LE VOYAGE : a post nuclear odyssey

Chapitre 3 : 07 Février 2022 : Départ pour l'abri 15

11053 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 6 jours

Trop... fatigué pour écrire........ Peux plus me lever.......... Fatigué  


A l'intention de celui qui trouvera ce journal. Je m'appelle Franck Dorval. Je suis, du moins j’étais chercheur au centre d’étude atomique de Saclay à l’ouest de Paris. Le 7 février 2022 au matin mon directeur m’a demandé de rejoindre dans les plus brefs délais l’abri 15 près de la ville d’Annecy. Arrivé sur place et après un rapide briefing effectué dans l’urgence en compagnie d’autres scientifiques déjà présents, nous avons tous été dès le lendemain mis en hibernation. Tous, non, pas tout à fait.

Je n’ai jamais été très fort en rédaction et j’ai toujours eu tendance à m'éparpiller dans mes écrits et aussi à trouver les mots justes pour exprimer mes pensées. Mais pour être tout à fait franc, je pense que tout le monde s’en fout à présent. Malgré cela et pour une raison que je ne m’explique pas, je vais tout de même tenter de poursuivre la rédaction de ce carnet en appréhendant le sort incertain qui nous est réservé à mes compagnons et moi.

J’ai un peu de temps devant moi, mais je ne sais pas trop par où commencer… en fait si, par cette effrayante journée du 7 février 2022.


Il était 8h30 du matin au Centre d’étude atomique de Saclay. 

Assis dans mon fauteuil en simili cuir usé jusqu’à la corde, les avants bras posés bien à plats sur les accoudoirs en inox, je fixais d’un regard vide un vieux trophée poussiéreux posé sur le haut de l’armoire que j’avais gagné lors d’une compétition de Goshinkaï il y a quelques années maintenant. En voyant cet objet, je me remémorais toutes ces années à pratiquer cet art martial qui m’avait procuré beaucoup de satisfaction et une grande paix intérieure.

Je détournai lentement et machinalement les yeux en direction d’un autre angle de mon bureau ou reposait un grand pot en terre cuite flanqué d’une immense plante verte exotique dont les immenses feuilles semblaient tirer la langue. 

« Faut que je l’arrose » dis-je à haute voix. Je détournai la tête en direction de mon clavier d’ordinateur puis posai mes mains de chaque côté.

Il faut bien admettre qu’avec les évènements tragiques qui étaient en train de se dérouler en ce moment sur la planète, il m’était difficile de me concentrer ne serait-ce qu’une minute sur mon travail. Ma contemplation du vide fût brusquement interrompue par le bip…bip caractéristique de ma cafetière m’indiquant que mon précieux breuvage était passé. Je me levai et me dirigeai d’un pas nonchalant vers la machine. Je pris ma tasse et la remplie presque à ras bord, puis, je revins m’asseoir sur mon fauteuil et la posai délicatement sur le bureau. Une fois confortablement assis je portai le récipient à mes lèvres et en aspirait lentement et par petites gorgées l'arôme subtil de l’Arabica. Je posai la tasse et fermai les yeux pour profiter une poignée de secondes, ce moment volé à la routine quotidienne.

J’ouvris les yeux et repris une gorgée tout en plongeant mon regard dans le liquide brun. Une goutte de café coula lentement le long de la paroi de la tasse et par l’action du mouvement de mon poignée je la fis aller vers la droite puis vers la gauche en appliquant un angle de plus en plus important.

« Vers la droite ça s’arrange et vers la gauche ça s’aggrave» Pensai-je soudain en regardant cette larme de café approcher du cul de la tasse. Tout à coup et sans que je me l’explique, un curieux effet de gravité attira mon regard. La goutte semblait soudain prendre une direction inverse que celle que je lui avais ordonné de prendre. Je fronçai les sourcils en m’interrogeant sur ce singulier phénomène. La goutte de café partit sur la gauche et termina sa courte vie sur la table. Je l’essuyai du bout de l’index et la portai à mes lèvres dans l’espoir d’influer sur ces jours sombres qui nous menaçaient tous. Je ne pouvais l’expliquer, mais cette journée me paraissait presque irréelle, voir intemporelle.

De l’autre côté de la porte qui donnait accès à mon bureau il y avait un grand couloir qui donnait sur le grand hall et artère principale de cette partie du bâtiment. De mon siège je pouvais entendre le bruit des pas résonner sur le carrelage et chaque jour parcouru par une foule de scientifiques et d’étudiants pour la plupart pressés. Je pris appui sur mes mains et me levai en direction de la porte. A peine j’eus ouvert, je vis un jeune homme passer devant moi, les écouteurs vissés sur les oreilles se diriger tel une flèche en direction d’une femme d'un certain âge chargée de dossiers. Manquant de peu de la percuter, l’homme, surprit, balbutia des excuses sans même retirer ses écouteurs et poursuivi sa route enfermé dans sa bulle sonore. En y prêtant attention depuis le pas de ma porte, je remarquai qu’aucun regard ni sourire n’était échangé entre eux. En les regardant passer je pouvais aisément lire leur inquiétude sur leur visage absent marqué par les nouvelles alarmantes qui s’accumulaient au fur et à mesure que les jours passaient. Ce couloir, simple lieu de passage, était bien plus que cela. C'était un microcosme, un reflet de la société, où chacun avait sa place, sa propre histoire, ma propre histoire à raconter. Je pivotai sur mes talons et refermai la porte. « Un autre café me fera du bien » m’exclamai-je en accélérant le pas en direction de la machine. Quelques secondes passèrent et un toc…toc derrière moi se fit entendre. 

- Entrez ! Dis-je en levant mollement la tête.

La porte s’ouvrit lentement et je vis la tête d’une jeune femme apparaitre.

 - Excusez-moi monsieur Dorval, je peux vous parler ? dit-elle sans apparemment oser entrer.

Il s’agissait d’Elisabeth qui était l’une de mes meilleures élèves.

- Oui, bien-sûr, entre. (Elle semblait hésiter) Qu’y-a-t-il ? Répondis-je sur un ton faussement surpris. 

- Eh bien... je souhaiterai rentrer chez-moi déclara-t-elle sans faire le moindre pas en avant. 

- Hum… toi aussi, dis-je immédiatement en avalant une gorgée de café. Bon... très bien.

- Merci et à demain, répondit-elle immédiatement en hochant la tête.

- Oui c’est ça à demain Elisabeth, répondis-je en esquissant un léger sourire.

La porte fermée je me retrouvai à nouveau seul et livré à mes interrogations. En toute honnêteté, je ne me faisais pas trop d’illusions pour les cours du lendemain. Au fil des minutes tous mes élèves désertaient les uns après les autres le centre de recherche et ne prenaient pour la plupart d’entre eux, même pas la peine de venir me voir pour me demander de quitter l’établissement. D’ailleurs pourquoi étaient-ils venus ? Après tout, c’était peut-être mieux ainsi. Mon second café avalé, je me levai et marchai en direction de l’unique fenêtre de mon bureau qui donnait sur le parking. De ma position, je constatai sans surprise que celui-ci, d’habitude si encombré de voitures, était pratiquement vide. Quelques minutes après je vis d’autres voitures démarrer et quitter les lieux. Il s’agissait cette fois de mes collègues chercheurs et scientifiques. Tout le monde était conscient d’un danger imminent et ils préféraient et c’était compréhensible, rejoindre leurs proches. Au moment où je détournai mon regard de la fenêtre un bruit me fit tressaillir.

- Franck tu es là ? dit la voix.

Je tournai la tête et vis Georges, le corps appuyé sur un bâti de la porte.

- Salut. 

- Je pars Franck, dit-il aussitôt en laissant retomber mollement son bras le long du corps. Cela ne sert à rien de rester ici, personne n’arrive à travailler. De toute façon je ne parviens pas à me concentrer sur mes corrections de copies et d’ajouter : tu sais que j’adore ça en temps normal (j’eu un léger rictus).

- Je comprends, c’est pareil pour moi. Je vais certainement en faire de même, répondis-je en regardant sa serviette en vieux cuir usée jusqu’à la corde que lui avait offert son père.

- Je t’attends demanda-t-il en haussant les sourcils tout en resserrant la poignée de sa serviette d’une main ferme.

- Non, vas-y, répondis-je en secouant la tête, j’ai deux ou trois choses à régler et quelques coups de téléphones à donner avant de partir.

- Bon... eh bien, salut Franck. On se voit demain ?

- Oui… peut être, dis-je, en lui serrant longuement la main comme s’il s’agissait d’un adieu. Georges le senti dans notre échange de regards, puis il se retourna et disparut dans le couloir. Je fus à nouveau seul.

Les aiguilles de ma montre indiquaient 8h50 et mise à part quelques personnes encore là, j’étais à présent pratiquement seul dans cette aile du bâtiment. Dehors, ma vieille voiture régnait sur un parking quasi désert.

9h00 : Je finissais de rassembler quelques affaires quand mon téléphone sonna. 

- Allo ?

- Bonjour Franck, je peux vous parler ? dit immédiatement la voix au bout du fil.

Malgré son intonation inhabituelle et presque inquiétante, je reconnus aussitôt de qui il s’agissait.

- Oui… allez-y je vous en prie.

Richard Thorn était le grand patron du CERN. C’était un homme intègre et apprécié de toute la communauté scientifique. Il dirigeait l’accélérateur de particules de Genève qui était également mon siège social en quelque sorte, mais je fus prêté à Saclay par le CERN pour quelques semaines dans le cadre d’une formation de jeunes ingénieurs polytechniciens. Ma mission au Synchrotron Soleil devait se terminer fin Mars 2022. Ensuite je devais retourner à Genève pour poursuivre mes recherches.

- Franck, j’ai de bien mauvaises nouvelles annonça-t-il d’une voix chevrotante. (Silence…) Tout cela a été si vite (Nouveau silence…) Je viens juste d’avoir le ministère de la défense au téléphone. C’est dramatique, l’Europe est officiellement en guerre depuis à peine une demi-heure. Les Russes, enfin… les soviétiques, viennent de pénétrer en Allemagne et d’après ce que l’on m’a dit, l’armée Allemande se fait tailler en pièce. Ils… ils sont tous devenus fous. L’homme prit une grande inspiration et ajouta : ça va être l’engrenage.

- Ce n’est pas possible m’exclamai-je en ouvrant grand les yeux d’effroi.

- Malheureusement si et je tenais aussi à vous dire que vous êtes une des rares personnes à être au courant avant tout le monde; même les médias de masse ne sont pas encore informés de cette entrée en guerre officielle.

- Hum… je vois.

- Je vous demande donc pour le moment de garder tout ceci pour vous, vous comprenez ?

- Je me doutais bien que cela prenait une mauvaise tournure, mais je ne pensais pas que c’était grave à ce point. Merci de m’avoir prévenu Richard. Maintenant, si vous n’y voyez pas d’inconvénients je crois qu’il serait plus sage que j’aille immédiatement à l’aéroport et que je…

- Ecoutez-moi ! Dit-il soudain en me coupant brusquement la parole. Je préfère vous éviter une profonde désillusion. Toujours d’après le ministère, tous les aéroports, aérodromes, ports, etc. sont à présents fermés. Le dernier vol en partance pour l’Amérique du nord a décollé ce matin à 8h00. Depuis, ordre a été donné d’abattre tout avion civil surpris en train de décoller sans autorisation.

A ces mots, un frisson d’effroi m’envahi.

- Mais ! C’est de la folie, c’est un cauchemar ! Ma fille, comment vais-je la rejoindre ?

- J’en suis conscient Franck et croyez bien que j’en suis profondément désolé. Moi aussi je suis coincé ici comme vous mon ami et j’ai également ma famille qui réside à l’étranger. Ne perdons pas de temps vous voulez bien ? Je vais devoir raccrocher. Ah oui une dernière chose : Les militaires vont couper tout le réseau internet et téléphonique civil dans très peu de temps, c’est peut-être même l’affaire de quelques minutes.

- Que voulez-vous que je fasse, m’exclamai-je à présent livide. Je ne vais pas rester planté là à attendre que le ciel me tombe sur la tête. Je retourne à mon appartement et après je fais quoi ? Dis-je sèchement soudain pris d’un sentiment de panique.

- J’en suis conscient répondit-il d’une voix soudain presque inaudible. Laissez-moi réfléchir quelques secondes voulez-vous, j’essaye de trouver une solution.

Pendant ce bref instant de silence, je pus entendre à l’autre bout de mon portable la voix d’un autre homme demandant à Thorn de se dépêcher. Quelques secondes interminables passèrent, puis sa voix résonna à nouveau.

- Franck, vous êtes toujours là ?

- Oui… évidemment.

- Bien ! J’ai par chance une place vacante. Le professeur Fournier n’a pas pu venir car sa femme refuse de se rendre à l’abri. Apparemment elle souffrirait de claustrophobie et d’agoraphobie. Bref ! Je vous propose, si vous le souhaitez, de prendre sa place et de me rejoindre à l’abri 15.

- Mais ! L’abri 15 est un abri antiatomique. Vous pensez que le risque est si grand ?

- Oui, il l’est. Deux explosions nucléaires ont eu lieu en chine et en Russie.

- QUOI ! Mais…

- Franck... vous êtes une personne honnête et de valeur et je vous estime beaucoup. Vous valez plus à mes yeux que ce panier de crabes de politiciens cumulards qui sont déjà tous bien à l’abri et planqués dans leur bunker. (La seconde voix s’emblait s’énerver.) Ne perdez pas de temps ajout a-t-il, rassemblez vos affaires et rejoignez moi à l’abri 15. Je suppose que vous connaissez son emplacement exact ?

- Oui… enfin… mais… pourquoi allez si loin ? Je peux très bien rejoindre l’abri civil à Versailles, c’est à côté, et…

- Non, cela ne va pas être possible car cet abri ne dépend pas du CERN. Ils vous en refuseront l’accès. Puis d’ajouter d’un ton sec : l’administration, vous savez ce que c’est et de toute façon il doit être déjà pris d’assaut par les notables de la ville et des environs.

- Mais ! Il doit bien…

- FRANCK, ECOUTEZ-MOI BON SANG ! Prenez votre voiture et tirez-vous. Vous avez toujours votre vieille Pontiac Trans Am ?

- Oui.

- Et bien, j’espère qu'elle tiendra le coup jusqu'à Annecy. Une fois que vous serez arrivé à l’abri, je vous brieferai avec les autres scientifiques. (L’autre voix résonna de nouveau à travers le téléphone et j’entendis aussitôt Richard dire à cette personne de la boucler.) Puis il poursuivi : Je vous l’ai déjà dit, n’espérez pas prendre l’avion pour rejoindre votre famille, ni le bateau d’ailleurs, tout est déjà bloqué par l’armée. Tirez-vous Franck avant qu’ils fassent l’annonce dans les médias et que la panique s’empare de ce pays tout entier. Le Président fera une déclaration officielle en fin d’après-midi et après ce sera la loi de la jungle. Faite vite avant que toutes les routes ne soient complètement bloquées. Je… je dois absolument vous laisser Franck et j’espère sincèrement vous voir, mais je ne vous y oblige pas. A vous de voir et bonne chance à vous mon ami.

Thorn raccrocha et je composai aussitôt le numéro de téléphone de mon ex-femme. Après un nombre de sonneries interminables, une voix féminine se fit entendre.

- Oui… allo ?

- Allo Claire.

- Franck c’est toi ? Mais ! Tu sais quelle heure il est. J’ai cru qu’il s’agissait d’un plaisantin.

- Pardon de te réveiller mais c’est important et je ne dispose que de peu de temps pour te parler. La communication risque d’être coupée d’un moment à l’autre. Je pris une profonde inspiration et poursuivi : Je viens d’avoir mon patron au téléphone et il vient de m’annoncer de source officielle que... (Je cherchai les mots appropriés pour ne pas la faire paniquer.)

- Vas-tu me dire ce qui se passe à la fin tu me fais peur Franck. 

- C’est... c’est la guerre ici. La France est en guerre depuis ce matin. L’annonce officielle n’a pas encore été faite. Très peu de gens le savent pour le moment.

- C’est donc ça, je le voyais bien aux informations que cela allait très mal en Europe.

- Rassure-toi, je pense que chez vous au Québec vous ne risquez rien.

- Non mais… hier soir aux infos, ils ont dit que notre armée venait d’être mise en alerte maximum. Tu ne peux pas prendre l’avion ?

- Ils ont fermés les aéroports. C’est connards ont tout bouclé.

- Mon dieu que vas-tu faire maintenant ?

- Richard Thorn m’a proposé de rejoindre un abri du côté d’Annecy. Une fois là-bas, hé bien… je verrais bien. J’espère, ajoutai-je en essayant d’être faussement rassurant, que ce conflit va s’arranger rapidement. 

J’entendis soudain des sanglots à l’autre bout du fil.

- Tout cela me fait peur et notre fille… tu comprends ?

- Ecoute Claire, quand tout cela sera terminé je me débrouillerais pour vous rejoindre. Ma petite Camille me manque tu sais.

- Je le sais bien répondit-elle en larme. Tu veux que je te passe ta fille ?

- Bien sûr, passe la moi.

- Attends une seconde, je vais la chercher.

L’attente me parut interminable, car je savais que le réseau allait être coupé.

- Allo... Papa.

- Ma chérie, comme je suis content d’entendre ta voix.

- Moi aussi tu me manque beaucoup, répondit-elle d’une voix encore à demi endormie.

- Toi aussi tu me manque mon ange. Au fait ! Tu as bien reçu mon petit cadeau ?

- Oui merci, il est super chouette. Je l’ai accroché au-dessus de mon lit à côté de celui de maman, comme ça, je pense à vous tous les soirs avant de m’endormir.

- Et ta dent tu la mise où ? (J’avais à présent beaucoup de mal à contenir mes larmes.)

- Ben… tu sais bien que la souris me la prise.

- Bien sûr... c’est vrai suis-je bête. Écoute Camille, je serais bientôt de retour et nous pourrons allez faire de belles balades en forêt tous les deux, d’accord ?

- Avec Maman aussi ?

- Eh bien... oui, pourquoi pas, répondis-je quelque peu embarrassé. (Suite à notre séparation, Claire vivait à présent depuis peu avec un autre homme)  

- J’ai hâte que tu reviennes. Je suis triste quand tu n’es pas là.

- Moi aussi ma chérie. Je vais devoir te laisser maintenant. Tu peux me repasser ta Maman ?

- Ok.

- Je t’aime mon cœur.

- Moi aussi je t’aime papa. Je te passe maman.

- Claire, je sais que… enfin… mais sache tout de même que je ne voudrais pas qu’il vous arrive quelque chose à vous deux. Pour être franc je suis très inquiet pour l’avenir. Hervé est là ? (C’était le compagnon de Claire.)

- Non, il est en déplacement à Washington pour une semaine répondit-elle sur un ton empreint d’exaspération.

- Ah... Est-ce que tu peux essayer de prévenir mes parents car je n’arrive pas à les joindre depuis deux jours. Mais surtout … Allo, Allo, ALLO !

J’entendis un long grésillement, suivi d’un bip…bip…bip.

- NON ! Pas maintenant saloperie de téléphone, hurlai-je en le posant violement sur le bureau, rouge de colère.

La communication venait d’être interrompue, mais j’avais tout de même réussi à appeler ma fille à temps.

- Je vais essayer avec internet.

Le moteur de recherche me renvoyait systématiquement le même message d’erreur : « Problème réseau, veuillez vérifier votre connexion. »

- Merde ! Impossible de se connecter, maugréai-je à nouveau en regardant les aiguilles de ma montre.

Je n’avais pas de temps à perdre, il fallait que je parte au plus vite. Je pris quelques documents que j’estimai importants et la photo de ma fille qui était épinglée sur un pêle-mêle à côté d’une vieille carte postale représentant un château Alsacien à Thann. Arrivé dans le couloir je tombai nez à nez avec l’homme de ménage qui sursautât avant de me saluer poliment. Il posa son balai, se gratta le front, puis s’approcha de moi. 

- Vous partez aussi Monsieur Dorval ? Tout le monde dit qu’il va y avoir peut-être la guerre demanda-t-il en se grattant nerveusement la tête.

- Rentrez chez vous Serge et restez auprès de votre famille, lui dis-je en posant une main sur son épaule.

- Que se passe-t-il, vous savez quelque chose ?

- Oui... rentrez chez-vous.

- Mais ! Mon patron va me coller un avertissement.

- Ne vous inquiétez pas pour ça, je suppose qu’il a probablement d’autres chats à fouetter en ce moment. 

L’homme haussa les épaules et sans un mot il ramassa son matériel et se dirigea en direction du local ménage pour aller se changer. Après avoir fermé machinalement la porte de mon bureau, je pressai le pas. Arrivé à ma voiture, je m’asseyais et soudain pris d’un léger vertige, j’appuyai mon front sur le haut du volant.

 « Je ferai tout ce que je peux pour vous retrouver. » Songeai-je en relevant la tête. 

Après une rapide vérification du niveau d’huile, je démarrai la voiture et roulais en direction de l’axe autoroutier. Ma carte indiquait de prendre l’autoroute A6 vers Mâcon puis poursuivre sur l’A40 et l’A41.

- Cinq cent soixante kilomètres à me taper, ça va être juste, m’exclamais-je en poussant un profond soupir. Je vais commencer par aller faire le plein d’essence. 

Et après quelques minutes de trajet j’arrivai en vue d’une station.

- Ah ! La voilà. 

Je m’arrêtai derrière trois voitures qui attendaient patiemment leur tour. Quelques instants après, je constatai qu’une petite file de véhicules commençait à se former derrière moi.

- Je n’aime pas ça.

Peu après, ce fut enfin mon tour. Je sortis promptement de la voiture et insérai aussitôt ma carte bancaire, puis je remplis le réservoir à ras bord en me moquant pour une fois du prix que j’allais payer. Pendant que mon réservoir se remplissait, j’observai les gens autour de moi et ressentais dans leur comportement une certaine anxiété latente. Un homme dans la cinquantaine et de forte corpulence avec des cheveux gras coiffés sur le côté qui semblaient vouloir cacher une calvitie importante, s’approcha de moi et déclara avec un certain mépris dans la voix :

- Et bien ! Elle doit pomper votre bagnole, au moins vingt litres aux cent.

Je lui adressai en retour un petit sourire qui en disait long sur ce que je pensai de sa question et de son attitude pour le moins familière envers moi. Me voyant impassible, l’homme haussa les épaules et ajouta comme pour me provoquer :

- Tant qu’il ne nous prend pas toute l’essence avec sa « grosse caisse », dit-il d’un ton acerbe avant de retourner s’assoir dans son gros SUV Range Rover immatriculé à Paris ou un énorme chien trônait en maitre sur la banquette arrière revêtue de cuir. 

Je ne supportai pas les gens qui s’adressaient à moi à la troisième personne. Quoi qu’il en soit, ça commençait à sentir le roussi et les chiffres de cette pompe, tel un bandit manchot, qui n’en finissaient pas de tourner.

« Vite! Remplis-toi saleté de réservoir, que je me tire d’ici au plus vite avant de me faire tabasser par ce gros abruti et son clébard.»

Une fois le plein effectué, je me précipitai dans ma Pontiac et repris aussitôt la route. Je jetai instinctivement un coup d’œil dans mon rétroviseur et m’aperçus que la file de voitures avait triplée entre-temps.

- Il va falloir que j’appuie un peu sur le champignon. 

Je fis monter l’aiguille de ma Trans Am à cent quarante kilomètres heure, en espérant qu’elle n’allait pas me lâcher, car cela faisait longtemps que je n’avais pas effectué un trajet aussi long avec .Le paysage défilait de chaque côté de la route au son de mon V8 qui ronronnait doucement. Je fixais le ruban d’asphalte qui s'étirait devant moi. Au-dessus de moi, le soleil teintait le ciel d'une palette de couleurs chaudes avec des nuances orangées, tandis que quelques nuages épars s'illuminaient d'une douce lumière dorée. Cela faisait maintenant deux heures que je roulais sans mettre arrêté. Par chance ou par miracle devrais-je plutôt dire, le trafic était étonnement à peu près fluide dans les deux sens. Mais à l’heure qu’il est dans les grandes agglomérations, il devait en être autrement. Par peur du manque provoqués par les torrents d’informations vrais comme fausses circulant sur le net et dans la moindre mesure, sur mon vieil autoradio, la population commençait à se ruer dans les supermarchés provoquant dès l’ouverture de gigantesques embouteillages de caddies dans les rayons.

- Qu’est-ce que ça va être quand les médias vont annoncer que ce pays est en guerre songeais-je. Ils vont tous s’entretuer pour une malheureuse boite de conserve. Heureusement que j’ai pensé à faire quelques provisions pour la route.

Le ciel commençait à s’assombrir et un peu plus tard de fines gouttes de pluies vinrent frapper mon pare-brise. 

 - Manquait plus que ça dis-je en actionnant le bouton.

Mes essuies glaces couinaient lamentablement et comme pour les provoquer, la pluie redoublait d’intensité.

Ma voiture avalait les kilomètres sans broncher et les litres d’essence.

« Il faut que je m’arrête pour pisser. »

Quelques kilomètres plus loin je stoppai sur une aire d’autoroute quasi déserte. Je sortis de la voiture et allai promptement me vider la vessie. Je vis à mon retour une grosse berline Allemande garée à côté de ma Pontiac. La portière de l’automobile s’ouvrit et un homme en sorti promptement un téléphone portable à la main.

- Excusez-moi monsieur, avez-vous un portable ?

- Heu… oui ?

- Mon téléphone n’a plus l’air de fonctionner et je dois absolument joindre mon entreprise.

- Le mien ne fonctionne pas non plus, désolé, répondis-je immédiatement en acquiesçant de la tête.

- Ah... ce n’est pas de chance dit-il la mine déçue tout en faisant tourner son téléphone dans la main. Ça fait un bon moment que j’essaye d’appeler et...

- C’est normal coupai-je, il n’y a plus de réseau. Ils ont tous été coupés.

- Comment ça, tous coupés ? dit-il d’un ton dubitatif en scrutant son téléphone dans l’espoir que la petite antenne réseau réapparaisse. 

Je m’assis et m’apprêtai à insérer ma clef de contact quand, l’homme vint à la hauteur de ma portière. 

 - Vous pensez que c’est du à la crise actuelle ? J’ai écouté la radio pendant toute la route. Que ça soit RTL, Europe 1 ou RMC, ils ne font que passer en boucle les évènements : Crise en Chine, crise aux portes de l’Europe, crise en Russie, crise aux USA etc. Et tous les invités qu’ils reçoivent qu’ils soient politiciens, journalistes, scientifiques et que sais-je encore, ne font que de s’engueuler entre eux. Vous y comprenez quelque-chose-vous à tous ce cirque ?

- Oui, enfin… j’écoute aussi, mais à petites doses. Je préfère la musique lui-dis-je en sentant que cette personne souhait prolonger notre discussion.

Me voyant prêt à démarrer, le type eu un léger rictus et ajouta : Au fait ! Je m’appelle Jean-Michel Mounier. Je suis commercial chez Joustra. Me voyant faire la moue, il ajouta : Vous savez, la marque de jouets.

- Je vois, heu... moi c’est Franck. Franck Dorval. Je travaille dans la recherche.

Il mit la main dans la poche intérieure de sa veste et en ressorti une carte de visite qu’il me tendit aussitôt.

- Tenez ! Vous m’avez l’air sympa. Voici ma carte, si vous avez besoins de jouets pour enfants, je vous ferai une petite ristourne pour les fêtes de noël. 

- D’accord, c’est gentil, merci. Et vous allez où comme ça ? Demandai-je machinalement.

- A Seyssel, répondit-il en rangeant son téléphone dans sa poche. Pourquoi ?

- Comme ça, simple curiosité.

- vous connaissez ?

- Non. Enfin… de nom, comme ça dis-je en m’apprêtant à relever la vitre de ma portière. Désolé mais je dois partir.  

- Oui moi aussi et avec un peu de chance le réseau va peut-être revenir. Bonne route et merci quand même.

J’avais à peine démarrée que la grosse berline Allemande avait déjà disparue de mon champ de vision. Un peu plus tard, j’atteignis enfin la bretelle de Mâcon en direction de l’A40. Le panneau indiquait : « Milan - Genève – Bourg-en-Bresse. » Le trafic était par chance toujours aussi fluide et, chose inhabituelle au vu de la situation actuelle, je n’avais croisée depuis mon départ que trois patrouilles de police et un seul convoi militaire composé d’une vingtaine de véhicules. Malgré la météo pluvieuse, les quelques voitures que je croisais roulaient plus rapidement qu’à l’accoutumée. 

« Mais où sont-ils donc passés ? » songeais-je en ne comprenant toujours pas pourquoi il y avait si peu de monde sur les routes en ces circonstances.

Un peu plus tard je m’arrêtai à une station essence quasi déserte pour faire à nouveau le plein. Arrivé à la pompe j’entendis une voix stridente provenant d’un haut-parleur résonner : « Vous n’avez pas vu l’panneau, il n’y a plus d’essence et pas de livraison avant d’main. » 

D’autres automobilistes, qui comme moi n’avaient pas vus ce fameux panneau, retournèrent dans leur voiture et partirent à vive allure en direction de la station suivante. Juste avant de démarrer je vis le pompiste ouvrir sa porte et se diriger vers moi en me faisant un signe de la main, comme pour attendre. Dès qu’il fut à portée de voix, Je lui demandai :

- Excusez-moi, pour les stations suivantes, c’est la même chose ?

Arrivé à un mètre de ma portière l’homme se pencha en avant et retira sa casquette crasseuse qui recouvrait son crâne dégarni et constellé de petites taches marron pleines d’eczéma.

- Sympa Votre caisse. J’ai toujours rêvé d’avoir une Américaine, mais ma femme elle ne veut pas, elle dit que c’est moche et sa pompe. (Il approcha son visage du mien) Elle roule au super je suppose ?

- Oui absolument.

- Prochaine station… normalement, dit-il en remettant sa casquette sur la tête. J’me d’mande si j’vais être livré d’main ? J’ai entendu à la radio toute à l’heure que la certaines raffineries venaient d’être réquisitionnées par l’armée. C’est la merde, j’me d’mande si j’vais pas fermer boutique pour aujourd’hui. Apres tout on sera peut-être tous crevés demain. C’est la merde. Ouais… la merde, conclu-t-il en faisant la moue.

Je fis une grimace en guise de réponse et repris la route sans attendre.

Les kilomètres défilaient et au terme de nombreux clignotements, le voyant de témoin de réserve de carburant s’alluma de façon définitive, m’indiquant que je devais faire le plein rapidement. Et enfin, après une dizaine de kilomètres :

- Voilà une station là-bas. 

Il y avait exactement vingt et une voitures qui faisaient la queue : Dix-huit pour le gas-oil, et trois pour le super sans plomb.

- Béni soit le super m’exclamai-je en tapotant le haut de mon volant. 

Après une quinzaine de minutes d’attente, ce fut enfin mon tour. Je remplis le réservoir à ras bord et poursuivais aussitôt ma route.

La pluie s’était enfin arrêtée et l’aiguille de mon compteur de vitesse atteignait les cent quarante kms heure. Soudain je vis un flash sur ma droite.

- Merde ! Je les avais oublié ces saletés de radars. Allez au diable.

Un peu plus tard, j’arrivai en vue de l’A41. Après un rapide coup d’œil sur la carte je vis qu’il ne me restait plus qu’une quarantaine de kilomètres à parcourir environ avant d’arriver au terme de cette longue route.

- Parfait, voilà Annecy. Maintenant je dois trouver la D16 en direction de Thônes.

L’abri 15 n’était pas à Annecy même. Il avait été construit dans un endroit discret entre les villages d’Alex et Bluffy. Un peu plus tard je quittai la D909 et pris une petite route partiellement enneigée qui s’enfonçait profondément dans la forêt constituée majoritairement de résineux. Malgré mes pneus neige qui m’avaient coutés l’équivalent d’un rein, l’arrière de ma Pontiac avait tendance à chasser dangereusement. En dépit de ça, je parvins tout de même à arriver à destination. Ma montre indiquait « 16 heures » 

Je me garai sur un petit parking extérieur entre deux imposants véhicules de l’armée. A voir l’épaisseur de neige qui les recouvraient, ils devaient être là depuis un bon moment. Je coupai le moteur et regardai à travers la vitre passagère deux militaires en train de monter la garde. Un frisson me parcourra tout le corps. Je pris une profonde inspiration et sortis de la voiture. A peine à l’extérieur les deux types armés d’un fusil automatique vinrent vers moi ; l’un d’eux avait le regard menaçant.

- ET... VOUS LA ! Il ne faut pas rester ici, veuillez faire demi-tour.

- Oh là ! On se calme, ne vous énervez pas, répondis-je en levant la main en signe d’apaisement. Je m’appelle Franck Dorval et je dois rejoindre cet abri.

Le plus gradé des deux se frotta le menton, puis il s’approcha de moi pendant que l’autre leva son arme et me tint en joue. Je senti mon corps se mettre à trembler à la vue du canon de cette arme pointer en direction de ma tête. 

- Hé ! Calmez-vous les gars, je vous dis qu’on m’attend, m’exclamai-je en plongeant immédiatement ma main dans la poche intérieure de ma veste pour prendre mon portefeuille. (Qui en réalité était resté dans ma boite à gant depuis le dernier plein.)

A cet instant précis je me rendis compte de l’irresponsabilité totale de mon geste et je vis le garde ôter le cran de sureté de son arme.

- Mon patron est à l’intérieur de cet abri. Il s’appelle Richard Thorn.

- Oui peut-être mais en attendant retirez tout de suite votre main de votre veste monsieur et laissez-les bien en évidences, ordonna le gradé. (Je m’exécutai sans broncher) Je dois vérifier vos papiers monsieur, c’est la procédure.

- Je viens de me rappeler qu’ils sont dans ma voiture, dans la boite à gants. Je vais les chercher.

Le canon du fusil suivait à présent le moindre de mes mouvements.

« Je vais essayer de ne pas faire de gestes brusques. Ce type va me flinguer s'il me voit ne serait-ce que me gratter le dos.» Pensai-je.

Mon portefeuille en main, j’en extirpai ma carte d’identité et la lui tendis. Le type l’examina attentivement, puis il me la rendit en me dévisageant.

- Hum… pas toute jeune la photo. Vous avez une autre pièce ? (Je fis la moue.)

- Mon passeport, tenez ! 

Après examen du document il m’identifia sur sa liste puis se tourna en direction de son collègue en lui faisant un signe de la main, afin qu’il baisse son arme.

- Très bien, vous semblez être en règle dit-il tout en me fouillant méticuleusement. C’est bon… suivez-moi monsieur, je vais vous accompagner jusqu’à l’entrée de l’abri. Ensuite vous serez pris en charge par un de mes hommes qui est à l’intérieur.

Je fermai machinalement ma voiture à clé et escorté du militaire, je me dirigeai vers la lourde porte d’entrée blindée frappée du nombre « 15 ». Après quelques secondes d’attentes, celle-ci s’ouvrit lentement dans un bruit sourd, me laissant entrapercevoir un long couloir au sol bétonné et à l’aspect brillant. Un garde apparut et me fit signe de le suivre à l’intérieur. Une ligne blanche fluorescente tracée au sol et parfaitement rectiligne, semblait être là probablement pour nous indiquer le chemin à suivre en cas de coupure de courant. Pendant que je suivais le garde, j’entendis la lourde porte se refermer derrière moi. Je ne l’avais pas immédiatement senti à mon arrivée, mais cet endroit empestait l’œuf pourri.

- Il ne faut pas être claustrophobe ici, fis-je remarquer aimablement au garde. 

Le militaire stoppa et se tourna vers moi.

- En effet. Bienvenu à l’abri 15 monsieur. Veuillez suivre la ligne blanche jusqu’à la prochaine porte qui est là-bas. Vous pénétrerez ensuite dans un sas. Veillez à ne pas gêner la fermeture de la première porte afin que l’autre puisse s’ouvrir. (Je fis un signe affirmatif de la tête.)

Une fois le sas franchi, je longeais un petit couloir flanqué de deux portes. L’une portait l’inscription « salle radio » et l’autre « P.C. ». J’ouvris la porte métallique en face de moi et pénétrai dans une vaste salle carré où des petits groupes composés de deux à trois personnes qui me tournaient le dos et discutaient bruyamment entre eux. Aucun d’entre eux ne remarqua mon arrivée. Ne sachant trop quoi faire et où aller, je fis quelques pas en direction du groupe le plus proche de moi dans l’espoir de reconnaitre un visage ou deux. Soudain ! Je vis une main se dresser au-dessus des têtes inconnues qui me faisaient à présent faces.

- Franck ! Par ici, approchez ! s’exclama une voix qui me fit signe d’approcher.

Je reconnus aussitôt Richard Thorn, qui était en compagnie d’un militaire.

Me voyant approcher, le soldat adressa un signe de la tête à Thorn, et prit congé.

- Ah ! Enfin vous voilà Franck dit-il en me serrant chaleureusement la main. Je commençai à m’inquiéter. Pas trop de soucis pour venir ?

- Non… pas trop…ma vieille pétoire à tenue le coup.

- Hé bien le principal c’est que vous soyez là sain et sauf. D’ailleurs il était temps car l’abri ferme ses portes dans une demi-heure environ. Il posa une main sur mon épaule et demanda : J’y pense, vous avez réussi à joindre votre famille ?

- Oui juste à temps. 

Stoppant net le brouhaha insupportable qui emplissait la pièce, une voix féminine monocorde résonna depuis un haut-parleur : «S’il vous plait mesdames et messieurs, veuillez être attentif. Le Général en chef de l’armée Française va intervenir. Nous vous rappelons que cette allocution est classée secret défense.»

Le silence se fit immédiatement et toutes les personnes de la salle se retournèrent d’un seul chef en direction de l’écran géant accroché sur le mur en béton brut. Les drapeaux Français et de l’Union Européenne qui remplissaient la totalité de l’écran furent remplacés par le visage martial du général des armées.

« Mesdames et messieurs, l’heure est grave. Comme vous le savez certainement L’Europe est entrée en guerre ce matin à 8h30. Il est maintenant 16h30 et… »

J’entendis soudain un bruit sourd qui semblait provenir des profondeurs de l’abri.

- vous entendez ce bruit ? Demandai-je à Richard à voix basse.

Il s’approcha de moi et me glissa à l’oreille :

- Ce sont les portes blindées qui se verrouillent. Nous sommes désormais coupés du monde extérieur. Plus personne ne peut entrer ou sortir et ce jusqu’à nouvel ordre.

A ces mots un frisson me parcourut tout le corps. 

«… l’arme atomique vient d’être utilisée. Nos satellites ont détectés ce matin deux explosions nucléaires. Tout d’abord une en Chine, puis une seconde sur le territoire Russe…»

Le brouhaha redoubla d’intensité et Thorn réclama aussitôt le silence. Nous vîmes à l’écran un homme tendre un papier au Général. A la lecture du document, le visage impassible du militaire devint blême et sa voix prit une intonation étrangement plus aigüe.  

« En ce moment même des... des missiles ennemis se dirigent droits sur l’Europe de l’Ouest. D’après les informations que je tiens dans la main, un grand nombre de ces fusées proviendraient de différentes zones de tirs d’origines indéterminées. » 

Nouveau brouhaha dans la salle.

- Silence ! Écoutez bon sang, s’écria une voix parmi l’assemblée.

« ... en l’état actuel des choses, il nous est difficile de connaitre la provenance exacte de ces missiles. En effet, l’ennemi a à sa disposition des brouilleurs thermiques de dernières générations extrêmement perfectionnés. Et...»

Richard se tourna vers moi et dit à voix basse :

- Vous voyez, c’est l’engrenage, je vous l’avais bien dit. Tout cela va se transformer en guerre mondiale. A mon avis, même affaibli par l’effroyable épidémie qu’ils traversent en ce moment, les Américains ne vont pas rester passifs bien longtemps.

Je ne répondis pas et me contentai d’hocher la tête, hébété par ce qui était en train de se produire en direct devant mes yeux.

« ... dans quelques minutes, le Président de la République va intervenir dans les principaux médias afin que la population soit informée de la grave crise que nous traversons. Nous avons longuement réfléchi le Président et moi s’il fallait ou pas avertir nos concitoyens ; en sachant pertinemment les conséquences qu’il en résulterait. Le choix a été difficile mais murement réfléchi. Le Président et moi en prenons l’entière responsabilité. Il a été également ...»

Une voix d’homme résonna dans la salle.

- Encore heureux que tu préviennes la population !

- Oui, encore heureux acquiesça une autre voix venant de ma droite.

- Un peu de calme s’il vous plait intervint à nouveau Thorn en levant une main en l’air en signe d’apaisement.

« ... nos troupes résistent vaillamment en différents points. Notamment à Hambourg et à Poznan en Pologne. Les Soviétiques quant à eux sont aux portes de la capitale Allemande. Je ne suis malheureusement pas en mesure de vous donner plus d’informations pour l’instant, mais sachez que nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour protéger nos populations et … très bien, merci… On m’annonce que le Président va intervenir officiellement dans les médias. Je lui cède la place.»

Nous vîmes le Général exécuter deux pas en arrière pour laisser la place au Président Français. Celui-ci prit immédiatement la parole et commença sa déclaration à présent retransmise dans tous les médias.

«Mes chères compatriotes, l’heure est grave... »

Le discours public terminé, le Général reprit à nouveau la parole. Son discours portait à présent sur des sujets plus techniques destinés aux chefs de postes responsables de chaque abri militaire et civil présents sur le territoire. Richard s’approcha de moi et me fit un signe de la tête.

- Venez Franck, allons un peu à l’écart, j’ai à vous parler.

Nous fîmes quelques pas en direction d’une petite pièce qui servait apparemment de remise. Avant que le Directeur du CERN n’ouvre la bouche, je lui dis :

- Je croyais que cet abri était réservé aux civils, que font tous ces militaires ici ?

- Oui il l’est, mais pour des raisons de sécurité tous les abris quels qu’ils soient, sont gardés jour et nuit par des militaires, répondit-il quelque-peu embarrassé par ma question. Malgré que l’emplacement de cet abri soit bien dissimulé, nous redoutons une arrivée non négligeable de civils et pour la plupart des environs. Il prit une profonde inspiration et son regard se focalisa un instant en direction d’un récipient posé sur une étagère à ma gauche, puis il s’en détourna et me regarda droit dans les yeux. Je sais ce que vous pensez Franck, c’est écœurant. Mais comme vous le savez cet abri est la propriété du CERN et il a été conçu pour les civils c’est vrai, mais plus précisément pour l’élite des chercheurs et scientifiques dont vous avez l’honneur à présent d’en faire partie. Puis d’ajouter : de toute façon ce bunker n’a pas été conçu pour accueillir tout le monde, vous en comprendrez la raison bien assez tôt, croyez-moi.

« Hiiiiii… »

Une voix nasillarde provenant du haut-parleur de la grande salle mit un terme à notre conversation.

«Attention, nous demandons à toutes les personnes de bien vouloir rejoindre la grande salle pour un briefing. Nous rappelons qu’il est interdit de fumer à l’intérieur de l’abri.»

Et après que Thorn et moi eûmes rejoignis la salle...

- On est en train d’atomiser l’humanité et on nous demande de ne pas fumer. Non mais je rêve, s’exclama un homme parmi les gens présents dans la pièce.

- Je reconnais la voix de monsieur Ernst, me fit remarquer immédiatement Richard.

- Qui est ce... Ernst ? Demandais-je à celui qui m’avait demandé de le rejoindre dans cet abri. 

- Maxime Ernst est Docteur en mécanique quantique à l’Université de Lyon. C’est un excellent chercheur, mais il est... comment dire… un peu spécial. Pour être tout à fait franc avec vous, je ne l’aime pas beaucoup. C’est sans doute en raison de son attitude vis-à-vis d’autrui. Thorn fit la moue en balayant la salle du regard puis ajouta : Son narcissisme m’exaspère. (Sa main serra mon bras) Bien, je dois vous laisser un instant, c’est l’heure de mon briefing.

En mettant de côté la dizaine de militaires et techniciens assurant la sécurité et la maintenance de l’abri, nous étions exactement vingt personnes assis autour de la grande table métallique soit quinze hommes et cinq femmes, dont deux gradés qui d’ailleurs, étaient restés curieusement circonspects jusqu’ici. Ces deux types : un Capitaine et un Colonel (qui s’avéraient, je le sus après, être eux aussi des scientifiques) se contentaient de nous observer de façon étrange, un peu comme deux araignées à l’affut de leur proie. Je ne sais pas pourquoi mais c’est deux gars ne m’inspiraient rien de bon et me faisaient penser à deux personnages malfaisants échappés d’un roman de Jules Verne. Je détournai mon regard en direction du célèbre professeur Mandrake, prix Nobel 2021 de Chimie organique et de cryogénie appliquée et accessoirement le meilleur ami de Thorn. A sa droite était assis le non moins célèbre professeur Virdon qui était l’inventeur du premier cryogénisateur humain. Il y avait aussi le professeur Julius Kelp surnommé « le fou des labos » parce qu’il avait la fâcheuse habitude à ce qu’il parait, de faire des farces idiotes à ses élèves en provoquant parfois une catastrophe. Les autres personnes présentent autour de moi m’étaient à première vue inconnues. D’après ce que je pouvais lire sur les badges qu’ils portaient, il y avait : Ellie Arroway ; José Vasquez ; Nathalie Guérande ; André Smyslov ; Stéphanie Mercier ; Henri Moisan ; Roland Romain ; François Eichinger ; Elodie Dulac ; Pierre Servadac. 

Richard posa la paume de ses mains sur la table et se leva de sa chaise.

- Tout d’abord, je tenais à vous informer que pour des raisons personnelles le Professeur Fournier n’a pas pu nous rejoindre. J’ai proposé à Monsieur Franck Dorval ici présent de prendre sa place, (il me désigna de la main et tous les regards se tournèrent brièvement vers moi.) J’en assume donc toute la responsabilité. Ceci étant dit, je vous propose de débuter la réunion sans plus attendre. Thorn se frotta les mains un instant comme pour se réchauffer, puis il poursuivit : Mes très chers collègues, je vais vous exposer brièvement la situation. Comme vous le savez dit-il en scrutant du coin de l’œil la grosse pendule accrochée sur le mur. Dans quelques instants les missiles ennemis vont tomber sur le pays. Le dernier rapport indique (il prit son papier en main) qu’un grand nombre de sites stratégiques, de grands bassins industriels, de villes vont être frappés…

- Quelles villes ? Intervint Valérie Rivière.

Le patron du CERN inspecta le document et fit un signe négatif de la tête en faignant la moue.

- Ces fumiers vont atomiser toutes les grandes villes d’Europe s’écria José Vasquez en balayant d’un revers de la main son crayon posé sur la table.

- Nous espérons reprit Thorn que la puissance de ces bombes sera limitée à moins de cinquante kilotonnes chacune et non à plusieurs mégatonnes. Mais… (Thorn s’interrompit soudain)

- MAIS QUOI, hein ? S’emporta tout à coup Maxime Ernst en se mettant brusquement debout tout en repoussant sa chaise violement en arrière.

- Allons… calmez-vous dit l’Astrophysicienne Ellie Arroway en lui faisant signe gentiment de se rassoir.

- Elle a raison, calmez-vous, réitéra mon voisin de table Bob Hawk. Nous sommes déjà assez à cran comme ça.

Le visage du Docteur Ernst se figea puis il se rassit en croisant les bras. Richard Thorn poursuivit sur un ton volontairement plus calme : Mais malheureusement, tout laisse à penser que le conflit nucléaire est en train de s’étendre à l’échelle du globe. 

- Oh mon dieu, ce n’est pas possible, s’écria Nathalie en portant ses mains à son visage livide. NON… NON… NON… !

Prit à son tour d’un accès de colère, le biologiste Pierre Servadac jeta son stylo à travers la pièce manquant de peu d’éborgner son voisin de table.

Essayant lui aussi tant bien que mal de conserver son sang-froid, Richard continua, mais cette fois sur une intonation plus grave et plus forte afin de capter toute l’attention des personnes présentes dans la salle. 

- Si tout cela s’avère être exact, nous devrions donc subir un hiver nucléaire qui, je l’espère sera de courte durée. Je ne vais pas vous faire l’affront d’expliquer ce phénomène climatique car vous en savez autant que moi, si ce n’est plus à ce sujet. Je voudrais maintenant parler de...

A mesure que le temps passait, la voix de Thorn me parvenait de secondes en secondes plus lointaine, plus distante. Je pensais à présent à ma fille Camille, à mes parents, à Claire et aussi… à mon fils. J’avais du mal à rester attentif malgré l’inéluctable catastrophe qui allait s’abattre sur nous. Je m’extirpai de mes pensées et me forçai à rester attentif à la conversation.

- … et afin de sauvegarder le savoir il est indispensable que nous protégions celui-ci de la destruction. En effet, quand nous ressortirons…

La vision de ma fille me traversa à nouveau l’esprit et je replongeais aussitôt dans mes pensées ...

«Ma pauvre Camille, que puis-je faire.» songeai-je, tremblant.

Je sortis à nouveau de mes songes…

- … Je vais laisser maintenant la parole à mon ami le professeur Mandrake. 

L’homme, impeccablement habillé qui mesurait dans les un mètre quatre-vingt-dix, se leva et adressa un sourire courtois à l’assemblée.

- Merci Richard. Mes très chers collègues et néanmoins amis. (Le dernier mot ne s’adressait manifestement pas aux deux araignées qui n’avaient pas prononcées une seule syllabe depuis le début de la réunion. A voir la tête que faisait le prix Nobel en les regardants, il n’avait pas l’air de les apprécier non plus.) Il est important que vous sachiez que de nombreux tests ont permis de...

Bien que le discours de Mandrake soit de la plus haute importance tout comme celui de Thorn précédemment, j’avais beaucoup de mal à être attentif et avais le sentiment d’être un intrus parmi tous ces gens au pédigrée prestigieux. D’ailleurs, je le sus plus tard, la plupart étaient célibataires et sans enfant ; certainement trop occupés pour avoir une vie de famille décente, comme moi d’ailleurs, qui, peu après mon drame familial avait perdu pied, pour ne pas dire sombrer et s’était réfugié avec acharnement dans le travail et le repli sur soi ; torpillant ainsi rapidement ma vie de couple.

« Quel imbécile je suis » maugréai-je mentalement.

La voix de Mandrake me rappela soudain à l’ordre :

- Monsieur… Dorval c’est ça ? (j’opinai du chef) s'il vous plait soyez attentif à ce que je suis en train de dire, cela vous sera certainement utile à l’avenir.

- Oui... pardon... excusez-moi. Je pensais à... non... rien.

Mandrake fronça les sourcils ajusta sa cravate et poursuivit :

- Je disais donc que sous réserve des résultats, il est fort probable qu'une hibernation soit programmée.

A ces mots, je vis les regards et les visages autour de moi, exprimer l'inquiétude et le désarroi.

 « Hibernation » ce mot me fit tressaillir et un frisson me parcouru tout le corps. 

Quand Mandrake eu fini, d’autres intervenants se levèrent pour prendre la parole, soit pour compléter les propos du précédent interlocuteur, soit pour apporter d’autres informations qui semblaient capitales pour la suite, quelle suite ? Un peu plus tard, quand ce fut au tour du professeur Smyslov de prendre la parole, un militaire affublé d’un casque sans fil sur la tête fit irruption dans la pièce ce qui provoqua l’arrêt de nos conversations. Le regard du soldat était livide. Il fit un signe grave de la tête en direction de Mandrake et Richard. Ce dernier acquiesça de la tête avant de regarder sa montre. Je réalisai avec frayeur que ce cauchemar allait se poursuivre. Richard Remonta sur l’estrade et déclara :

- Il est exactement 17h15. C’est le moment dit-il l’air grave. Je vous demande de vous asseoir par terre et de mettre votre tête entre les genoux. Pour les personnes croyantes qui souhaitent faire une prière, c’est le moment. Que les générations futures nous pardonnent. 

- S’il y en a d'autres ajouta le professeur Kelp d’une voix monocorde.

Les lampes blanches et blafardes s’éteignirent pour laisser place à une lumière rouge encore plus désagréable qui me rappelait ces lampes à bord des sous-marins. Un silence de mort tomba telle une chape de plomb sur la salle et personne n’osait prononcer le moindre mot.

J’avais peur, oui, j’avais égoïstement peur de ce qui allait m’arriver. Peur aussi pour ma fille et mon ex-femme qui étaient là-haut, là-bas, dehors, loin… Et moi, j’étais coincé dans ce trou à rats, prisonnier dans cette toile d’araignée sombre et froide, au lieu d’être prêt de ma fille pour affronter cette monstruosité engendrée par l'homme. Mon cœur battait à tout rompre et mon corps tremblait de partout. Une jeune femme restée jusqu’ici très discrète, vint s’assoir à côté de moi. Sur le badge de sa blouse était écrit : Stéphanie Mercier. La pauvre jeune femme frissonnait de la tête aux pieds et des larmes coulaient le long de ses joues écarlates. Je posai ma main amicalement sur son épaule afin de la réconforter un peu. Elle m’adressa un léger sourire et inclina la tête vers moi. Assis à même le sol, nous attendions notre destin comme des hommes attaché à un poteau avant leur exécution, impuissant à la chute des bombes. A part le « Tic-tac » de la pendule qui résonnait dans la pièce tel un compte à rebours funeste. Les secondes s’égrenaient une à une et toujours aucun bruit d’explosion qui résonnait de l’extérieur. Soudain ! Une forte pression sur mon bras me fit sursauter au même moment où nous ressentîmes tous pendant une poignée de secondes un grondement sourd suivi d’un désagréable bourdonnement dans les oreilles. Puis, plus aucun bruit en dehors de l’imperturbable « Tic-tac » de la pendule de la grande salle. 

- Pardon ! dit la jeune femme en desserrant confuse, sa main de mon poignet.

Nous restâmes assis de longues minutes à attendre l’ordre de pouvoir nous relever. Je tournai la tête en direction de la jeune femme à côté de moi qui, son front appuyé sur ses genoux ne semblait plus trembler. Je relevai la tête et promenais mon regard à travers la salle et distinguai dans la pénombre rouge sang plusieurs personnes allongées à même le sol, face contre terre. Ils ressemblaient étrangement de par leur posture à ces corps statufiés que l’on avait retrouvés à Pompéi. « Tic-tac » Les minutes s’égrenaient « Tic-tac » Un soldat fit irruption dans la salle et à notre plus grand soulagement, les lumières rouges furent remplacés par les blanches faussement rassurantes.

- Voilà ! C’est terminé pour le moment dit-il en frottant son pantalon de treillis. Mesdames et Messieurs vous pouvez vous relever.

Tout le monde s’exécuta à l’exception du Professeur Virdon qui était resté allongé sur le sol, inerte.

Henri Moisan s’approcha de lui, s’agenouillât et prit aussitôt son pouls à plusieurs endroits, puis il se releva lentement, le visage grave pendant qu’un infirmier immédiatement alerté vint examiner le pauvre bougre. Et après quelques instants il déclara : 

- Il n’y a plus rien à faire, il est mort.

- Crise cardiaque ? demanda l’un d’entre nous en s’approchant du corps inerte.

- C’est probable répondit l’infirmier qui s’apprêtait à déplacer le mort sur un brancard avec l’aide d’un soldat. 

La vue de ce corps absent de toute vie rouvrit en moi une profonde blessure dont la cicatrice ne s’était jamais refermée et je le sais, ne se refermerait jamais. Peu après nous regardâmes impuissant le corps du regretté Virdon quitter la pièce en direction de la morgue.  

- Mise à part ce regretté Professeur s’écria soudain Julius Kelp, nous sommes tous sain et sauf, c’est déjà ça. (Ernst haussa les épaules et soupira bruyamment) 

Notre torpeur fut interrompue par un claquement de main. C’était richard qui nous faisait signe de nous rassemblé autour de lui comme des enfants devant rentrer en classe, ce qui fit sourire Julius sous le regard une nouvelle fois désapprobateur du docteur Ernst. 

- S’il vous plait écoutez-moi. Je viens de demander à l’opérateur radio s’il avait des nouvelles de l’extérieur. Il m’a répondu qu’il était encore trop tôt pour avoir des informations fiables. Je vous propose en attendant de bien vouloir regagner vos quartiers respectifs. Je pense qu’un peu de repos nous fera du bien à tous. Si j’ai d’autres informations, je ne manquerai pas de vous tenir informé. Nous reprendrons donc le travail demain matin. Je... je sais que c’est dur, mais essayer tout de même de vous reposer un peu. Ah oui j’oubliais ! Pour ceux qui le souhaitent nous distribuons des comprimés d’Alprazolam à l’infirmerie.

Quelque peu hagard et l’esprit vide, je rejoignis comme les autres le dortoir qui m’avait été attribué. A demi ouverte, l’épaisse porte métallique donnait sur une pièce de taille moyenne baignant dans une lumière tamisée mais froide et divisée en deux par une rangée de lits superposés. Malgré la présence d’une ventilation, l’air était chargé d’une odeur mélangeant renfermé et transpiration. Les lits antédiluviens en métal, étaient alignés avec une précision militaire en comparaison de la literie qui semblait neuve. Des couvertures et des draps qui empestaient la naphtaline et frappés du logo CERN reposaient au pied des lits. Des sacs de couchage, des valises et des sacs à dos appartenant aux occupants déjà présents, étaient éparpillés à différents endroits de la pièce. Les murs, peints d’un blanc sale, étaient parsemés dans les angles de petites tâches noirâtres qui trahissaient la présence d’une humidité ambiante. Après cette rapide inspection, je fis un signe amical de la tête aux autres occupants de la pièce qui étaient pour la plupart déjà allongés sur leur matelas. Deux d’entre eux discutaient en essayant de faire comme si rien ne s’était passé. Le troisième, un crayon à la main, griffonnait nerveusement sur un carnet des dessins de vagues figures de formes géométriques sans daigner lever la tête vers moi. Je cherchais des yeux où se trouvait ma couchette. La dernière place de libre était le lit du haut sur ma droite. Sans un mot je posai mes maigres affaires dans l’une des armoires communes, puis ôtai mes chaussures et allai m’allonger sur ma couchette. Une fois couché sur le dos, j’observais le plafond, le regard perdu, puis le touchai du bout des doigts et sentis aussitôt sa froideur tombale me pénétrer.

«Enterré vivant.» songeai-je avec un réel effroi.

Je regardai ma montre qui indiquait 22h30. Entre-temps les discussions s’étaient tuent et chacun semblaient s’être réfugiés dans ses pensées. Un clic se fit entendre et la lumière de la chambre s’éteignit, nous plongeant ainsi dans l’obscurité. Je fermai les yeux puis en proie à une nouvelle crise d’angoisse, je les rouvris aussitôt.

«Demain, s’il n’est pas trop tard, il faut que je vois Richard pour lui demander s'il ne peut pas faire quelque chose pour mettre ma famille à l’abri, au moins provisoirement. Avec toutes ses relations haut placées, il doit bien pouvoir faire quelque chose. J’espère qu’il n’est pas déjà trop tard, tout a été si vite.» pensai-je.

Les minutes passèrent et le sommeil tardait à venir. Je pris à contrecœur deux comprimés d’Alprazolam avec un peu d’eau. Une demi-heure après, mes paupières se firent de plus en plus lourdes.

- Camille, je t’aime, murmurai-je à voix basse, avant de m’endormir dans un sommeil sans rêve.


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