même, mais il n’était pas à l’aise. Il déplaça plusieurs fois sa tête sans se détacher de cet aimant à baisers. Il n’osait pas mettre la langue, il mourait pourtant d’envie de conquérir ce nouveau territoire. Il sentit que Matt glissait timidement la sienne pour lui frotter les dents. Lui aussi désirait que leurs langues s’emmêlent.

Je rêve… Je suis en train de rêver. J’embrasse le mec le plus populaire du collège. Je suis en train d’embrasser Matthieu Paris ! Et il a l’air d’aimer ça en plus !

D’une patience curieuse, Matthieu se laissait faire, il laissait Cyril tout faire. Ce dernier n’en avait pas l’habitude. Théo était autrement plus entreprenant durant leurs exercices quotidiens d’embrassades. Il aimait jouer, il aimait faire des expériences. Cette fois, Cyk pouvait mener la danse.

Il n’y avait pas de différence entre Matthieu et Théo au toucher, ni en terme de saveur. En revanche, il y en avait une sur le plan olfactif. Théo sentait toujours très bon le gel douche, la lessive et le parfum, ce qui lui valait d’ailleurs des réflexions de la part des autres garçons. Théo, c’était le garçon qui sentait comme une fille. Matt avait une odeur corporelle légère, mais bien identifiable. C’était la fin de journée, son déodorant ne faisait plus effet, la sueur reprenait le dessus. Il sentait le petit mec en pleine puberté, et cette fragrance si particulière, si spécifique, était enivrante.

Envouté par cette sensation vertigineuse, Cyril posa sa main sur la joue droite de Matthieu. Elle était couverte de poils blonds extrêmement fins, presque invisibles, et douce comme une étoffe de soie. L’aménité du visage de Matthieu n’avait rien à envier à celle de Théo. Sa vue cachée par ses paupières closes, les autres sens de Cyk s’exacerbaient. Le physique d’éphèbe androgyne de Matt le faisait fantasmer, Matt se rapprochait plus de l’œuvre d’art que de l’adolescent ordinaire. L’imagination de Cyril devenait incontrôlable. Ses hormones chauffées à blanc exigeaient plus qu’un simple bisou. Dans une pulsion soudaine, Cyk se décida enfin à passer sa langue. Mais à peine avait-il effleuré son palais d’une léchouille, que le visage de Théo s’imposa à son esprit à la manière d’un pavé qui explose une vitrine, l’obligeant à s’arrêter.

Il retira précipitamment sa langue, décolla ses lèvres baveuses et éloigna ses mains.

Putain Cyk ! Mais qu’est-ce que tu fous ?!?

Un frisson de dégoût misérable hérissa les poils de ses bras. Il baissa les yeux, pantois, et tomba par hasard sur la protubérance impudique de son jean qu’il n’avait pas sentie venir. Il redressa brusquement la tête, pour ne plus voir cette indécence décuplant son déshonneur d’avoir trompé Théo, et retomba sur le visage de Matthieu. Il ne put retenir un battement de cils perplexe en constatant que son camarade lui adressait un sourire absolument angélique. Il fallut quelques secondes à Cyril pour analyser la phrase de son ami et prendre conscience que ce sourire-ci était sincère, contrairement à tous les autres, contrairement à tous ceux qui l’avaient précédé.

— Merci beaucoup… Cyk.

J’adore son sourire…

— Euh… Ben de rien.

Cyril resta de marbre, il avait pourtant bien du mal à supporter ses bouffées de chaleur qui persistaient. Que devait-il faire, maintenant ? Partir ? Rester ? Dire quelque chose ? Il se sentait idiot, gisant penaud, avec sa scandaleuse turgescence, à côté de ce gars qu’il ne connaissait quasiment pas et qu’il venait d’embrasser passionnément sur un coup de tête. Heureusement pour lui, son camarade, bien plus à l’aise dans les situations sociales, le sortit de sa torpeur.

— Il se fait tard. Je dois rentrer.

— Euh… Ouais, moi aussi.

— On fait un bout de chemin ensemble ?

— Si tu veux, répondit Cyril.

Ils commencèrent à avancer, en prenant bien soin de ne pas se regarder.

— Tu ne m’as pas répondu tout à l’heure, finit par dire Matt, rompant le silence. Depuis quand tu sais qu’t’es gay ?

— Je ne sais pas vraiment… Pas longtemps.

— Et Théo et toi vous sortez ensemble ?

— Ouais. Euh, à ce propos, tu…

— T’inquiète pas. Je t’ai déjà promis de ne rien dire à personne. T’as pas à t’en faire, je sais garder un secret.

Comment il a fait pour deviner la fin de ma phrase ?

Matt hocha la tête vers l’arrière pour désigner l’orchestre départemental. Le bâtiment était déjà loin derrière eux.

— Tu étais déjà venu ici ?

— J’crois pas, non.

— C’est dommage, tu devrais. Tu n’as pas que de la musique classique. Il y a régulièrement des concerts de jazz, de l’électro, parfois des trucs expérimentaux. C’est sympa.

— Ah ? Bah j’en parlerai à mon père.

— Ta mère ça ne l’intéresse pas ?

— Elle travaille beaucoup. Elle n’aura pas le temps.

Qu’est-ce que c’est dur de faire la conversation, punaise…

Même sans le regarder, Cyk devinait que les tentatives de communication de Matthieu étaient bienveillantes. Il voulait faire plus ample connaissance avec son camarade. Cyk n’était pas hostile à l’idée, bien au contraire, il ne savait simplement pas s’y prendre, contrairement à l’autre qui faisait preuve de finesse. Parler de leur homosexualité rendait la discussion anxiogène, alors il avait basculé sur la musique. Le fait que Cyril évoque son père spontanément devait laisser penser à Matthieu que son compagnon de trottoir souhaitait parler de ses parents, donc il embraya.

— Ils font quoi tes parents dans la vie ?

— Ma mère est experte pour les assurances et mon père informaticien. Et les tiens ?

Waouh. J’ai réussi à poser une question pour relancer la discussion. Je m’améliore de jour en jour. Si je termine centenaire, je serai peut-être capable de converser pendant vingt minutes sans me sentir débile.

— Mon père est prof de maths. Il travaille au lycée qui se trouve à côté de not’collège.

— Et ta mère ?

— C’est compliqué. J’dirais bien qu’elle est femme au foyer, mais elle ne supporte pas cette appellation. C’était pas son choix. Sinon, joueuse d’échecs, même si c’n’est pas vraiment un métier non plus.

Il a dit le lycée à côté du collège ?

— Tu vas t’inscrire dans le lycée de ton père ?

— Y a de grandes chances, ouais. Et toi ?

— Le même, sans doute. Si je peux.

— Cool. Un de ces quatre, il faudra qu’on fasse quelque chose ensemble.

Quelque chose ? Comme sortir ensemble ? Je lui ai pourtant dit que j’étais avec Théo…

— Un truc musical, précisa Matthieu comme s’il devinait ses pensées.

Évidemment. Qu’est-ce que tu peux être con par moment, Cyk.

— Pourquoi pas. Ouais.

— Cool.

Ils étaient arrivés à une intersection. Matt s’arrêta, il avait prédit dans les mouvements de son camarade qu’il allait prendre une direction différente de la sienne.

— J’te dis à demain au club ?

— Ouais, à demain.

J’adore son sourire…

Cyril venait de vivre un coup de foudre. Bien incapable de capter la chose, il admira simplement le deuxième crush de sa vie s’éloigner d’une démarche élégiaque dans la lumière de l’heure dorée.


oOo


— Il s’est passé quoi entre vous ?

Cyril remua la tête pour se sortir de ses pensées. Il marchait dans la rue aux côtés de Théo.

Ils quittaient l’établissement plus tard que tout le monde, car Cyk revenait du club de musique et Théo avait rejoint le club de lecture. De son propre aveu, il n’y foutait les pieds que pour avoir une bonne excuse pour glander au collège en attendant la sortie de son amoureux. Il passait sa fin d’après-midi à lire des mangas. Depuis qu’ils avaient été pris en flag par Matthieu Paris, ils avaient abandonné leur l’habitude de s’embrasser sous l’escalier du bâtiment B avant de partir. À la place, ils effectuaient un détour pour raccompagner l’un ou l’autre jusqu’à son domicile. De temps en temps, ils s’arrêtaient en chemin pour boire un bubble-tea ou manger une portion de frites dans un fast food. Plus rarement, ils faisaient une halte à la librairie.

Depuis plusieurs jours, Théo avait remarqué que Cyril avait la tête ailleurs. Il le fusillait de ses yeux perçants, flairant un truc inhabituel.

— Quoi ? demanda un Cyk perturbé.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé entre Matthieu Paris et toi ?

Évidemment, qui disait club de musique, disait Matthieu Paris. Théo l’avait croisé une fois de plus en attendant Cyril. Aussitôt, le souvenir du baiser échangé au pied du grand chêne de l’orchestre départemental la semaine précédente lui revint à l’esprit, et son visage joufflu s’embrasa. Avec une telle chaleur lui dévorant les joues, impossible qu’il ne soit pas en train de rougir devant son petit ami, son teint hâlé ne suffisait pas à le dissimuler. Il avait l’impression d’avoir une chape de plomb dans l’estomac. Le stress de la culpabilité l’envahissait, ombrageant encore un peu plus sa mine cafardeuse habituelle.

— Bah rien.

J’ai horreur de mentir, je ne suis pas doué pour ça… Il va le sentir, et le connaissant, il ne va pas me lâcher…

— Tu veux vraiment me faire gober ça ? Le gars nous fait des risettes tous les matins et toi t’es rouge comme une tomate. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Il t’a dit un truc ?

— Rien d’important. Il ne nous balancera pas, c’est le principal.

— Comment tu peux en être sûr ? Et c’est quoi rien d’important ?

— Arrête de faire ça, maugréa Cyk sur la défensive.

— De faire quoi ?

— De me questionner avec insistance, on dirait un interrogatoire, c’est super désagréable.

— Tu n’auras qu’à m’appeler Grand Inquisiteur à l’avenir. Et maintenant répond : qu’est-ce qu’il t’a dit ?

— Mais rien ! Faut que t’apprennes à accepter que les gens aient des secrets !

— Genre Matthieu Paris a un secret ? Le beau et populaire Matthieu Paris a un secret que seul Cyril Willem connait ? dit lentement Théo en détachant assez bien ses mots pour que Cyk s’en imprègne et comprenne qu’il était en train de s’embourber. C’est pas crédible. Ou alors, c’est toi qui a un secret, que tu ne veux pas partager avec ton petit-ami, et ça, c’est super louche. Et ça ne me plait carrément, mais alors, carrément pas.

— Y a rien à dire… On a juste sympathisé, il est cool.

— Oui ça merci, tout le monde sait que Matthieu Paris est trooop coooool, ironisa Théo en forçant sur sa voix aiguë pour imiter ses copines.

— Je veux dire qu’il est vraiment cool, c’est pas juste une image qu’il se donne. On n’a rien à craindre je t’assure, il ne dira rien sur nous. Je lui ai demandé d’arrêter de nous regarder bizarrement, il s’est excusé et il n’est pas homophobe, ça va. Tout baigne.

J’étais convainquant ? Putain, j’espère que j’étais convainquant… Tu fais n’importe quoi Cyk…

Très lentement, les sourcils froncés de Théo se relevèrent jusqu’à dépasser leur hauteur naturelle et ils continuèrent de se hausser par-dessus son regard lumineux. Cyril vit l’éclair de génie traverser ses iris verts.

— Il est gay.

Quoi ? Comment il a deviné ?

Le silence ahuri de Cyril survolta Théo de plus bel.

— Sérieux, c’est ça ? Il est gay lui aussi ?

— J’en sais rien, mentit à nouveau Cyk.

— Cyriiil ! Arrête de me prendre pour un abruti ! Il est gay et il te l’a dit !

— Mais non, arrête Théo ! J’te dis que j’en sais rien !

Cyk ne savait plus comment se sortir de cette discussion à haut risque, entre son baiser infidèle, le secret de Matt, leur propre secret, tout était beaucoup trop pesant pour lui.

— Mais dis-moi !

— Ça suffit ! gronda Cyril.

— Il t’a dit quoi ? Il t’a dit qu’il aimait les garçons ? Il est amoureux de quelqu’un ? Diiiiis !

Fais ton ours, vas-y fais ton ours Cyk ! C’est le moment, montre les crocs.

— Je ne sais pas s’il est gay, mais réfléchis deux minutes au lieu de faire ta commère pour une fois : si tu racontes partout qu’il est gay, à ton avis il va faire quoi, lui, pour se venger ? Je ne veux pas que tu le cherches, par principe et parce que je l’aime bien, mais surtout parce qu’il sait pour nous deux. Alors par pitié, Théo, pour une fois, tu la fermes et tu ne dis rien à personne ! Garde tes théories pour toi !

Cyril fusilla son petit-ami du regard. Il l’observait simplement pour prendre la température, mais il avait toujours une mine renfrognée et effrayante.

Pourvu que ça marche…

— Tu l’aimes bien ? répéta Théo, comme si c’était la seule chose qu’il avait retenu.

Cyk grommela un truc inaudible traduisant plus ou moins sa pensée profonde.

Tu lâches jamais l’affaire, c’est pas possible… J’vais jamais m’en sortir.

Cyril joua sa dernière carte. Il poussa Théo sous une arche menant à une ruelle transversale. Il scruta rapidement autour d’eux pour vérifier que le coin était vide, puis il agrippa le visage de Théo et l’embrassa avec ferveur. Théo n’était pas habitué à autant d’impétuosité de sa part, surtout dans un lieu public, mais Cyk commençait à avoir de l’expérience en matière d’amour. Il prenait confiance, malgré ses peurs, malgré ses doutes, il apprivoisait Théo de la même façon que Théo l’apprivoisait. Le gros renard libéra son drôle de prince, le temps de vérifier qu’aucun passant ne les avait remarqués. Théo lui pinça le menton, la bouche en cœur.

— C’est quoi ce baiser ? Uh ?

— Par pitié, tais-toi… souffla Cyril, avant de plonger à nouveau sa langue dans le gosier de son petit ami.

Théo semblait enfin avoir renoncé, au moins temporairement, à questionner Cyril à propos de Matthieu.

Cyk avait beaucoup réfléchi. Son baiser échangé avec Matt l’avait profondément chamboulé. Un tsunami de sensations et d’émotions l’avait ravagé dans les heures qui avaient suivi l’évènement. Il avait essayé de faire le tri dans ce marasme et d’en tirer quelque chose d’utile. D’abord, il était de plus en plus convaincu qu’il était bel et bien gay. Vraiment gay, et non pas bisexuel, pansexuel ou autre chose. Ensuite, embrasser un autre garçon que Théo lui avait fait prendre conscience qu’ils étaient un couple, et tout ce que cela impliquait. Il s’était senti ridicule face à cette révélation d’une si grande évidence qu’elle en devenait absurde. Cyril n’avait pourtant pas encore complètement intégré la chose. Ils se cachaient, ils se contentaient de s’envoyer quelques messages très sobres et peu glamour le soir. De se voir rapidement après les cours pour s’embrasser dans des coins discrets. Ils apprenaient et s’entrainaient à l’amour plus qu’ils ne le pratiquaient réellement. Il fallait que cela change.

Cyk estima que c’était le bon moment pour en parler à Théo, histoire d’enterrer définitivement l’épisode Matthieu Paris.

— Tu veux venir chez moi pendant les vacances ?

— Chez toi ? fit Théo dans un clignement de cils perplexe. Pourquoi pas, mais tu vas dire quoi à tes parents ?

— La vérité.

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