Dernier taxi pour Salkinagh

Chapitre 6 : C5 : La prison de Kridivine

4584 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/11/2016 07:41

CHAPITRE V : La prison de Kridivine

Come as you are, as you were, as I want you to be

As a trend, as a friend, as an old enemy

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JOHN HART

A peine eut-il fermé les yeux, bien pelotonné dans sa couchette, que John glissa rapidement dans le sommeil. Longtemps auparavant, il avait pris l'habitude de se concentrer pour raccourcir ses phases d'endormissement afin de pouvoir profiter au maximum du moindre temps mort et se reposer dès qu'il pouvait. Cette capacité lui avait déjà sauvé la vie plusieurs fois. Dans le temps, ses homologues appelaient ça, avec un rien de jalousie, sa « narcolepsie sur demande ».

Les paupières closes, rêvant et conscient qu'il rêvait, il se dit quand ça se produisit qu'il avait droit à un nouveau petit cadeau rétroactif de la part de River... Quand elle daignait lui accorder ses faveurs – vraiment pas assez souvent à son goût – et qu'elle partageait son esprit avec lui même pour très peu de temps, il en était remué jusqu'au fond de l'âme. Alors forcément, certains trucs en profitaient pour remonter à la surface…

Les images de son rêve le transportèrent presque instantanément dans un vieux souvenir avec une netteté et une vivacité inattendue. Une lumière crue l'engloutit.

.°.

 

Momentanément aveuglé, il se sentait faible et comateux. Sous lui, un sol froid et dur. Pourtant, alors qu'il n'était même pas certain d'être pleinement conscient, il avait eu l'impression d'un souffle tiède sur sa joue et d'entendre le murmure d'une voix inconnue à son oreille :

« Je ne te lâche pas ».

Deux doigts s'étaient enfoncés dans son cou, puis la guenille lacérée qui lui couvrait encore la poitrine avait été soulevée tandis qu'un sifflement léger suivi d'un juron étouffé se faisait entendre… Un bruit, comme un craquement, quelque chose qui se déchirait peut-être et une odeur bizarre. Puis une paume large à plat sur sa poitrine… et bientôt une sensation très chaude, abominablement douloureuse, quand ses blessures avaient commencé à le piquer si fort qu'il aurait pu croire qu'on lui versait de l'acide pur dessus.

Il avait gémi au prorata du ressenti et une main d'homme – définitivement une main d'homme – quoique ferme et douce, s'était posée aussitôt sur sa bouche.

« Shh, shhh » avait-on soufflé à son oreille. « Tu te sentiras mieux dans un instant… mais ferme-la ».

Il s'était un peu agité mais il n'avait pas pu réagir quand il avait senti qu'on l'avait retourné sans difficulté sur le ventre. Le même bruit de déchirement, et la même brûlure aiguë sur les lacérations multiples de son dos le firent violemment tressaillir. D'accord, convulser à moitié.

— Qui es-tu ? avait-il croassé avec peine alors qu'il se sentait bientôt envahi d'une douce torpeur qui l'assommait à moitié pendant que le produit faisait effet.

— Si tout se passe bien : ton passeport vers la sortie, avait chuchoté la voix inconnue.

Un sourire désabusé avait fait éclater les gerçures des lèvres craquelées de John.

— On ne sort pas vivant de la prison de Kridivine, mec. Renseigne-toi.

— Économise ta salive, si c'est pour dire des conneries.

Marrant comme réponse. Finalement, ses tortionnaires voulaient bien faire preuve d'un peu plus d'humour qu'il ne croyait…

Le haut de son corps lui cuisait comme s'il s'était fourré dans un nid de frelons mécontents et ses bras pesaient une enclume chacun… Il essaya quand même de se retourner pour mieux voir qui était dans sa cellule avec lui, mais la blessure qu'il avait à la cuisse l'élança tant qu'il y dut y renoncer pour l'instant.

— Quoi ? chuchota l'autre. Tu ne peux pas attendre dix minutes que le baume antiseptique fasse effet ? Bouge pas. Normalement le gel va te brûler comme l'enfer, cicatriser ce qui peut l'être, et t'anesthésier partiellement…

— Je sais ce qu'est une compresse AA d'urgence, merci… grogna John. Ce que je comprends pas, c'est pourquoi t'en as et ce que tu fous dans ma cellule !…

— Putain ! rétorqua l'autre entre ses dents, d'un ton mordant où grondait une colère contenue. Mais il faut que je t'assomme pour que tu la boucles enfin ?

Il avait parlé bas à quelques centimètres de son oreille. Incongrument, ce qui avait frappé John, c'était qu'il sentait bon… Enfin, pour que ce soit clair, lui-même n'était qu'une immense plaie purulente à vif qui croupissait depuis des jours dans cette cellule où la seule fois qu'il avait vu un baquet d'eau, ça avait été quand on avait essayé de le noyer dedans… Il y avait des jours de ça !

Dans le faible rai de lumière qui parvenait à peine à filtrer par ses paupières tuméfiées, John avait perçu l'éclat rageur d'un iris bleu serti entre des cils… presque… sexy ?

— Qu'est-ce qui t'inquiète ? Personne ne vient jamais, sauf pour me torturer. Mais là comme tu vois, c'est déjà fait…

— Ils vont bientôt passer à la phase bactériologique et… tu parles quand tu délires, abruti. L'Agence m'a envoyé faire en sorte que ça n'arrive plus !

John émit une sorte de grincement de crécelle qui, à la base, devait être un rire, mais il arrêta vite car ça lui faisait mal. Il essaya pitoyablement de se redresser un peu, s'appuyant contre le mur de béton gris, près de la couchette d'où il avait dû tomber, mais ça n'avait rien de gagné. Le matériau brut lui raclait désagréablement la partie du dos qui était en contact. Il se demanda dans un moment de curiosité si la peau allait tenir ou si elle allait tout simplement rester accrochée au mur… La compresse d'urgence antiseptique et anesthésiante commençait à agir, mais pas la peine de se leurrer : il se savait bien amoché.

— T'as paumé deux beaux kits d'urgence pour rien, mon gars. T'aurais dû me coller une balle bien placée et ça aurait été réglé. En fait, c'était bien ça, le plan, pas vrai ?

— Seulement si t'étais pas transportable…

— Ah, je me disais aussi… Et bah, si t'as l'intention que je marche, il faudrait peut-être que tu fasses quelque chose pour ce que j'ai à la cuisse…

Ta. Gueule ! J'entends des pas qui viennent par ici...

John devina, plus qu'il ne vit, que l'inconnu s'était levé et approché de la porte sur la pointe des pieds. On entendait deux gardes arriver dans le couloir de sa cellule, bavardant tout haut dans une langue étrangère. Il sursauta malgré lui quand la trappe permettant de passer ce qu'ils osaient appeler sans rire de la nourriture, fut soulevée pour laisser passer un plateau et un bol à l'odeur nauséabonde. Puis les pas avaient décru et pendant un moment, John était effectivement resté très silencieux à comater gentiment dans son coin.

— Je te déconseille de manger ça, refit la voix en rompant le silence.

— Et comment crois-tu que j'aie survécu pendant deux semaines, p'tit génie ?

— Espèce de foutu connard arrogant et indiscipliné, il est bien trop tôt pour dire que t'as « survécu » ! A cause de toi, deux agents sont déjà morts : ton coéquipier et celui qu'on a envoyé avant moi pour essayer de te tirer de là.

— C'était qui ?

— Kranakar.

— Quoi ?! Merde ! Ce mec était une légende vivante…

— Comme tu dis… Et bah maintenant, c'est plus rien qu'une légende morte.

— Mhh, puisqu'on en parle, toi t'es qui ?

— Tu me connais pas.

Après la sécheresse de cette réponse, John observa le silence pendant un moment et puis se mit à sourire soudain quand il comprit… Les pontes de l'Agence Temporelle devaient lui avoir envoyé un bleu ! S'il ne voulait pas dire son nom, c'était probablement parce qu'il n'en avait pas encore… La coutume voulait qu'on ne rebaptise que les titulaires, les nouveaux avaient juste un matricule. Kranakar était pourtant un agent expérimenté, s'il était mort, ce qui était vraiment surprenant, ils avaient peut-être dû tenter une sorte d'opération de la dernière chance, avec quelqu'un qu'ils pouvaient sacrifier ou qui leur importait peu. Et la bleusaille, c'était parfait pour ça…

— C'est pas un cadeau qu'on t'a fait cette mission, énonça-t-il comme une évidence. Pourquoi t'as accepté ?

— Je l'ai demandée parce que tout le monde pensait que c'était FDA. Si je te ramène, ils vont être obligés de me filer de l'avancement. Et j'ai justement entendu dire que deux places de titulaire actif venaient de se libérer…

Son sourire était quasiment audible quand il avait dit ça.

— Mhh, t'es bien mon genre de salaud, petit !

— Hey. Me la joue pas vieux routard, tu veux ? T'as seulement deux ans de plus que moi !

Quoiqu'il en pense, deux ans de service actif en tant qu'agent titulaire pour l'UTA, Universal Time Agency, faisaient quand même une sacrée différence de maturité, comptant souvent pour le double en temps propre, mais John s'amusa de cette manifestation d'humeur. Il commençait à apprécier cette voix et son ton, et l'envie de voir à qui ils appartenaient le tenailla plus fort.

Il porta sa main à son torse dénudé et prit un peu du gel anesthésiant sur le bout de ses doigts pour l'appliquer avec précaution sur ses paupières douloureuses. Il voulait pouvoir savoir enfin à qui il avait affaire. Elles mirent un peu de temps avant d'obéir.

Au bout d'un moment, il finit par accommoder et distingua dans la lumière permanente blafarde qui baignait la pièce quasi vide aux murs nus et rugueux, le profil d'un jeune homme brun aux traits réguliers, assis à même le sol, le dos au mur à côté de sa couchette. Il avait une jambe tendue au sol et une autre repliée, le coude posé sur son genou et sa main appuyée sous le menton, comme s'il réfléchissait intensément à quelque chose. Peut-être bien à un plan pour les tirer de là.

Malgré lui, John s'en étrangla presque de surprise. Le petit bleu était monstrueusement beau. Vraiment vraiment vraiment magnifique. Incrédule, il laissa trainer sur lui son regard avec envie, scrutant sans vergogne chaque détail de sa silhouette bougrement appétissante. Se sentant observé, l'autre braqua ses yeux bleus sur lui, les sourcils arqués en une question muette.

— Rien, se défendit-il malgré lui, je voulais voir à quoi tu ressemblais…

L'apollon haussa une épaule indifférente.

— Qu'est-ce que ça peut te foutre ?

Il ne put s'empêcher de se sentir navré de constater sa froideur et sa brusquerie. Il déglutit.

— Hum, dis-moi Eye Candy, t'es… toujours aussi grincheux ? Qu'est-ce qui ne va pas…?

— Ce qui ne va pas, c'est que t'es dans un si sale état que je doute que tu puisses tenir debout et me suivre par le chemin que j'ai pris pour venir. Et l'idée de devoir te porter tout du long n'est pas très riante…

— Tu as tort. Tel que tu me vois là, je ramperais sur mes moignons pour te suivre où tu voudrais… Mais si t'avais un autre kit d'urgence pour ma jambe, je te ralentirais moins. A propos, comment t'as fait pour entrer ?

Son ange gardien sembla soudain réticent à en dire plus s'enfermant brusquement dans un mutisme franchement suspect. C'est là que John se demanda enfin s'il ne s'était pas fourvoyé sur toute la ligne et si ce mec improbable n'était pas là pour un tout autre motif, bien plus réaliste. Comme le mettre en confiance et tâcher de lui soutirer d'autres informations moins nébuleuses que celles qu'il pouvait – prétendument – laisser échapper dans son sommeil, par exemple…

John referma les yeux et se laissa aller en arrière contre le mur, vaguement déçu. Qu'est-ce que ça pouvait être d'autre ? Ce qu'il y avait de plus vaniteux en lui s'estimait flatté que les responsables de la prison aient pu lui dégoter un faux compagnon d'infortune aussi ébouriffant… Ils devaient s'attendre à ce qu'il se jette dans ce piège la tête la première.

Il le vit sortir de son blouson sans manches une troisième poche contenant du gel antiseptique anesthésiant et la regarder comme avec regret, l'air de soupeser s'il ne faisait pas une connerie, avant de la lui lancer. John fit l'effort de l'attraper au vol en grimaçant de souffrance. Le prisonnier pencha la tête vers sa cuisse et écarta le trou dans le tissu de son pantalon pour essayer d'apercevoir sa plaie. Pour autant qu'il pouvait voir, elle était bien moche… Il s'était à moitié empalé sur un bout de métal en tentant de s'évader la première fois. Il espérait seulement que ce machin blanc qu'il voyait n'était pas son os.

Voyant comme l'autre obtempérait, il se dit qu'il avait une chance. Son plan fut établi très vite. D'abord se soigner, puis se relever, se jeter sur le type pour l'assommer et le refiler aux gardiens en espérant qu'ils veuillent bien passer au moins un tour dans leurs tortures hebdomadaires ! Pas sûr que ça marche, mais il fallait bien qu'il tente quelque chose. Pendant ce temps-là, il ne révélerait rien… Le gars fixa ostensiblement le sol pendant qu'il dénouait sa ceinture (un simple bout de ficelle même pas solide pour éviter qu'il ne cherche à s'étrangler avec) ce qui ne manqua pas d'égayer John, tout en lui confirmant qu'il n'avait pas d'expérience. Jamais il n'aurait dû le quitter des yeux. Pas une seconde. John appliqua la compresse directement sur sa plaie et ne put retenir un gémissement haletant. Il resta un moment déplorablement long comme ça, puis quand il put reparler, il remarqua :

— Hey, grand timide ! Comment t'as fait pour survivre au casernement ?

— Je suis pas du tout timide ! rétorqua l'autre avec un regard noir. Ça n'a rien à voir.

— Tu m'en diras tant… Tu vas pouvoir m'aider à me relever et à remettre mon...

— Dans tes rêves.

John se mit à rire à voix basse en le considérant avec intérêt. C'était vraiment dommage de devoir se résoudre à lui faire du mal car il lui plaisait vraiment de plus en plus. C'était assez inhabituel de voir la façon dont il affichait son orgueil et son embarras. S'il était payé ou menacé pour le mettre en confiance et le faire parler, il avait une technique vraiment inédite... Il aurait dû cacher ses propres sentiments. Pourtant John voulait bien reconnaître que ça marchait complètement sur lui, il avait follement et désespérément envie de le croire. Cependant, il n'avait pas ce luxe.

Il se remit debout et remonta sa ruine de pantalon troué qui était tombé sur ses genoux le temps qu'il applique la compresse.

— T'es un petit bouseux qui sort de sa campagne, pas vrai ? D'où tu viens ? demanda-t-il en sautillant avec peine sur l'autre jambe valide.

— Boeshane. C'était une colonie qui s'est fait razzier quand j'étais môme, elle n'existe plus.

— Un pecnot de chez pecnot, quoi…

Une épaule appuyée contre le mur opposé, il semblait pleinement absorbé par la contemplation des multiples traces et taches sombres suspectes qui constellaient le sol.

— Un pecnot qui est entré sans se faire repérer – contrairement à toi, souligna-t-il, et qui est pour l'instant, le seul à avoir une chance de te sortir de là. Je serais toi, je la ramènerais pas trop…

John se soutint un instant contre une paroi et le regarda, toujours avec insistance. Sa silhouette élancée, ses muscles dessinés sans être outranciers, sa bouche aux belles lèvres qu'il avait envie de mordre depuis qu'il l'avait entraperçue tout à l'heure… Et cette fossette divine… Oh, il n'avait plus envie de le cogner du tout… Mais alors plus du tout, du tout. Merde.

— Te fais pas d'idées à mon sujet, prévint l'autre avec un sourire légèrement supérieur.

— Quel genre d'idées ?

Il ricana tout bas.

— T'es victime de mon « arme secrète ». Ces salauds de l'Equipement n'ont pas voulu me refiler les gadgets habituels, parce qu'ils comptaient bien que j'allais les perdre ou les laisser aux mains de qui il fallait pas. La seule chose qu'ils m'ont généreusement accordée, c'est une modification sur la production de mes phéromones, qui sont dix fois plus puissantes que la normale. C'est un véritable bouclier furtif anti-agression.

— Je dois dire que ça fonctionne… pas mal du tout, confirma John avec un coup d'œil faussement blasé. Mais tu sais quoi, Boeshane ?... Je suis entraîné !

Le prenant par surprise, il fondit sur lui et le fit tomber en tentant de l'immobiliser par une prise qu'il était capable de réaliser, maintenant que tout son corps était quasiment anesthésié. Il ne devait pas s'attendre à se faire faucher par un type à peine capable de tenir debout… Une bonne leçon gratuite, s'il survivait. Le gamin se débattit comme un beau diable, et ils roulèrent par terre en tâchant de se rouer de coups mutuellement.

— Désolé, petit. Je n'ai pas le choix. Ce n'est pas contre toi… assura John.

— Arrête, mais t'es dingue ! Arrête, je te dis ! siffla le jeune homme.

John parvint à le plaquer au sol, pesant de tout son poids à califourchon sur lui, les mains bloquant ses poignets. Il vit ses yeux bleus s'agrandir et tandis que l'inquiétude de sa proie délicieusement remuante se faisait très évidente, John sevré depuis des semaines et pourtant pas en condition, fut cueilli par un désir qui mit le feu aux poudres.

Oh non, pas maintenant !...

Incapable du moindre self-control, il se pencha pour prendre la bouche du beau garçon avec voracité. Mais le bleu rétif en profita pour le mordre d'abord, puis de sa distraction momentanée pour lui appuyer de sa main libérée sur sa blessure la plus douloureuse. Ensuite, il ne lui fut pas difficile de prendre le dessus et lui décocher un crochet vengeur dans la mâchoire qui le laissa au tapis. John voyait trente-six chandelles mais il sourit malgré sa lèvre en sang.

— Je te pardonne. Mais uniquement parce que t'es vierge, murmura-t-il avant de glisser dans l'inconscience.

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— M. Hart ? Vous m'entendez ? John, réveillez-vous ! fit une autre petite voix lointaine et insistante dans l'oreillette qu'il avait posée sur son oreiller.

John ouvrit brusquement les yeux, le cœur battant vite et le souffle court. Il se donna un instant pour se calmer avant de remettre son communicateur et de répondre d'une voix un peu étranglée :

— J'arrive, j'arrive…

Il s'extirpa de la petite couchette en se frottant les yeux.

C'était violent ce souvenir « made in River »... Il avait vraiment l'impression qu'il venait juste de le vivre à l'instant. Avec des sensations si vivaces… Il sentait encore dans son sexe, le lancinement dû au contact de Jack sur le sol de cette prison. Comment pouvait-il se souvenir encore de ça ? Alors que ça faisait plus de vingt ans ? Il soupira et se rua vers le poste de pilotage.

Le grand volet avant de la navette était relevé, laissant apparaître une lune bien plus proche que ce qu'il avait imaginé. Ils avaient un visuel clair des montagnes brunes de la chaîne de Kualk et tout en bas, des petits points argentés brillants qui devaient être les quelques bâtiments de l'usine de production que son client voulait visiter. Le ciel était dégagé et il se poserait sans problème.

— Pourquoi vous m'avez laissé dormir aussi longtemps ? protesta-t-il pour la forme.

— Je préfère vous savoir reposé et vigilant quand on sera à terre.

John se réinstalla dans son siège et se transféra les commandes en quelques pressions sur le tableau de bord, pour pouvoir amorcer la descente et engager les différentes vérifications informatiques exigées par le contrôle au sol.

— Pourquoi, il y a des trucs que vous ne m'avez pas dits ? s'enquit-il en saisissant machinalement les informations d'identification requises.

Comme il était déjà venu quelques fois sur le satellite de l'énorme planète gazeuse Rughilis, son taxi était déjà préenregistré, ce qui lui facilitait les manœuvres de descente sur le paysage semi-désertique qui n'avait pas dû couter cher en terraformation.

Quentin Cormack secoua la tête négativement tout en commençant à se relever et à s'étirer mais l'étrange sourire qui flottait sur ses lèvres n'était pas éminemment crédible. John le regarda en biais pour tenter de l'inciter à parler davantage, et son passager lâcha alors :

— Vous savez déjà que j'anticipais un déplacement professionnel qui n'était pas sans risque, sinon je ne vous aurais pas engagé…

Hart serra les mâchoires. Le pire c'était qu'il commençait à se faire à son espèce de discours langue de bois…

Il réduisit la vitesse à mesure que le sol approchait. En bas, posé sur une terre battue brun violacé, on apercevait les trois grands bâtiments cubiques blancs de l'usine d'extraction et de raffinage du solcicium où Cormack avait rendez-vous, et quelques dépendances plantées autour d'une vaste esplanade dégagée où se trouvaient rangés deux camions. Le tout était ceinturé de hauts murs de sécurité. Sur un côté, se trouvait la zone affectée aux atterrissages. Il s'y posa doucement presque comme en hélicoptère, avant d'éteindre un par un les différents systèmes.

— Vous êtes arrivé ! annonça-t-il en coupant finalement les trois moteurs qui restaient en état après l'embuscade de la zone de débris.

— Merci. Ayez l'amabilité de m'accompagner pendant mon entrevue, s'il vous plaît. Ne dites rien, observez tout et tenez-vous sur vos gardes.

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