Dernier taxi pour Salkinagh

Chapitre 7 : C6 : Le ralentisseur de temps

4839 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/11/2016 05:55

CHAPITRE VI : Le ralentisseur de Temps

JOHN HART

Au commencement, tout s'était plutôt bien déroulé. Cormack avait repassé une veste sur sa tenue pour la rendre plus formelle et il était sorti de la navette avec Hart sur les talons. Deux hommes s'étaient approchés des barrières du poste de contrôle et de sécurité qui séparait la zone d'atterrissage de l'accès à l'usine pour venir les accueillir. John repéra immédiatement que le vigile de faction était assez légèrement armé, ce qui n'avait rien d'inhabituel. Par contre, les patrouilles qu'il discernait en jetant un œil acéré sur les moniteurs de contrôle dans sa petite guérite, étaient plus révélatrices du niveau d'alerte où se trouvait plongé le secteur… L'homme qui se présenta comme le responsable de la production sur le site avait un sourire du dernier faux-cul.

Non sans lui adresser une œillade dédaigneuse au passage, il leva son unique badge visiteur d'un air confit, et « Guelgek Mandakar » l'informa qu'il n'avait pas prévu un accompagnateur. Quentin fut merveilleusement courtois, compréhensif… et ferme. John resterait et saurait se faire oublier. Malgré la politesse de Cormack, l'autre avait l'air un poil contrarié. John commençait à se dire que son client était sans doute au courant de bien plus de choses qu'il ne l'avait dit et s'appliqua à se rendre passablement invisible, tout en étant là. Il n'aimait pas la légère transpiration qu'il voyait perler sur le front de leur comité d'accueil. C'était clair qu'il faisait chaud sur ce satellite, pourvu d'un volcanisme souterrain dû à l'attraction inlassable de la planète voisine et d'une géothermie vivace qu'on surveillait comme le lait sur le feu, mais tout de même. Cela laissait l'impression qu'il n'était pas tranquille.

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En cheminant depuis le PC sécurité vers le bâtiment principal, ils soulevaient une petite poussière fine sur le sol sablonneux légèrement ocré comme celui de Mordarkand, qui venait tenir leurs chaussures.

A l'intérieur, ils furent orientés rapidement vers une salle de réunion proche de l'entrée. Avant de les suivre, John s'attarda sur la configuration intérieure des lieux et observa le manège d'un petit robot circulaire et plat qui nettoyait leurs traces de pas. Il cherchait bien entendu à enregistrer la disposition générale et le nombre de portes et de sorties. Tout était d'une propreté clinique, ce qui lui laissait penser que cette usine était la raffinerie et que l'extraction, beaucoup plus salissante, devait se faire ailleurs… L'espace était rationnellement organisé : un grand accueil, un comptoir derrière lequel un standardiste falot prenait les appels ou signait des bons de livraison, et deux couloirs menant l'un vers les bureaux d'un côté, l'autre vers les zones de production.

Parvenus en salle de réunion, Mandakar et Cormack s'installèrent autour d'une table en faux bois rouge précieux, probablement destinée à l'impressionner et John jouant son rôle, resta debout à quelques pas de là, près de la porte. Quand le responsable de la production lui demanda s'il n'allait pas s'asseoir, le taxi et garde du corps déclina d'un bref signe de tête muet tandis que Quentin expliquait qu'il était uniquement là pour le conduire et veiller à sa sécurité, sans prendre part à la transaction.

Le chef de la production embraya alors sur un discours de bienvenue manifestement préparé, lui assurant qu'il était ravi de le voir et de pouvoir lui certifier que a) l'usine était particulièrement bien protégée sans subir encore beaucoup d'attaques rebelles, b) la production n'avait pas eu à en souffrir, et c) tout un tas de blabla que John supposa à juste titre, émis pour rassurer son client.

Comme prévu, Cormack ne tarda pas à produire des documents avec son échéancier de commandes futures qu'il détailla et commenta point par point avec son vis-à-vis. John ne s'intéressait pas au contenu de la conversation, mais il n'aimait pas ce type dont le sourire crispé lui paraissait sonner faux. Il se demanda brièvement s'il pouvait être intimidé par un « personnage » de la stature économique de Cormack et qui aurait le mettre éventuellement mal à l'aise… Mais au motif de quoi ? Une prise de fonction trop récente ? Un contremaître monté en grade trop rapidement et peu habitué à négocier avec les gros clients ?...

L'acolyte de Mandakar n'avait pas été présenté mais agissait proprement comme s'il était son assistant, prenant en note certaines choses, lui tendant les papiers nécessaires pour étayer ses propos. Si ça marche comme un canard… se disait John en réprimant un sourire. Il remarqua qu'il touchait fréquemment son oreillette, comme s'il communiquait avec quelqu'un… Peut-être écoutait-il seulement les messages laissés sur le téléphone de son patron. Ou pas…

Au bout d'une demi-heure passée à les regarder palabrer d'un air satisfait, John perçut subtilement une certaine agitation sous-jacente lorsque le chef de la production dépêcha son assistant chercher un container qui était censé contenir un petit chargement de ce fameux solcicium, et dont il était apparemment convenu d'avance qu'il devrait être rapporté sur Velquesh… La petite sensation familière à l'arrière du crâne de John se mit à le démanger.

Cormack et son fournisseur devisaient pourtant très calmement quand M. Sanstitre était revenu. Il portait une petite caisse à grosses poignées qu'il posa sur la table avant de se reculer de quelques pas, comme pour prendre un énième appel. Puis il demanda à son chef s'il pouvait sortir une minute pour ne pas les déranger et Mandakar lui donna son autorisation avec un geste vague de la main et une indifférence soigneusement étudiée.

John observa les deux hommes restant dans la pièce se serrer la pogne et échanger courtoises politesses et sourires pleins de satisfaction. Mais lorsque Quentin lui signifia d'un regard que ce serait à lui de porter la caisse, John ouvrit la bouche pour la première fois en s'adressant au responsable de production :

— Monsieur, pouvez-vous ouvrir ce container, s'il vous plaît ?

Quentin allait lui rétorquer que ce n'était pas nécessaire quand il perçut lui-même le malaise de l'homme qui leur faisait face. Il désamorça aussitôt d'un sourire et plaisanta :

— Ah, le capitaine est toujours seul maître à bord une fois en vol et il s'assure de ce qu'il va avoir à transporter, c'est normal…

Le type de l'usine lissa ses cheveux un peu dégarnis vers l'arrière et sembla s'aviser en s'approchant d'elle qu'il manquait quelque chose.

— Bien sûr, vous pouvez ouvrir pour vous assurer que tout est là pendant que je vais chercher le bon de colisage…

John eut un rictus.

— Ne vous donnez pas cette peine. Je vais trouver votre assistant pendant que vous allez ouvrir le container…

Cette fois, Quentin fut sûr que John était méfiant pour une raison qui lui échappait : et pour cause. Le processus par lequel John devinait presque magiquement que quelque chose allait mal tourner n'avait rien de sensible pour autrui…

— Montrez-moi, encouragea Quentin, j'ai hâte de contempler la qualité de ce dernier lot dont vous me dites tant de merveilles…

Il fit un signe de tête à John qui ouvrit la porte pour repérer celui qu'il cherchait un peu plus loin dans le couloir. Il laissa la porte ouverte derrière lui et marcha à grands pas vers l'assistant dont la main semblait vissée à son oreillette. Tout dans sa ligne d'épaule et sa posture indiquait qu'il était terrorisé.

— Toi ! l'interpela John en le faisait sursauter. Où est le bon de colisage qui nous permettra de passer la douane de Velquesh ?

— Oh… Je suis confus, bredouilla le jeune homme. Je croyais l'avoir mis avec…

— Non, il n'y est pas.

La consternation se peignit sur ses traits.

— Je suis navré. Venez avec moi, je vais vous éditer un double…

— Je vous attends ici.

— Bien… comme vous voudrez, je vais le chercher ! lança l'assistant flippé en partant comme s'il avait le diable aux trousses.

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John savait qu'il pouvait produire un effet plutôt intimidant et désagréable sur certains mais il n'était pas sûr que ce fût le cas présentement… Du coin de l'œil, il venait de repérer du mouvement juste derrière lui et soudain, le hall était envahi par une escouade d'une douzaine d'hommes, tous armés et cagoulés. A dix contre un, les fameux rebelles…

— Et merde ! souffla-t-il en voyant la plupart des types s'engouffrer dans la salle de réunion où Cormack était resté tout seul.

Deux des hommes masqués marchèrent sur lui directement avec assurance et il les laissa venir. Dès qu'ils eurent mis la main sur lui, ils comprirent aussitôt leur erreur. Dans un mouvement fluide d'une rapidité qui leur sembla inconcevable, John en avait attrapé un par le bras, l'avait tordu dans son dos, chopé son arme avec l'autre main, tiré sur le second assaillant tombé en se tenant la cuisse, et abattu la crosse de l'arme qu'il venait de leur prendre sur la nuque du premier. Tac, tac, tac. Réglé. Suivants ?

Tournant la tête vers la salle de réunion, il vit que la porte de celle-ci avait été refermée, mais par le mur vitré juste à côté, la scène qui se déroulait à l'intérieur était tout à fait visible : un rebelle agité était en train de menacer le responsable de production ainsi que Cormack en leur brandissant une arme sous nez… Ce crétin vociférait et semblait tenir un papier. Pitié, une liste manuscrite de revendications, sérieusement ?

John ne fit ni une ni deux, et tira dans la vitre…

— Bordel !

Il avait juste eu le temps de se jeter de côté pour éviter la balle qui avait ricoché vicieusement selon un angle dangereux. Pas de bol, c'était de l'ultraglass… Le petit « ping » qu'avait fait la balle contre ce maudit matériau avait cependant attiré l'attention de Quentin et John lui fit signe de s'écarter de la porte. Les six rebelles qui se trouvaient à l'intérieur avaient compris que quelque chose allait de travers et s'étaient mis à brailler en frappant sur l'ultraglass pour attirer son attention. Par gestes, ils tentaient de lui faire savoir qu'ils n'hésiteraient pas à abattre leurs prisonniers s'il tentait quelque chose…

John opina exagérément, puis avec un large sourire, les ignora en faisant feu à plusieurs reprises. Les impacts avaient découpé un demi-cercle en pointillé autour de la poignée qu'il se fit un devoir de faire céder à coups de pieds. On ne négociait pas avec les terroristes, pas vrai ? Avec les portes non plus.

A l'intérieur de la pièce, le claquement d'une balle retentit et son sang se glaça. Il se précipita sur la vitre pour voir qui avait été touché... Et ce qu'il constata à ce moment lui parut d'une totale et invraisemblable coolitude qui lui donna des frissons. Tandis que Mandakar pissait pitoyablement le sang par terre, Quentin Cormack, 47e du nom, Président Directeur Général de Cormack Industries zé Systèmes – métrosexuel milliardaire inutile et proie favorite du gratin mondain de Guernö – était en train de se battre… comme. un. dieu !

Et la façon efficace et économe dont Monsieur le Client leur défonçait la gueule était proprement jouissive à observer. Quelques secondes, John se laissa prendre malgré lui par l'envoûtante chorégraphie de ses pieds et ses poings assurés et précis qui frappaient de droite et de gauche, bim ! bim ! bim ! Juste comme il aimait… Incroyable ! Il connaissait ces gestes qui semblaient hypnotiques pour tout observateur extérieur et il les appréciait de tous ses yeux, car il ne les avait plus vus depuis très longtemps. Il ne savait ni pourquoi ni comment mais ce petit cachotier avait un ralentisseur sur lui ! Par quel luxe de moyens avait-il pu s'en procurer un ? Il lui poserait la question plus tard !… Il s'ébroua pour s'arracher à cette contemplation fort festive et leva un talon déterminé pour enfoncer la porte qui céda enfin. 

Une fois dedans, Il se joignit spontanément à lui dans la bataille en se ruant sur le premier assaillant venu. Il envoya un type de cent kilos valdinguer contre l'un de ses camarades qu'il voyait pointer son arme sur Cormack. Un flingue par terre lui faisait de l'œil, il mais ne fut pas tout à fait aussi rapide que son client qui l'avait déjà ramassé et tiré deux fois en l'air pour figer tout le monde sur place.

Deux des rebelles restants se précipitèrent tout de même sur le jeune patron avec l'idée de le désarmer et il les considéra avec une brève contrariété, avant de leur tirer dans l'épaule pour les stopper. John qui avait sa botte plaquée sur une gorge, lui lança :

— Si vous avez une question ou deux à poser, celui-là peut encore répondre…

Se retournant d'un air légèrement surpris comme s'il avait oublié qu'il était là, Cormack hocha la tête sur cette suggestion de bon sens et vérifia calmement le chargeur de son arme pendant qu'il la pointait sur l'homme à terre.

— Qui vous envoie ?

— Vous n'êtes qu'un salaud de velquashi ! Un exploiteur et un affameur ! éructa l'homme au sol avec un accent à couper au couteau.

— Mais encore ? Que voulez-vous ?

— Nous voulons que vous disiez à votre patron que les richesses de Salkinagh sont aux salkinaghi ! Le temps du pillage organisé de nos ressources est fini pour vous et toute votre clique ! Nous sommes des milliers et nous allons nous battre ! Nous allons reprendre notre terre aux oligarques pourris qui la…

L'un des hommes à terre qui s'était fait assommer commença à marmonner quelque chose en fourrageant sous son gilet pare-balles et Quentin braqua les yeux sur lui avant de tirer sans même viser. En toute honnêteté, John était plus qu'impressionné. C'était au bas mot, l'événement le plus fantastiquement excitant de tous ces derniers mois ! La nuit dernière exceptée, bien entendu… Il accentua sa pression sur la gorge du prisonnier rebelle en pesant de tout son poids.

— On vous a mal informé, répondit froidement Quentin. Nous ne pillons pas. Nous payons les produits raffinés ici et à prix d'or. Ce n'est pas le sens exact du mot « pillage ».

La bouche de l'autre ricana méchamment sous la semelle de John qui écrasa plus fort, ce qui le fit s'étrangler et tousser.

— Votre patron est pourtant riche à milliards, Monsieur Malgan, machonna-t-il comme si prononcer son nom le dégoûtait.

— Je suis au courant, répondit Quentin avec un humour froid qui lui plaisait. Croyez donc qu'il pourrait, de ce simple fait, mettre beaucoup de ses ressources au service de votre traque et du démantèlement de vos ridicules petites cellules, pour la seule préservation de ses intérêts commerciaux… Et tout ça sans attendre une quelconque implication politique du gouvernement, ajouta-t-il. C'est ce que vous voulez ? J'imagine que non. Si vous voulez la vie sauve, commencez tout de suite par me donner le nom de votre indicateur. Vous avez forcément eu un complice qui vous a parlé de ma venue.

— Jamais !

Quentin lui adressa un genre de regard annonçant clairement que ce n'était pas la bonne réponse, quand de nouveaux cris et vociférations joyeuses se firent entendre dans le hall.

— Nos renforts sont arrivés, jubila l'homme à terre. Par ici, il est là ! hurla-t-il pour se faire entendre.

John retira son pied et lui shoota dans la tête avec sa lourde botte renforcée. Quentin le regarda avec un petit air mi-réprobateur, mi-envieux et s'approcha de Mandakar toujours dans les vapes par terre.

— Je ne sais pas s'il était dans le coup ou s'il subissait simplement des pressions, dit-il.

— Si vous voulez mon avis, on n'a pas le temps de lui demander. Vous me payez pour assurer votre sécurité, pas la sienne. Mieux vaut se tirer de là tout de suite…

— Hélas oui. Mais du coup, je ne sais pas ce qu'il y a vraiment dans la caisse. Si c'est du solcicium, je ne peux pas le laisser, si c'est une bombe, j'hésite encore… fit-il avec un petit sourire.

John l'imita et commença à relever ses manches en se dirigeant vers le petit container. Cormack se méprit sur son geste et tenta de l'arrêter.

— Non ! Je ne vous paye pas pour ça !

— Qui vous a dit que je voulais l'ouvrir ? Je veux seulement le scanner… Reculez un peu, ce sont de bons vieux rayons Xn et ils sont nocifs à trop forte dose.

John présenta son bras gauche où le bracelet qu'il avait d'à moitié incrusté dans sa chair, se mit à lancer un petit rayon en éventail quand il pressa sur l'un des boutons. Le rayon balaya la caisse de haut en bas en affichant son contenu sur le cadran intégré.

— Ok, M. Cormack, j'ai deux nouvelles pour vous, une bonne et une mauvaise…

— Il y a du solcicium et une bombe par-dessus ? proposa Quentin avec une petite grimace.

— C'est ça.

— La bombe a-t-elle un retardateur programmé que vous voyez tourner ?

— Non.

— Alors on embarque ! Si on s'en sort, le labo la désamorcera. Comment ça se passe dehors, selon vous ?

Hors les murs, un tir en rafale nettement audible lui répondit sans équivoque et John hocha la tête.

— A vue de nez, le service de sécurité de l'usine tient le coup...

— Parfait ! fit Cormack. On retrouve l'assistant, on prend le bon de colisage pour la douane, et on s'en va !

John se racla la gorge pour tâcher de rester poli.

— Vous êtes sûr que la paperasse est bien utile dans ces circonstances ?

— Tout à fait sûr ! Si je n'ai pas le bon, la douane va la bloquer. Elle me demandera donc de l'ouvrir, ou elle essaiera de le faire elle-même et alors la bombe explosera. Par conséquent, c'est moi qui passerai à la postérité pour un terroriste bien posthume…

— Allons, allons, pas de défaitisme. J'ai comme dans l'idée que vous pourriez très bien « mourir un autre jour ».

Quentin détourna les yeux avec un léger sourire rentré qui le rendit très séduisant parce qu'il avait l'air un peu embarrassé et fier à la fois. John prit la caisse sous son bras et ils sortirent de la salle de réunion dévastée, enjambant les corps et le sang qui s'étalait paresseusement en de longues flaques inexorables.

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Au pas de course, Cormack s'approcha du comptoir de l'accueil et découvrit le standardiste tremblant de peur tout recroquevillé à terre près de sa chaise.

— Hep ! Si vous pouviez appeler les secours pour votre patron, je pense qu'il apprécierait… Où est le bureau de son assistant ? J'ai des documents à récupérer.

Le jeune homme brun tout maigre et pâle comme la mort, tendit le bras dans la direction du couloir des bureaux et dit :

— Troisième porte à droite !

— Vous y allez ? proposa-t-il à John. Moi je vais essayer de voir par quel côté on pourrait accéder à la navette sans se faire mitrailler…

— Je ne sais pas si je peux vous laisser sans surveillance, protesta-t-il.

— Je promets que je ne ferai pas de bêtises, assura l'industriel. Et… il me reste une arme.

Argument décisif s'il en était, étant donné qu'il l'avait vu s'en servir...

John partit à reculons pendant quelques pas pour continuer à le fixer. L'évidence était rude à accepter mais elle était là sous ses yeux : le playboy milliardaire était bien plus que ce qu'il disait être. Il faisait, ou avait fait partie, d'une organisation paramilitaire. Tous les indices étaient là ! Il était en condition physique, il était entraîné, il pouvait se battre, savait se servir d'une arme, piloter à peu près un appareil même s'il ne le connaissait pas, et réagissait avec sang-froid…

Mais il y avait deux autres points qui troublaient John encore un peu plus fort que le reste : deux détails qui faisaient courir son sang plus vite. Le premier, c'était quand il lui avait demandé après la poursuite dans les débris s'il avait oublié qu'il fallait toujours être deux pour partir en mission. Et le second, c'était qu'il avait un retardateur… Personne n'avait plus de retardateur. Bon, ce n'était pas tout à fait vrai car lui-même en possédait toujours un, intégré à son propre manipulateur de vortex… mais sans ça ?

Cet ingénieux dispositif créait une infime distorsion du Temps qui affectait tout le monde alentour sauf le porteur, avec pour effet immédiat de lui permettre de sembler agir plus vite. Une petite merveille parfaitement illégale qu'une seule organisation avait pu développer par le passé en s'en gardant bien entendu l'entière exclusivité…

John ouvrit la porte du troisième bureau d'un geste brutal et il entendit un petit cri de frayeur émaner de derrière la table de travail.

— Ne tirez pas ! Je me rends, je me rends !

— Sortez de là, ce n'est que moi, fit-il un peu impatienté.

— Moi qui ? hésita l'autre.

— Moi qui veux le bon de colisage et plus vite que ça ! Magnez-vous !

L'assistant d'une veulerie crasse rampa à genoux jusqu'à l'imprimante et y prit une feuille qu'il posa sur le bureau en se reculant.

— Je ne veux pas de problèmes ! dit-il. Tenez !

Il se ratatina à vue d'œil quand John, pas décidé à se contenter de ça, posa ses deux poings sur son bureau pour se pencher.

— Si vous n'en vouliez pas, il ne fallait pas vendre des infos aux rebelles… susurra-t-il sans se soucier de cacher ses insinuations.

Lui donnant malheureusement raison, l'homme se décomposa sur place, commença à rougir et à bafouiller qu'il n'avait pas eu le choix…

— On a toujours le choix, réfuta John en secouant la tête et en levant son arme pour en vérifier le chargeur.

— Oh par pitié ! s'écria l'employé fort peu glorieusement en fermant les yeux. Ils ont pris ma fille !

John étrécit ses paupières pour le jauger et serra les mâchoires. Il n'était pas sans savoir que cela faisait saillir un petit muscle dans sa joue, en instillant l'idée qu'il contenait sa rage à grand peine… et il en jouait. Un autre jour qu'aujourd'hui pourtant, cet argument n'aurait pas porté. Pendant une seconde, ses automatismes lui avaient soufflé une réponse narquoise sur la stupidité d'avoir une famille qui rendait vulnérable en conférant à quiconque un moyen de pression... Et puis, il avait pensé aux deux bébés qui venaient de naître. Et qui ne seraient jamais sa famille. Merde.

— Je vous épargne si vous me dites quel est votre complice sur Velquesh.

— Oh non, non, s'il vous plaît.

John sauta souplement par-dessus le bureau et le prit au collet pour le relever sans effort.

— Je déteste qu'on me dise non ! prévint-il d'un ton soyeux sous le nez de l'assistant qui tremblait pitoyablement.

Il leva son poing toujours armé et l'objet de son intimidation se tassa un peu plus.

— Je… Je n'ai que des initiales !

— Donnez-les.

.°.

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