LE VOYAGE : a post nuclear odyssey

Chapitre 5 : 11 Mai : Renaissance

5431 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 3 jours

« Que vaut le temps, s'il n'en reste plus pour s'émouvoir, s'attendrir, aimer ? Ce n'est pas nous qui décidons de notre temps, mais le temps qui tisse les jours, fait et défait les volontés, les aspirations de l'homme. »

Lauréanne Harvey


Il m’est arrivé d’avoir dans ma vie des réveils difficiles, voir douloureux. Pour l’anecdote, je me souviens d’un lendemain de fête bien arrosé, ou je me suis réveillé dans un bois, allongé entre deux tentes de camping, avec en guise de petit déjeuné, quelques restes de merguez carbonisées de la veille. Je me souviens également d’un réveil post-comateux, après une longue opération chirurgicale, à l’âge de 17 ans, ou il avait fallu l’intervention de deux chirurgiens, tellement ma péritonite s’était infectée. Direction les urgences également, pour la fois, ou je m’étais ouvert le haut du crâne en sortant de la fosse à vidange, après avoir terminé de changer ma ligne d’échappement de ma Chevrolet camaro de 1976. Et aussi ce samedi d’octobre 1999, ou j’étais tombé de moto en faisant du cross dans un terrain vague. Mon casque (et ce qui était dedans) avait heurté une souche d’arbre me laissant, comme le terrain, dans un état vague, pendant un bon moment. Mais tout cela n’était rien comparé à ça.


J’ouvrais lentement et péniblement mes paupières qui étaient aussi lourdes que deux rideaux faits de plomb. Après plusieurs minutes à fixer le plafond sans pouvoir bouger, j’entendis un bruit, suivi d’un cliquetis. Quelques secondes plus tard, je ressentis des picotements parcourir tout mon corps. Au début, cette sensation n’était franchement pas désagréable, mais après quelques instants, ça se transforma en une terrible démangeaison, puis en une douleur atroce qui dura... Je ne sais plus… c’était abominable. 

Mes pensées étaient embrouillées et mes souvenirs étaient flous, vagues…

Peu à peu, cette horrible douleur s’estompa et fut remplacée à nouveau par ces picotements. Je tentais de bouger une jambe, mais mon corps refusait d’obéir à mes ordres. Mes paupières se refermèrent…

Je rouvris les yeux, avec cette fois une vision plus nette de mon environnement. Je pouvais à présent bouger mon corps, ainsi que mes membres, mais chaque mouvement était encore une épreuve physique insurmontable. J’avais la désagréable sensation d’avoir du sang dans la bouche, et qui s’avéra ne pas être qu’une simple sensation. Je m’étais mordu la langue en me réveillant. Je crachais le liquide rouge tant bien que mal et tentais, malgré la douleur sourde et insidieuse, de me redresser. Mon buste s’était à peine incliné de quelques degrés, que j’étais déjà épuisé. Je me rendormais…

Dès que je rouvris les yeux, je me concentrais sur ma respiration. Des que cela fut possible, je pris appui sur mes coude et me relevais lentement pour tenter de m’assoir. Je regardais attentivement autour de moi. L’endroit où je me trouvai était extrêmement sombre. Je pris une profonde inspiration qui me fit aussitôt greloter. Après quelques instants à tenter de me remettre les idées en places, je pivotais sur mes fesses et m’asseyais sur ce qui semblait être un lit. A y regarder de plus près, il s’agissait d’un de ces lits anciens à barreaudages métalliques, me rappelant ceux que l’on voyaient dans les hôtels des films de Cowboy. Je posai mes pieds sur le sol et me levai lentement en prenant appui à l’aide d’une main. Je fus pris de vertiges et je me rassis aussitôt. En dépit du peu de lumière qui baignait cette pièce, je vis qu’il s’agissait d’une chambre, mais pas une de ces chambres que l’on peut voir dans les Western, comme je le pensais au départ, mais plutôt d’une petite maison de bord de mer faite de bois et de bric et de broc. 

Je me remis à nouveau sur mes deux jambes et avançais laborieusement en trainant des pieds en direction de ce qui semblait être une fenêtre occultée par des volets. Mes pas étaient si lents que je me mis à les inspecter des yeux pour m’assurer que je n’avais pas de boulets attachés ; un peu comme ceux qu’avaient aux pieds les bagnards d’autrefois.

Dehors, il devait faire très beau, car les maigres rayons du soleil passant à travers les persiennes de ces volets usés par le temps, me réchauffaient la peau. Une agréable sensation olfactive provenant de je ne sais où, vint peu à peu enivrer mes sens. Je promenais mon regard partout dans la pièce, à l’affut du moindre endroit discernable éclairé par ce soleil qui me sembla soudain bien étrange.

« Où suis-je ? » pensais-je, malgré tout, encore à demi endormi.

En dehors des battements rapides de mon cœur qui martelaient ma poitrine, et des craquements du parquet provoqués par mes pas mal assurés, je ne percevais aucun autre bruit.

« Combien de temps ai-je dormi ?» 

Je restais planté là bêtement, ne sachant quoi faire, le regard perdu. 

- Il y a quelqu’un ? M’exclamai-je tout à coup à haute voix, pour m’obliger à quitter cette torpeur.

Au bout de ce qui me sembla être quelques secondes, j’entendis un bruit derrière moi, suivi d’une voix de femme.

- Je suis ici, dit-elle avec douceur.

Je me retournai en direction d’où elle semblait provenir, mais à ma grande stupéfaction, je ne vis personne. Mon corps fut pris soudain de violents tremblements. Je touchai de la main mon front dégoulinant de sueur.

- Vous êtes qui ? (J’avais froid, puis chaud, puis à nouveau froid.)

Le silence retomba, lourd et oppressant. J’essayais inlassablement de rassembler mes pensées, de comprendre ce qui m’était arrivé : Le voyage jusqu’à cet abri, la guerre, ces gens… étranges pour certains. L’hibernation. OUI c’est ça l’hibernation. Des images et des sensations confuses et éparses étaient en train de se former mentalement dans ce brouillard qu’était mon cerveau. 

Après que j’eusse retombé à nouveau dans ma torpeur, la voix se manifesta à nouveau.

- Inutile de me chercher dans cette pièce. (silence) Je suis ta conscience, ton père ou ta mère, ta femme, ton contraire, un miroir peut-être ? Ton… fils. C’est comme bon te semble. Je peux aussi être tout à la fois, si tu le souhaite ?

Mon cœur battait à tout rompre. Je fus pris d’horribles nausées qui me forcèrent à retourner m’assoir sur le lit. 

- C’est endroit est bizarre. Je… je suis mort, c’est ça ?

Le rire de la femme retentit dans la pièce. 

- Meurtrier ! Meurtrier ! Irresponsable ! Vociféra la voix à présent plus aigüe.

L’effroyable rire reprit de plus belle avant de cesser net. Sans rien n’y comprendre et terrorisé par ce que j’étais en train de vivre, je me tournai tel un robot télécommandé par un être invisible et maléfique, en direction de la fenêtre, en tentant de focaliser mon regard sur ce que je pouvais discerner à travers les persiennes. Malgré sa position à ras de l’horizon, l’éclat de cet étrange astre du jour ne s’était pas du tout affaibli depuis que j’étais réveillé. Ses maigres raies de lumières, tel des serpents rampants sur le sable fin, se frayaient un chemin à travers les minces lames de bois. En temps normal notre bon vieux soleil aurait depuis longtemps viré au rouge-orangé. Celui-là, non. Je me relevai, les paupières à demi closes. Je me raidis et remis un pas devant l’autre en direction une fois encore de cette étrange fenêtre. Malgré le peu d’espace entre les lames de bois, je pus discerner des arbres et plus précisément des pins maritimes, ainsi qu’une multitude de plantes grasses qui ondoyaient au grès du vent. Une étendue de sable aussi, beaucoup de sable. Du sable à perte de vue. 

Curieux, et plus maitre de mes mouvements, je me rapprochai encore plus près, en collant une oreille contre la vitre de la fenêtre qui étrangement, n’avait pas de poignée. Tout d’abord je n’entendis rien, puis il s’ensuivit le cri d’une mouette et l’aboiement d’un chien dans le lointain.

- Il faut que je me tire d’ici, m’exclamai-je.

Je décollai mon oreille et cherchai la présence d’une quelconque sortie. Malgré cette curieuse lueur et mes pupilles bien dilatées, je n’y voyais à peine plus que de vagues formes et encore moins une porte de sortie. Cette pièce avait comme seule ouverture cette fenêtre sans système d’ouverture. Quelque-chose me frôla.

- Lâche ! disait à nouveau la voix. Sale lâche tu vas crever.

Mes jambes se dérobèrent, et je tombai à genou sur le sol en posant mes mains sur mon visage, comme pour me cacher de cette chose.

- Je fais un cauchemar, c’est ça ? Je ne suis pas mort, tout ça c’est des conneries ! Je vais me réveiller. Ce n’est pas réel. Murmurai-je, terrorisé.

A cet instant, je voulu appeler à l’aide, mais aucun son ne sortit de ma bouche. Je ne sentais plus le relief de mes lèvres au bout de mes doigts glacés. Je ne sentais plus rien. C’était lisse et ma bouche avait disparue. Quelque-chose me frôla à nouveau. Bien décidé à savoir de qui ou de quoi il s’agissait, je fis volteface et reconnu avec un incommensurable effroi, mon fils Nicolas qui marchait lentement en direction du centre de la pièce. Après avoir effectué quelques pas, il s’arrêta, puis se tourna lentement vers moi à la manière d’un mannequin pivotant sur son socle. J’essuyai des doigts les larmes qui troublaient ma vision et me rapprochai à mon tour de lui. Pas de doute possible, il s’agissait bien de mon fils qui, les mains le long du corps et les jambes serrées, me fixait d’un regard absent de toute vie. Malgré cela, il semblait étrangement détendu, presque serein. J’espérais qu’il allait dire quelque-chose, me parler, ou faire un geste. Mais il n’en fut rien. Je le vis pivoter sur son socle invisible pour aller s’allonger sur le parquet immaculé qui recouvrait la pièce. Dès qu’il fut étendu, je sentis quelque-chose d’humide me lécher les pieds. Je baissai la tête et constatai avec terreur que la chambre était en train de se remplir d’eau. Quand je voulu marcher, je failli tomber en avant. Mes pieds étaient comme collés au sol. Plus je forçai sur les muscles de mes jambes, plus mes pieds se rigidifiaient. Ils étaient maintenant physiquement liés au sol, comme les racines d’un arbre. J’assistai impuissant à la montée des eaux et cherchai des yeux mon fils qui avait disparu.

- Meurtrier !... lâche ! Lança encore la voix.

- Partez ! Laissez-moi… allez-vous en. Je n’ai pas tué mon fils vous entendez ! Hurlai-je en constatant que j’avais soudain recouvré l’usage de la parole. 

Je pris une profonde inspiration, juste avant que l’eau ne remplisse mes narines et la retint le plus longtemps possible dans l’espoir qu’il se passe quelque-chose avant que je meurs noyé. Dans un ultime soubresaut de conscience, mon fils apparut devant moi et il me tendit une main. 

- Ferme tes yeux papa, dit-il en me souriant.

Mes pieds se déracinèrent du sol, puis je senti mon corps remonter lentement vers ? Je ne saurai le décrire, même à l’heure où je rédige mes souvenirs sur ce carnet. Avais-je à présent les yeux ouverts, ou étaient-ils toujours fermés comme me l’avait demandé mon fils ? A moins que je sois… 

Boum… !

Des millions de formes géométriques multicolores papillonnaient tout autour de moi pour se transformer aussitôt en myriades d’étoiles étincelantes, dès que je tendais la main pour les toucher. A mesure que je remuai mes membres, les étoiles se faisaient plus nombreuses. A un tel point qu’elles finirent par combler tout l’espace qui m’entourait et pour au final, ne former qu’un seul et unique astre. Me sentant prit au piège, je me débattais de toutes mes forces.

Boum… boum !

Plus je me d’emmenais et plus je ressentais comme des pulsations emplir cet espace.

Boum boum… boum boum !

L’étoile se mit à gonfler, puis à se dégonfler et à se gonfler à nouveau.

Boum boum… boum boum… boum boum !

Une lumière aveuglante, précédée d’insupportables flashs stroboscopiques inondèrent cet univers clos, dont j’occupais le centre. Je fermai les yeux. La douleur (s’il y en avait une ?) était atroce, indescriptible. Des lucioles virevoltaient à travers mes paupières closes dans un ballet démentiel dirigé par un chef d’orchestre devenu fou. Soudain ! Tout disparu autour de moi. Plus rien, le noir total. Le néant absolu.

Boum boum… boum boum… boum boum... boum boum !

Quelque-chose dans mon cerveau se mit en action. 

Boum boum… boum boum… boum boum... boum boum… boum boum !

J’ouvris lentement les yeux et regardais droit devant moi. Au début, je n’avais pas encore une conscience claire de ce qui m’entourait. Allongé dans mon caisson cryogénique, certain d’être conscient, et selon toute logique, j’étais vivant. Après quelques minutes, ma vision devint moins trouble, mais je voyais en noir et blanc. La première chose que je vis, fut la pendule électronique poussiéreuse, accrochée au mur. Elle indiquait 6h30 du matin. La vue de cet objet banal me rassura un tant soit peu, et me prouva avec soulagement que je n’étais plus captif de cet effroyable cauchemar auquel j’avais été confronté, mais bel et bien de retour dans le monde réel, du moins en apparence.

Les aiguilles de la pendule indiquaient maintenant 7h00. Je fus pris soudain de spasmes incontrôlables et mes muscles se contractèrent les uns après les autres dans d’insupportables crampes. Malgré cela, aucun de mes membres ne semblaient vouloir répondre aux directives de mon cerveau. Mon esprit était comme engourdi et mes idées vagues, confuses… à nouveau. Je n’arrivais pas à me concentrer ou ne serait-ce penser à quoi que ce soit. La vue même de la trotteuse de l’horloge me donnait la nausée après quelques secondes d’attention. Une immense fatigue me submergea, et sans que je leurs ordonnes, mes paupières se refermèrent inexorablement.

8h00 : Je rouvris péniblement les yeux. La lumière qui éclairait la pièce, quoique tamisée, m’affligeait d’horribles picotements dans mes globes oculaires. Les courbatures et les spasmes s’étaient un peu apaisés. Je parvins même, mais difficilement, à faire bouger ma main gauche, puis la droite. Je fis ensuite jouer mes muscles maxillaires. Le gout du sang emplit ma bouche et les battements lents et réguliers de mon cœur résonnaient dans mes tempes tel un marteau frappant une enclume dans un bruit assourdissant. Mes oreilles bourdonnaient. J’avais l’impression que ma tête allait éclater. 

8h32 : Le plafond de la pièce m’apparaissait assez distinctement à travers le revêtement translucide et poussiéreux de mon caisson. Je réussis tant bien que mal à lever mes deux bras jusqu'à la hauteur des coudes. En ce qui concernait la mobilité de mes jambes, elles étaient encore aux abonnés absents. Il m’était également impossible de tourner la tête à droite ou à gauche. Fort heureusement, mon mal de tête et mes acouphènes semblaient s’être apaisés. Je me rendormis. 

10h30 : Une curieuse sensation de bien-être me réveilla. Je ressentis aussitôt après et comme je l’avais rêvé ? Une multitude de picotements sur tout le corps, provoquant une chair de poule généralisée. Je fus ensuite pris d’une violente érection, suivie d’une éjaculation qui ne me procura aucun plaisir. D’après ce que j’avais pu retenir lors du dernier briefing traitant des cellules hématopoïétiques. Cette sensation de bien-être était en partie due au remplacement des produits chimiques qui avaient circulés dans mon organisme pendant toute la durée de mon hibernation, par du sang neuf. Le précieux liquide rouge pulsait et pulsait encore. Je le sentais se répandre en moi comme la sève d’un arbre après un terrible et long hiver.

11h15 à la pendule poussiéreuse. Les pièces du puzzle de mon cerveau commençaient à se rassembler et à reprendre leurs emplacements. Je constatai avec une certaine satisfaction, que je commençai à penser de façon rationnelle.

« Trois ans avaient-ils dit. Selon toute vraisemblance, nous devrions être en 2025 ou 2026 ?» Songeai-je.

Ne pouvant toujours pas pivoter ma tête, j’inclinai légèrement les yeux en direction de la porte, dans l’espoir de la voir s’ouvrir et que quelqu’un entre pour enfin me délivrer de ce sarcophage de métal. Sur ma gauche, à côté de plusieurs éprouvettes, il y avait deux gros tubes en verre de deux à trois centimètres de diamètre. 

Le premier était remplit au trois quart d’un liquide blanchâtre d’aspect laiteux. Le second, ne contenait plus qu’un quart de ce qui, selon toute logique, devait être mon nouveau sang. Une multitude de petits tuyaux partant de mon corps et allant vers un collecteur à la base des deux gros tubes y étaient raccordées, dont certains, à mon grand étonnement, semblaient suinter. Je détournai mon regard en direction du plafond. Bien que composé de plaques d’inox, ce dernier arborait à de nombreux endroits une multitude de petites traces blanchâtres (un peu comme du salpêtre.) Ces traces étaient encore plus présentes sur les murs, et notamment dans les coins, un peu comme si quelqu’un avait aspergé la pièce d’une solution chlorée. Je crus même apercevoir dans un des angles de la pièce, quelques toiles d’araignées qui ondoyaient lentement, comme une mer d’huile. Cette vision provoqua en moi une grande inquiétude et un profond désarroi.

12h10 : A mon grand soulagement, la vision en couleur semblait peu à peu revenir, mais toujours personne venant me sortir de cet enfer, pas même une voix provenant du haut-parleur. Plus je reprenais mes esprits et plus mon inquiétude s’accroissait.

« Il y a un truc qui cloche. Il va falloir que je sorte d’ici pas mes propres moyens.» Pensai-je.

12h20 : Je pus enfin prendre appui sur mes poignets et remuer mes jambes, ainsi que ma tête. Mais mon optimisme fut de courte durée, car la fatigue vint subrepticement me surprendre et je m’assoupis.

14h07 : Mon oreille droite bourdonnait par intermittence, mais je me sentais mieux et moins engourdi. J’avais les idées plus claires aussi. Malgré la mobilité manifeste de mes membres, et en raison des nombreux tuyaux et liens qui me retenaient prisonniers, il m’était toujours impossible de me retourner dans ma prison de verre et d’acier, ne serait-ce que sur le côté, 

« Saleté de tuyaux, saleté de liens. » maugréai-je.

15h30 : Je sortis de ma torpeur en voyant trois fourmis traverser en ligne droite le plexiglas de mon caisson et disparaitre derrière le tube qui était à présent remplit totalement du liquide blanc. En voyant ces minuscules insectes s’affairer à leur tâche, je me mis à songer à mes autres compagnons d’hibernations, qui, comme moi, à cet instant, passaient vraisemblablement leur temps à compter les dalles du faux-plafond, ou les insectes qui arpentaient ses murs. 

« Insectes, ici ! Dans une zone stérile ? » Pensai-je soudain effaré. 

Malheureusement, nous étions tous dans des compartiments individuels. Je ne pouvais donc voir personne. Cela m’aurait tout de même réconforté un peu de croiser, ne serait-ce qu’un regard avec un autre de mes infortunés compagnons.

16h30 : Surgissant de nulle part, des aiguilles longues comme mon index pénétrèrent dans mes cuisses. A vrai dire je ne sentis pas grand-chose. J’essayai de relever la tête pour apercevoir ce qu’il se passait, mais ma nuque encore engourdie m’empêchait toujours de bouger la tête de plus de dix degrés

« Bon sang. »

17h00 : Je commençais à recouvrir une partie de mes sens. Mon odorat était revenu. Mes globes oculaires me faisaient encore mal, mais à mon grand soulagement ma vision en noir et blanc avait totalement disparue. Je touchai mes doigts et fermai les poings à en faire rentrer mes ongles dans la peau. Malheureusement, il m’était toujours impossible de prononcer le moindre mot audible avec ce satané tuyau enfoncé profondément dans la gorge. Rien que dit penser, j’eu envie de vomir.

18h00 : Pendant que je somnolais, Je sentis un liquide tiède et visqueux remplir peu à peu mon caisson.

« Ils m’avaient pas parlé de ce machin-là. Ce cauchemar ne va pas recommencer ?»  

Une onde de panique m’envahit et sans que j’aie le temps d’entreprendre quoi que ce soit, j’étais totalement immergé. Fort heureusement le tuyau que j’avais dans la bouche me fournissait l’oxygène indispensable à ma survie, mais pour combien de temps encore ? Et si tout ce merdier était détraqué ? Et si le processus d’hibernation venait de se remettre en marche. Et…

« Et… merde ! »

18h15 : Quelques secondes suffirent pour que le liquide s’évacue.

« J’ai bien cru que c’était la fin. »

Il était temps que tout cela cesse au plus vite. Je sentais bien au tréfonds de moi que mon organisme était à bout de force.

Clac… clac… clac… clac… pfffffff….. 

18h30 : Des claquements secs retentirent, puis le couvercle translucide de mon caisson se souleva légèrement sur ma droite. A peine celui-ci ouvert, j’eus l’épouvantable sensation que l’on m’extirpait mes organes par la bouche. Quand mon tuyau respiratoire fut extrait automatiquement de ma gorge. Mon cerveau ordonna de prendre une profonde inspiration et je vomis aussitôt après un liquide jaunâtre visqueux et puant. Mon cœur battait à cent à l’heure et l’odeur était infecte. Je pris à nouveau une grande bouffée d’air avant de dégueuler à nouveau tripes et boyaux sur ma couchette. Tout ce que j’étais en train de vivre me fit penser à une sorte de renaissance. Je pris conscience à cet instant que je revenais, en quelque sorte, d’entre les morts.

« Une seconde vie, une seconde chance… » Songeai-je avec philosophie.

Soudain ! Provenant du haut-parleur, j’entendis avec un immense soulagement, une voix féminine résonner dans la pièce.

« Attention, attention. Veuillez ne pas bouger et restez allongé. Veuillez ne pas bouger et restez allongé. Un responsable va venir s’occuper de vous dans quelques instants. Attention, attention...»

19h02 : Cela faisait maintenant un bon moment que les quelques instants étaient passés. Ayant enfin recouvré l’usage de la parole, je dis :

- Personne pour nous accueillir, c’est tout de même étrange. J’espère qu’il ne sait rien passé de grave pendant mon hibernation, murmurai-je avec beaucoup de difficulté, en constatant avec joie que mes cordes vocales fonctionnaient à peu près normalement.

Je tentais de parler plus fort.

- Eh Oh ! (toux)... quelqu’un m’entend ? (toux)

Mon compartiment ou j’avais séjournée trois ans demeurait obstinément silencieux. Les minutes défilaient et toujours aucun bruit provenant de l’autre côté de la porte.

- Il y a quelqu’un ? Répondez-moi bordel ! (toux)

« Il faut que je sorte d’ici. »

- J’ai soif (Toux) J’ai horriblement soif.

Bien décider à m’extirper de mon caisson et de ce vomi infect dans lequel je baignai depuis un moment, je tentai de me lever en me roulant sur le côté. Ce mouvement d’apparence si anodin fut pour moi un véritable calvaire. Je pris ensuite appuis sur mes mains et me redressai péniblement sur le rebord de mon caisson à présent grand ouvert. Après une dizaine de minutes environ, je parvins enfin à m’assoir. Je remuai mes pieds violacés couverts d’ecchymose, dont la voute plantaire n’était qu’à une cinquante de centimètres du sol. Tout se mit à tourner autour de moi, et je fus pris d’un violent vertige. J’agrippai in extremis le rebord du caisson pour m’empêcher de basculer en avant. Je vomis sur mes pieds. Hésitant, je restais assis là, quelques instants. Cette salle poussiéreuse était véritablement en triste état. Elle me faisait penser à un de ces bunkers abandonnés de l’ex RDA que j’avais eu l’occasion de voir dans des reportages à la télévision. La vision sinistre de cet endroit me donnait le sentiment d’avoir été abandonné ici pendant des décennies.

« Enterré vivant. » 

- Non ! Ce n’est pas possible.

La peur m’ordonna de rompre cette torpeur. Je posai un pied à terre.

- Allons-y doucement. D’abord une jambe. Bien ! La deuxième maintenant, m’exclamai-je à haute voix, comme pour me rassurer.

Les mains cramponnées sur le rebord du caisson, je me redressai lentement sur mes deux jambes. Je me mis à vaciller, mais je tins bon. Mon dégueulis dégoulinait sur le sol glacial et poussiéreux.

- Il… faut… que… je tienne… le coup. Je dois savoir ce qui s’est passé pendant mon hibernation. Tout ceci n’est pas normal. Je dois sortir d’ici au plus vite. Peut-être que tout le monde est mort la dedans ? Et si la porte est verrouillée, je vais crever ici. 

Tenant à peine sur mes jambes fébriles, je fis un premier pas en direction de la porte. Au troisième pas ma jambe droite se déroba. Je m’écroulai et sentis ma tête heurter le sol violement.

Quand je rouvris les yeux je vis que j’étais allongé sur le ventre, une joue appuyée contre le sol crasseux. Un filet de bave avait coulé de la commissure de mes lèvres jusque par terre. Hanter par la crainte de mettre brisé quelque chose, je n’osai bouger. Je me mis à méditer sur l’incertitude de mon sort et parcourrai des yeux le maigre champ de vision qui s’offrait à moi. 

« Je suis fatigué… j’ai envie de dorm… »

Les yeux à nouveaux ouverts, je me mis à ramper sur le sol. Une fourmi monta sur ma main, suivie d’une seconde. Elles s’arrêtèrent un instant et tournèrent leurs petites têtes vers moi. Puis elles reprirent leur route comme si de rien n’était. J’arrêtai ma lente progression et observais à présent le plus gros de la troupe marquer elle aussi l’arrêt. Se voyant tout à coup confrontés à un nouvel obstacle mouvant, le convoi, ainsi que les retardataires qui les avaient rejoint entre temps, firent une légère bifurcation sur la droite afin de rejoindre les éclaireurs qui attendaient de l’autre côté de mon bras. J’aurai pu avancer sans me soucier de ces minuscules bestioles, mais je n’en fis rien et restai allongé sur le sol à attendre qu’elles aient toutes traversées et hors de danger. La progression sur ce sol glacial et poussiéreux était épuisante. Arrivé au pied de la porte, je levai péniblement la tête, avant de me rouler sur le côté à la manière d’un phoque. 

« Je vais crever et ces fourmis vont bien se moquer de moi. » Pensai-je bêtement.

Je pris appuis sur mes coudes pour me relever.

- Allez ! Un petit effort, j’y suis presque, m’exclamai-je à haute voix pour me donner à nouveau du courage.

Mes jambes tremblaient, mon corps tout entier tremblait. J’étais nu, j’avais froid, j’avais soif, mes dents claquaient et j’avais encore envie de vomir. Epuisé, je me laissai mollement retomber sur le sol glacial.

- Aïe ! 

Un petit bout de métal rouillé qui dépassait du sol, m’entailla le haut de la cuisse.

- Saloperie ! 

Je refis une seconde tentative et quelques instants après, je me tenais debout appuyé contre la porte métallique. Je tendis une main vers la poignée. Ma plaie saignait, mais je m’en moquais éperdument. Je voulais foutre le camp d’ici et retrouver ma fille. Je pris une profonde inspiration et actionnai la poignée de la porte. Un sifflement, suivi d’un couinement se firent entendre de chaque côté du bâti. Je puisai dans mes maigres forces toute l’énergie qu’il me restait, et tirai à l’aide de tous les muscles de mes bras la lourde porte. Un indescriptible soulagement m’envahit quand celle-ci s’entrebâilla de quelques centimètres. J’étais enfin libre. A bout de force et à bout de souffle, je fis un pas en direction du couloir qui se trouvait juste derrière. Je posai mes mains tremblantes et avançais lentement. Comme ma cellule, le couloir était sombre et poussiéreux. Je m’approchai dès que j’eu recouvré un peu de force le compartiment cryogénique adjacent. 

- Fermée, murmurai-je en tentant d’ouvrir la porte.

Puis ce fut au tour de celle qui était en face.

- Fermée aussi, et pas moyen de voir à l’intérieur.

Toutes les portes semblaient verrouillées de l’extérieur. Je m’assis contre le mur du couloir et appuyai sur ma plaie suintante.

« Je suis seul et ils sont tous morts. »

Je balayai aussitôt cette pensée funeste d’un geste de la main et tentai de contenir cette inexorable montée d’angoisse qui me nouait le corps tout entier.

- Eh oh ! Quelqu’un m’entend ?  

« Si ça se trouve, je dois certainement être le premier à être sorti du caisson. Il doit bien y avoir des clés quelque-part ? »

Je fis encore quelques pas avant que tout recommence à danser autour de moi. Je n’en pouvais plus, j’étais à bout de force. Je me relevai en prenant appui sur le mur recouvert de moisissures et de champignons. Dès que je fus sur mes deux jambes, je repris mon souffle, et effectua ensuite quelques pas en direction d’une autre porte un peu plus loin. A mesure que j’avançai, mes forces s’amenuisaient de façon presque exponentielle. Les battements de mon cœur martelaient mes tempes comme un métronome. La douleur devint insupportable et mes pas plus qu’imprécis, comme un bébé apprenant à faire ses premiers pas.

« Pourquoi il n’y a personne qui vient. Tout est mort ici ? » Ressassai-je sans cesse. 

Mon visage déchira une immense toile qu’une araignée avait tissée en travers du couloir. Je n’eus même pas la force de m’essuyer la figure.

- Ma tête… j’ai mal… je… j’ai… ma tête…

Fantôme errant dans un couloir abandonné plusieurs mètres sous terre. Nu, couvert de vomissure, de poussière, de sang et de résidu de sperme. Quel pitoyable spectacle. Revivre pour mourir ainsi, quelle triste fin.

Je ne tenais plus debout. Des coups de tonnerres résonnaient dans mon cerveau.

- JE VOUS EN SUPPLIE, REPONDEZ-MOI ! Hurlais-je de tout mon corps, pensant qu’il s’agissait de mes derniers instants sur cette terre. 

L’écho de ma voix résonna dans mon crane comme un coup de canon tiré à bout portant. Je m’effondrai sur le sol et tout devint noir, encore.


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