Dernier taxi pour Salkinagh

Chapitre 8 : C7 : Le terroriste et le prisonnier

4717 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/11/2016 17:39

CHAPITRE VII : Le terroriste et le prisonnier

JOHN HART

Il avait été traîné devant le feu que les hommes avaient allumé à la tombée de la nuit, au beau milieu de l'esplanade principale devant l'usine. Les rebelles s'y étaient installés comme chez eux pendant que les membres du personnel s'étaient terrés prudemment dans les bâtiments. Aucun ne faisait mine d'en sortir, surtout après avoir vu ce qui était arrivé à Cormack et à lui-même… De leur côté, les types armés chargés de la sécurité s'étaient fait décimer en grande partie et les survivants avaient été contraints de se retrancher un peu plus loin, à l'extérieur des grilles d'accès de la zone d'atterrissage. Il ne savait pas s'ils attendaient que les rebelles se fatiguent ou simplement des renforts. Donc pour l'instant, Cormack et lui étaient tout seuls…

On lui avait intimé de rester là sans bouger et de fermer sa gueule surtout, car le chef allait venir pour lui parler. Il s'était donc assis par terre pour attendre, dardant de droite et de gauche quelques œillades soigneusement nonchalantes pour compter le nombre d'ennemis, repérer leur armement ou tâcher de comprendre ce qu'ils racontaient… Les rebelles ne se gênaient pas pour parler tout haut devant lui, persuadés qu'il ne comprenait rien. En fait, John ne comprenait pas grand-chose… Mais c'était toujours nettement mieux que « rien ».

Le « chef » avait l'air de les impressionner. Franchement pas causants, ils se contentaient tous d'arborer au fil de leurs rondes, des mines sombres à demi cachées par leurs cagoules, les mains crispées nerveusement sur leurs belles grosses mitrailleuses flambant neuves… Avec un petit sourire narquois, John ne pouvait s'empêcher de penser que ça devait être leur première fois avec une arme. Comme leur nom l'indiquait, les guerres civiles projetaient des quidams dans la tourmente – par essence des hommes peu habitués à ces situations, parfois trop jeunes, parfois trop vieux, rarement suffisamment disciplinés… A bien y repenser, il n'avait jamais été très obéissant lui-même, et savait qu'il pouvait faire pour cette raison, à la fois un très mauvais soldat mais un précieux combattant quand même…

Depuis un moment, il avait repéré que l'un des hommes, petit et un peu fluet, le regardait fréquemment en déguisant mal son intérêt. Centimètre par centimètre, il avait fini par s'approcher subrepticement, jusqu'à ce que les autres trouvent normal qu'il se trouve à une distance de plus en plus réduite – ou qu'ils soient trop fatigués pour y prêter encore attention. Une grosse journée pour eux, sans doute. Et comme leur chef tardait à se montrer, de fait, ils relâchaient leur vigilance.

John se dit qu'il avait simplement une touche, avec un peu de chance. Jack était bien meilleur que lui au jeu de la subornation sexuelle, mais ses options étaient maigres en l'état actuel de la situation, il allait donc devoir s'appliquer un peu. Retourner l'un des rebelles en sa faveur pouvait lui offrir une chance de s'échapper seul, mais ça ne lui plaisait pas. Il avait besoin de la paie de Cormack, il avait surtout besoin d'avoir aussi une très sérieuse discussion avec lui, maintenant qu'il savait qu'il n'était pas exactement ce qu'il donnait l'air d'être…

Il revint à la réalité quand il vit que sa future victime s'était suffisamment rapprochée, lui avait souri, et avait levé trois doigts en croisant le pouce et l'annulaire, très brièvement avant de chuchoter le plus bas qu'il pouvait :

— Hey ! Salut vieil attardé ! Je pensais bien que c'était toi !

John tourna ses yeux bleus interrogateurs sur lui. Entre le signe de la main et le petit surnom, il ne mit pas longtemps à se rappeler dans quelles circonstances il s'était fait rebaptiser comme ça. Quelques mois plus tôt, il s'était rendu au « camp de boy-scouts » sur la station orbitale de Velquesh… Même s'il préférait l'appeler ainsi, ça n'avait aucun rapport avec du scoutisme. Il n'était pas encore complètement à l'aise avec la nature de l'enseignement reçu, pétri de nombreuses convictions spirituelles du peuple local, quoique dans les faits éminemment pratique.

Voyant qu'il ne réagissait pas, l'homme leva un peu sa cagoule, révélant son teint sombre et des yeux noirs légèrement bridés au-dessus de pommettes saillantes. John finit par reconnaître l'un des jeunes qui partageait son dortoir quand il y était.

Etrangement, il se retrouva subitement douché. En théorie, ça n'aurait pas dû. Qu'en avait-il à battre au bout du compte ? C'était juste un mioche… mais un mioche qu'il connaissait un peu. Qu'il soit là devant lui, avec une arme tellement grosse qu'on aurait dit qu'il pouvait à peine la porter était insidieusement contrariant, et l'idée de devoir se servir de son ascendant sexuel sur lui le faisait tiquer. Les adultes, tant qu'on voulait, et plutôt deux fois qu'une. Mais les enfants…

— Salut gamin ! Je t'ai à peine reconnu. T'as pris vingt bons centimètres depuis la dernière fois… Gultac, c'est ça ?

— Gulnac, corrigea-t-il sans donner l'impression d'être contrarié par sa petite méprise.

John se contenta de hocher la tête brièvement en faisant mine de regarder ailleurs. Il n'avait pas envie que les autres s'intéressent de trop près à leur conversation.

— Alors ? Qu'est-ce que tu deviens ? chuchota-t-il pourtant.

— Terroriste, j'imagine. Et toi ? répondit-il les yeux brillants d'amusement.

Ah, misère ! Il était si jeune qu'il prenait tout ça pour un jeu.

— Prisonnier pardi, soupira-t-il en lui balançant avec un petit peu de culpabilité l'un des regards accrocheurs qui marchaient bien sur Jack.

Il n'aimait pas « jouer » avec les petits garçons. Pas avec le passé qu'il avait. Le tout jeune homme gloussa un peu en sourdine, les yeux pétillants.

— Tu m'as manqué, l'Etranger. On ne se marrait plus autant quand t'es parti… Tu aurais dû faire le 2e cycle avec nous, c'était cool quand tu répondais au Connaissant.

— Tu m'étonnes que c'était cool !... Mais j'avais pas que ça à faire… Toi par contre, tu devrais encore y être, non ? Qu'est-ce que tu fiches ici ? C'est pas très malin de sécher pour jouer à la guerre…

Le gamin roula des yeux et soupira, jouant nerveusement avec le cliquet de sécurité de son arme. John se demandait s'il pouvait envisager de se libérer tout de suite et de la lui prendre. Ce serait probablement facile car le gosse ne s'y attendrait pas. Il avait l'air sincèrement content de le revoir. Et s'il voulait être honnête, John devait reconnaître que lui aussi, car d'après ses souvenirs, c'était un bon petit gars.

— Va dire ça à mon frère… Il m'a obligé à venir ici. Je dois lui obéir. Si tu veux, je peux rester avec toi jusqu'à ce qu'il arrive.

— C'est lui « le chef » qui fait peur à toute ton unité ?

— Oui.

— Pourquoi il leur fait peur ? s'enquit John qui aimait bien savoir à qui il avait affaire.

Gulnac haussa une épaule et rétorqua avec une moue boudeuse :

— Parce qu'il est cinglé… Il est trop passionné mais il va pas dans sa tête. Il déforme les textes sacrés. Je ne l'aime pas.

— Qu'est-ce qu'il nous veut ?

— Je suis même pas sûr qu'il y ait réfléchi...

Le garçon avait débouté la question d'un geste ennuyé, puis il l'avait regardé avec un sourire malicieux pour changer de sujet.

— Dis ?… Cet homme qui est dans le hangar, est-ce que c'est ton… vanati ?

— Non, c'est un client.

Le jeune garçon s'étonna de cette réponse et demanda d'un air incrédule :

— C'est lui qui te paye ? D'habitude, c'est les vieux qui paient des plus jeunes pour coucher avec, non ?…

— On n'a pas ce genre de relations, corrigea John avec un coup de prunelle charbonneuse. Je suis chargé de l'emmener ici et de le ramener chez lui. Et d'ailleurs pour ce qui est de le ramener, ça me soucie un peu. Il lui veut quoi, ton frère ? Réponds-moi.

— Il veut l'échanger contre des crédits, soupira le petit avec dédain. Il a entendu dire qu'il travaillait pour une très riche et importante société... Sur Velquesh, il paraît que les rues sont pavées d'argent… ça ne leur fera rien de donner un petit bout de rue pour lui…

— Tu ne vas pas croire ces conneries ? Il y a du bitume, c'est tout.

— Ne dis pas ça devant mon frère !… Il croira que tu le provoques en voulant saper son autorité. C'est quoi le bitume, ça vaut cher ?

John soupira à son tour en retrouvant les souvenirs de la curiosité omnivore dont étaient affligés les jeunes qu'il avait côtoyés sur la station orbitale. Ils passaient une bonne partie de leur nuit à le bombarder de questions toutes plus saugrenues les unes que les autres… A bien y repenser, il se souvint aussi qu'une fois, Miss Watts avait essayé de faire la même chose et il se demanda si c'était un vrai problème des gens du coin ou si c'était juste les jeunes. Car somme toute, elle était jeune elle aussi –cette mère sans cœur qui voulait abandonner ses enfants.

— Comment compte-t-il s'y prendre pour faire sa demande de rançon ? questionna John.

— Ton client va bien finir par manquer à quelqu'un. Ses chefs vont envoyer une personne pour savoir ce qu'il est devenu. Il suffit d'attendre…

— Quoi ? s'égosilla le plus vieux. Mais ça va prendre des jours ! Non non non. Moi, je ne reste pas ici. C'était mon dernier job. Et je ne peux pas quitter Portabaal si je ne suis pas payé pour ma course…

Le visage du jeune homme se plissa aussitôt, mécontent et soupçonneux.

— Pourquoi veux-tu partir ? Pour aller où ? Tu ne peux pas, tu dois rester ici !

L'expression de John était sarcastique et signifiait qu'il ferait bien ce qu'il voulait de sa vie, mais l'autre reprit d'un ton mêlé de patience et d'insistance :

— Tu es un favori de Portabellion et Portabellion est puissant ici. Si tu restes, tu seras toujours protégé et bien traité. Portabellion a déjà béni ton union avec ma cousine, c'est une preuve.

Cette annonce le prit complètement au dépourvu et lui fit lever un sourcil inquiet.

— « Béni mon union » ? Qu'est-ce que tu racontes ? Je ne suis pas marié ! Et de quelle cousine tu me parles ?

— C'est Runi. Elle est grande et brune… Elle travaille à la Maison Pointue sur la station orbitale… Elle me parle souvent de toi.

— Qu… quoi ? se défendit-il malgré lui. Mais je n'ai pas remis les pieds là-bas depuis des mois ! Tiens, depuis que vous m'avez fait le tatouage…

Le jeune garçon cligna des yeux et il jeta une brindille mâchonnée dans le feu qu'il tisonna discrètement avec le bout de son arme, sans le moindre respect pour le matériel.

— C'est elle qui t'a parlé de l'école ! Runi ! Tu ne te souviens pas ? Elle a dit que tu étais le Favori le plus extraordinaire qu'elle ait jamais rencontré et que tu avais donné tout ton argent pour la remercier d'avoir transmis l'oracle du Dieu pour toi…

John ouvrit la bouche. Il se serait frappé le front s'il n'avait pas eu les mains entravées dans le dos.

— La prostituée du temple ! souffla-t-il à moitié catastrophé.

— Oui ! acquiesça Gulnac avec un grand sourire radieux. Elle vient d'avoir une belle petite fille. Oh, ce sera une vraie beauté ! Elle est toute brune comme Runi et moi, mais ses yeux sont bleus comme les tiens, et sa petite bouche est si…

— Gulnac ! siffla John, cette fois furieux. Qu'est-ce que c'est que cette fable ? Ta cousine donne son corps à des centaines d'hommes et elle ose affirmer qu'elle a eu un enfant de moi ?

— Et bah oui ! répondit le jeune garçon en jetant un œil alentour car il sentait bien la nervosité du prisonnier monter avec son ton de voix. Tu ne peux pas être aussi ignorant !… Tu dormais vraiment pendant les cours ou quoi ? Quand tu as couché avec elle, tu as mis un bébé dans son ventre…

— Totalement invraisemblable… maugréa John, atterré.

— Mais si ! Runi n'était allée avec aucun homme avant toi. Et parmi les clients de la Maison Pointue les Yeux-Bleus sont extrêmement rares. Les colons ne descendent pas si bas dans la station.

— Non, tu ne comprends pas ce que je veux dire… Hier encore, j'étais libre comme l'air et aujourd'hui, j'apprends que j'ai trois rejetons qui sont tous pratiquement nés en même temps ! Merde, quoi !

— Portabellion te comble, Jonago ! s'exclama le garçon avec une sincère fierté. Pourquoi n'es-tu pas heureux ?

.°.

 

QUENTIN CORMACK

Depuis au moins une bonne heure qu'il était réveillé, ses liens lui sciaient les poignets et il était ankylosé au dernier degré. Il était seul dans un petit hangar de stockage situé derrière l'usine, où on l'avait jeté sans ménagement avec John, après l'échec de leur tentative pour regagner la navette. Plus de trente hommes leur étaient tombés dessus et malgré leurs mérites respectifs en combat rapproché, il avait bien fallu se rendre quand ils avaient été submergés par le nombre.

Les tirs entendus un peu plus tôt provenaient d'eux, quand ils avaient clairsemé la brigade de sécurité de l'usine. Cette dernière était à présent prudemment repliée, attendant ses propres renforts en provenance d'un autre site de production, à quelques dizaines de kilomètres de là. En tous cas, c'était ce qu'il avait entendu pendant la mêlée. On n'allait donc pas les aider dans l'immédiat.

Il eut un sursaut d'amusement lorsqu'il réalisa que, parti comme c'était parti, cette escarmouche allait peut-être bien conduire à allumer la mèche des hostilités latentes depuis plusieurs semaines. Si ça tournait mal, le gouvernement de Salkinagh serait contraint de réagir pour rétablir la situation… On disait les rebelles bien organisés sur plusieurs mondes de Portabaal, et le spectre d'une guerre civile généralisée ne manquerait pas d'agiter ses chaines, car tous les habitants du système étaient brassés depuis des siècles, et chacun avait toujours forcément, un frère, une sœur ou un cousin travaillant sur les différentes planètes, y compris dans le système extérieur… La demande de rançon serait prise comme une provocation à laquelle Velquesh réagirait par l'envoi de troupes, ou plus vraisemblablement de forces aériennes qui iraient bombarder en représailles toutes les places rebelles supposées… Alors Salkinagh outragée qu'on fasse aussi peu de cas de ses citoyens qui n'avaient rien à voir avec les rebelles, battrait le rappel de ses alliés, de sorte que toutes les planètes seraient impliquées en un rien de temps. Et toute cette belle pagaille aurait été déclenchée par… lui, le tranquille industriel de Guernö. Parce que « Monsieur Prothèses », comme on le surnommait par dérision, ne voulait pas renoncer à son solcicium…

Il commençait aussi à s'inquiéter de constater que John, séparé de lui et emmené prétendument pour interrogatoire, ne revenait pas depuis un temps qui lui semblait infini. Mais à peine cinq minutes après, la porte du hangar se mit à grincer et il vit qu'on poussait Hart à l'intérieur. Il avait toujours les mains entravées dans le dos, sa lèvre était fendue et ornée d'un filet de sang, mais à part ça, il avait l'air d'aller bien.

Quentin ne put s'empêcher de se demander si ça allait être à son tour de se faire cogner. Il devait absolument continuer à leur faire croire le plus longtemps possible qu'il était Paul Malgan. Car s'il devinait que détenir un cadre dirigeant était une chose commode pour obtenir une rançon, exécuter un grand patron « exploiteur » pour l'exemple, serait perçu à coup sûr comme une victoire et galvaniserait les rebelles...

Pendant que John approchait, Quentin se dit qu'un malheur n'arrivant jamais seul, la guerre fournirait en plus au gouvernement de sa planète une excuse parfaite pour mettre la main sur sa société, dont certains atouts et certaines recherches ne pouvaient que les intéresser… Il avait peur que Matthew ne soit encore un peu trop jeune pour gérer ça. Même s'il pouvait compter sur Paul pour le seconder.

— Est-ce que ça va ? lui demanda-t-il pour chasser ses pensées anxieuses.

Le sourire de John fut mitigé.

— J'en ai vu d'autres… Comme leur chef met une plombe à arriver, du coup, j'ai tâché de parlementer un peu avec eux car je connais quelques rudiments de la langue qu'ils s'obstinent à parler entre eux, au lieu du Standard.

— Parlementer dans quel sens ?

— Dans un sens qui vous maintiendrait en vie…

— Précisément, qu'avez-vous dit ?

— La vérité, répondit franchement John, amusé par son inquiétude. Que j'étais un étranger avec un permis de séjour velquashi. Que j'étais taxi interplanétaire pour vivre, et que vous étiez mon client.

Quentin eut l'air soulagé. Cette vérité-là n'était pas trop compromettante.

— Alors, ils vous ont cru ?

— Non, bien sûr ! lâcha John avec un fatalisme étudié. Pas le moins du monde… Vu le carnage à l'intérieur de l'usine, ils ont soutenu que j'étais un sale menteur et que nous étions des espions. D'où ma superbe nouvelle entaille sur la figure quand j'ai protesté de notre innocence...

Quentin le considéra un instant. Il espérait que John lui disait bien la vérité. Après tout, cet homme n'était pas forcément fiable. Il lui avait certes promis une belle somme d'argent mais qui savait si pour avoir la vie sauve, il ne pourrait pas y renoncer sans difficulté ?

— Donc vous avez fait quoi ? s'enquit-il soucieusement. Proposé tout ou partie de votre prime s'ils nous laissaient en vie ?

John le regarda d'un air outragé et mécontent, en tirant un peu vainement sur ses liens. Au bout d'un instant pourtant, ses deux mains furent libres. A la grande surprise de son client, il se débarrassa des cordes fumantes en les jetant par terre, puis vint à lui en faisant un geste pour qu'il se lève et lui permette de le détacher aussi.

— Céder MA prime à ces hurluberlus ? Vous rigolez ! J'ai attendu assez longtemps pour pouvoir me tirer d'ici, ce n'est pas pour la laisser filer comme ça… Non. En fait, ils ont été étonnés que je puisse parler un peu quelques mots et que je sache deux ou trois trucs sur leur religion.

— Je ne vous imaginais pas aussi pieux, M. Hart.

L'interpellé se mit à rire doucement en continuant à le regarder avec son impudeur coutumière si désagréable à supporter, avant de se mettre triturer les cordages dans le dos de Quentin. Le jeune homme entendit un petit grésillement léger et ses poignets furent enfin libres sans trop qu'il sache comment il avait fait. Il se massa aussitôt pour rétablir la circulation.

— Je suis « très pieu » en effet mais pas au sens où vous l'entendez. Enfin, je l'étais... Ils m'ont ramené ici parce que je les ai suffisamment intrigués pour qu'ils demandent à faire venir un de leurs généraux, en plus de celui qu'on a déjà attendu trop longtemps...

— Magnifique ! répliqua Quentin en se frottant toujours les poignets. Ça donnera aux renforts le temps d'arriver et peut-être de nous tirer de là… Vous avez fait quoi, sans indiscrétion ?

— Un concours de tatouage et apparemment j'ai gagné…

Quentin le fixa d'un air complètement perdu. Il était vraiment difficile à suivre.

— Ah vous savez bien… Montre-moi le tien et tu verras le mien…

— Vous pouvez être sérieux deux minutes ?

— Je le suis, répondit Hart avec un petit sourire peu crédible.

En relevant la manche courte de son tee-shirt qui couvrait le haut de son épaule gauche, il révéla pourtant l'étoile à boucles de Portabellion qui était d'un bleu intense.

— Dès qu'ils l'ont vue, ils ont reculé et c'est tout juste s'ils ne se sont pas excusés de m'avoir frappé… ça les a mis mal à l'aise, je crois. Enfin, on s'en fiche. Si on arrive à sortir de ce hangar et à regagner le vaisseau, je peux nous faire décoller très vite en profitant de la nuit. L'idéal, ce serait vraiment qu'il y ait une diversion pendant ce temps… J'avais eu le temps de charger la caisse dans la soute avant qu'on ne soit submergés par le nombre…

— Une diversion ? Ce serait bien oui, murmura l'industriel. Mais de mon côté, je peux prévenir mon service de sécurité sur Velquesh et l'informer de notre situation pour qu'ils puissent éventuellement voir comment nous aider. Mais si l'info de ma prise en otage fuite, il y aura des conséquences graves à une échelle qui dépasse de loin nos deux seules petites personnes.

— Il faut quand même prendre ce risque, opina John. Car pour l'instant, ces charlots comptent juste attendre que vos employés leur dépêchent quelqu'un pour servir d'intermédiaire au paiement de la rançon qu'ils comptent demander… On pourrait rester prisonniers pendant plusieurs jours, ils s'en foutent totalement. Et j'ai cru comprendre que ça vous arrangeait aussi peu que moi ?... Qu'est-ce que vous avez pour communiquer à une aussi longue distance ?

Quentin ne répondit pas et sortit juste de sa poche un petit rectangle de métal mince d'environ 4 cm. Il pressa l'objet brièvement entre le pouce et l'index sous le regard interrogateur de John, et… rien ne se passa. Le plus vieux des deux se frotta le menton en essayant de ne pas avoir l'air trop sarcastique, mais finit par demander au bout d'une minute :

— C'est censé faire quoi, au juste ?

— J'ai envoyé un SOS, la réponse ne va pas tarder. Enfin j'espère.

— Quel genre de réponse ?

— Vous verrez.

Mais il ne vit rien, car quelques dizaines de minutes plus tard, les rebelles revinrent le chercher une nouvelle fois : le commandant avait fini par arriver et voulait l'interroger en personne. Et quelque chose disait à John qu'il serait beaucoup moins facile à circonvenir que son petit frère Gulnac.

.°.

 

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