Dernier taxi pour Salkinagh

Chapitre 21 : C20 : La chute de l'Agence Temporelle

5155 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 16/04/2016 14:36

CHAPITRE XX : La chute de l'Agence Temporelle

JACK HARKNESS ET JOHN HART

Tant que la silhouette de la jeune femme se trouvait toujours dans le bar, les deux hommes étaient restés muets. L'ensemble des personnes présentes avait également respecté leur silence. Mais sitôt qu'elle avait quitté les lieux, ils s'étaient rassis et John avait manifesté une relative mauvaise humeur, emprunte d'une certaine agitation. Ou déception, peut-être. Personne ne faisait réellement attention à eux, les rares clients restants – qui n'avaient pas essayé de suivre aussitôt la jolie blonde à l'extérieur – avaient sans doute pour riche politique de s'occuper de leurs affaires. Entre le marteau et l'enclume, on ne met pas le doigt.

— Qu'est-ce que c'était que ça ? avait attaqué John d'une voix sourde où pointait la menace.

Harkness se sentit légèrement déstabilisé le regain d'agressivité de son compagnon dont il avait graduellement perdu l'habitude au cours des derniers mois. D'une certaine façon, il « retrouvait » là un John bien plus familier que cette version si prudente – si inexplicablement affectueuse aussi – qui lui avait tenu compagnie jusqu'à ce qu'il décide d'aller voir ailleurs. Le sourcil frémissant et les traits douloureusement figés dans une expression neutre, il fit de son mieux pour se contrôler.

— Bonjour John, ça me fait plaisir de te revoir, répondit-il. Mais il va falloir m'expliquer un peu plus ce que tu me reproches... Et préciser si ça rend obsolète une éventuelle réponse de ta part au sujet de la dernière question que je t'ai posée… A propos de redevenir mon « partenaire dans tous les sens du terme », tu as un petit souvenir de ça, ou pas ?…

Interloqué, son bel ami égoïste et négligent s'arracha à la contemplation du fond du bar par lequel la belle avait fui et fronça les sourcils, comme si ça n'était pas du tout le sujet.

— Bon sang ! Tu le fais exprès ? Je te retrouve Miss Watts, je te la ramène au prix de négociations extrêmement coûteuses, je la convaincs même de chanter pour toi… Et qu'est-ce que tu fais ? Tu ne lui décoches pas trois mots et tu la laisses partir illico sans un geste ! Merde, quoi !

— Mais… qu'est-ce que tu voulais que je fasse, au juste ?

— Mais… ? Ton numéro, enfin ! La grande scène de la séduction à la Harkness que je t'ai vue accomplir sans faillir des dizaines de fois… C'était bien parti pendant la chanson mais après…

— John… soupira le plus vieux avec un peu de lassitude déçue. J'attendais une réponse importante de ta part… et Amy n'a rien à voir avec.

— Rien à voir, vraiment ? Il serait temps que tu arrêtes de te voiler la face. Non mais t'as vu ta tête depuis qu'elle est partie ? Tu l'aimes, elle te manque. Très bien ! Mais quand donc est-ce devenu un problème pour toi ?... Elle était là. Il te suffisait de faire ton Jack et elle te mangeait dans la main…

Jack faillit lui faire remarquer qu'il n'y avait pas qu'elle qui était partie, mais il se retint.

— Ce n'est pas Amy-Leigh. J'admets qu'elle lui ressemble de façon troublante, mais il était évident qu'elle ne sait pas du tout qui je suis et que toute cette situation la mettait vraiment mal à l'aise.

— Mais non ! Pourquoi aurait-elle accepté de venir, sinon ?

— Tu n'en as pas une petite idée ?

— Non.

— Tu ne le mérites pas, mais je vais te le dire quand même : pour toi, idiot.

— Ce n'est pas probable, répliqua-t-il en plissant son front un peu buté , une main fourrageant ses cheveux blonds d'un geste excédé.

— John, John, John… Je n'étudie pas les probabilités, je lis le langage du corps. Et depuis un sacré paquet de temps, figure-toi. Elle était tournée vers toi tout du long, quêtant ton approbation à intervalles réguliers et inquiets et sa main est restée dans la tienne même quand ce n'était plus nécessaire… Je ne sais pas à quoi tu pensais en amenant cette malheureuse ici, mais ce qui est certain c'est que l'effort qu'elle a fait était pour toi. Même cette robe était pour toi… Alors je ne sais pas bien quelle idée tu avais derrière la tête, mais pour elle en tous cas, ça devait ressembler à un vrai traquenard. Elle est bien gentille d'être venue.

John pinçait les lèvres de frustration en regardant cet homme qu'il aimait le juger de travers… Peut-être que c'était vrai qu'il envoyait des signaux confus, à cette minute. Et ça n'en était que plus tragique, parce qu'il ne voyait rien d'égoïste dans son intention. Il répliqua avec assurance et une absolue conviction dans la voix :

— Tu as tort. C'est bien Amy, mais avec six ans de plus. Elle ne se souvient pas de nous mais je n'ai aucun doute sur son identité… Elle a quelques marques de grossesse et deux enfants qui ont le bon âge.

— Voyez-vous ça, murmura Jack en se reculant instinctivement sur sa chaise. Et comment as-tu fait toi pour la retrouver, alors que des semaines de recherches conjointes avec River n'ont rien donné ? Et quand je dis rien, c'est absolument rien.

Une expression amusée et un peu penaude flasha sur ses traits pendant qu'il le regardait par en dessous, le front plissé, comme s'il était incertain de sa réaction.

— Euh… en fait, je ne la cherchais pas du tout. Je suis tombé dessus par hasard sur la station orbitale, reconnut-il. Je t'ai dit que j'y ai ramené un petit gars que je connaissais… Là-bas, lui et moi, on s'est fait embarquer par des types qui voulaient soi-disant nous parler. Enfin, je crois que c'était surtout à moi qu'ils voulaient parler mais comme le petit était avec moi, ils l'ont pris aussi.

— Qu'est-ce qu'ils te voulaient ?

— Me proposer un job. Le truc, c'est que ces gars possèdent un transmat, entre autres. Donc pendant que je croyais être sur la station orbitale, en fait… et bien je n'y étais pas du tout. Ils se sont montrés ignominieusement persuasifs ou en tous cas, ils ont bien essayé de l'être. Mais je ne voulais rien avoir à faire avec eux, et j'étais en train de le dire haut et clair au big boss… quand elle a fait irruption dans la pièce ! Au début, je ne l'ai même pas reconnue.

Le sérieux impénétrable des traits de Jack ne laissait pas d'indice quant à ce qu'il pouvait ressentir. En réalité, il réfléchissait intensément aux difficultés qu'il avait eues à trouver la moindre petite information sur Amy-Leigh, quelle qu'elle soit. Personne ne l'avait vue après sa sortie de l'hôpital. Personne. Même pas le vendeur de fleurs en face. Même pas des passants. Même pas… les caméras de sécurité de la rue. Son signalement n'avait rien donné, ni dans les aéroports, ni dans les gares ferroviaires ou routières… Elle semblait s'être juste volatilisée.

A dire vrai, il avait eu excessivement peur qu'elle n'ait été tuée et son corps habilement dissimulé. Le procès d'Anton Kelnig ayant remis le nom d'Harkness & Song dans les médias, et il n'avait pas exclu une manœuvre d'intimidation de la part de l'entourage de Kane Peterson, pour les dissuader River et lui de témoigner en faveur du prévenu qu'ils savaient bien innocent…

Il se força pourtant à revenir à ce que disait John pour se concentrer sur ce qui lui était arrivé à lui et à la signification que ça pouvait avoir. Si tous ceux qu'il fréquentait étaient en danger d'être enlevés, intimidés, ou mis sur la touche, il avait besoin de le savoir et de prendre des mesures.

— Et tu ne crois pas que le fait qu'elle apparaisse miraculeusement, à ce moment précis où tu rejetais leur offre, n'était qu'une manœuvre de plus ? Est-ce que tu sais au moins qui sont ces types qui veulent absolument t'avoir et sont apparemment prêts à tout pour ça – y compris utiliser une Amy dont on aurait lavé le cerveau ?

— Si je te le dis, tu ne vas pas flipper, hein ?

— Oh, Johnny ! murmura l'ancien capitaine entre ses dents. Dans quels sales draps tu t'es encore fourré ? C'est quoi ce boulot ? Probablement pas très légal, non ?

— Ce n'est pas ce que tu crois… mais tu ne vas pas aimer…

— Parle à la fin !

John le regarda intensément avec un air à la fois hanté, plein de regret et de douceur mêlés.

— J'ai accepté leur offre mais je veux que tu saches pourquoi je l'ai fait… J'ai accepté parce que je ne pouvais pas laisser Miss Watts et ses enfants seule dans leurs mains. Je voulais quitter Portabaal mais si je l'avais fait sans te dire où elle était alors que je le savais, je crois que je n'aurais plus été capable de te regarder dans les yeux. Je ne serais donc jamais revenu… Et je voulais… vraiment pouvoir te revoir.

Jack lui attrapa le poignet et le serra à le broyer.

— John !

— Jack… je suis désolé d'avoir à te l'apprendre. Amy est un agent du Temps...

.

Jack le fixait avec une totale incompréhension. Ce n'était pas possible. Déjà parce qu'il n'y avait plus d'agents du Temps actifs, et ensuite parce qu'imaginer Amy-Leigh… en mission ! C'était… Et bien, tout sauf elle.

Imaginer ne serait-ce que River en agent du Temps… aucun problème ! Elle était féroce, extrêmement roublarde, passablement séductrice, débrouillarde et pleine d'initiative, elle adorait son flingue… River aurait pu être recrutée sans difficulté. En plus, elle lui avait toujours envié la possession de son manipulateur de vortex…

Mais Amy-Leigh ?

— Comment as-tu dit qu'elle s'appelait dans le futur ? Amanda Williams ? hésita-t-il pendant que John acquiesçait. Ce sont les mêmes initiales et le prénom est proche. Un truc pour faciliter le travail sous couverture. Si le prénom ou le diminutif est le même…

— Oui je sais, les réactions instinctives sont meilleures et on court moins le risque de se trahir…

— Ce n'est pas la première Williams que je croise, fit remarquer Jack d'un air soudain songeur.

— C'est un patronyme assez courant… Qui d'autre tu connais ?

— Déjà il y a eu Gwen.

— Ta Galloise de Cardiff ? Non, t'as dit qu'elle s'appelait Cooper.

— Elle a épousé un Williams. Et la seconde à porter – ou plutôt à ne pas porter – ce nom et bien… c'est River.

— Quoi ? fit John en se redressant soudain sur sa chaise comme s'il avait été piqué.

— Oui. River Song est un pseudo auquel elle est attachée pour des raisons sentimentales, j'imagine, mais ce n'est pas son vrai nom. Elle s'est fait appeler quelques fois Melody Pond, qui était le nom de sa mère, mais en fait c'est Melody Williams.

— River s'appelle en fait « Melody » ? releva Hart, incrédule et moqueur.

— Oui comme quoi, on a tous bien fait de changer… Quand j'ai cherché, j'ai appris qu'elle était la fille biologique d'un certain Rory Williams, ses parents avaient été des compagnons du Docteur. Un que j'ai jamais connu. C'était dans les dossiers que Torchwood avait piratés chez UNIT.

Bien plus troublé qu'il n'aurait voulu l'admettre, John le regarda avec hésitation en se caressant machinalement la lèvre du pouce.

— Merde… Deux Williams locales au passé trouble et aux identités multiples… T'es en train de penser à ce que je pense ?

Jack ne put s'empêcher de sourire un petit peu. Quand il était question de ces deux femmes, John ne s'avouait pas facilement vaincu…

— Non, pas cette fois… Amy ne peut pas être une sorte de fille cachée de River, si c'est ce que tu crois. Ce serait… un peu trop téléphoné, même dans le monde bizarre où nous vivons. Des siècles séparent la naissance des deux. L'âge de River est bien plus élevé que nous le laisse croire son clone, poliment scotché sur sa trentaine glorieuse et épanouie… Ne cherche pas à savoir combien, les dames n'aiment pas ça… prévint-il. De plus, je crois bien que River souffrait du même problème d'infertilité que nous, pour les mêmes raisons. Elle n'a probablement jamais eu d'enfants…

— Pourquoi ça ? On en a bien eu nous, au bout d'un moment…

— Johnny Boy… soupira Jack un rien sarcastique, je t'expliquerai un autre jour les mystères de la fertilité féminine et combien elles sont désavantagées par rapport aux hommes dans ce domaine. Ce que je sais, c'est qu'elle voulait absolument adopter les tiens et qu'elle était prête à se marier avec le premier venu pour pouvoir rentrer dans les critères des services sociaux…

— Et merde ! Pourquoi est-ce que je ne suis jamais au courant des trucs comme ça, moi ? Je suis 200% volontaire ! s'écria-t-il avec véhémence.

Jack lui sourit avec un peu de tristesse mâtinée d'amusement.

— Le premier venu, excepté toi ou moi, bien entendu !

.

John lui renvoya une œillade outrée et blessée. Il avait encore dans l'oreille les foutus discours de la dame bouclée, comme quoi elle aimait son mari. Menteuse. Menteuse, se répétait-il en colère. Et pourtant, il s'avouait intrigué par ce patronyme identique. Il sentait qu'il y avait là quelque chose de pas clair. Quelles que fussent les certitudes de Jack, son instinct lui disait qu'il devrait creuser.

Il remâchait toujours son dépit quand Jack déplia lentement sa grande silhouette, sortit un billet de sa poche et le laissa sur la table pour payer sa consommation. Il se dirigea vers la porte sous le regard indifférent des autres. Se lançant à ses trousses, John le rejoignit dehors.

— Qu'est-ce que tu fais ? Tu vas où ?

— J'ai besoin de réfléchir à un plan.

— Un plan pour quoi ?

Le ton de sa voix lui plaisait mieux. Le bon vieux Jack déterminé semblait de retour, celui qui pouvait lancer des regards azur si implacables. John se sentit frissonner malgré lui. Il pouvait toujours mettre ça sur le compte de la météo. Il l'avait toujours fait.

— Un plan pour un, tirer Amy des griffes de l'Agence Temporelle et deux, si possible pour la démanteler pierre par pierre. T'es avec moi sur ce coup ? demanda-t-il en le toisant comme s'il le défiait en poussant la porte pour sortir dans la rue.

— Toujours. Mais… j'étais aussi venu te dire autre chose…

Harkness le considéra avec une certaine froideur, et John sentit qu'il fallait qu'il rattrape le coup en mettant un petit peu son ego de côté.

— Ce que j'étais venu te dire, c'était que j'étais prêt faire cette guerre débile avec toi, si tu voulais... à m'enrôler comme simple soldat dans ton unité et t'accompagner sur Salkinagh.

Jack lui balança un de ses regards de rapace qui le mit en pièces. Sans prévenir, il l'attira impulsivement dans une étreinte d'ours, avant de prendre sa bouche pour l'embrasser comme jamais. De toute l'exclusivité dont il rêvait sans doute, de toute la déception qu'il avait ressentie d'avoir été laissé là en plan, sans savoir s'il le reverrait un jour. Le vrai vieux Jack, dominateur et impérieux, l'écrasait contre lui de toute sa force, réclamant son dû sans pudeur, en pleine rue, et John adorait ça.

Parce qu'il leur fallait absolument respirer, ils rompirent leur baiser et restèrent front contre front une minute.

— Ça me touche vraiment que tu veuilles aller jusque-là. Mais la dernière chose dont j'ai envie, c'est que tu prennes une stupide balle perdue maintenant… Sauver Amy, ça passe avant la défense des intérêts bassement politiques de Velquesh… En plus, je pense que si je me débrouille bien, je pourrais peut-être faire les deux.

— Et comment tu comptes faire ça ?

Jack le relâcha, reculant de quelques pas et dégagea son poignet en relevant sa manche avec un sourire satisfait bordant un peu le diabolique.

— Il se trouve que j'ai un manipulateur de vortex qui remarche !…

— Cachotier ! Comment t'as fait ? demanda John avec un large sourire irrépressible.

— Une veille dette qu'on m'a remboursée avec les annuités de retard…*

— Tu m'en diras tant, fit John en jouant les mystérieux avec son fameux regard voilé en biais. Mais tu ne préfères pas qu'on utilise plutôt… le mien ?

A la surprise de Jack, son ami qui venait de l'imiter, tendait devant lui un modèle de manipulateur extrêmement sophistiqué sur un bras ayant subi une chirurgie plastique reconstructive. John appuya sur un bouton et des hologrammes extensifs jaillirent tout autour en volume pour lui permettre de programmer sa destination.

— Frimeur ! s'amusa Jack.

— Ne sois pas jaloux !

— Je ne le suis pas. Mais je veux le même.

.°.

 

JENNY ET KRANAKAR

Le double message d'urgence en provenance de l'ordinateur principal les avait tous pris par surprise. Jenny et les autres Seigneurs du Temps sortaient en bavardant d'une banale réunion de briefing sur les prochaines missions, quand les sirènes et les lampes colorées s'étaient mises à flasher de partout, dans tous les couloirs et toutes les salles, à tous les étages du QG de l'Agence Temporelle. La voix de synthèse était suave et calme :

« Alerte. Alerte. Agent en réplication non autorisée dans la base. Alerte. Alerte. Agent en réplication non autorisée dans la base ».

Jenny s'était précipitée sur le terminal le plus proche pour tâcher de savoir qui était concerné par cette monumentale bourde, en tentant de tracer l'ADN qui avait déclenché un portique. De son côté et sans qu'ils aient besoin de se concerter, Kranakar lançait le protocole scellant les portes de chaque section, en prévenant tous les agents présents de rester où ils étaient. Sur un écran de contrôle, il ne tarda pas à repérer les points rouges contrevenants qui continuaient à se déplacer malgré les consignes. Ils allaient en direction des quartiers d'habitation.

Fronçant les sourcils, il signala leur localisation à Jenny en lui demandant leur identité. La jeune Dame du Temps était pâle sous la tension, ses yeux habituellement pétillants semblaient à cet instant totalement incrédules et peut-être un peu furieux.

— Il doit y avoir un dysfonctionnement, pesta-t-elle. L'ordinateur me signale qu'il s'agit de l'ADN de Face de Boe ! Or il se déplace et plutôt vite… comme s'il courait. Le second a l'air d'être John Hartshorne.

— Oh merde ! fit seulement Kranakar qui venait de comprendre.

Jenny n'eut pas le temps de réclamer de plus amples explications qu'un second message d'alerte, plus terrible encore que le premier car il en était la conséquence directe, se mit à résonner.

« Alerte. Alerte. Ceci n'est pas un exercice. Attaque de Reapers. Alerte. Alerte. Ceci n'est pas un exercice. Attaque de Reapers. Compte à rebours enclenché pour l'opération Diaspora ».

Elle se précipita vers un interphone.

— Message de Jennifer Jennings à tous les agents ! A tous les agents ! Activez vos manipulateurs vers la base de repli qui vous a été assignée. Immédiatement ! Abandonnez le Quartier Général !

Son frère et elle levèrent simultanément la tête quand malgré l'épaisseur du métal, la porte de la salle de réunion fut enfoncée sans difficulté par deux énormes Reapers, qui pénétrèrent aussitôt dans la pièce en battant furieusement des ailes.

— Jenny ! Va protéger Face de Boe ! ordonna Kranakar. Je m'occupe de ces deux-là puis je fonce buter ce fumier de Hartshorne…

Les deux Reapers poussèrent d'ignobles cris qui leur parurent résonner dans toute leur structure osseuse. Jenny se boucha les oreilles en se penchant, pour tenter d'éviter leurs attaques, et en leur tirant dessus pour riposter par à-coups.

— Mais ce n'est pas lui qui est en double ! Et je ne sais pas si FDB pourra encore se téléporter…

Kranakar la repoussa de côté sans ménagement et fit de grands gestes pour attirer les énormes silhouettes ailées dont la queue d'hippocampe musculeuse et souple zébrait vicieusement ce qui restait des meubles de la pièce. Leurs mâchoires agressives claquaient près de leurs bras. Jenny tira dans l'œil de celui qui était le plus près d'elle, puis se rua vers la sortie pour se rendre vers le bureau voisin de Face de Boe.

Dès qu'elle fut hors de vue et s'assurant qu'il était seul, le juge Krane abandonna alors temporairement son hôte humain au sol. Rayonnant de toute sa lumière divine, il se déploya le plus qu'il pouvait sous le plafond qui commençait à se fissurer en faisant pleuvoir des gravats. Il fit face aux deux bêtes qui restèrent circonspectes.

Árpyies, ypovállei ton eaftó sas me ton afénti sou ! tonna-t-il dans une vieille langue inconnue oubliée de tous.

.°.

 

JENNY

En pénétrant chez Face de Boe, Jenny eut l'impression soudaine de se trouver dans l'œil du cyclone. Tout était si calme ici. La pièce était extrêmement protégée et insonorisée, mais les Reapers pouvaient disloquer les murs s'ils le voulaient – et ils allaient le faire ! Elle vit Amanda Williams tranquillement assise sur le bord d'un fauteuil, dans une tenue de soirée improbable.

— Mais qu'est-ce que vous fichez ici, Williams ! J'ai ordonné l'évacuation il y a deux minutes, c'est le chaos dehors ! Nous sommes attaqués par des Reapers ! Dégagez immédiatement, je m'occupe de faire transmater Boe…

— Est-ce que je peux faire quelque chose pour aider ? demanda-t-elle pourtant.

Un coup sourd résonna contre la porte, bientôt déformée sous l'impact de la chose qui s'était projetée dessus depuis l'extérieur. Encore deux ou trois comme ça et elle allait céder. Les murs laissaient déjà apparaître des auréoles molles en se dématérialisant par endroits comme s'ils étaient attaqués à l'acide…

— Mais… comment est-ce possible que les Reapers nous attaquent ?

— Un agent en réplication.

— Ne me prenez pas pour une cruche ! Il y a des sécurités intégrées aux bracelets manipulateurs de vortex pour éviter ça !

— Ne perdez pas de temps à discuter ! s'exclama Jenny en pianotant sur une console avant de râler parce que ça ne marchait pas. Activez votre bracelet et repliez-vous !

Amanda Williams resta un moment immobile. Interdite et irritée, sans même jeter un coup d'œil à son bras nu car elle venait de se souvenir qu'elle l'avait laissé dans ses quartiers... C'était le truc le plus stupide qui fût. En rentrant chez elle, son intention avait été de prendre une douche et d'aller dormir pour oublier cette soirée trop bizarre... Elle avait donc ôté son bracelet, couché les enfants, retiré sa perruque, libéré Alonso, avant que Matteson ne vienne l'embêter…

— Il est resté dans mes quartiers, soupira-t-elle.

Les coups continuaient à tordre méchamment la porte et elle allait céder d'un instant à l'autre. Le cri des bêtes acharnées résonnait au travers des ouvertures faites dans les murs. Seuls les champs de force toujours actifs les contenaient encore. Dans un cas comme dans l'autre, on n'était pas sûr que ça tienne plus de quelques minutes… Par-dessus le vacarme, des tirs se firent pourtant entendre de l'extérieur, probablement à destination des Reapers. Puis le pan de métal rendit l'âme et soudain Hartshorne fit irruption dans la pièce, jaillissant comme un diable, le phaser toujours à la main.

— Amy ! Avec moi ! cria-t-il en ouvrant un bras.

Courant vers elle, il l'attrapa par l'épaule et activa son manipulateur sans demander son reste. Ils disparurent aussitôt tous les deux. Ne sachant trop si elle devait être soulagée ou inquiète faute d'information sur la fiabilité de Hartshorne, Jenny réagit pourtant très vite et se tourna vers Face de Boe, secouant la tête d'un air désolé.

— Fuis ma petite, lui demanda-t-il en prenant enfin la parole.

— Hors de question, il faut que je répare le transmat de ton aquarium.

— Jenny, mets-toi à l'abri, maintenant !

Un Reaper s'engouffra par le trou laissé béant par John. La créature poussa un cri furieux en direction du bocal géant, bien consciente d'avoir enfin trouvé la source qui irradiait des ondes si gourmandes de pure anomalie dans toutes les directions.

.°.

 

à suivre, le dernier chapitre et épilogue

 

 

* Du même auteur, voir épisode 8 : La petite voleuse de cookies

 

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