LE VOYAGE : a post nuclear odyssey

Chapitre 4 : 08 Février 2022 : Jour de l'hibernation.

11453 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 5 jours

«Seule la mort donne un sens à la vie. Mais qu’en est-il quand on triche avec les lois de la nature, quand on triche avec cette immuabilité ? Quant à moi et bien… je ne sais pas. Je ne sais plus trop ou j’en suis ou quoi penser à l’instant ou je rédige ces lignes. Disons que pour le moment je suis comme un voyageur fatigué qui s’est endormi sur sa banquette, pendant que le paysage du temps défile derrière la vitre du train. Mais au terme de ce voyage, que vais-je trouver. La mort ? Ou plus terrible encore, l’image de ce passé qui me hante sans cesse.»


Malgré l’absorption de deux comprimés d’Alprazolam la veille, j’avais très peu dormi. Toutes les heures je fus réveillé en sursaut par des remontées gastriques acides, qui me brulaient le fond de la gorge. Ma nuque était engourdie, un peu comme si j’avais attrapé un torticolis. Je m’assis sur mon lit et me frottais énergiquement pendant une poignée de secondes. Les aiguilles luminescentes de ma montre indiquaient 6h32. Je me retournai et descendais lentement les quelques échelons du lit superposé ; en prenant garde de ne pas marcher sur le bras de mon voisin qui dépassait de sa couchette. J’eus soudain un léger vertige qui s’estompa immédiatement dès que mes pieds touchèrent le carrelage froid de la pièce, éclairée par une veilleuse rouge accrochée au-dessus de la porte et pas plus lumineuse qu’une bougie d’anniversaire. Malgré la modeste taille de la chambre, je distinguai à peine l’armoire où étaient rangées mes affaires. Pendant que j’avançais à tâtons, mon pied droit heurta l’angle d’un tabouret qui bascula bruyamment sur le carrelage en emportant également dans sa chute une tasse en aluminium qui semble-t-il était posée dessus.

- Merde ! Lançai-je machinalement en ramassant le tabouret.

- Vous auriez dû allumer la lumière, s’exclama à voix basse un homme à ma gauche.

- Désolé, je ne voulais pas vous réveiller.

- Bah ! Ne vous inquiétez pas pour ça dit-il. En ce qui me concerne, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit et vous ?

- Mal dormi… pas trop la forme… pas mal gamberger aussi. 

- Moi également, ajouta une femme derrière moi. Vous pouvez allumer la lumière, je crois que nous sommes tous réveillés depuis un moment déjà.

J’appuyai sur l’interrupteur et une lumière crue inonda la pièce. L’homme qui venait de me parler s’assit sur sa couchette et se gratta nerveusement la joue en bayant fortement.

- Nous n’avons pas eu l’occasion de faire les présentations hier soir, dit-il en s’étirant. Je me permets de les faire pour tous les occupants de cette cellule, pardon ! Chambre, devrais-je dire. Sous votre couchette : Maxime Ernst, qui est Docteur en mécanique quantique à l’Université de Lyon. (Ce dernier m’adressa un petit signe timide de la tête et la rabaissa aussitôt.) Au-dessus de moi, je vous présente Elodie Dulac. Elodie est spécialiste du génome humain et comme moi, elle est enchantée d’être ici. 

- Bonjour, dit-elle, en me tendant la main tout en hochant la tête en guise d’acquiescement.

- Et moi je m’appelle José Vasquez. Je bosse à Annecy en ce moment et je suis Mathématicien et cryo-programmeur, dit-il en posant le poing sur son thorax à la manière des Romains, ce qui fit sourire Elodie. 

- Moi, c’est Franck Dorval, je suis chercheur au Synchrotron Soleil à Saclay.

- Oui je connais coupa José, j’ai passé une semaine là-bas il y a quelques années, pour la mise en place d’un serveur dédié à un nouveau projet de recherche. 

- Vous êtes Québécois m’a-t-on dit, demanda la femme en ouvrant la porte de son placard.

- C’est exact, je suis originaire d’Abitibi Témiscamingue.

- C’est où ? demanda Maxime pendant qu’il se redressait sur son lit.

- Au nord-ouest d’Ottawa et pas très loin de l’Ontario.

L’homme acquiesça en se laissant retomber mollement avant de se retourner en direction du mur.

Apres avoir fermée la porte de l’armoire, La chercheuse se tourna vers José et moi.

- Vous pensez que tout le monde est mort à la surface ? 

- Je ne sais pas ? répondit en premier José en faisant la moue. (Quant à moi je ne fis que hausser les épaules.)

L’inquiétude et le désarroi pouvait ce lire dans chaque regard. Il s’ensuivit un court silence que je m’empressai de rompre en me tournant en direction du mathématicien.

- J’ai cru comprendre que vous étiez à l’origine du programme qui fait tourner le cryogénisateur, je me trompe ? 

- Eh bien oui absolument, dit-il en enfilant maladroitement son pantalon sous le regard une nouvelle fois amusé d’Elodie. Tout ce que je peux vous dire c’est que cela n’a pas été une sinécure croyez-moi. Mais maintenant il est au point et je dois avouer que je suis assez fier du résultat de mon travail. (Du coin de l’œil, je vis Maxime Ernst faire un léger mouvement de tête de gauche à droite.) Puis il ajouta pendant qu’il enfilait son pull : Appelez-moi José.

La seule femme présente parmi nous s’approcha de lui et dit :

- Encore heureux qu’il soit au point votre programme, dit-elle. Dans le cas contraire il n’est pas question que je rentre dans cette boite à sardines faisant office de caisson cryogénique. (Elle se tourna vers moi.) J’y pense monsieur Dorval, avez-vous vu les caissons ?

- Eh bien non, je ne suis arrivé qu’hier en fin d’après-midi et à part la grande salle et cette chambre, je ne connais pas les lieux. (Elle remua lentement la tête.) Tout a été si vite depuis mon arrivée. Mais ! Je ne vois pas pourquoi je devrai voir ces caissons ? Monsieur Thorn ma simplement demandé de rejoindre cet abri et je ne pense pas qu'il soit prévu que l'on m'hiberne et...

- Vous plaisantez ! Coupa brusquement José. La haut, tout doit être irradié à présent, et il y a fort à parier que nous allons tous être hibernés. (Il se frotta le menton d’un air dubitatif.) Je pensais que l’on vous avait mis au courant hier soir. Vous étiez pourtant présent .Mandrake en a parlé, vous vous souvenez ?

Je fis un signe affirmatif de la tête pendant qu’Elodie m’adressait un sourire amical.

- Essayons d’être optimiste dit-elle sur un ton rassurant. Après tout ce sera surement pour une courte période, comme ils nous l’avaient dit, avant que nous acceptions de venir ici, et attendre que le taux de radiation devienne acceptable, afin que nous puissions sortir.

- Ça c’est vous qui le dites, répliqua l’homme qui n’avait pas bougé de son lit depuis que j’avais allumé la lumière, sur un ton passablement agacé. 

- Vous n’êtes pas obligé d’être aussi alarmiste répliqua aussitôt José. Tant que nous n’avons pas les premiers résultats d’analyses récoltés en surface. Et si ça se trouve nous serons dehors dans trois semaines, voire même avant qui sait ?

Maxime afficha un mouvement négatif de la tête en s’asseyant mollement sur sa couchette. 

« Quel type arrogant. » pensai-je en le regardant gesticuler sur son lit comme un ver de terre.

José remarqua la façon dont j’observai ce type et il se mit à tousser afin que je détourne mon attention vers lui.

- Franck, au fait ! Comment avez-vous atterri ici ?

- J’étais à Saclay et Thorn m’a appelé…

Je racontais brièvement mon périple et dès que j’eus terminé, Elodie posa délicatement sa main sur mon l’épaule. 

- J’espère sincèrement que quand tout cela sera terminé, vous pourrez rejoindre votre famille.

- Oui, je l’espère, répondis-je en lui demandant à mon tour comment elle avait atterrit dans cet endroit.

La chercheuse se frotta les yeux et s’assis sur le lit à José.

- Vous connaissez la fonction de cet abri ? demanda-t-elle.

- Hé bien… je connais juste son emplacement par le biais du fascicule cacheté qui m’a été remis à mon entrée au CERN. Mais l’historique s’arrête là. 

- Je vois et bien ce bunker a été construit pour accueillir l’élite scientifique, en cas d’un grave conflit, et…

- Pff… ! Tu parles d’élite, interrompit Maxime sur un ton acerbe. Quel adjectif vaniteux.

- Ayez un peu de respect tout de même envers vos confrères, protesta le Mathématicien.

- Mais du respect j’en ai autant que vous, répondit-il en passant ses doigts entre les ressorts de mon sommier. Mais qui sommes-nous pour déterminer qui doit vivre ou crever, hein ? Qui ? Sur quel critère vous vous vous êtes basé (il nous désignaient maintenant de l’index) Cette société d’élite bien-pensante qui estime que la vie d’un scientifique de plus de cinquante balais, bardé de diplômes, sans enfants, divorcé ou veuf, qui en dehors de son travail n’est peut-être pas fichu de savoir faire cuire un œuf sans faire cramer sa casserole, ou planter un clou sans se couper un doigt, vaut-elle plus qu’un honnête père de famille qui a bossé toute sa vie à l’usine à taper de la taule ou ramasser de l’amiante avec une pelle, et tout ça sous prétexte qu’il est plus bas dans l’échelle sociale.

A ces mots, José se leva d’un bond en manquant de peu de se cogner sur l’angle du lit supérieur. 

- Arrêtez votre philosophie communiste et démagogique à deux balles voulez-vous, s’insurgea-t-il. Ne me parlez pas à moi de travail à l’usine ni de rang social. Mes parents travail la terre depuis toujours et puis… (Il se calma d’un coup) De toute façon c’est ni le lieu ni le moment pour aborder ce genre de conversation de bistro.

- Ah ! Nous y voilà, les communistes bien sûr. La chasse aux sorcières est de retour. Pourquoi pas nazi pendant que vous y êtes.

- QUOI ! Mais vous dites n’importe quoi mon pauvre vieux. De toute façon je ne fais pas de politique. Je me fous des communistes autant que des capitalistes, de la religion et surtout, je me fous de vos remarques ineptes. Et puis… personne ne vous a obligé à venir ici, MONSIEUR le moralisateur. Sujet clos.

- José a raison, intervint Elodie. Personne ne vous a obligé à venir. 

Maxime retira ses doigts des ressorts et se rallongea une nouvelle fois sur son lit en nous tournant aussitôt le dos.

- Parce-que j’ai eu peur, chuchota-t-il. J’ai peur de mourir. Voilà ! Vous êtes contents ? Maintenant laissez-moi tranquille, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit.

- Je dois admettre qu’il n’a pas tort, répondis-je en observant l’homme allongé sur son lit en train de gratter le mur avec l’extrémité de son index.

- C’est votre droit Franck, je ne le conteste pas. Mais vous êtes là vous aussi, me fit-t-il remarquer, avec un brin d’irritation dans la voix.

- Oui José, c’est exact, mais… je crois que j’ai fait une connerie d’accepter de venir dans cet endroit.

- Eh bien c’est trop tard pour revenir en arrière, répondit-il immédiatement en bougeant la tête.

« Si seulement je pouvais » Songeai-je.

Allez ! s’exclama Elodie en frappant vigoureusement dans ses mains. Nous sommes tous un peu sur les nerfs. Donc… Franck, je vous disais tout à l’heure que cet abri est prévu pour accueillir l’éli… des… scientifiques appartenant au CERN. Sa capacité est maximale est de …

Quand elle eue finie de me présenter cet endroit à la façon d’un dépliant publicitaire, je lui demandai :

- Je ne comprends pas, vous n’avez pas tous une famille, des enfants ? Ou sont-ils je n’en ai vu aucun pour le moment.

- La majorité des personnes présentes ici répondit la femme en souriant poliment, n’ont plus que leur boulot comme famille. La plupart sont soient divorcés, soit célibataires ou veuf, comme le professeur Moisan.  

- Et moi alors, fit remarquer Maxime, en changeant de sujet, tout en daignant enfin se mettre sur ses deux jambes. Je revenais d’un important séminaire à La Clusaz et j’allais en direction de Lyon à bord d’un bus, quand celui-ci a été stoppé par un véhicule militaire. Ils m’ont fait descendre et emmener dans cet endroit sordide en me prétextant qu’il était question de vie ou de mort à mon sujet. Je ne suis qu’un chercheur rien de plus. Et puis merde !

- M’ouais, dites plutôt que vous étiez aux sports d’hiver, plaisanta Elodie en adressant un clin d’œil complice à José, afin de détendre un peu l’atmosphère.

- Hum… oui, bon ! avoua Maxime, esquissant pour la première fois léger un rictus.

- Tu parles d’un COMMUNISTE ! s’exclama José. Et puis, vous le saviez, puisque vous êtes inscrit sur la longue liste des Scientifiques à préserver en priorité. 

- Ah non ! Vous n’allez pas recommencer tous les deux, s’exaspéra Elodie en laissant retomber ses bras le long du corps.   

Je me tournai en direction de José. 

- Vous aussi vous travaillez dans la région ?

- Absolument pas Franck. Je ne travaille pas au CERN, mais pour le CERN. Ma société est basée à Bilbao en Espagne. Cela fait maintenant une semaine que je suis ici et j’ai enfin pu finaliser l’installation du serveur cryo-informatique à temps. 

- Alors nous voilà rassurés, s’exclama la femme, en lui tapotant l’épaule.

Après un long moment de silence, nos regards se croisèrent à nouveau.

- Vous étiez au courant dit-elle, qu’il y avait deux généticiens militaires parmi nous. Je crois me souvenir qu’ils s’appellent Murdoch et Larcombe. 

- Lacombe intervint José.

- Oui, bref ! J’ai essayée de discuter avec eux hier matin mais ils sont restés muets comme des carpes, on aurait dit deux vieux ours mal léchés à qui l’on voudrait piquer leur réserve de miel. Je me demande tout de même ce qu’ils sont venus faires ici ces deux-là ? Qu’il y ait des militaires pour la surveillance de l’abri, je veux bien le comprendre, mais un colonel ?

- Moi aussi je ne comprends pas dit Ernst. Nous sommes bien dans un abri civil et privé de surcroît.

- Oui, c’est exact, répondit le mathématicien. Mais en temps de guerre, il parait que c’est comme ça, c’est la règle. 

- Après tout, peut-être ont-ils été pris de court, et comme pour nous, contraints de venir se réfugier ici ? Fis-je remarquer sans être convaincu moi-même par ce que j’avançai.

Maxime Ernst descendit de son lit et alla en direction de l’armoire. Il prit sa trousse de toilette et la jeta nonchalamment sur son matelas.

- Encore heureux qu’ils ne nous aient pas tous mis dehors en débarquant ici, pour nous remplacer par des docteurs Folamour psychopathes.

- Qu’y a-t-il, s’enquit José en regardant Elodie fixer le sol le regard perdu dans ses pensées. 

- Pardon, dit-elle en clignant des yeux. Je pensais à ce pauvre Professeur Virdon. C’était un type remarquable. C’est triste.

- D’après le médecin militaire, c’est sa valve mitrale artificielle qui a lâchée.

- Oui et bien en ce qui me concerne bougonna Maxime, j’aimerai bien avoir des infos de l’extérieur, là, maintenant !

- Un peu de patience, nous en aurons probablement tout à l’heure, répondit José.

Une pensée me traversa soudain l’esprit. 

- Je voulais vous demander. Peut-être que l’un d’entre vous est au courant ?

- Oui ? Je vous écoute, dit Elodie sur un ton empreint de curiosité.

- Hé bien… il paraitrait qu’au Québec, il y a des abris qui possèdent des caissons cryogéniques ?

- Oui, c’est exact, répondit aussitôt le programmeur, en effectuant un signe affirmatif de tête. Il y en a dans certains abris privés qui appartiennent pour la majorité à de grands centres de recherches ; un peu comme ici en Europe. Il y en a dans les villes de Québec, Montréal, Trois Rivières, Chicoutimi et plus au nord, du côté de Val-D’or si je ne m’abuse. Il y en a également à Rimouski en Gaspésie. Mais pourquoi cette question Franck ?

- Et bien... Je pensai à ma fille. Non... laissez tomber, de toute façon je ne connais personne là-bas d’assez haut placé qui pourrait faire quelque chose pour moi.

- Demandez à Thorn lança soudain Maxime. 

- Oui, c’est une excellente idée, s’empressa de répondre la chercheuse. Malgré qu’ils ne les portent pas dans son cœur, Richard a pas mal de relations auprès des hautes sphères politiques. A mon avis il est probablement le seul ici qui pourrait peut-être faire quelque chose pour vous; surtout qu’il a l’air de vous apprécier à ce que nous avons pu constater. (Elle se frotta le front) Mais… j’y pense, il y a aussi Ellie… Ellie Arroway. Son père est un sénateur Américain. Enfin… un truc comme ça.

- Quelle mémoire ! Je suis impressionné, lança Maxime en levant les mains en direction du plafond. Vous connaissez le nom de toutes les villes qui ont des caissons cryogéniques ?

- Oui répondit-il, enfin presque. J’ai déposé un brevet d’invention pour mon programme et supervisé ensuite personnellement l’installation et la maintenance des logiciels de tous les abris où j’avais un contrat et plus particulièrement en Europe et sur le continent nord-américain. 

- En parlant de caissons intervint Elodie. Si cela ne tenait qu’à moi, ce sont ces deux militaires : Murdoch et Lacombe que je congèlerai avec plaisir, car, rien qu’à les regarder, ils me font froid dans le dos.

- Pour ma part, ajouta Maxime, j’y expédierai plutôt volontiers Julius Kelp pour une durée indéterminée. Ce gars-là me tape sur le système avec ses farces débiles de collégien boutonneux. (Il se tourna vers moi.) Vous savez que dès son arrivée ici, il n’a rien trouvé de mieux que de se déguiser en Groucho Marx. Un pari qu’il disait. Vous vous rendez compte, ce type se déguise en Groucho Marx en de pareilles circonstances. S’il n’était pas aussi brillant comme certains pensent le croire, ce gugusse devrait-être enfermé dans un asile psychiatrique.

Elodie et José se mirent à rire, sous le regard désapprobateur de Maxime. Me voyant rester de marbre, la femme posa une nouvelle fois sa main sur mon épaule.

- Veuillez nous pardonner Franck. Nous savons très bien que ce n’est ni le lieu ni le moment de plaisanter. Malgré cela il faut bien reconnaitre que nous avons tous en nous une petite part de folie vous ne croyez pas ? 

- Et chacun l’exprimant un peu à sa manière, comme pour Monsieur Kelp, ajouta José. Elle retira sa main et reprit son sérieux en me fixant soudain d’un regard, soudain empreint de gravité. J’espère sincèrement que vous retrouverez votre fille saine et sauve.

- Merci beaucoup.

- N’empêche que ce Kelp est frapadingue, lança Maxime. Ce matin je l’ai aperçu dans le couloir en train de parler tout seul et à haute voix, la tête penché sur le côté.

- Arrêtez de faire une fixation sur lui, s’emporta soudain Elodie, vous me fatiguez à la fin.

Maxime gigota une main et alla s’assoir sur sa couchette en balbutiant des mots incompréhensibles.

Crrriiii ! uiiiinnnnn ! crrriiii !

La voix du Directeur du CERN s’échappa depuis un petit haut-parleur accroché dans un angle de la pièce : «Mesdames et Messieurs, veuillez s’il vous plait rejoindre rapidement la salle de réunion, merci.»

Crrriiii ! uiiiinnnnn ! crrriiii !

- Mes oreilles ! Tempêta José en introduisant son index dans l’une d’elle.

- J’aimerai bien me laver un peu et déjeuner tout de même, tempêta à son tour Maxime.

Crrriiii ! uiiiinnnnn ! crrriiii !

« Il est inutile de faire votre toilette pour l’instant. Surtout, veillez à ne rien manger à partir de maintenant. C'est la procédure à suivre au cas où la cryogénisation serait confirmée, merci. »

Crrriiii ! uiiiinnnnn ! crrriiii !

- Eh bien ! Vous avez la réponse à votre question Docteur Ernst, fit remarquer Elodie, avec une petite pointe sarcastique dans la voix. 

Nous sortîmes tous les quatre de notre chambre et allâmes en direction de la salle commune. La majorité des autres personnes et pour la plupart déjà assises, étaient déjà là. Je fus le dernier à rejoindre la grande table. Je cherchais du regard la dernière chaise de libre et allais m’y assoir discrètement. Hasard ou pas, mon voisin de droite n’était autre que cet étrange type tant vilipendé par Maxime Ernst; en l’occurrence Julius Kelp. En dépit des nombreux néons blafards qui illuminaient la salle, celle-ci demeurait relativement sombre. Ma désagréable sensation post réveil s’était enfin apaisée, ainsi que mes nombreuses et inexplicables remontées gastriques de la nuit. Je posai mes bras sur la table et entrecroisai mes doigts tout en observant de façon passive mon environnement, quand soudain ! Mon regard fut attiré par une ombre furtive qui se déplaçait en direction d’un couloir dont je savais vaguement où il conduisait, d’après ce que j’avais retenue des explications d’Elodie. La petite ombre affichait à présent une forme bien plus précise. C’était un rat. Un petit rat au pelage gris anthracite.

- Je hais ces bestioles, dis-je à voix basse en scrutant le couloir du coin de l’œil dans la crainte que cette bestiole bourrée de virus ne vienne se frotter à mes jambes, ou pire, me morde.

Me voyant faire la moue, mon voisin de droite me donna un léger coup de coude en se penchant vers moi. 

- Salut l’ami. Vous c’est Dorval, celui qui remplace Fournier, c’est ça ? Me glissa-t-il à l’oreille. 

J’acquiesçai de la tête poliment tout en scrutant du coin de l’œil, l’ombre mouvante.

- Hé bien… enchanté dit-il en me tendant la main. Mon nom est Julius Kelp pour vous servir et je crois que nous avons un passager clandestin sur ce rafiot.

- Pardon ?

- Bah oui… le rat, je l’ai vu aussi.

L’homme se tourna brusquement vers moi et me regarda droit dans les yeux.

- Vous savez, dit-il en faisant cligner nerveusement ses paupières. Au train où vont les choses, je crois bien que dans quelques mois, le rat deviendra un met délicat. Vous avez déjà mangé du rat monsieur Dorval ?

- Heu… Non, répondis-je simplement, en songeant avec effroi que ce qu’il disait était loin d’être dénué de bon sens.

Julius m’adressa un clin d’œil amical et se retourna en direction de celui qui allait prendre la parole.  

Après avoir réclamé pendant un bref instant le silence, Richard Thorn se leva et alla prendre la parole près d’un micro qui ne semblait pas fonctionner.

- Bonjour à toutes et à tous dit-il en tapotant le micro récalcitrant. J’espère que vous avez bien dormi ? (voyant personne acquiescer, il poursuivit sans attendre.) Pardon d’avoir été si direct dans le haut-parleur tout à l’heure, mais il est essentiel que nous restions tous à jeun, du moins pour le moment. Bien. Tout d’abord, voici des nouvelles de l’extérieur. (L’assemblée toute entière s’exclama) Je viens d’avoir le rapport de notre opérateur radio. Il y a une bonne et une mauvaise nouvelle. 

- Allons-y pour la mauvaise, s’exclama le professeur Smyslov.

- Très bien, dans ce cas, cela concerne le taux de radioactivité qui pour le moment n’est qu’une estimation, mais est tout de même assez élevé un peu partout en France; à l’exception de quelques portions du territoire. Par chance la région d’Annecy est peu touchée.

Un brouhaha envahie immédiatement la salle. Le directeur du CERN leva la main en guise d’apaisement, puis poursuivi en tentant une ultime fois de faire fonctionner le satané micro. S’il vous plait… allons ! Un peu de silence. Le rapport indique également...

Totalement inattentif au discours de Thorn, Julius Kelp, la tête penchée sur son bloc note était en train de griffonner quelque-chose. Curieux, j’inclinais légèrement la tête vers la feuille de papier afin de voir ce qu’il faisait. Le croquis représentait un singe (assez bien dessiné d’ailleurs) tenant une épée à la main. 

Me voyant en train de l’espionner, il posa délicatement son crayon, puis se tourna vers moi en me montrant le dessin.

- On va finir comme ça, me dit-il à voix basse, en m’assenant à nouveau un léger coup de coude amical.

Ce dessin enfantin et c’est propos me rendit soudain mal à l’aise. Je détournai la tête et repris le fil du discours.  

- ... Toujours d’après ce rapport, soixante-dix pour cent du pays serait contaminé. Il est inutile de vous dire que toute sortie est à proscrire pour le moment. 

- J’entends bien. Mais si je décide de sortir quand même ? Intervint l’Américain et collègue d’Ellie Arroway : Bob Hawk, avec une pointe de défi dans la voix.

- Nous ne pourrons vous laisser quitter l’abri, répondit immédiatement le lieutenant Berthier, en effectuant un signe négatif avec l’index de la main.

Le message semblait être clair.

- Euh… bien ! poursuivit Thorn. La bonne nouvelle concerne les dégâts. Apparemment, certaines villes ne seraient que partiellement détruites, voire même miraculeusement intactes. Une grande partie de la corse, de l’île de Ré et d’Oléron sont également épargnées. Cette liste sera affichée tout à l’heure. 

Stéphanie Mercier leva la main.

- A-t-on une idée du nombre de bombes tombées sur la France ?

Le Directeur du CERN de Genève parcouru son rapport.

- Non, désolé, je n’ai aucune info à ce sujet, d’autres questions ?  

- Au vu de ces premiers résultats, pensez-vous que la cryogénisation est inévitable ? demanda à son tour Ellie Arroway.

Richard Thorn hocha la tête.

- Probablement. (Une autre main se leva) Oui, Monsieur Moisan je vous en prie. 

- Y a-t-il des armes dans cet abri ?

- Et bien... pourquoi cette question ? répondit-il visiblement embarrasser. 

- Parce-que si...

- C’est un non sujet, et cela ne vous regarde pas ! Intervint le Capitaine Lacombe, qui était également présent parmi l’assemblée. Ceci est du ressort de l’armée.

L’homme au crayon se rapprocha subrepticement de moi. 

- Méfiez-vous de ce type, chuchota-t-il. J’ai entendu des rumeurs pas franchement catholiques sur ses travaux.

- Quel genre de rumeurs ? Chuchotai-je à mon tour.  

- Hum… et bien … mutations génétiques, top secret, secret défense. Un véritable épisode d’X-Files à lui tout seul ce gars-là. Mais bon, ce ne sont que des rumeurs qui circulent dans la sphère très fermée de certains labos de recherches. (J’opinai du chef.)

Je me redressai sur ma chaise et repris le fil de l’exposé.

- ... et avant d’aborder le sujet des préparatifs pour votre possible hibernation, je tenais à vous signaler que nous avons déposé le regretté Professeur Virdon à la morgue. Pour ceux qui souhaitent lui faire un dernier adieu, vous pourrez vous y rendre à la fin de ce briefing. Le Lieutenant Berthier ici présent, procédera à la crémation du corps, dans environ (il se tourna en direction du militaire) une heure.

- Amen, dit à voix basse Julius Kelp, sur un ton ironique mais qui semblait réellement sincère.  

Le directeur Thorn poursuivit :

- Passons à présent aux préparatifs. Pour cela, je laisse la parole à mon très cher ami le Professeur Sébastien Mandrake.

L’homme fit un signe d’approbation de la tête et vint, un carnet à la main, se placer à côté de Thorn en lui adressant une rapide accolade.

- Merci Richard dit-il en réunissant ses notes. Si l'hibernation est confirmée vous subirez une batterie d’examens que je vais vous expliquer brièvement. (Il s’éclaircit la voix à l’aide d’une gorgée d’eau.) Tout d’abord, vous devrez être à jeun jusqu’à l’hibernation. Dans le cas contraire, il va falloir vomir ce que vous avez avalé. Mandrake se tourna soudain en direction de Julius Kelp et le foudroya du regard à notre plus grande surprise en ajoutant : N’est-ce pas PROFESSEUR KELP !

Mon voisin fit mine d’être étonné, puis se tourna vers moi en levant les yeux au ciel, tout en balayant discrètement d’un revers de la main des miettes de gâteaux secs qui constellaient son pantalon.

- Mmm… ensuite, vous effectuerez une analyse d’urine et un prélèvement ADN complémentaire. A la suite de ça, vous aurez droit à une séance esthéticienne 

- Comment ça esthéticienne interrogea Maxime dubitatif.

- Hé bien… vous serez entièrement rasés de la tête aux pieds.

- Entièrement ! S'exclama Ellie Arroway quelque peu gênée.

- Oui, entièrement. Je suis navré mais c’est la procédure et personne ne peut y passer outre, mais tout cela vous sera expliqué plus tard en détail. L’homme tourna une page de son carnet et poursuivi la lecture : Radio des poumons et scanner du cerveau. Ces examens sont indispensables pour la mise en place des différents implants corporels. Il y aura ensuite une série de vaccins et de piqûres. Ah oui ! Au sujet des injections sous cutanées. Je préfère ne pas vous en indiquer le nombre, afin de ne pas vous voir quitter l’abri en hurlant. A la suite de ça, vous aurez droit à une pause de trente minutes.

A cet instant, Thorn fit un signe négatif de la tête en direction de son ami.

- Ah ! Bon… et bien la pause sera pour une autre fois, dit-il en relevant ses sourcils. À ce stade, vous passerez en zone stérile, puis vous prendrez une douche de décontamination. D’abord les femmes, ensuite les hommes. La douche prise, vous irez vous immerger une dizaine de minutes dans une solution semi liquide. La sensation est assez agréable vous verrez.

Julius Kelp se mit soudain à ricaner en faisant rouler ses yeux dans ses orbites.

- À la suite de cette douche, vous serez allongé sur un chariot automatique. Celui-ci vous emmènera dans votre compartiment individuel. En effet et comme vous le savez probablement, chaque Hiberné dispose d’une pièce individuelle totalement isolée et étanche par rapport aux cellules voisines. Une fois dans votre compartiment vous serez donc seul. Ensuite, le chariot se positionnera contre votre caisson d’hibernation et il vous suffira ensuite de vous rouler simplement à l’intérieur. Une fois allongé sur le dos le programme de monsieur Vasquez entrera en action. Mandrake s’interrompit brusquement pour réfléchir un instant, puis : Ah oui, j’allais oublier une chose importante. Vérifier bien que rien ne gêne la fermeture de votre caisson, cela risquerait de provoquer un défaut d’étanchéité, car je vous le rappel, en dehors de vous, personne ne peut pénétrer dans votre compartiment une fois que vous êtes à l’intérieur, mais rassurez-vous il y a les caméras de surveillances qui nous alerterons en cas d’incident. Bien ! Je crois vous avoir tout dit. Je laisse à présent la place à monsieur José Vasquez.

Ce dernier se leva et vint prendre la parole à son tour.

- Merci Professeur. C’est effectivement à ce moment que mon programme rentre en action. Une fois que nous serons allongés sur le dos, toutes les manipulations suivantes seront automatisées et ce jusqu’au réveil.

Une fois sanglé, nous recevrons une injection anesthésiante. En effet, notre organisme a besoin d’être détendu pour recevoir des corps étrangers.

- Que voulez-vous dire par des corps étrangers, demanda Nathalie Guérande (qui se doutait évidemment de la réponse.)

- J’y viens justement et j’en arrive maintenant à la partie la moins agréable mais malheureusement obligatoire. Il s’agit de l’insertion dans les principaux orifices du corps de tuyaux et de sondes; un peu comme une coloscopie, mais… de tous les organes en même temps. 

- Heu… tous les orifices ! Coupa le généticien Eichinger soudain inquiet.

- Oui monsieur, répondit José en hochant ta tête. Vous comprenez pourquoi on vous demande d’avoir le ventre vide, et...  

- C’est sûr que si vous mangez un cassoulet juste avant, lança immédiatement Julius dont la plaisanterie, mise à part le lieutenant Berthier, ne fit sourire personne, et encore moins les futurs potentiels hibernés.

- Si Monsieur Kelp le permet, je vais poursuivre, fit remarquer le mathématicien en plissant les yeux de façon presque grotesque. Une fois tout cela mis en place, le caisson se refermera hermétiquement. Et comme le disait tout à l’heure si justement le Professeur Mandrake : Attention à ne rien laisser dépasser.

« Cela fait deux fois qu’ils parlent que l’on vérifie la fermeture du caisson. Je me demande si tout cela est bien au point ? » Pensais-je avec une inquiétude grandissante.

 - Ensuite, poursuivi José sous l’autorité de Mandrake et des autres scientifiques ayant participés au processus de cryogénisation, nous patienterons quelques minutes. Au terme de cette attente, une injection anesthésiante sera administrée. Vous compterez jusqu’à dix et ensuite, vous tomberez dans les bras de Morphée. Une fois endormi, le processus de cryogénisation se mettra automatiquement en action pour une durée déterminée par mon crypto-programme. Voilà ! C’est à peu près tout. Des questions ?

Valérie Rivière leva la main.

- Si nous devons être hibernés, j’ai cru comprendre que la durée exacte ne peut être calculée que quelques heures avant la cryogénisation. Malgré cela avez-vous une estimation de temps à nous donner ?

- C’est exact ma chère Valérie, répondit-il. L’ordinateur quantique calcule le temps d’hibernation en fonction des résultats les plus récents des taux de radioactivités et microbiens présents à la surface. Et pour répondre à votre question et d’après les statistiques de pré-calculs, nous pouvons partir sur une base de deux ans environ. D’autres questions ?

- Oui moi, demanda le chercheur François Eichinger. Vous dites environ deux ans. Je sais que tous les scientifiques présents ici ont accepté au préalable la possibilité d’être placés en hibernation, mais tout de même, quel intérêt à être hiberné pendant un si court laps de temps. N’a ton pas assez de réserve de nourriture pour tenir ces deux malheureuses années ? 

Le lieutenant Berthier s’approcha de José en prenant appui sur un coin de table. 

- Non, ce n’est pas possible. Cet abri ne dispose pas assez de provisions pour cette durée, si courte soit-elle. Nous avons (il dévia soudain son regard en direction d’un angle d’un mur noyé dans la pénombre où une silhouette semblait se détacher.) Nous avons été pris de court et avons dû faire au plus vite, et...

- Expliquez-moi pourquoi, coupa brusquement Eichinger, oui pourquoi ?

- Puisqu’on vous dit que ce n’est pas possible, coupa à son tour le Colonel Murdoch, sortant soudain de la pénombre en dévisageant l’homme du regard avec insistance ; comme pour mettre en garde toute autre personne ayant des questions en dehors du sujet de la réunion. Il faut vous l’expliquer dans quelle langue ? 

- Bon… heu… et bien… d’autres questions sur la mise en sommeil ? demanda Thorn. 

Pierre Servadac leva à son tour la main.

- D’accord, ok ! Tout ça c’est bien joli toutes ces procédures et ces analyses. Je sais que ma spécialité c’est la biologie moléculaire, mais vous avez bien effectués des tests en conditions réels rassurez-nous ? (Nous hochâmes tous la tête à notre tour.) 

- En effet, répondit Mandrake en fouillant dans ses fiches. Des tests ont été effectués sur cinquante sujets consentants, dont, je tiens à le signaler, plus de la moitié étaient des condamnés à mort. (Il fit signe à José de poursuivre.)

- Oui… donc, sur cinquante sujets, de mars 2016 à décembre 2021, situés aux Etats-Unis dans les états du Dakota du Sud et du Kansas. Et les résultats se sont avérés concluants.

- Je vois… et que voulez-vous dire par concluant demanda Ernst le regard soudain encore plus sombre qu’à son habitude.

- Ce que je veux dire, c’est qu’après six ans dans leur caisson, ils ont été décryogénisés et sont aujourd’hui tous en parfaites santé, mais toujours sous contrôle médicale, cela va de soi. Autres questions ?

Ce fut au tour de Nathalie Guérande de lever la main.

 - Et dans l’hypothèse où on devrait nous maintenir plus longtemps en hibernation ?

- Hé bien… répondit-il tout en hochant la tête. Admettons, et dans l’hypothèse que tout se passe comme prévu en prenant en compte un plafond de cinq pourcent de risque d’altération de santé par année… comptez environ une fourchette entre… trente et quarante ans.

- Et au-delà ? Demandais-je à mon tour.

- Dans l’hypothèse où l’on passe cette limite, les risques de dégâts deviennent quasi exponentiels. Avec le temps et malgré leur qualité de fabrication, l’électronique se détériore, les enveloppe des câbles se craquellent, les tuyaux deviennent poreux, les composants électroniques, quoique soumis à une température constante, s’abîment eux aussi. Certaines parties de programmes finissent par être corrompus et provoquent des réactions en chaines… 

- Et sans compter les produits chimiques qui permettent de maintenir en vie le congelé et qui, au fil des ans perdent leurs efficacités, pour à terme devenir inefficaces, voir même toxique, intervint Julius qui était spécialiste en la matière.

- Pour prolonger la question de Monsieur Dorval, intervint Mandrake, une simulation a été effectuée l’année dernière, sur un patient virtuel. Pour cela nous avons dû modifier une partie des algorithmes de calculs et certains aspects du processus automatique d’hibernation, ce qui nous a permis d’aller jusqu’à une période de quatre-vingt-dix ans. 

- Et ? Coupa interrogatif, le Biologiste Smyslov. 

- Passé la période des soixante ans, le cerveau de l’hiberné a subi de graves lésions et est devenu un légume. Mais…poursuivi-t-il, il ne s’agit que d’une simple simulation, et je vous rassure, en ce qui nous concerne, il ne s’agira que d’une période de quelques années tout au plus.

« Mmm.. maintenant c’est quelques » pensais-je. 

- D’autres questions ?

Murdoch, qui affichait l’apparence d’un homme perdu dans ses pensées, vint s’assoir sur une chaise libre entre Ellie Arroway et Stéphanie Mercier.

- Simple curiosité. La durée minimum de cryogénisation pour un individu est de combien de temps? Demanda-t-il, dès qu’il fut assis. 

Rien à faire, ce type me mettait vraiment mal à l’aise, et à voir les visages des autres scientifiques présents dans cette pièce, je n’étais pas le seul à partager cet avis. 

- Votre question, rétorqua le prix Nobel, est pour le moins singulière. Pour vous répondre, je dirais qu’il faut cinq jours pour qu’un corps soit parfaitement cryogénisé, et interrompre le processus avant ce délai pourrait être fatal. Disons que, si l’on veut écarter tous risques, quatre mois est un minimum. (Il se tourna en direction de José) Dite-moi si je me trompe ?

- Oui je vous le confirme répondit l’homme en charge du bon fonctionnement des cryogénisateurs. Mais je regrette que le Professeur Virdon ne soit plus parmi nous pour vous en parler également.

- Nous le regrettons tous conclut Thorn.

Murdoch acquiesça lentement de la tête. Puis, il se leva promptement de sa chaise.

- Merci, je n’avais pas d’autres questions, dit-il en quittant la salle en direction du PC.

La porte qui donnait sur le couloir d’accès à la salle radio s’ouvrit, laissant apparaitre le Lieutenant Berthier.

- L’opérateur radio vient de m’avertir qu’une nouvelle vague de missiles va frapper le territoire dans très peu de temps. Je vous demanderai de bien vouloir vous asseoir par terre et d’attendre la fin de l’alerte.

Comme la veille, la lumière de la salle vira au rouge. Nous nous levâmes sans un mot et allâmes nous assoir à même le sol, puis mîmes machinalement la tête entre les genoux. Smyslov vint prendre place à côté de moi en poussant un juron. 

« Tic-tac…tic-tac…tic-tac...» 

Quelques instants après, nous entendîmes à nouveau un bruit sourd provenant de la surface, suivi d’un bourdonnement insupportable qui me vrilla la tête. Puis, ce fut le silence.

« Tic-tac…tic-tac…tic-tac...» 

Dès que la lampe rouge s’éteignit, l’opérateur radio entra dans la grande salle pour s’entretenir avec le Lieutenant qui était resté avec nous.

- Messieurs-Dames, c’est terminé dit Berthier à haute voix. Vous pouvez vous relever.

Richard, dont le visage affichait des signes manifestes de fatigues, s’approcha du lieutenant.

- Pensez-vous que cette attaque sera la dernière ? demanda-t-il.

- Pour être franc Monsieur Thorn, je n’en n’ai pas la moindre idée. Mais d’après les infos du QG que j’ai en main, c’est probable.

- Espérons-le, répondit-il en regardant nerveusement sa montre, avant de s’adresser à nous. Mesdames et Messieurs, il est dix heures. Je vous invite à présent à rejoindre vos quartiers, le temps que nous recevions les derniers résultats. (Il regarda à nouveau sa montre) Je vous propose de nous retrouver ici à midi, pour un dernier briefing.

Je profitai de ces quelques instants de liberté relative pour aller le voir avant qu’il ne soit de nouveau accaparé par les préparatifs. C’était le moment ou jamais pour lui parler de ma fille.

- Pardon Richard, Je peux vous parler quelques instants ?

- Et bien... je n’ai pas beaucoup de temps, dit-il en regardant les aiguilles de sa montre. Mais allez- y, je vous écoute. Si c’est l’hibernation qui vous inquiète, sachez que...

- Non, répondis-je immédiatement, il ne s’agit pas de ça. C’est au sujet de ma fille Camille et de mon ex-femme. 

- Oui, je vous écoute dit-il en se penchant vers moi, l’air interrogatif.

- Je ne sais pas comment vous demander ça. Je... je n’ai qu’elle, vous comprenez ? J’ai… j’ai déjà perdu mon fils.

Richard haussa soudain les sourcils, affichant son étonnement.

- Vous ne m’aviez jamais dit que vous aviez eu un fils. Je suis désolé de l’apprendre dit-il sans chercher à en savoir plus. Pardon Franck mais le temps presse. Je dois... vous comprenez ? Soyez bref, voulez-vous.

- Monsieur Vasquez m’a dit ce matin qu’il existait au Canada et plus particulièrement au Québec, quelques abris appartenant à des centres de recherches plus ou moins affiliés au CERN dont certains disposent de caissons cryogéniques comme ceux présents ici. Alors je me suis dit, avec vos relations haut placées, enfin... 

L’homme pinça ses lèvres et baissa la tête pendant un court instant.

- Hum... Il y a bien… , cela va être difficile, mais...

- Richard, vous me connaissez, je n’ai pas pour habitude d’implorer ou de pleurnicher.

- Arrêtez voulez-vous, je vous connais bien, s’exclama-t-il en se frotta nerveusement le menton. Je ne vous promets rien. Je vais voir ce que je peux faire. Dans un premier temps, je vais tenter de faire mon possible afin de les mettre en lieu sûr ; au moins provisoirement. Donnez-moi l’adresse où elles résident.

Je pris immédiatement un papier et un crayon qui trainaient sur la table la plus proche, et notais nerveusement tous les renseignements nécessaires dont il aurait besoin. Puis, la main tremblante, je lui tendis le précieux papier. A cet instant, le Colonel Murdoch et le Capitaine Lacombe vinrent à notre rencontre. Richard fourra aussitôt mon papier dans sa poche, puis me regarda en fronçant les sourcils. Je compris immédiatement dans son regard, que je devais prendre congé sans tarder. J’avais à peine fait quelques pas que déjà, la conversation entre Murdoch, Lacombe et Thorn, semblait devenir houleuse. De ma position, je parvenais tout de même à entendre quelques bribes du dialogue qui s’était engagé entre les trois hommes.

- ... mais ! Je ne comprends pas ? Affirmai Thorn. Il était prévu que vous... pourquoi ne voulez-vous rester...

- Vous êtes peut être le responsable de cet abri, Répondit sèchement Murdoch, mais sachez que...

Je vis du coin de l’œil le directeur du CERN pointer Murdoch de l’index.

- ... vous n’avez aucun droit ici. Sachez que je...

De nouveau la voix de Murdoch :

- ... estimez-vous heureux... considérez cela comme un ordre. En tant que Colonel, j’ai le pouvoir de vous...

- Je me doutai bien en vous voyant débarquer ici... problèmes... inadmissible… attitude. Que vont penser mes collègues...

Voyant soudain Lacombe tourner lentement la tête dans ma direction, je fis mine de lacer mes chaussures, afin qu’il détourne son attention de moi. Les deux militaires me tournaient à présent le dos. J’en profitai pour me rapprocher subrepticement d’eux, pour mieux épier la conversation. 

- ... ce n’est pas notre problème, dit Lacombe. Vous n’aurez qu’à simplement les avertir à la fin du briefing, sans trop vous étendre sur le sujet, voilà tout. De toute façon, nous n’avons aucune justification à vous donner. Est-ce bien clair monsieur Thorn ?

- Et bien, répondit-il, je suppose que je n’ai pas le choix répondit-il d’une voix soudain résignée.

- Exactement fit Murdoch, en lui mettant la main sur l’épaule de façon faussement amicale. N’oubliez pas que nous sommes en guerre, j’ai donc tout pouvoir, même ici. Alors, ne soyez pas trop bavard. Comme le dit si justement le Capitaine Lacombe, restez vague ou inventez un prétexte à votre sauce. Ah oui ! Une dernière chose concernant les véhicules de l’abri...

Murdoch s’interrompit brusquement et tel un Hibou, il tourna sa tête vers moi.

- Un problème avec vos lacets ? demanda-t-il de façon suspicieuse.

Sans attendre une réponse de ma part, il fit signe poliment à Thorn d’aller poursuivre leur conversation dans une autre pièce de l’abri.

A peine relevé, je sentis une main se poser sur mon épaule. Je tournai légèrement la tête et reconnus Ellie Arroway.

- Monsieur Dorval c’est ça ? Me dit-elle en me tendant la main pour la première fois.

- Oui, mais vous pouvez m’appeler Franck.

Elle désigna aussitôt Murdoch et Lacombe de la tête.

- Drôles de types ces deux militaires. Personnellement, je ne leurs confieraient même pas mes poissons rouges à garder, à ces deux-là. (J’acquiesçais de la tête.) Tout à l’heure, j’ai essayée d’engager la conversation avec eux et en guise de réponse, j’ai eu droit à des banalités affligeantes. Mais impossible de leurs retirer les vers du nez. Quant à la raison de leur présence ici ?

- hum... si cela peut vous rassurer, vous n’êtes pas la seule à m’avoir fait cette remarque.

- Et bien, dit-elle en me réprimant un sourire. Je suis ravie de vous avoir rencontrée Franck. Cela fait plaisir de voir dans ce bunker nauséabond, quelqu’un d’à peu près normal. Elle fit mine de prendre congé, puis se ravisa. J’ose espérer que nous aurons l’occasion de faire plus ample connaissance, dit-t-elle, en affichant à nouveau un petit rictus, dont je lui répondis avec un signe poli de la tête. 

- J’ai lu récemment dans un article du National Scientific, que vos travaux sur l’espace-temps donnaient des résultats forts encourageants. 

- Oui, c’est exact acquiesça-t-elle. Bob… Bob Hawk c’est mon assistant, crut-elle bon d’ajouter, sommes impatients de commencer la phase deux du projet. Oui, enfin… à présent, je crois que notre laboratoire doit-être probablement en miette.

- En quoi consiste cette phase deux ? Demandai-je avec intérêt.

- Et bien… nous allons… nous aurions dû expérimenter l’appareil avec un... 

- Pardon de vous interrompre Ellie, intervint Mandrake qui apparut derrière nous, mais j’ai besoin de vous immédiatement à l’infirmerie. Un de vos échantillons ADN a été malencontreusement souillé et nous devons procéder à un nouveau prélèvement en urgence. 

- Heu... eh bien, je vous suis. A plus tard Franck. (Je lui fis un signe de la tête.)

Il me restait une heure avant le dernier briefing, j’en profitai pour visiter plus en détail les entrailles de cet abri. 

Mes déambulations m’amenèrent devant une lourde porte blindée. Attisé par ma curiosité, j’appuyais lentement sur la poignée. Me voyant m’attarder devant la porte, un militaire s’approcha immédiatement vers moi.

- Monsieur s’il vous plait. L’accès à cette pièce est interdit au personnel civil. 

- Pardon... J’ignorai que monsieur Thorn vous avait donné l’ordre de...

- Monsieur Thorn ? Non monsieur. C’est sur ordre du Colonel Murdoch. Veuillez maintenant regagner la salle commune… s’il vous plait. (Le type semblait nerveux.)

- Ok ! Je voulais juste jeter un coup d’œil, c’est tout. La curiosité, vous savez ce que c’est, répondis-je bêtement. 

Je n’avais rien contre les militaires, mais vu la paranoïa ambiante qui commençait petit à petit à s’immiscer au sein de cette taupière et au risque de me répéter, j’étais à présent persuadé d’avoir fait une bêtise en venant ici, au lieu de tenter ma chance par mes propres moyens.

Entre temps, le professeur Eichinger vint à notre rencontre. Intrigué par mon altercation avec le garde, il s’approcha de moi.

- Il a raison, dit-il, en s’adressant au militaire, tout en me désignant du doigt. Pourquoi n'ouvrez-vous pas cette satanée porte ? Vous n'avez aucun droit ici, nous sommes dans un abri civil.

Soudain ! Tel un lapin, ou plutôt un petit diable sortant de sa boite, Murdoch apparu devant nous.

- Que se passe-t-il ici. Que faîtes-vous là ? J'avais pourtant donné des ordres. (Le soldat se mit aussitôt au garde à vous.)

- Vous n'avez aucun droit ici, lança Eichinger, et...

Avant que le professeur ne termine sa phrase, Murdoch l'empoigna fermement par le col en le fixant d’un regard menaçant.

- Sachez MONSIEUR, tout génie que vous êtes, que j'ai TOUS les droits ici. Ne l'oubliez JAMAIS. Je saurai si nécessaire vous le faire rappeler en temps utiles. Puis d’ajouter sur un ton devenu étonnamment pensif: Vous n’imaginez même pas ce qui attend l’humanité dans…

Il s’interrompit et fit un signe négatif de la tête, comme s’il en avait top dit. Puis, il se mit à regarder dans le vide de façon étrange.  

- Hé! Lâchez-le maintenant, lui dis-je en posant ma main sur son bras. 

Sans un mot, Le Colonel lâcha l’homme, puis pivota sur ses talons et disparu dans le couloir aussi vite qu’il était apparu.

- Merci d'être intervenu, monsieur Dorval.

- De rien, appelez-moi Franck. (C’est monsieur commençaient à me fatiguer.) 

- Eh bien ! dit-il. Pour un Colonel, je trouve que ce type manque réellement de sang-froid. Il va falloir que j’aille tout de même en toucher deux mots à Mandrake et à Thorn. Il se passe quelque-chose de pas net ici. Je vous laisse et merci encore. A plus tard Franck.

Je fis demi-tour et regagnai d’un pas lent, la grande salle de l’abri.

« Étrange tout ça. Je crois bien que je me suis fourré dans un sacré merdier.» Pensai-je.

Dès mon arrivée dans la salle commune, je décidai d’aller me renseigner auprès de Richard pour en apprendre un peu plus sur ce qui se passait réellement ici. Malheureusement pour moi, il était en train de converser avec José. J’allais m’assoir sur une chaise et attendais patiemment qu’il ait terminé. Quand José prit congé, Richard m’aperçut et vint s’assoir à côté de moi en soupirant bruyamment. 

- Je suppose que vous avez entendu ma conversation de tout à l’heure avec Murdoch et Lacombe ?

- Oui, en partie, quelques bribes. J’ai l’impression qu’il y a un problème sérieux ici.

- En effet, on peut dire ça comme ça, répondit-il le front barré par un pli de contrariété. A l’origine c’était le lieutenant Berthier qui dirigeait cet abri. Et ce matin, ces deux types ont débarqués de je ne sais où, en compagnie d’une poignée d’hommes ressemblant plus à des mercenaires qu’a des soldats du rang.

- Mmm… je vois, étant donné que ce Murdoch est un colonel, le lieutenant est à présent sous ses ordres.  

- Exactement, répondit-il en faisant la moue. Si je peux vous donner un conseil. Restez à l’écart de ces deux hommes. 

L’homme détourna soudain son regard au-dessus de mon épaule en relevant le menton.

- Pardonnez-moi, mais le lieutenant Berthier me fait signe que les résultats sont arrivés.

Je voyais bien à sa tête qu’il était mal à l’aise. Je fis pivoter mon poigner. Les aiguilles de ma montre indiquaient 11h50. Quelques minutes plus tard, tout le monde était à nouveau réuni dans la grande salle pour cet ultime briefing. Sans même attendre que nous soyons tous assis, Thorn brandit un papier en l’air et l’agita comme un drapeau, quelques secondes. 

- S’il vous plait, un peu de silence dans la salle. Bien ! Voici les derniers résultats de l’ordinateur. Si j’en crois ce qui est marqué, l’hibernation est confirmée pour une durée de trois ans.

Malgré qu’il faille toute de même être endormi, je vis aussitôt autour de moi, les visages auparavant si crispés, se détendre d’un coup. Tout le monde semblait soulagé que la durée d’hibernation ne soit pas plus longue, y compris Richard, qui affichait un réel soulagement. 

- C’est une assez bonne nouvelle, s’exclama André Smyslov en frottant ses mains de façon vigoureuses, tout en adressant un clin d’œil à Stéphanie Mercier.

J’étais persuadé, poursuivit-il qu’il y en avait au minimum pour cinq ans.

- J’avoue être aussi étonné que vous mon cher André. Honnêtement, je m’attendais à une durée d’hibernation plus importante. Quoi qu’il en soit, une hibernation est tout de même indispensable puisque comme on nous l’a si gentiment expliqué, cet abri ne dispose pas assez de nourriture pour tout le monde.

- Même pour une durée aussi courte, crut bon de rajouter Stéphanie, comme pour se rassurer.

- Bah ! Lança Maxime qui s’était approché de nous en agitant sa main comme s’il y avait une mouche qui l’importunait. Trois ans ou cinq ans quelle différence, puisque l’on dormira. J’aurai préféré patienter les yeux grands ouverts et rester maître de moi.  

- Je suis d’accord avec vous, approuva le professeur Eichinger en acquiesçant de la tête.

Une pensée me traversa l’esprit :

« Je trouve cela tout de même étonnant qu’un abri de cette taille ne dispose pas suffisamment de nourriture pour tenir trois malheureuses années. En omettant la dizaine de militaires et techniciens de maintenance, nous ne sommes qu’une vingtaine après tout. »

Peu après, le Lieutenant Berthier vint prendre la parole :

- D’après le quartier général de la région Rhône-Alpes, il n’est pas tombé autant de missiles ennemis qu’ils l’avaient estimés. Et bien que le pays soit en parti contaminé, le taux de radioactivité est certes important, mais pas aussi catastrophique que nous l’envisagions.

- Ce qui explique cette estimation de trois ans, compléta le directeur du CERN. Et bien… considérons cela comme une bonne nouvelle. Après un court silence, Thorn ajouta, sur un ton étonnement ironique : Il faut que vous sachiez que Mandrake et moi allons devoir nous supporter mutuellement pendant vos trois années d’hibernation. 

- Comment ça ! demanda Maxime Ernst, d’un ton ouvertement suspicieux.

- Ne s’oyez pas inquiet. C’est très simple. Comme vous ne le savez peut-être pas, Mandrake et moi avons dépassés l’âge limite pour être cryogénisé et bien que le processus soit entièrement automatisé pour toute la durée de l’hibernation, et ce, grâce à notre cher confrère José ici présent, nous assurerons en parallèle, comme cela était prévu, le suivi du processus de cryogénisation. Une fois cette phase terminée, nous assurerons tous les deux la surveillance et la maintenance, jusqu’au terme de ces trois ans. Et comme pour nous rassurez, il ajouta : Vous savez, le temps va paraitre plus long pour nous que pour vous, surtout dans cet endroit pour le moins lugubre.

- Je ne comprends pas coupa Valérie Rivière. Vous seuls ?

- Non, je vous rassure et j’allais y venir. L’armée nous laisse quatre militaires à disposition et quelques techniciens pour assurer la surveillance et la maintenance du site. Ils seront relevés tous les six mois. Devant nos mines interrogatives, Il ajouta : Ces soldats sont en fait des sous-mariniers. La décision de nous envoyer ces marins me parait effectivement logique. Il est vrai qu’un abri peut être comparé un peu à un submersible. 

- Ouais… à la différence qu’en cas de problème, nous ne pourrions faire surface, intervint Elodie Dulac.

- En espérant que ce rafiot enterré n’est pas le Titanic, ajouta Julius Kelp en oscillant la tête.

Maxime se tourna vers ce dernier et dit :

- Je constate que comme à votre habitude, votre sens de l’humour déplacé est toujours au rendez-vous. Au moins, ce qui me rassure, c’est qu’une fois congelé vous nous foutrez la paix une bonne fois pour toute.

Julius croisa les bras et s’enfonça sur sa chaise sans dire un mot. 

Thorn reprit la parole en tentant d’esquiver le regard de Murdoch qui se faisait de secondes en secondes plus insistant.

- Le... Colonel Murdoch et le Capitaine Lacombe ne seront également pas des vôtres pour l’hibernation. Et bien... euh... ils préfèrent rester à nos côtés pour…pour eux aussi assurer la maintenance de l’abri, ainsi que sa protection en cas d’intrusion extérieure.

« Ou intérieure » pensais-je soudain.

Le pauvre Richard ne savait vraiment pas mentir. Toutes les personnes ici présentes s’étaient bien rendu comptes qu’il y avait un problème. Malgré les bribes de conversations que j’avais entendues ce matin, entre Richard, Murdoch et Lacombe. Je n’avais aucune idée de ce qui se tramait. De toute façon que pouvais-je faire dans un endroit pareil ? De plus, ces militaires étaient bien armés. Ne connaissant pas tous les tenants et aboutissants, il était difficile de prendre une décision sans avoir toutes les cartes en main. 

Notre cryogénisation avait été programmée pour dans trois heures. J’avais songé à un moment à m’enfuir, mais sans préparatifs et sans aide, cette tentative désespérée était vouée à l’échec avant même d’avoir commencée.

« Je n’aurais jamais dû venir ici. » Maugréai-je mentalement.

Me sachant condamner, j’acceptai tant bien que mal à être congelé et abandonnai mon triste sort au destin.

Mandrake vint ensuite prendre la parole et une quinzaine de minutes plus tard, il mit un terme à la réunion, par ces mots : Courage, trois ans c’est vite passé. Nous organiserons une petite sauterie quand vous serez réveillés. Et j’espère sincèrement que nous fêterons ça à l’extérieur de l’abri. Bon… et bien, mesdames et messieurs, je crois qu’il est temps de vous de se préparer. 

A cet instant, mon cœur s’accéléra et je fus pris de tremblements incontrôlables. J’étais terrifié.

José s’approcha de moi.

- Ne vous tracassez pas. Tout va bien se passer, me dit-il en me tapotant l’épaule. Faite-moi confiance tout est sous contrôle.   

- Oui, répondis-je simplement, en essayant en vain de me rassurer.

Ellie Arroway s’approcha de moi et hocha la tête.

- Je ne sais pas pour vous mais moi je suis morte de peur.

- Rassurez-vous, vous n’êtes pas la seule, mais tout va bien se passer lui répondis-je en répétant les mots de José qui entretemps avait quitté la pièce.

- Merci et à tout à l’heure, dit-elle en pivotant sur ses talons en compagnie de son assistant resté silencieux jusque-là.

- Allons…, il est l’heure. Si vous voulez bien vous rendre tous à l’infirmerie, afin de procéder à la première phase des examens, ordonna Mandrake en effectuant un signe énergique de la main.

Pendant que nous attendions en file indienne derrière la porte de l’infirmerie. José, qui était en queue de file, nous fit signe de se tourner vers lui.

- S’il vous plait écoutez-moi. Une petite précision. Quand vous vous réveillerez, veuillez êtres bien attentifs aux instructions qui vous seront données par la voix de synthèse. Des questions ?

- Est-ce que l’on va rêver ? demanda madame Guérande.  

- Les analyses effectuées sur nos volontaires attestent que oui, répondit José.

- Tant que ce n’est pas de lui, rétorqua Maxime en désignant du menton Julius.

- Oui… bon ! (José toussa) une dernière question ?

- Que se passe-t-il s’il y a une fuite dans un caisson ? demanda Smyslov de plus en plus inquiet. 

- Hé bien… vous êtes optimiste, répliquai-je aussitôt en sentant mes pulsations augmenter de façons exponentielles. 

- Ne vous inquiétez pas fit Mandrake en ouvrant la porte de l’infirmerie. Tout est sous contrôle ? Tout ira bien. Allez ! Ne perdons pas de temps.

16h02 : Nu comme le jour de ma naissance et confortablement allongé sur le dos à l’intérieur de mon caisson. J’entendis Mandrake nous saluer une dernière fois par le biais du haut-parleur individuel de mon compartiment « Dormez bien et faîtes de beaux rêves les amis. On se retrouve dans trois ans. Mandrake et moi veillerons sur vous comme vos parents. » Puis ce fut au tour de la voix de Thorn de résonner : « Je ne vous oublie pas Franck. Je vais voir ce que je peux faire pour votre fille. »

Malgré le stress qui me cisaillait les entrailles, ces paroles me réconfortèrent à un plus haut point. Une poignée de secondes après, je sentis un souffle d’air, suivi d’un pffffffiuuuuuiiiiii ! Désagréable, puis, le couvercle de mon caisson se referma sur moi en faisant un Cloonnnggggg ! Suivi d’un sifflement tellement aigue que j’eus l’impression qu’il m’avait percé les tympans. 

16h10 : j’avais comme des fourmis dans les jambes et les extrémités de mes membres me faisaient mal. Ma salive avait le gout du sang. J’avais froid aussi. 

16h15 : Je ne sentais plus mon corps et mon rythme cardiaque semblait ralentir de secondes en secondes. J’avais maintenant le sentiment de flotter dans l’air un peu comme une feuille soulevée par le vent un jour d’automne. Cette sensation bien qu’agréable, finie par m’horrifier. Je voulus crier pour que l’on me fasse sortir de ce cercueil, mais ma bouche restait obstinément close.  

16h16 : Une voix féminine jaillissant du haut-parleur, m’extirpa de ma frayeur.

«Attention, attention. Dans quelques secondes l’ordinateur va procéder à l’anesthésie générale. Pour votre sécurité, veuillez ne pas bouger la tête. Au top : Top ! »

16h17 : La tête immobile, je baissai lentement les yeux en direction du tuyau relié à mon bras gauche, et vis un liquide alors incolore se mélanger avec un autre de teinte orangée.

« Camille, je ne t’abandonnerais pas. » Pensai-je, les sens enveloppés d’une immense et soudaine confusion psychique.

Dans un ultime effort mental, je me mis à égrener les secondes, non pas en Français, mais en Japonais, comme je l’avais appris autrefois quand je pratiquais les arts martiaux, afin de maitriser jusqu’à la dernière seconde ma détresse mentale, tout en souhaitant dérisoirement, ne pas sombrer dans un sommeil éternel.

« Ichi… ni… san……yon…….go…... roku………nana……..…hachi………… kyù………………………. Jù ………………………»


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