Dernier taxi pour Salkinagh

Chapitre 15 : C14 : Le Dieu du Temps

5034 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 05:03

Note de l'auteur : vous vous souvenez quand j'ai dit que le chapitre 2 n'était pas purement gratuit ? Quand River a soigné le tatouage ? :-)

 

CHAPITRE XIV : Le dieu du Temps

KRANAKAR

Aujourd'hui, c'était le jour où il revenait dans la course… ou pas du tout.

Depuis au moins une bonne heure, il traînait nerveusement son petit gabarit sec et musclé dans la salle de repos, sans pouvoir se départir d'une certaine impatience. Levé pour la énième fois et contemplant distraitement son reflet dans une vitre, il se disait que si ce coup fonctionnait, c'en serait fini pour lui de devoir vivre sous cette apparence falote parmi les humains. Jusqu'alors, il n'avait guère eu le choix car c'était plus que nécessaire à son plan. Il fallait bien qu'il assure un minimum de temps de présence et d'états de services pour pouvoir être crédible en tant qu'agent « réel ».

Par une baie vitrée ouverte dans la muraille, il apercevait la salle de Triage. A dire vrai, cela ressemblait plus à un hall d'astroport qu'au centre névralgique de l'information de la toute nouvelle Agence Temporelle… Autour de cette spacieuse esplanade intérieure, il y avait de grands écrans sur lesquels tombaient indifféremment des informations sur les missions en cours ou des chaines de nouvelles en continu diffusant depuis différents coins stratégiques de l'univers. Une bonne centaine de gens de toutes races portant soit les costumes des mondes de leurs missions, soit l'uniforme, s'y pressaient en se croisant ou se saluant brièvement. Souvent des humanoïdes mais pas seulement.

Sa poitrine se gonflait de fierté en contemplant cette fourmilière dont il avait relancé la machine. Bien sûr, le mérite de la recréation de l'Agence Temporelle ne lui revenait pas officiellement parmi les hommes. Mais que lui importait ? Les dieux sauraient ce qu'il en était au fond, quand ils décideraient de s'en préoccuper.

Il n'avait jamais regretté de prendre le contrôle de ce Seigneur du Temps précis, issu de la machine à progénation de Messaline grâce à l'ADN de Jenny. Après tout, les Seigneurs du Temps lui appartenaient de plein droit de toute éternité. Ce n'était pas parce que l'un d'entre eux lui avait échappé que c'était le cas pour tous…

Celui que les Limpians s'obstinaient à appeler « le juge Krane »* sourit malgré lui dans sa barbe blonde à cette évocation. Soigneusement, lentement, et discrètement, il avait établi et mis en œuvre son plan en deux volets pour contrer l'action des Adversaires qui leur étaient assignés dans le Jeu de Duane, dont le style semait le chaos depuis trop longtemps dans sa juridiction particulière.

Le plan, c'était donc d'abord d'utiliser la Progénitrice pour créer à partir d'elle douze nouveaux Seigneurs du Temps qui allaient former l'encadrement de la Nouvelle Agence Temporelle. Ensuite, il avait eu besoin d'un catalyseur pour donner de l'élan à ce projet et il avait sous le coude le candidat parfait pour ça : le mortel immortalisé par l'Entité Malupine* – qui était, en plus, un ancien de la précédente structure.

Comme « Jack Harkness » aurait été difficile à subtiliser à Offerdith* pendant sa période de gloire, Krana s'était rabattu sans complexe sur « Face de Boe ». Son apparence pitoyable avait été parfaite pour émouvoir une Jenny qui n'aurait pas été assez motivée pour monter seule un tel projet. L'immortel avait su jouer sur son désir de retrouver son père. Il lui avait vendu que faire la police du Temps était une bonne manière de rechercher le Docteur, de respecter les traditions de son peuple, tout en honorant ses valeurs puisque même le Gallifréen rebelle avait choisi de se rendre partout dans le monde dans une boîte estampillée « Police »… Krana n'était pas rhétoricien – il laissait ça à ce jeune peigne-cul de Harmond* – mais il était bien obligé de reconnaître que ça ne manquait pas d'efficacité logique.

Et si ça permettait au passage de redresser des infractions temporelles et de démanteler certaines des combines où prospéraient les Adversaires Démoniques, qui allait s'en plaindre ?… Certainement pas un Dieu du Temps !

Enfin délivré de son encombrante et improductive beauté, Face de Boe se consacrait désormais entièrement à sa mission pour donner un sens à sa vie. Mais même tel qu'il était aujourd'hui, il restait un protégé naturel d'Offerdith et par là même, enclin à s'attacher et à aimer. Kranakar n'était ni assez rigide ni assez stupide pour ne pas comprendre cette évidence et chercher à lui faire renier sa nature. Il était conscient qu'il fallait accorder au malheureux estropié une petite compensation et qu'en récupérant Hart dans les rangs des Time Cops, il allait s'assurer quelques temps de bons et loyaux services d'un Boe nostalgique mais reconnaissant. Peu importait au fond qu'il trouve que Hart soit un connard, puisque c'était un connard utile auquel Harkness était attaché. Et il avait besoin que ce dernier soit heureux pour qu'il continue à faire ce qui était attendu de lui : aider et conseiller Jenny.

Au passage, l'opération lui permettait de négocier une alliance avec Arias. Car qui disait milice temporelle disait quand même milice… Le dieu de la Guerre ne pouvait décemment pas être écarté de ça. Jenny étant déjà née soldat, les onze autres qui étaient issus de son ADN n'avaient nécessité que la mise en place d'un simple avenant à ce contrat initial… Certes, le bouillant Limpian s'était un peu fait prier au début. Car Jenny représentait déjà une sorte de précédent, qui n'avait pas vocation à prendre de l'ampleur ou à devenir la norme...

Pour ce faire, il avait pu compter sur le conseil avisé de la Palatine. C'était assurément celle qu'il préférait parmi tous les Limpians… Elle lui avait suggéré de flatter l'orgueil d'Arias en lui faisant miroiter que les nouveaux Seigneurs du Temps seraient peu nombreux, que les qualités de leur race les rendrait exceptionnels à tous les plans et que leur intelligence de la guerre ne pourrait que rejaillir forcément sur lui… La Palatine était décidément très douée. Dans la naissance parthénogénétique même de Jenny, il reconnaissait aisément sa signature caractéristique. La fille de Zeiss avait la haute main sur toutes les technologies de reproduction des corps selon des méthodes non traditionnelles. Sa petite marotte à elle, en raison de son histoire personnelle, sans doute*. Mais il ne pouvait lui en vouloir de chercher, elle aussi, à tirer son épingle du jeu de Duane…

Levant la tête parce qu'il se sentait soudain observé, Krana reconnut Hart qui venait d'apparaître dans l'encadrement de la porte de la salle de repos. Au moins, il était venu. Il tira alors ostensiblement son couteau de sa botte montante et entreprit de se curer les ongles avec, en arborant une menaçante nonchalance.

Quand il poserait une seconde fois les yeux sur lui, Hart se rappellerait de leur conversation dans la simulation onirique. Kranakar, couteau, tournant du destin. Même un crétin fini comme lui devrait parvenir à capter ça…

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JENNY et JOHN HART

Hart était venu au rendez-vous. Jennifer Jennings le voyait de dos, debout devant la porte de la salle de pause, mais comme figé sur son seuil et semblant hésiter à le franchir. Lissant sa blouse blanche du plat de la main, elle pressa le pas pour le rejoindre, intriguée malgré elle. Qu'y avait-il là-dedans qui pouvait l'inciter à ne pas entrer ? Le lieu était conçu pour être relativement accueillant… Elle jeta un œil sur les quelques personnes présentes à l'intérieur. Krana était là et elle lui adressa un amical signe de la main, auquel il répondit de même. Parvenue à la hauteur de John, elle reporta son attention sur lui pour constater son immobilité tenace. Apparemment, c'était bien son frère qui produisait cet étrange effet paralysant.

Son mouvement l'avait pourtant signalée à la recrue réticente qui pivota curieusement pour voir à qui le vétéran pouvait bien offrir un salut aussi invraisemblablement amical…

John avait l'air très tendu et presque surpris de la voir, comme s'il avait oublié pour quelle raison il se trouvait là… Elle lui sourit pour tenter de dissiper la gêne légèrement hostile entre eux.

— Monsieur Hart ! Vous êtes venu finalement ? Sachez que j'ai perdu vingt crédits à cause de vous ! Vous venez ? Vous allez être reçu…

Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais elle ne sut jamais quoi car une alarme choisit pile ce moment pour se mettre à sonner à plein volume. Une voix de femme numérique clamait sans émotion dans les haut-parleurs : « Tous les agents disponible au Triage ! Tous les agents disponibles au Triage ! Ceci n'est pas un exercice ! ». Et comme de juste, les agents disponibles se ruèrent instantanément à l'extérieur en les bousculant pour se regrouper dans la pièce d'à-côté. Ils arrivèrent tous dans la grande salle qui ressemblait à un hall de gare.

Elle lui toucha le bras pour ravoir son attention et l'inciter à la suivre.

— Que se passe-t-il ?

— Je crois que ça va commencer.

— Qu'est-ce qui va commencer ? questionna-t-il impatiemment.

— Le système où vous vous trouviez, Portabaal, est sur le point d'entrer en guerre…

— Mais… est-ce que vous n'avez pas dit que j'étais censé avoir repoussé ça ?

La voix synthétique empêcha le Dr Jennings de répondre en déclamant, imperturbable : « Attention, les extractions sont en voie d'achèvement. Veuillez dégager tous les accès aux Tubes »…. Jenny lui saisit la main et s'éloigna d'un pas vif mais il conserva une fixité très contestataire.

— Je ne vais nulle part si vous ne me dites pas ce qui est en train de se passer !

— M. Hart, nous avons des agents dans ce système avec des missions en cours… C'est leur rapatriement pour briefing qui est organisé. Mais vous et moi, nous devons impérativement finir au plus vite ce que nous avons commencé, même si les événements se précipitent en parallèle. Pour votre propre sécurité, je dois vous retirer l'implant qui a permis votre évaluation maintenant qu'elle est terminée, et ce quelle que soit l'issue de votre entrevue avec mon supérieur.

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Debout devant une porte passablement impressionnante qu'il soupçonnait être un portail transmatique bizarre, scellé par un métal gris miroitant, il avait le sentiment d'être sur un vaisseau spatial. Elle pianota un code sur un cadran latéral, glissa son badge et fit lire la paume de sa main au scanner avant que la porte ne s'ouvre pour les laisser pénétrer à l'intérieur d'une zone sécurisée différente et… plus calme. Après quelques foulées sur un sol caoutchouteux qui étouffait le bruit de leurs pas, ils se retrouvèrent bientôt dans le bureau super blanc qu'il avait déjà vu la première fois. Comme ils pénétraient tout juste dans la pièce, la voix synthétique les accueillit.

— Docteur Jennings, Directeur Hartshorne, bienvenue.

— Comment elle vient de m'appeler ?

— C'est-à-dire que… les fuseaux journaliers sont décalés ici… répondit Jennings. N'y faites pas attention.

— Non mais vous savez que je n'aime pas trop qu'on me prenne pour une bille ? rétorqua-t-il avec un regard furieux. Est-ce que c'est une tactique ? Si oui, laissez-moi vous dire qu'elle est pitoyable ! Ça ne vous coûte rien de reprogrammer une boîte vocale pour lui faire dire ce que vous voulez… Mais ça ne prend pas sur moi… Je vous ai dit que jamais je ne retravaillerai pour…

Elle se croisa les bras et lui sourit en levant la main pour l'arrêter.

— Stop. J'ai compris la première fois. Ce n'est pas moi que vous allez devoir convaincre. Gardez votre salive et allongez-vous là, je vais vous retirer l'implant qui vous donne ces cauchemars. Vous n'êtes pas content d'en avoir fini avec cela ?

Elle lui désigna un fauteuil assez incliné qu'il n'avait pas vu la fois dernière – un rêve de fauteuil soit dit en passant, tout cuir crème, avec plein de petites bosselures qui soutiendraient admirablement ses vertèbres mises à rude épreuve – et elle alla vers un petit chariot de métal méticuleusement brillant où se trouvaient des instruments qui ne lui disaient rien qui vaille. Elle y prit une lampe frontale dont elle s'équipa et puis un objet long pourvu d'un genre d'ampoule au bout.

— Qu'est-ce que vous allez faire ?

— Je vais simplement placer un localisateur sur votre épaule qui va aspirer l'implant dans cette petite cloche intégrée et je vais vous supprimer le brouilleur.

— Le brouilleur ?

— Pardon, je vais vous « détatouer ». Cette marque est un brouilleur qui était là pour masquer la signature spécifique de l'implant. S'il n'y en avait pas eu, vous auriez fait sonner tous les portiques de détection possibles et imaginables à longueur de temps…

John eut un mouvement de recul défensif automatique qui plaça son épaule au plus loin d'elle, ce qui la surprit un peu. Pour avoir lu son dossier, elle savait pertinemment qu'il était très endurant à la douleur et conservait généralement son sang-froid en toute circonstance…

— Je ne veux pas qu'on me retire ce tatouage, déclara-t-il. Il va bien maintenant, il ne me fait plus mal.

Elle eut un sourire en coin, mais qu'elle voulut rassurant.

— L'opération est totalement indolore, je vous assure. Que voulez-vous dire par « il va bien » ? ajouta-t-elle d'un air curieux.

— J'ai eu… une sorte de problème avec. Il y a quelques temps, ma peau s'était… abimée. Maintenant il est bien, et je ne veux pas qu'on me l'enlève.

Elle haussa un sourcil étonné puis l'invita à préciser :

— Décrivez-moi mieux ça, s'il vous plait. Abimée comment ? Ça n'aurait jamais dû se produire… Qu'avez-vous fait ? questionna-t-elle d'un ton soupçonneux.

— Mais absolument rien ! se défendit-il malgré lui. Tout était normal pendant un temps, puis un beau matin, je me suis réveillé et le tatouage était entièrement recouvert d'une croûte épaisse.

— Et c'est revenu à la normale tout seul ? Je n'y crois pas une minute.

— Non, je n'ai jamais dit ça. Quelqu'un me l'a guéri.

Quelqu'un ? Personne ne saurait être capable de réparer un brouilleur qui dégénère ! Vous avez dû souffrir atrocement… supputa-t-elle avec un regard consterné. Il ne faut surtout pas y toucher pendant qu'il est en fonctionnement… Le moindre dérèglement dans l'implant qui se trouve en dessous et…

Elle écarquilla les yeux comme si elle venait de comprendre quelque chose.

— Oh mais voilà comment vous avez modifié la date d'entrée en guerre ! Relevez votre manche un peu, je dois voir…

John retira son pull de mauvaise grâce puis repoussa le tissu de son tee-shirt pour dégager l'épaule comme il l'avait fait pour montrer le tatouage aux rebelles de Salkinagh. Elle alluma sa lampe frontale et se pencha, examinant le dessin d'un œil attentif, elle pressa légèrement plusieurs fois du bout du doigt au centre de la volute dessinée.

— Je ne sais pas comment vous avez fait votre compte, commenta-t-elle en prenant un petit scanner à main, mais vous avez dû vous retrouver partiellement désynchrone. Du coup, tous vos actes ultérieurs ont commencé à courber la trame du Temps en attirant les événements comme des aimants autour de vous, et en ralentissant leur survenue là où ils étaient prévus…

Il la toisa comme si elle était devenue folle. Rien de ce qu'elle disait ne faisait sens mais elle continuait sur sa lancée.

— M. Hart, comment diable avez-vous été exposé à une désynchronisation temporelle de cette envergure ? Votre ralentisseur est-il défectueux ?

— Mme Jennings, je n'en sais foutre rien. Je n'étais qu'agent de terrain, tout juste bon à accomplir de basses besognes, pas un putain d'ingénieur !

Les mots « basses besognes » plus que « putain d'ingénieur » amenèrent sur le visage pâle de la jeune femme un froncement qui lui parut méfiant, distant ou moralisateur. Il l'avait fait exprès, mais maintenant il le regrettait.

— Est-ce que ça fait longtemps ? reprit-elle pourtant.

— Longtemps que quoi ?

— Longtemps que vous avez été « guéri » comme vous dites, compléta-t-elle d'un ton patient.

— Non, juste avant que je parte en mission vers Salkinagh, avec Cormack. Mais qu'est-ce que ça change ?

Un petit bip-bip derrière son bureau les interrompit et détourna un instant son attention. Elle se redressa, reposa son scanner et revient pianoter quelque chose sur son clavier de terminal avant de lui dire un peu sèchement :

— Restez-là, s'il vous plait. Mon patron est prêt à vous recevoir dans une minute mais je dois lui parler un instant. Je retirerai votre implant juste après votre entretien.

— Je vous ai dit que je ne voulais pas que vous le retiriez !

— Vous ne devez pas le garder. Le composé est nocif à la longue.

Un nouveau bip-bip plus insistant empêcha John de protester encore et la chassa vers la porte tandis qu'elle pointait le doigt sur lui.

— On en reparlera.

.°.

JOHN HART

Quand elle quitta la pièce, il se précipita juste à sa suite en essayant de manipuler les commandes qui restèrent supérieurement… inactives. Il donna un coup de poing rageur sur le métal de la porte sans réussir à faire mieux que de se faire mal. De prime abord, cette pièce semblait sans autre issue. Mis à part… cette grande baie. Avec un peu de chance, ça n'en était peut-être pas une ?

Pour vérifier son idée, il souleva une chaise visiteur et l'envoya direct dans la fenêtre dans l'espoir de pouvoir s'enfuir par là… Celle-ci rebondit dessus et retomba à ses pieds dans un bruit mat. Super. Il avait oublié l'ultraglass, le matériau le plus frustrant du monde.

Ok. Evasion primaire, ratée. Commande à distance ? Fébrilement, il se dépêcha de se glisser derrière le bureau de Jennings pour appuyer sur tout et faire courir ses mains partout sur et sous le plateau, à la recherche une commande secrète…

Au bout d'un moment de vaines tentatives, il eut une autre idée.

— Hep, toi, la voix qui m'a appelé Directeur Hartshorne…

« Précisez la nature de votre requête. »

— Je veux avoir accès à mon dossier, envoie-le sur le terminal du Dr Jennings.

« Envoyé. »

— Je veux aussi que tu actives les protocoles qui me permettent de sortir d'ici, ajouta-t-il mû par une subite inspiration.

« Je suis navrée Directeur. J'ai fait une erreur. »

— Mais non ! Allez la voix, ne soit pas défaitiste… Je veux sortir de ce bureau et tu vas m'y aider où je révoque ton contrat, que tu sois une IA ou pas…

« Votre rendez-vous commence dans dix-sept secondes, Directeur. Et vos protocoles ne peuvent pas être activés ».

— Et pourquoi ça, je te prie ? De quoi suis-je directeur si je ne peux même pas sortir d'un putain de bureau ?

La porte se rouvrit en chuintant et Jennings se dressa dans toute sa minuscule blondeur pour répondre en souriant à la place de la voix synthétique.

— De rien du tout, si vous ne réussissez pas cet ultime entretien ! Et d'après ce que j'ai compris, vous n'avez pas du tout envie de le réussir… Venez.

Il la suivit en serrant les mâchoires et les poings. Il ne lui aurait pas fait de mal, mais sa frustration était à son comble.

.°.

Jenny le fit entrer à sa suite dans un second grand bureau au look vieillot. Il y avait des quantités de bouquins sur les murs, une table avec des pieds sculptés qui devait être une véritable antiquité. Pas surprenant à bien y réfléchir. L'Agence Temporelle avait surement les moyens de prendre du mobilier de partout dans l'univers et à toutes les époques. Il était surpris toutefois parce que c'était manifestement un environnement humain. Avec un tapis vert, et des lampes. Un canapé chesterfield même, où il se garda bien de s'installer… A tout prendre, l'ambiance était beaucoup plus futuriste dans le bureau de Jennings…

Cette dernière avait marché au centre de la pièce et allumé quelques lumières, ce qui avait permis à John de distinguer dans un angle de la pièce, l'objet le plus détonnant du coin, le plus high-tech et le plus bizarre à la fois. C'était une sorte d'aquarium géant de plusieurs mètres cubes, posé sur un socle métallique. A l'intérieur, on pouvait voir une énorme statue, assez réaliste, représentait une tête aux paupières fermées.

— Les poissons ne doivent pas avoir beaucoup de place pour nager là-dedans, observa-t-il en regardant l'objet avec suspicion. Personne n'a pensé à y mettre une déco un peu moins… imposante et tapageuse ?

Le docteur Jennings sourit et alla poser une main sur l'aquarium, ce que John la regarda faire sans comprendre. Puis elle se retourna vers lui et lui désigna le sofa d'un geste pour l'inviter à s'y installer.

Tapageuse, mhh ? Je vous demande un petit instant. Asseyez-vous là en attendant que votre entretien puisse vraiment débuter.

— Allons, me la jouez pas... Cette mise en scène est inutile. C'est vous le boss, n'est-ce pas ? Vous vous faites passer pour le sélectionneur mais c'est vous qui dirigez ? essaya-t-il en refusant d'obéir.

Elle posa ses yeux clairs et scrutateurs sur lui, les commissures à peine relevées en un sourire modeste.

— C'est moi « le boss ». Mais nous dirigeons en binôme.

— Laissez-moi deviner, votre alter ego vous ressemble comme deux gouttes d'eau et s'habille plus sexy… J'ai entendu parler de cette nouvelle technique de management, mais ça se fait plutôt dans les banques, je crois**…

— J'ai dix frères et sœurs qui sont impliqués à des degrés divers. Mais je ne suis pas sûre qu'ils soient vraiment votre genre si j'en juge par la tête que vous avez faite en voyant Krana tout à l'heure… répondit-elle en haussant un sourcil entendu. Je dois vous laisser car, comme vous vous souvenez certainement, nous avons des agents qui viennent d'être exfiltrés et que j'aimerais voir.

— Et vous allez essayer de me faire croire que vous les dorlotez comme une vraie mère poule ?

Elle le regarda droit dans les yeux en esquissant un sourire presque malicieux pour la première fois depuis qu'il l'avait rencontrée.

A la vérité, elle ne dorlotait que celui qu'elle considérait comme son fils, mais chaque agent pouvait trouver auprès d'elle toute l'écoute requise, souvent une absence totale de jugement négatif sur les difficultés de leur tâche, puisqu'elle l'avait exercée, et une forme d'autorité bienveillante qui savait cependant se montrer étonnamment ferme…

— Et bien oui. Et figurez-vous que personne ne s'en plaint une fois qu'il y a goûté… Je sais que vous aimez beaucoup croire que vous êtes unique dans votre genre, M. Hart, mais… sur ce plan, ne croyez pas que vous seriez tellement différent des autres !...

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[*] Le juge Krane, que je révèle ici pour la première fois de la saison, est un Limpian auquel il a été brièvement fait allusion dans la fic Règles et Principes de base du grand Jeu de Duane. Si ce n'est pas évident, Krana (que les siens appellent le juge Krane), est le dieu grec Kronos, ce qui explique que mon chapitre s'appelle « le Dieu du Temps ». Les Limpians (Olympiens) jouent une sorte de partie d'échecs cosmique contre les « Adversaires », majoritairement par procuration, en utilisant les créatures vivantes qui leur sont inférieures, le plus souvent à leur insu total.

Malupine, contraction de Malus Lupus, Bad Wolf.

Offerdith : Aphrodite - Harmond : Hermès - « La Palatine » est Pallas Athéna, née « sans mère » (en apparence seulement) directement adulte de la tête de son père Zeus (Zeiss), comme Jenny est née adulte d'une cellule du Docteur (saison 4).

[**] Cf. TV Episode Time Heist saison 8 : la banque de Karabraxos. On ne s'étonnera pas de ce que John Hart s'intéresse de près aux banques…

 

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