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Chapitre 13 : C12 : L'armée des 12 Seigneurs du Temps

4441 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/11/2016 08:49

CHAPITRE XII : L'armée des 12 Seigneurs duTemps

JENNY ET FACE DE BOE

La femme blonde avança à pas précautionneux dans le bureau très « vieux style » de celui sans qui tout cela n'existerait pas. Les murs étaient recouverts de livres, mais il était manifeste qu'ils ne servaient pas beaucoup. Ses boiseries rendaient l'endroit chaleureux lorsqu'il était éclairé, mais à ce moment précis, la seule source de lumière bleuâtre émanait d'un immense aquarium circulaire, engoncé dans le fond de la pièce. En son centre, remplissant presque tout l'espace, ce qui ressemblait à une très grosse sculpture de visage olmèque parcheminé était juste là, immobile, au milieu des quelques bulles qui oxygénaient l'eau.

En s'approchant, elle posa doucement sa main sur la paroi de verre, observant les nombreuses crevasses qui sillonnaient sa peau, ses longues paupières closes cachant pour l'instant des yeux verts très écartés, son nez puissant et épaté surmontant une bouche tout aussi large aux lèvres pleines qui se mirent à bouger imperceptiblement.

— Jenny ? Est-ce que c'est toi ?

— Oui c'est moi, mon ami.

La façon dont il parvenait à parler était toujours un mystère pour elle.Pour l'avoir déjà sommairement examiné en une seule occasion, lorsqu'elle l'avait trouvé au hasard de ses pérégrinations, elle savait qu'il n'avait qu'un embryon de cordes vocales, mais surtout, pas de poumons pour faire passer l'air à travers…

Au fil du temps, elle avait échafaudé sa petite théorie là-dessus. Il y avait tout autour de son visage de longues excroissances qui retombaient presque à la manière d'une chevelure et se terminaient par d'étranges petits sacs gonflés et translucides. A sa grande honte, c'était sa meilleure hypothèse : que ce soient des sortes de petits poumons…Comme la créature invraisemblable qu'était son patron et un ami n'était jamais malade, l'occasion de pouvoir l'examiner et d'en savoir plus sur son espèce ne s'était jamais vraiment représentée. Face de Boe était très pudique. Si ça n'avait pas été totalement stupide, elle l'aurait soupçonné de ne jamais tomber malade, exprès, juste pour qu'elle n'ait pas à l'examiner… Mais avec son inaltérable santé et son inconfort évident à parler de son physique, elle se voyait mal lui poser des questions précises de but en blanc. La plupart du temps, il refusait de se montrer à quiconque, préférant la laisser assumer les fonctions représentatives de l'Agence qu'ils avaient créée ensemble…

.°.

À l'époque de leur rencontre, elle était à la recherche de son père. Elle visitait des ruines archéologiques dont on lui avait assuré qu'elles avaient un lien avec lui. Les informations qu'elle recueillait à son propos étaient toujours affreusement contradictoires et elle avait sans arrêt le sentiment de poursuivre une ombre insaisissable… Et puis, quand elle l'espérait le moins, quelqu'un parlait et la mettait sur une nouvelle piste. Pleine d'espoir, elle ne pouvait s'empêcher de s'y précipiter aveuglément, comme cette fois-là. Elle avait presque tué ses moteurs à force de courir après le Grand Absent… Mais on le lui avait juré, le Docteur serait à Darillium ! Darillium était un point de l'univers où il ne pouvait faillir de passer…

Boe était à demi enseveli sous un tas de terre, à l'Est des ruines qu'elle visitait. Elle venait de finir d'arpenter le secteur de long en large mais l'endroit était désert, semblait-il depuis bien longtemps. L'atmosphère ténue, mais respirable encore, lui permettait de contempler un ciel violemment étoilé. Les tours jumelles étaient célébrées par tant de monde, ce n'était pourtant que deux gros mégalithes irréguliers mais voisins. Elle avait réalisé que si c'était le bon endroit, ce n'était probablement pas la bonne époque. Qu'il soit trop tard ou bien trop tôt, le Docteur n'était définitivement pas là.

Aussi avait-elle cru mourir de frayeur quand près d'un tumulus, l'œil unique encore à l'air libre de ce qu'elle pensait être une statue abandonnée, relique d'une ancienne construction rasée, s'était mis à la suivre d'abord, puis à appeler à l'aide et à la supplier de la plus émouvante façon… Complètement stupéfaite, elle s'était plantée devant avec curiosité.

— Mais… vous êtes vivant ? s'était-elle étonnée avec vraiment très peu de présence d'esprit…

A la vérité, on ne s'attend vraiment pas à ce qu'une grosse tête bouge et puisse parler dans un coin où il n'y a personne à des kilomètres et des kilomètres à la ronde… « Ça » avait répondu avec un soupir prudent :

En quelque sorte…

Et ça l'avait fait rire. Cette créature avait le sens de l'humour.

Pour une raison qui avait sans doute à voir avec sa télépathie naturelle, elle avait ressenti qu'il se percevait comme masculin en approchant timidement sa main pour faire tomber un peu de terre. En contemplant ce pauvre bougre, elle s'était dit qu'il devait en avoir beaucoup pour supporter cette situation. Sa grande bouche avait frémi un peu et elle avait compris qu'il était en train de rire aussi.

Ensuite, il lui avait demandé comment elle s'appelait et elle avait répondu sans rire que son père l'avait baptisée Génétique Anomalie mais qu'elle préférait le raccourcir en Jenny. La grosse tête avait fermé son œil et sa peau épaisse s'était plissée sur le côté apparent. Un sourire.

Il sourirait encore à l'époque. C'était devenu bien rare aujourd'hui. Les facéties de Williams, parfois, lui arrachaient une petite risette, et encore. Seulement quand il croyait qu'on ne le regardait pas et jamais devant elle. Et comme actuellement, elle était en infiltration, et bien ça voulait dire que peu de choses le déridaient.

— Nous étions faits pour nous rencontrer, avait-il soufflé doucement, moi je suis Aberration Temporelle.

Le rire frais de la demoiselle avait encore cascadé dans le crépuscule des ruines de Darillium, coulant comme une douche bienfaisante sur la béance horrible de sa solitude et de sa douleur.

— Et y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous aider, 'Abel'?

Avec stupeur, elle avait soudain vu plusieurs des tentacules qui encadraient son visage se tendre, se déployer, s'appuyer au sol et pousser comme s'il cherchait à se redresser par ce moyen de fortune.

Il avait conscience qu'il devait avoir l'air ridicule – une partie de sa vieille personnalité vaniteuse le tourmentait, en lui assénant qu'il ne pouvait pas se montrer aussi pitoyable, impuissant et démuni devant une belle jeune femme courageuse qui n'avait pas eu peur de lui. Mais il lui répondit, toute honte bue, tandis qu'il parvenait presque à se remettre à la verticale :

— Oui. Jurez que plus jamais vous ne m'appellerez comme ça…

.°.

Et c'était comme ça que tout avait commencé. Le lent apprivoisement de cette créature secrète. Elle retira sa main de la paroi tiède. Il ne sortait presque plus jamais de ce caisson aquatique maintenant. Elle soupçonnait que c'était parce qu'il s'y sentait plus protégé. Il y avait de la honte et de la tristesse dans ses grands yeux trop écartés. Il n'aimait pas qu'on le fixe trop longtemps, ce qui le rendait inexplicablement maussade…

— Désolé, je crois que je rêvais… dit-il en se rendant compte qu'elle était venue lui rendre visite. Est-ce que tu n'avais pas dit que tu devais voir ton fils ce soir ?

Elle hocha la tête affirmativement.

— C'est fait. Nous avons dîné, il est rentré avec son ami, Cormack – c'est un agent dormant, vous vous souvenez ? – et moi je suis venue faire un dernier tour pour voir comment vous alliez…

— Comment est-il maintenant ? souffla le grand visage… Est-ce qu'il ressemble beaucoup à son grand-père ?

— Dave ? Bien sûr que oui ! A bien des égards… Je suis très fière de lui…

Elle baissait la tête afin de cacher quelques larmes furtives qui emperlaient le coin de ses yeux mais il n'avait pas besoin de les voir pour les sentir…

— Est-ce que ce n'est pas trop dur ? De réaliser, à chaque fois que tu le vois, à quel point il est bridé sous cette forme humaine ? Tu pourrais être moins seule si vous partagiez votre secret…

Elle l'arrêta aussitôt.

— Je ne me sens pas seule. Mes frères et sœurs sont là. Grâce à la Progénitrice de Messaline, toute ma famille est autour de moi – sauf Dave bien sûr – mais je ne veux pas qu'il soit trop vite mêlé à… nos activités...

Elle leva les yeux vers lui et il lut dans ses pupilles que son discours raisonnable était un mensonge, mais il était assorti d'un si doux sourire qu'il était difficile de lui en tenir rigueur.

Dave n'était pas sorti de la Progénitrice déjà adulte comme les autres. Pour lui, elle avait demandé une modification du processus et il était sorti à l'état de nourrisson. L'expérience d'élever un petit être était si radicalement différente de ce que permettait d'ordinaire la Progénitrice construite pour renouveler rapidement les populations combattantes de la planète Messaline, son monde de naissance. Elle ne regrettait pas d'avoir fait ce choix et cela l'aidait à faire face à l'idée qu'elle ne retrouverait peut-être jamais son père.

Elle posa encore la main sur la paroi pour attirer l'attention de Boe car elle voyait qu'il recommençait à fermer les yeux.

— Alors vous n'allez pas me poser des questions sur lui ?

— Pourquoi je te poserais des questions sur ton fils ? Tu me dis qu'il va bien, c'est parfait. Si en plus il est un soutien pour Cormack, là-bas, tout est pour le mieux…

— Pas sur Dave !… le reprit-elle avec un petit sourire. Mais sur cet homme aux cheveux platine. Celui qui a presque grillé la subpersonnalité de Quentin et à qui vous vouliez faire passer le test, en dépit de tout bon sens. Celui qui a changé le futur…

Elle n'aurait pu le dire avec certitude, mais elle eut l'impression que les pupilles de Boe s'étaient brièvement dilatées, et sa bouche avait frémi comme de l'ombre d'un sourire.

— Qu'as-tu pensé de lui, finalement ? s'enquit-il.

— Extrêmement réticent. Il n'a presque rien écouté de ce que je lui disais et ne veut rien avoir à faire avec nous. Il affirme avoir déjà travaillé comme agent temporel et n'en avoir pas gardé un bon souvenir, j'imagine que ça explique son refus catégorique... A mon avis, il ne viendra pas demain. Il est sur le départ, et tout en lui crie qu'il veut tourner la page. Je ne sais pas ce qu'il veut fuir précisément, mais il ne tient pas à traîner dans le coin…

— Il viendra, assura l'énorme tête avec un sourire cette fois indubitable. J'ai hâte, mais ça me fait peur car je ne sais pas si j'ai raison.

— Pourquoi ? Qui est-il pour vous ?

— Jenny, tu l'as dit, c'est quelqu'un qui peut influer sur l'avenir préétabli. Je préfère qu'il soit de notre côté.

— Pourquoi cette grande bouche est-elle en train de me mentir ? demanda-t-elle gentiment.

Elle nota le pli amer de ses lèvres qui s'effaça bientôt.

— Si j'ai le courage, je te le dirai peut-être demain. D'ici là, je ferais mieux d'étudier son dossier. Pourrais-tu… me repasser la fin de la simulation sur la prison de Kridivine ? demanda-t-il d'un ton qu'il voulut détaché et anodin.

Elle sourit un peu et plissa les yeux, pas très disposée à exaucer sa requête.

— Il n'y a plus rien de bien intéressant après. Une fois que mon frère leur a annoncé qu'il ne rentrait pas avec eux et qu'il avait l'intention de continuer à se faire passer pour mort, il n'y a que le vol de retour quand ils fuient en navette, et ce moment un peu gênant où il tente de séduire ce malheureux novice qui ne partage pas du tout ses inclinations… Ce n'est pas la meilleure partie.

— Il faut que je considère équitablement tous les aspects de son dossier… objecta doctement le grand visage. Pas uniquement les bons côtés où il donne l'air de s'amender… Et je dois avoir tous les détails frais en tête pour lui parler efficacement demain, n'est-ce pas ?

Elle secoua sa queue de cheval de droite à gauche en se croisant les bras.

— Je ne peux pas croire ça ! Vous allez me faire avaler que c'est par pure abnégation que vous voulez voir ces deux hommes se chercher et s'exaspérer ? La tension érotique qu'il y a entre eux est assez… difficile à supporter et je ne suis pas sûre que vous ayez besoin de ça à votre âge…

— Quel autre motif valable aurais-je de faire une chose pareille sinon ? opina-t-il très légèrement d'un air parfaitement calme.

Elle croisa ses grands yeux insondables qui avaient l'air d'ordinaire si parfaitement innocents, mais aurait juré qu'ils avaient été brièvement traversés par une étincelle pétillante et amusée. Jamais Boe n'avait affiché autant d'intérêt et aussi directement pour quelqu'un. Pourquoi s'intéressait-il autant à lui ?

Elle avait l'intention de le découvrir.

.

Dès qu'elle revint à ses quartiers pour lancer une recherche, Jenny maugréa en constatant que son accréditation de Directrice Exécutive de la TCA était tout juste suffisante pour accéder au dossier de John Hart. Le système lui réclama un nouveau mot de passe de vérification. Sur son écran, les mots clignotèrent en rouge :

Attention : ce dossier est affecté par une rotation en cours. Attention : ce dossier est affecté par une rotation en cours…

Elle patienta quelques secondes puis le message cessa de clignoter.

Stabilisation des données. Le dossier « John Hart » a été archivé. Votre demande de consultation vient d'être expédiée au Directeur Hartshorne. En attente…

En fronçant les sourcils, Jenny attaqua le clavier avec un peu de ressentiment pour afficher l'organigramme flottant de la TCA, comportant tout le personnel, passé, présent et à venir, et ce qu'elle y découvrit la renseigna immédiatement.

.°.

 

JOHN HART

Quand Runi lui avait déposé sa fille dans les bras, John avait blêmi sous le choc.

Avant d'en arriver là pourtant, il avait dû d'abord errer – à nouveau – pendant longtemps dans les sous-niveaux de la station orbitale, pour essayer de retrouver le quartier où se trouvait la maison close. Et de là, quand il l'avait enfin retrouvée, nichée au cœur de ruelles labyrinthiques glauques à souhait, il avait fini par pouvoir parler avec la tenancière qui lui avait indiqué l'adresse de Runi de mauvaise grâce. C'était à trois pâtés de maisons. Dans un coin encore plus pauvre et misérable, s'il était possible.

Quand il avait passé quelques mois sur Terre après l'explosion de Cardiff, il avait traîné de l'autre côté du globe, dans ce pays qu'ils appelaient le Mexique et aussi dans le continent américain du sud, pendant qu'il attendait une fenêtre d'activité de la faille locale pour repartir. Et bidonville était le mot qui lui restait de cette expérience. Des maisons de carton, de papier et de boue… Les plus riches avaient de la tôle.

Il l'avait trouvée dans la rue, en train de porter une jarre d'eau sur la tête, et le dos déformé par une drôle de bosse. Elle l'avait reconnu immédiatement, mais pas lui car sa grossesse l'avait marquée, forcissant sa silhouette autrefois plus musculeuse. Elle avait posé sa jarre d'eau par terre et avait marché droit sur lui.

— Oh, mon étranger ! Juste à temps ! avait-elle murmuré avant de l'étreindre avec force et trop d'abandon pour qu'il ne s'en sente pas gêné.

Il avait aussitôt posé maladroitement des mains hésitantes sur ses épaules pour la repousser doucement. En proie à une légère émotion confuse, elle avait acquiescé puis, devant tout le monde en pleine rue, avait défait la grande étole qui l'entourait pour soudain faire apparaître ce qu'il y avait dans son dos : un bébé.

Et maintenant, il tenait ce minuscule petit paquet de chiffons couleur safran d'où émergeait un petit visage brun en forme de cœur aux yeux encore plus bleus que les siens et une bouche framboise brillante finement ourlée. Elle n'avait pas un cheveu sur le caillou, mais même chauve, elle était indéniablement féminine. Elle le regardait de tous ses yeux pendant qu'il s'étonnait de ce qu'elle ait l'air furieuse après lui, mais pourtant pleine de fascination pour ses boucles blondes, vers lesquelles elle tendait ses petits doigts visqueux.

— Pourquoi a-t-elle l'air d'être en colère contre moi ? demanda-t-il sans pouvoir la lâcher du regard.

— Moi parle de toi tous les jours. Toi enfin venu. Petite Reine enrage souvent son père ne l'aime pas assez pour venir la reconnaître.

— Comment l'as-tu appelée ? Petite Reine ? C'est son nom ?

Runi secoua la tête en reprenant sa fille. Elle caressa son front d'un bout de doigt qu'elle fit courir sur son nez et puis la reprit pour la bercer et qu'elle se calme un peu.

— Pas son nom. Nom de bébé. C'est toi qui donnes le nom à ta fille, pas moi.

— Je ne sais pas comment l'appeler, je n'y ai pas réfléchi… tenta-t-il d'éluder.

— Gulnac appelle toi « Jonago »… dit-elle timidement.

— C'est parce qu'il trouve mon nom est trop difficile. Je m'appelle Hartshorne.

— Altsholnn ?

— Hartshorne. Mon prénom est Jonas, mais je ne l'aime pas. Gulnac m'appelle Jonago parce que quand nous étions au camp scout… enfin, dans son école… ses amis et lui étaient toujours après moi. Et je leur disais toujours de s'en aller et de me laisser tranquille : « go » en standard. Je suis donc devenu pour eux Jona-go.

— Que veut dire ton nom ?

— Il ne vaut mieux pas que tu le saches, je perdrais tout ton respect…

Runi fronça les sourcils et eut un mouvement instinctivement enveloppant pour protéger pour le bébé.

— Ton nom est esprit protecteur, tu dois l'aimer sinon pas efficace. Toi veux pas transmettre protection à ta fille ?

— Je ne comprends pas, soupira-t-il. Un nom, c'est juste un nom. J'en ai plusieurs.

Elle cligna des yeux avec un air étrange et un peu perdu ou déçu.

— Viens, soupira-t-elle, pas rester ici pour parler. Toi porter l'eau du bain-bébé ?

.°.

 

RUNI

Elle n'avait pas pu dormir. Et n'aurait même pas voulu non plus !

Runi se trouvait sur sa maigre paillasse étroite qu'elle avait eu honte de proposer au bel étranger qui reposait sur le dos à ses côtés. Sa fille, endormie entre ses bras, faisait des bulles de bonheur. Par les dieux ! Qu'il était magnifique ! Elle en aurait presque tremblé d'admiration et d'intimidation. Pour un peu, elle aurait pu envier Petite Reine de se trouver ainsi nichée sur sa poitrine.

Bébé avait été fascinée par la pâleur de ses cheveux et ne l'avait pas quitté des yeux pendant tout son bain et pendant la tétée, pleurant à chaque fois qu'il disparaissait de sa vue, au point qu'il avait dû s'allonger auprès d'elles pour attendre qu'elle s'endorme.

Sauf qu'il s'était endormi le premier.

Immobile, elle s'était rempli les yeux de son image et de sa beauté racée, rêvant d'embrasser ses pommettes félines, de mêler son souffle au sien, et de presser le bronze de sa peau contre sa peau de lune. Oh, elle aurait tout fait pour revivre ce moment magique où il avait mis Petite Reine en elle... Elle savait très bien qu'elle n'avait aucune chance de pouvoir le retenir auprès d'elle, dans sa maison si misérable, car les Favoris avaient un autre destin que les autres gens, aussi n'y songeait-elle même pas. Elle était juste extrêmement heureuse et reconnaissante que les dieux l'aient envoyé à temps pour qu'il puisse reconnaître sa fille.

Petite Reine avait le même aiguillon que son père et elle promettait d'être également splendide en grandissant. Runi savait pourtant que de trop grands attraits physiques pouvaient être une malédiction. Maintenant que son père l'avait reconnue, il pourrait s'opposer aux décisions qu'allait prendre son futur mari. Elle savait pertinemment que dès ses dix ans, Petite Reine pouvait être automatiquement mise en location dans une maison de plaisir où sa beauté permettrait à son beau-père d'en tirer plus d'argent qu'avec n'importe quel autre travail, surtout s'il était honnête…

Il fallait qu'elle en parle à son bel étranger, qu'elle lui fasse dire, avant qu'il parte, le nom de sa fille et ce qu'il voudrait pour elle… C'était important.

Le point du jour serait bientôt là. Mais il dormait si profondément qu'elle n'avait pas le cœur de le réveiller car il avait l'air fatigué et malheureux. Et puis d'après son expression actuelle, le Dieu lui dispensait une vision onirique.

.°.

 

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