Dernier taxi pour Salkinagh

Chapitre 4 : C3 : La naissance

5677 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 29/02/2016 16:21

N/A : dernier petit chapitre introductif pour finir d'installer le contexte de Hart et ce qu'il essaie de quitter précisément, pour ceux qui n'auraient pas lu ma série. Le voyage vers Salkinagh proprement dit commence au chapitre suivant.

 

CHAPITRE III : La naissance

JACK HARKNESS ET AMY-LEIGH WATTS

Tassé sur l'un des bancs de l'hôpital de Guernö, dans une déprimante salle d'attente vert pomme, Jack se passa une main sur la nuque pour tenter de soulager les muscles de son cou endolori. La climatisation dans la salle d'attente aurait mérité d'être mise en route un peu plus tôt et le temps lui paraissait très long. Il consulta sa montre et vit qu'il n'était pas loin de huit heures. Il y avait longtemps maintenant qu'il n'avait plus vécu cette situation…

Quand il était rentré chez lui tout à l'heure, il avait fait le tour de la maison comme d'habitude, trouvé Amy-Leigh dans son lit qui avait l'air d'aller bien, et trouvé River dans son lit qui avait l'air d'aller mieux que bien… avec John. Sur le moment, il n'avait pu s'empêcher d'éprouver une sorte de joie impatiente. Un « bien joué, Johnny Boy ! » lui était venu silencieusement tandis qu'il les contemplait tous les deux. C'était dur de ne pas les trouver spontanément assez magnifiques l'un et l'autre, ainsi entrelacés et apaisés par le sommeil.

Il avait refermé leur porte et puis avait regagné sa propre chambre, ôté ses chaussures et s'était allongé un peu pour rêvasser. A dix contre un, John lui avait servi l'arnaque n°5 « Je suis venu te dire que je m'en vais »… Comme il avait vraiment envie de s'en aller, il avait dû se montrer crédible…

Un sourire paresseux aux lèvres, il ne dormait pas encore vraiment, quand il avait soudain vu une silhouette blanche s'encadrer sous le linteau de sa porte.

— Jack ! avait-elle soufflé.

Que faisait Amy-Leigh debout à cette heure ?

— Chérie ?

— Je suis toute mouillée !

Il devait bien reconnaître que, sur le moment, en raison de ce qu'il venait de voir dans la chambre de sa chère associée, son esprit avait un peu vagabondé, sans tout de suite décoder correctement le sens réel de cette phrase…

— Quoi ? demanda-t-il prudemment en se dressant sur un coude.

Elle s'était appuyée sur le chambranle, un peu cassée en deux, tête basse avec ses longs cheveux blonds formant comme un rideau pendant qu'elle regardait le tissu trempé à mi-corps de son vêtement de nuit.

— Je crois que le bébé vient ! corrigea-t-elle avec insistance.

Il s'était déployé aussitôt hors du lit, le cœur battant pour constater de près, à l'état de sa chemise de nuit, qu'il fallait l'emmener à l'hôpital sans tarder.

— Tu viens de perdre les eaux ! Retourne t'habiller, mets une robe facile, je t'emmène tout de suite… Je ressors la voiture.

Elle lui sourit un peu malgré sa douleur. Une robe « facile »… Jack avait de ces expressions parfois ! Mais il avait l'air calme et son calme la rassurait, alors qu'elle était tout sauf rassurée. C'était sa première grossesse.

.

Il la retrouva devant l'entrée de la maisonnette qu'ils louaient ensemble depuis des mois, avec cette traîtresse de River Song, et elle monta précautionneusement dans la voiture avec un petit sac dans lequel elle avait prévu quelques affaires. Ce dernier était prêt depuis longtemps. Elle avait lu que dans ces cas-là, mieux valait éviter toute panique inutile…

— Comment te sens-tu ? demanda-t-il en démarrant.

— Complètement terrifiée, soupira-t-elle en se crispant sur l'accoudoir. Et j'ai affreusement mal aux reins.

— C'est un peu normal, avait-t-il répondu en tapotant nerveusement de l'index sur le volant à un feu rouge poussif.

— Toi tu as l'air calme, tu as déjà fait ça ?

— Accoucher ? Ah non, pas encore ! reconnut-il comiquement. Mais… j'ai déjà fait le taxi pour quelques futures mamans… si c'est ce que tu veux savoir.

— Est-ce que c'était pour tes enfants ?

— La plupart du temps.

Elle passa une main lasse sur son ventre rebondi pour tenter de le soulager un peu. Elle se faisait l'effet d'être une pastèque géante trop mûre sur le point d'exploser. Il tendit le bras pour entremêler ses doigts aux siens.

— Ça va aller, tâcha-t-il de la rassurer. Des milliards de femmes accouchent chaque minute dans l'univers, et tout se passe souvent très bien. Surtout sur les planètes où il y a une médecine décemment avancée et des professionnels parés à toute éventualité…

— Merci, mais tiens le volant à deux mains, s'il te plait, j'ai pas envie qu'on ait un accident maintenant.

Il faillit lui rétorquer qu'il savait faire plein de choses avec juste une main, mais se rappela à temps que ça ne n'aurait été probablement pas très approprié avec elle. Il faisait de son mieux pour la traiter comme si elle avait été de sa famille. Mais ce n'était pas toujours facile quand sa mauvaise conscience lui soufflait en permanence qu'elle ne l'était pas. Qu'elle était très jolie et qu'en plus, elle avait le béguin pour lui.

— Pourquoi tu ne parles jamais de tes enfants, au fait ?

La réponse avait claqué si vite et si sèchement qu'elle en avait sursauté :

— Parce que je les enterre tous.

Effarée, elle tourna la tête vers lui et il la vit imperceptiblement se tasser et se reculer dans le coin de son siège ce qui le fit aboyer de rire.

— On ne s'est pas compris… Hey, ne me regarde pas comme si j'étais un ogre psychopathe… Relax, respire, respire, je n'ai pas envie de jouer les sages-femmes sur ma banquette arrière…

Parce que là encore, à son avis, il y avait des choses bien plus agréables à faire sur une banquette arrière, mais ça devait être assez mal venu d'y penser maintenant.

— Qu'est-ce que tu voulais dire alors ?

— Qu'ils finissent tous par mourir de vieillesse avant moi.

Amy-Leigh fronça les sourcils en regardant défiler le paysage urbain nocturne dont les magasins aux vitrines fermées restaient cependant éclairés. Ça encore, aucun de ses colocataires ne lui en avait jamais parlé… Il faudrait qu'elle comprenne un jour pourquoi ils ne lui faisaient jamais confiance pour lui dire les choses importantes…

En emménageant avec Jack et River, elle s'était doutée assez vite qu'il y avait à leur sujet quelque chose de bizarre. A chaque fois qu'elle avait essayé d'en parler maladroitement avec eux, ils avaient ri et s'étaient un peu moqués d'elle. Et puis à l'époque, elle n'avait pas trop insisté parce qu'elle avait rencontré Matt Cormack et qu'elle était tombée amoureuse de lui. Toute à sa petite romance, elle n'avait plus prêté autant attention à ses deux mystérieux protecteurs.

Et puis, il y avait plusieurs semaines de ça maintenant, elle avait découvert que River qu'elle croyait morte ne l'était pas et qu'elle était une sorte de clone qui pouvait avoir de nouveaux corps, et que Jack guérissait vraiment très très vite de blessures très très graves. Et maintenant, il lui disait sans trop lui dire qu'il était vraiment vieux, peut-être plus vieux que John qui pourtant avait au moins le double de son âge…

— Tu es en train de dire que, toi non plus, tu n'es pas « normal » ?

Jack lui adressa un sourire impudique, un de ceux qu'il faisait toujours quand il oubliait qu'elle était une très jeune femme, pas spécialement à l'aise avec ses blagues qu'elle ne comprenait pas toujours.

— Si je suis très très normal, à tous les plans. Sauf que je suis plus vieux que j'en ai l'air.

— C'est-à-dire ? Plus vieux que John ? dit-elle pour continuer à bavarder et éviter de penser à ce qui l'attendait.

— Non mais attends… John n'est pas vieux !

— Ah si, complètement ! Il ne rate d'ailleurs pas une occasion de s'en vanter, en me regardant toujours de haut, et en me traitant tout le temps de « gamine » qui fait des caprices. Je crois que sa phrase préférée c'est « grandis un peu »…

— Puisqu'on parle de lui… Tu ne crois pas que ça aurait été bien qu'il sache que l'accouchement est imminent ?

— Y a rien qui presse... Je ne l'ai pas trouvé dans sa chambre, alors j'ai mis un mot dans la cuisine. Il a fait un effort d'ailleurs. Pour une fois, c'était rangé et il avait un sac de prêt à côté de son lit. Ça veut dire qu'il part travailler demain et qu'il ne rentrera pas avant quelques jours.

Jack resta un moment silencieux pendant qu'il faisait manœuvre sur le parking de l'hôpital, puis il coupa le moteur et lâcha sa petite bombe du jour :

— Hum… Non, cette fois, il ne rentrera pas.

.

Il repensa à la tête indignée qu'elle avait faite en apprenant la nouvelle et cela le fit sourire.

— Quoi ? Il t'abandonne ?

Il avait essayé de lui expliquer qu'ils ne voyaient pas les choses comme cela, et qu'ils restaient toujours amis, avec le moyen de se contacter si besoin, mais elle avait fait la moue dubitative la plus délicieuse au monde.

— Même une gourde comme moi sait que vous n'êtes pas « amis », avait-elle rétorqué avec un peu de colère. Les « amis » ne font pas ce que vous faites quand vous croyez que vous êtes seuls tous les deux.

En la suivant, il s'était retenu de demander ce qu'elle voulait dire par là, car elle ne s'était pas éternisée. Tenant son ventre par en dessous comme s'il pouvait l'entrainer à chuter, elle avait marché jusqu'à l'accueil de l'hôpital où il l'avait aidée à faire son admission, mais il avait été relégué dans un coin quand on avait su qu'il n'était pas de sa famille.

— Je veux qu'il reste avec moi ! J'ai peur et j'ai besoin d'une présence qui me soutienne, vous n'êtes pas assez malins pour comprendre ça ? avait-elle attaqué soudainement.

Les infirmières l'avaient emmenée avec un sourire contrit et un coup de paupière rassurant qui signifiait qu'elles allaient gérer ça, de tout leur professionnalisme.

— Et est-ce que vous êtes là pour vérifier l'ADN aussi ? continuait à râler la future mère pendant qu'on l'entraînait dans un couloir. Si je disais que c'était lui le père de mon bébé, il pourrait venir ?

Jack s'était assis en la regardant aller. Les infirmières continuaient à lui prodiguer des paroles lénifiantes qui semblaient n'avoir aucun effet sur elle. Avant qu'elle ne tourne à un angle de couloir, il eut quand même le temps d'entendre sa dernière phrase qui lui transperça le cœur :

— Je m'en fous ! Lui aurait mérité de l'être !

.°.

Il avait laissé aller sa tête contre le mur et pendant un temps indéterminé son esprit avait divagué vers ses souvenirs de père quand il s'était rendu compte, au bout d'un moment, qu'une infirmière lui secouait le bras pour tenter d'attirer son attention.

— Monsieur ? C'est vous qui êtes venu avec Mlle Watts ?

Il acquiesça, son cœur menaçant de battre des records sous le pic d'adrénaline.

— Venez, s'il vous plaît, elle vous réclame.

— Je croyais que seuls les membres de la famille pouvaient…

L'infirmière l'interrompit d'un geste tout en continuant de marcher à un train d'enfer.

— Je sais, mais elle nous a dit qu'elle n'avait plus de famille et qu'elle vivait avec vous. L'accouchement est un peu délicat. Il est possible que nous ayons besoin de vous si elle est trop faible…

Il la prit par le bras pour la forcer à s'arrêter et à le regarder.

Il était plutôt joli garçon mais là ses yeux bleus étaient incroyablement durs.

— Qu'est-ce que vous voulez dire par là ?

— S'il y a des décisions à prendre, il nous faudra quelqu'un…

— Qu'est-ce que vous essayez de dire ? Que ça se passe mal et qu'elle pourrait mourir ?

L'infirmière baissa les yeux et lui dit fermement :

— Elle a deux bébés. Et l'un a le cordon enroulé autour du cou… Nous pouvons gérer cela ! affirma-t-elle avec assurance. Mais nous avons besoin qu'elle soit plus calme et plus coopérative. C'est là que vous intervenez. Vous posez vos belles miches sur un tabouret à côté d'elle, vous lui tenez la main pendant qu'elle va vous la broyer au point que vous voudrez ensuite passer en radiologie, vous lui murmurez de votre ton le plus sucré toutes les âneries qu'elle aura envie d'entendre, peu importe ce que c'est. Pourvu qu'elle reste calme, qu'elle pousse quand on lui dit de le faire et qu'elle arrête de lutter contre nous. Est-ce que vous croyez que c'est dans vos cordes ou vous avez l'intention de tomber dans les pommes aussitôt entré en salle de travail ?

— C'est parfaitement à ma portée ! renifla-t-il en souriant néanmoins.

— Très bien. On va voir ça. Les types dans votre genre, ça joue les durs en racontant qu'ils en ont vu d'autres, le houspilla-t-elle. Mais quand ils voient celles qu'ils aiment souffrir comme une bête dans une mare de sang, leur braillant des insultes démoniaques comme quoi tout ça c'est de leur faute et qu'elle ne se laissera plus jamais toucher de sa vie… Croyez-moi, ils font moins les malins !

.°.

 

JACK HARKNESS ET RIVER SONG

Il était allé à la rencontre de River dans le hall d'entrée de l'hôpital. Une infirmière l'avait prévenu que quelqu'un d'autre cherchait à voir la jeune mère et il avait dit qu'il allait s'en charger. Il ne pouvait rien faire de plus en l'état actuel. Amy avait donné naissance au premier bébé tout à fait normalement mais pour le second, l'équipe médicale avait pris le relais et l'avait dégagé du bloc aussitôt.

River lui tendit sa joue.

— J'ai trouvé un mot dans la cuisine alors que je m'apprêtais à partir travailler ! Quand diable êtes-vous partis et pourquoi ne m'as-tu pas réveillée ?

— Tu dormais si paisiblement… répondit-il avec un léger sourire moqueur. Ça n'arrive pas si souvent…

Elle lui adressa un regard sévère parce qu'il avait l'air de faire allusion à bien autre chose qu'à son sommeil.

— Et où en est-on maintenant ? Est-ce qu'elle a accouché ?

— Oui enfin. Le premier est né normalement et le second par césarienne, je suppose. On m'a fichu dehors à ce moment-là. Amy se repose en ce moment et les bébés sont à la nurserie.

— Tu savais qu'elle avait des jumeaux ?

— Non, pas du tout.

— Je comprends qu'elle n'ait rien voulu me dire pour me punir, mais toi pourquoi ?... Est-ce que tu peux m'emmener les voir ?

.

Il avait pris sa main et ils s'étaient dirigés silencieusement vers la nurserie de l'hôpital en espérant que personne ne les arrêterait trop vite. Par chance, l'infirmière de garde devait être en train de prendre une pause car ils purent s'approcher de la vitre derrière laquelle se trouvaient une dizaine de petits lits-cages blancs, presque tous occupés, sagement alignés sous des lampes très douces. Jack tendit le doigt vers deux berceaux.

— Comment tu sais que c'est eux ?

— Parce que j'ai déjà vu la tête de John quand on le réveille trop tôt… s'amusa-t-il. Pas toi ?

River s'approcha de la vitre, comme hypnotisée. Elle savait qu'elle n'avait pas le droit d'entrer dans cette pièce peinte en jaune poussin. Mais elle en avait envie. Par un fait extraordinaire, elle venait de recoucher avec le père de ces petits, alors qu'elle s'était jurée que ça n'arriverait plus, précisément neuf mois après leur conception… Mais elle n'avait vraiment pas envie de discuter de John, ni de ce qui la poussait à lui céder.

— Je ne veux pas avoir cette conversation avec toi… le prévint-elle sans parvenir à détacher son regard des nourrissons. Qu'est-ce qu'ils vont devenir maintenant ?

Il perçut aisément la note d'angoisse dans sa voix et lui passa un bras autour de l'épaule en embrassant sa tête bouclée au passage. Elle ne protesta même pas. Il la tint un instant ainsi, savourant sont contact et remerciant le ciel qu'aucune infirmière ne revienne les chasser en leur demandant ce qu'ils faisaient là…

— Est-ce qu'il n'y a aucun moyen de la faire revenir sur sa décision ? demanda River d'un ton implorant.

Amy-Leigh ne voulait pas garder les enfants.

Il le savait par l'intermédiaire de John qui le lui avait répété. Même réticent, John aurait refusé d'avouer que la seule idée qu'elle veuille les abandonner le mettait en rage. Peut-être que c'était pour ça qu'il avait voulu partir avant même la naissance finalement. Les rapports de son ami avec la grossesse d'Amy étaient troublés. Il le sentait tiraillé. Si Amy et lui avaient eu des caractères plus compatibles, Jack était presque sûr que le beau blond aurait accepté de rester un peu plus longtemps.

Quelques mois plus tôt, une des rares fois où John avait été malade et qu'il l'avait veillé toute la nuit, ce dernier lui avait appris qu'il avait eu un jumeau mort-né, et qu'il allait le rejoindre bientôt. John avait aussi avoué que l'histoire de la perte de son frère Gray, la douleur et la culpabilité tangible de Jack à ce sujet, l'avait d'autant plus attiré vers lui. Il n'avait pas complètement compris pourquoi à l'époque ce facteur lui avait semblé si déterminant, mais il soupçonnait aujourd'hui qu'il s'agissait là d'une piste. Une mauvaise clé tordue pour le mystère de leur relation si passionnelle, si proche… Comme si une part de lui, au-delà de l'amant, ne faisait que rechercher éperdument à combler le vide terrible et insoupçonné laissé par l'ombre fantomatique de ce frère perdu.

Sachant cela, Jack voyait la nouvelle de la naissance problématique de l'un des bébés comme un karma familial bien lourd et malencontreux.

Il voulait bien croire que la crainte diffuse que le même motif fatal ne se répète avait pu pousser son ami à chercher refuge entre les bras de River, la nuit passée comme pour exorciser le mauvais sort. Il voulait bien comprendre que pour John, River et Amy restaient toujours un peu confondues comme une seule et même personne. Et que ce qu'il éprouvait pour elles n'entamait en rien ce qu'il affirmait éprouver pour lui...

Sur un autre monde favorable à la polygamie, ça aurait été vite réglé. Ils auraient fondé un foyer où ils auraient pu élever les enfants en bonne intelligence. Mais rien n'était simple ici sur Velquesh, ni dans la tête de ces dames. S'il pouvait se targuer lui-même d'une affection égale pour les trois autres, Amy était pour sa part révulsée par ce que River et John lui avaient fait. River toujours indéfectiblement très attachée au Docteur faisait son possible pour ne rien entendre de ses propres inclinaisons pour d'autres hommes plus soucieux de sa présence... Et John, qui aurait particulièrement eu besoin de douceur féminine en ce moment pour traverser ce cap difficile, se faisait constamment envoyer bouler froidement ou méchamment. Pas par lui évidemment, mais Jack voulait bien reconnaître que sur ce coup, il manquait cruellement de féminité.

Il soupira et ne répondit rien.

— Je ne veux pas qu'ils disparaissent comme ça, insista River toujours focalisée sur les nourrissons.

— Tu sais que techniquement, ce ne sont pas les tiens ? demanda Jack en accentuant un peu sa pression gentille autour de l'épaule de son associée. Amy-Leigh est leur mère et vu leurs rapports houleux, je suppose qu'il n'est pas question que John les reconnaisse… Même si nous voulions faire quelque chose, nous n'avons aucun lien, ni aucun droit envers ces enfants…

Elle planta ses beaux yeux bleu-gris dans les siens.

— Est-ce qu'Amy a revu Matthew Cormack ou pas du tout ? Il était prêt à l'épouser et à élever les petits…

— C'était la meilleure solution mais Amy est une tête de mule, très jeune de surcroit… Elle m'a souvent dit qu'elle était trop stressée par la grossesse pour penser à se raccommoder avec Matthew, et qu'elle voulait partir d'ici dès qu'elle serait en état de le faire. Je pense qu'elle avait peur ou peut-être que leur dispute l'a refroidie. Elle s'est vue mariée à un homme qu'elle ne connaissait pas si bien, et mère de deux enfants dont elle ne voulait pas… Elle a juste envie de fuir cette situation… Je la comprends.

— Partir, partir, s'impatienta-t-elle. Ils n'ont que ce mot-là à la bouche ! Est-ce que tu ne pourrais pas essayer de parler à cette petite sotte, puisqu'elle t'écoute encore ? Lui dire que tu seras là pour l'aider…

— Oh, non non non, j'ai peur de comprendre, Mme Song… Serais-tu en train de suggérer que je devrais user de mon charme et de l'effet qu'il a sur elle pour la faire changer d'avis ?

Elle baissa les yeux et rougit un peu avant de répondre :

— Non, un peu plus que ça. Je veux que tu ailles la trouver dès son réveil, et avant qu'elle ait eu le temps de réfléchir, que tu lui dises que tu l'aimes, que tu veux l'épouser et que tu souhaites garder les enfants ! Voilà ce que je veux.

Il haussa un sourcil et répondit d'un ton moqueur, la main sur la poitrine et l'air faussement effaré par une telle proposition… à laquelle il avait malheureusement déjà songé.

— Mais que fais-tu de mes sentiments ?! Je trouve que tu disposes de moi avec une bien grande légèreté…

Elle lui tapa sur le bras.

— Jack ! La vie de ces petits est en jeu ! Et n'essaie pas de me faire croire que tu ne trouves pas Amy à ton goût.

Il soupira encore et regarda les bébés.

— Ce n'est pas ça… Amy est effectivement très jolie. Mais je crois que ce ne serait pas juste pour elle. Elle t'en veut déjà parce que tu l'as manipulée, je te signale…

Elle baissa la tête et s'écarta de lui pour poser une main sur la vitre, l'air sombre et vraiment triste.

— Alors c'est juste comme ça que tout finit ? Elle se débarrasse d'eux dans un orphelinat ? John fuit ses responsabilités, elle fait pareil, et il faut rester là les bras croisés, sans rien pouvoir dire ou faire ? Mais moi je ne m'en fiche pas de ces petits !

Jack la regarda avec un doux sourire, l'air un peu embarrassé et hésitant.

— Alors je te propose une chose mais je ne sais pas si ça pourrait marcher sur cette planète… Fais une demande pour les adopter. Ce genre de paperasse prend un certain temps. Si Amy abandonne ses enfants et qu'elle s'en va, et bien elle ne pourra rien dire sur les parents adoptifs, n'est-ce pas ? Et elle ne saurait même pas que c'est toi qui les aurais.

Elle se retourna, le dos à la vitre, derrière laquelle les bébés vagissaient à qui mieux mieux, sans doute en réaction protestataire à cette idée folle.

— Ce n'est pas très gentil de me donner ce genre d'espoir. En plus, je ne vois pas les services sociaux confier deux enfants à une femme seule.

Il se croisa les bras en s'appuyant de côté à la vitre et prit un air finaud pour poursuivre sur sa lancée :

— Ce qui te laisse plusieurs mois pour trouver un mari disposé à endosser cette paternité. Je te connais un peu et je sais que si tu te fixes cet objectif, le malheureux sur lequel tu auras jeté ton dévolu n'aura pas la moindre chance de t'échapper…

Elle redressa les épaules, l'oeil brillant et soudain ragaillardie à cette idée.

— Mais c'est une excellente idée, Jack ! Mais où est-ce que je vais bien pouvoir trouver un homme comme ça ? Intéressé par une femme plus toute jeune qui en plus veut adopter tout de suite ?... Peut-être qu'un veuf d'un certain âge serait plus facile à circonvenir ? Fielding par exemple ? Il n'a jamais caché que je lui plaisais…

Jack la regarda avec amusement et fit une moue un peu dégoûtée.

— Fielding est chauve et il commence à avoir de la bedaine… Dans cinq ans, elle sera incrustée et il aura des cheveux blancs… Tu veux te réveiller avec ça dans ton lit tous les matins ? La plupart des hommes que tu côtoies te trouvent proprement ensorcelante. Non, je crois que tu peux te permettre d'être un peu plus regardante…

Elle grimaça en secouant la tête.

— Ah ça, je suppose oui qu'un homme plus jeune et plus appétissant serait très certainement intéressé de m'épouser... Mais un plus jeune ne voudra pas d'enfant tout de suite, alors deux d'un coup, tu penses ! J'ai bien compris que sur Velquesh, ils préféraient attendre d'avoir une meilleure situation financière avant de fonder une famille.

— C'est dans cette catégorie que tu classes le play-boy qui te fait la cour depuis des semaines ?

Elle roula des yeux en soupirant.

— Oh non, pas Quentin !

— Ah, tiens donc ?! Qu'ouïs-je ? « Pas Quentin ? »… Moi qui croyais que tu avais un faible inavouable pour lui aussi…

— Arrête un peu. Ce que je veux dire, c'est que je ne peux pas lui faire ça !... C'est un jeune homme brillant qui a des responsabilités importantes… Je suis sûre qu'il ferait tout pour me plaire mais je ne veux pas qu'il s'enterre avec moi alors qu'il est si manifestement promis à un avenir différent… En plus, je suppose que j'aurais un peu de mal à espacer nos rapports avec un jeune homme…

— Et pourquoi diable voudrais-tu les espacer ?

— Pour raisons personnelles, éluda-t-elle. Il faut que j'accepte quand même plus d'invitations de Quentin pour rencontrer d'autres hommes du gratin…

— Essaie d'éviter Kane Peterson, quand même, maugréa Jack.

— Promis ! S'il n'était pas aussi pourri, le maire serait un candidat intéressant… Je te remercie Jack. Je fonce au bureau ouvrir l'agence pendant que je peux encore travailler sans… hem… "l'autorisation de mon mari"… Donc ne m'attends pas ce soir, j'irai chez l'esthéticienne et ensuite je sortirai avec Quentin. Il faut que je sois présentable pour trouver un célibataire, pas trop jeune mais portant toujours beau, assez libéral pour me laisser travailler et qui voudrait bien de deux petits qui ne sont même pas à lui !

Il la regarda partir à pas pressés, l'air ravie de ce plan. Mais est-ce qu'elle le faisait exprès ? Ça ne lui réussissait décidément pas d'essayer d'être subtil.

— Ouais, fais donc ça, murmura-t-il amèrement entre ses dents. Je me demande bien où tu pourrais trouver ce genre de perle rare…

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