Les neiges sanglantes de Meltomène

Chapitre 2 : C2 : Le duel des magiciens

5068 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 08:51

CHAPITRE II : Le duel des magiciens

CLARA OSWALD

Réfugiés dans la petite cafétéria municipale aux tons verts et jaunes, assis devant une tasse fumante, le Docteur lui en raconta davantage. Clara serrait les mains autour pour se réchauffer, sans chercher à identifier trop précisément le contenu de sa boisson à l'odeur pour le moins… exotique.

― Allez, envoyez les questions, vous en mourez d'envie, dit-il en prenant une gorgée.

― Pourquoi aviez-vous promis de revenir me chercher vite, si c'était pour ne pas venir vite du tout ?

― Heu… J'avais plutôt préparé des réponses sur la Ludocratie et sur notre couverture.

― Réponds-moi, mon petit papa chéri ! grimaça-t-elle en comprenant qu'il avait l'intention d'éluder.

Une vieille dame, qui venait faire le plein de pâtisseries au buffet, leur sourit d'un air charmé en l'entendant, au grand embarras du Docteur.

― Ok, mais arrêtez ces gamineries. La Ludocratie est un système de gouvernement où il n'y a pas d'impôt. La plupart des choses sont gratuites et les gens travaillent bénévolement à faire à peu près ce qu'ils aiment en contrepartie d'un revenu fixe décent, mais modeste.

― Mais, il y a un mais ? Ça a l'air trop beau pour être vrai...

― Mais ils doivent jouer tous les jours, au moins pendant trois heures.

― Jouer à quoi ?

― Des jeux d'argent où ils perdent le plus souvent, répondit le Docteur. Mais certains gagnent et forment alors la classe aisée de la société. Former une bourgeoisie fondée non sur le sang, l'intellect, ou la transmission patrimoniale mais sur le pur hasard, c'est un concept peu commun et perçu comme équitable… Mais en fait, ce n'est pas notre problème.

― Ah bigre, on n'était pas venus pour faire la Révolution ? railla-t-elle. Et notre problème serait alors plutôt… ?

Il s'accouda la main dans le menton pendant qu'il la scrutait.

― Non. Nous, on est là parce qu'il y a des gens qui disparaissent sans qu'on les retrouve jamais. Comme nous avons vu un Reaper en arrivant, ça pourrait déjà être une piste. Le maire m'a informé qu'il y avait au moins une disparition tous les deux ou trois jours. Souvent des membres du personnel. Et souvent dans le même créneau horaire. Si l'on s'en tient aux statistiques, ce soir, il faut nous tenir sur nos gardes.

― Et pourquoi avions-nous besoin d'une fausse identité ?

― Clara ! Vous le savez… il ne faut pas effrayer les touristes… Si nous nous présentons comme des enquêteurs de police…

― Ah et bien pour une fois le Tardis aurait pu être utile pour notre couverture ! Car comme sur le Port-Salut, c'était marqué dessus…

― Si nous nous présentons comme des enquêteurs… répéta-t-il sans finir sa phrase.

― Ok j'ai compris, vous trouvez juste que ce serait très ennuyeux. Et à la place, on est quoi ?

― Je suis magicien et vous êtes mon assistante.

― Oh pitié ! Ne me dites pas que vous avez l'intention de me découper dans une boîte ?

― Rien de plus facile avec la technologie compressive du Tardis, savamment délivrée par un réglage adapté du tournevis… répondit-il en lui jetant un petit regard en biais.

― Docteur ? s'enquit-elle les yeux plissés d'un ton où couvait la menace. Vous avez prévu quoi pour mon costume de scène ? Couvrant, j'espère ?

.°.

Temple autoproclamé de la Ludocratie, le casino était beaucoup plus joli à l'intérieur et plus luxueux que ses abords austères ne le laissaient présager. La moquette était ambrée, comme la lumière diffusée par les appliques lumineuses dans l'espace central, il y avait plusieurs machines à sous aux tonalités criardes, tandis que de petits salons latéraux accueillaient des tables de jeu. Il n'y avait qu'une centaine de personnes environ car la station hivernale n'était pas grande et la saison finissante.

En début de soirée, le Docteur était ressorti vérifier les recalibrateurs 360 qui étaient censés pouvoir offrir à cette zone un champ stable où il lui serait plus facile de détecter et pister d'éventuelles anomalies, en éliminant tout ce qui pourrait avoir une cause plus évidente : tellurisme, électromagnétisme ou micro-failles…

Dans son costume, qu'il avait juste agrémenté de gants blancs et d'un chapeau haut de forme, le faux magicien faisait à présent le tour de la salle en discutant avec les vacanciers déjà arrivés, tandis que Clara était chargée recenser les membres du personnel qui travaillaient le soir-même. Elle le vit discuter de loin avec un asiatique, que la serveuse qu'elle interrogeait lui désigna sous le nom de Professeur Wu Tsi.

― Son numéro est très au point, affirma-t-elle avec conviction.

― Son numéro ? Il fait partie de l'animation de la soirée ?

― Oh oui, comme vous !

― Pas comme magicien… Si ?

La serveuse opina vigoureusement, l'air impressionnée.

― Et bien, je ne pensais pas qu'il y aurait autant de concurrence !

― Bien sûr que si. Sauf que maintenant qu'il y a tous ces problèmes, nous avons dû réduire l'affiche. Mais avant il y avait jusqu'à six ou sept numéros par soir !

― Et c'est quel genre, son numéro ? Les trucs habituels ?

― Je ne sais pas. Par exemple : vous rentrez dans une boîte, il ouvre, vous avez disparu. Il va à une autre boîte, il l'ouvre et vous y êtes ! C'est fantastique, non ?

― Pas mal, acquiesça-t-elle avec un sourire. Merci Rebecca.

.°.

LE DOCTEUR

Le Docteur la vit arriver vers lui dans une petite robe sans manches rouge et souple, de type 1920, ceinturée sur les hanches et qui s'arrêtait sagement au genou. Elle avait cranté quelques mèches plaquées près de son visage et rassemblé ses cheveux en chignon bas. Le tout était retenu par un bandeau de même couleur, décoré de plumes et de quelques perles d'hématite. Le rouge lui allait décidément très bien.

Son maquillage était plus appuyé qu'à l'ordinaire. Il supposa que c'était ce qui lui donnait un air différent. Elle souriait aux gens. Une sorte de sourire rentré comme si elle pensait à quelque chose de particulièrement drôle qu'elle aurait été seule à savoir. Il nota le regard des hommes accroché à ses pas, tandis qu'elle se faufilait entre les convives pour venir jusqu'à lui.

Elle élargit son sourire une fois arrivée et dit entre ses dents :

― Tendez-moi votre joue et surtout, n'ayez pas l'air emprunté.

Elle s'approcha et appuya brièvement sa joue contre la sienne, pour un de ces faux baisers mondains tout à fait impersonnels, pour chuchoter à son oreille :

― On a de la concurrence. L'homme avec qui vous discutiez tout à l'heure, qui a l'air asiatique, figurez-vous que son numéro consiste à faire apparaître et disparaître des gens… Apparaître et disparaître. Mhh, vous pigez le truc ? Et si son matériel était défectueux ? S'il les faisait seulement disparaître ?

Détournant la tête pour rectifier le tir, il déposa sur sa pommette un petit baiser rebelle aux conventions, et lui répondit de même :

― Ma chère Clara, c'est tellement courageux de votre part de vous proposer comme volontaire, quand il demandera quelqu'un dans le public…

― Entre votre découpage et ça, qu'est-ce qui vous fait croire que j'ai envie de mourir ce soir ?... On se revoit tout à l'heure : je n'ai pas encore vu tout le monde parmi le personnel… Combien de temps aurons-nous pour répéter ?

― Pas besoin de répéter. Vous verrez.

― Docteur…

― Vous n'avez pas confiance en moi ? Venez juste en coulisses une demi-heure avant notre passage.

.°.

CLARA OSWALD

Le batteur de l'orchestre tambourina contre une grosse caisse et donna un coup de cymbale.

― Mesdames et messieurs, la Direction du casino est fière de vous présenter ce soir un tout nouveau numéro orchestré par le grand Archim Boldo, avec l'aide de sa ravissante assistante ! Je vous demande de les applaudir bien fooort ! Archim Boldo, c'est à vous !

Au moment de leur passage devant le public, Clara n'en menait pas large. La première idée du Docteur avait été de la faire léviter pendant quelques instants. Il suffisait pour ce faire qu'il utilise discrètement le sonique pour modifier la portance de l'air sous le corps étendu et raide de la jeune femme. Avec un art consommé, il fit passer des cerceaux autour d'elle pour montrer qu'il n'y avait pas de fils pour la retenir. Il avait l'air de bien s'amuser malgré son air sérieux. Elle le voyait à ses yeux pétillants.

Pour sa part, elle s'amusa beaucoup moins quand il l'enferma dans une boîte, avec seule sa tête et ses jambes qui dépassaient, et qu'elle le vit sortir des épées qu'il fit danser et cliqueter avec un certain sens du spectacle. Il avait cet air flippant dont elle ne savait pas trop quoi penser. Un air que n'avait pas l'autre lui. L'air d'aimer un peu faire semblant de l'effrayer. Ou d'essayer.Un peu comme là, quand il lui soufflait discrètement :

― Surtout ne bougez pas d'un pouce, vous pourriez-vous couper.

― Ne me dites pas que ce sont de vraies épées…

― Si. C'est pour ça que je vous recommande d'éviter de bouger…

Elle lui lança un regard paniqué.

― Elle vient de comprendre que ce sont de vraies épées ! déclara-t-il avec un clin d'œil à la cantonade.

Il prit les lames et les choqua entre elles avec de grands gestes emphatiques pour montrer qu'elles étaient solides. Puis il afficha un air grave de circonstance pour insérer les lames dans la boîte où elle se trouvait. Comme elle ne sentit rien du tout, elle se demanda s'il l'avait hypnotisée pour qu'elle ne sente pas qu'elle était transpercée et en train de se vider de son sang…

― Comment vous sentez-vous ? lui questionna-t-il à voix haute une fois l'affaire faite, une jambe nonchalamment croisée, main sur la hanche et l'autre posée sur la boîte.

― Rasée de près ! réussit-elle à répondre avec esprit.

La salle se mit à rire et il lui adressa un bref sourire avant de commencer à retirer les épées une par une, en faisant comiquement mine de les essuyer avant de les ranger. Quand il défit les loquets de la boîte, qu'il la redressa et lui demanda de marcher, elle y croyait à peine. Son corps ne portait aucune blessure ou estafilade, mais elle se sentait tremblante.

Il attrapa sa main pour la remercier d'un baiser sur ses phalanges et dans l'autre il fit apparaître un bouquet. Le public applaudit quand il lui en tendit un second, puis un troisième, puis un quatrième… C'était la fin de leur numéro improvisé. Le présentateur vient les rejoindre quand ils saluèrent deux fois, avant que le Docteur ne l'entraîne en coulisses.

― Comment faites-vous ça ? demanda-t-elle sincèrement étonnée.

― Un magicien ne révèle jamais ses trucs ! répondit-il énigmatiquement. Venez ! Il faut qu'on fasse le tour pour rejoindre le public. Le numéro de Wu Tsi va bientôt commencer.

En lui prenant la main, il sentit qu'elle était glacée et qu'elle tremblait.

― Vous avez froid ? Où avez-vous laissé votre gilet ? Je vais aller le chercher...

― Non, laissez Docteur. Je vois très bien où je l'ai mis, je reviens dans une minute.

.°.

Clara se dépêcha de regagner la petite loge commune où son lainage était resté sur le dossier d'une chaise. En passant devant, elle fit un petit signe de la main à la femme de ménage qui lui sourit en interrompant son lessivage du couloir, pour la laisser aller.

― N'allez pas glisser, Mademoiselle !

― Merci. Je vais faire attention !

Clara pressa pourtant le pas mais mue par un doute, elle se retourna pour lui demander :

― Au fait quel est votre nom ? Je crois que je ne vous ai pas vue sur la liste du…

Elle ne finit pas sa phrase.Sans un cri, la femme de ménage était suspendue en l'air, le corps hérissé d'épées plantées profond et une pluie de pétales immobiles tombait infiniment sur elle… Cela ne dura qu'une poignée de secondes. Clara clignait désespérément des yeux, puis recouvrant ses esprits, elle voulut s'approcher mais le corps disparut aussitôt dans une lueur verdâtre. Et puis le couloir redevint parfaitement normal.

Il n'y avait aucune goutte de sang nulle part. Aucun pétale au sol. Aucune trace de la femme de ménage. Seuls le seau d'eau et le balai témoignaient qu'il y avait bien eu quelqu'un là et qu'elle n'avait pas rêvé.

.°.

Elle se laissa aller le dos contre le mur contre lequel elle glissa lentement parce que ses jambes flageolantes refusaient de la porter. L'image de la pauvre femme ne quittait pas ses rétines, comme si elle y avait été imprimée par le flash de lumière verte. Elle éprouvait malgré elle une sourde angoisse contre laquelle sa raison tentait vainement de lutter. Mais comment ne pas penser qu'il s'agissait là d'un message envoyé à son attention ? Une femme transpercée d'épées et inondée sous des brassées de fleurs… C'était précisément la fin du numéro du Docteur… et ça lui donnait tellement l'impression d'être un avertissement ! Voilà ce qui aurait pu t'arriver, ma petite…

Elle serra les poings et essaya de se morigéner en respirant lentement. Le Docteur n'aimait pas les mauviettes. Il ne reviendrait définitivement plus la chercher du tout si elle commençait à flancher trop souvent quand les choses se gâtaient… Déjà, il semblait avoir sérieusement douté cette fois, en mettant tout ce temps à revenir. Ce n'était pas le moment de se précipiter vers lui en panique il n'aimerait pas ça.

Peut-être y avait-il, parmi les gens qui faisaient l'animation, un manipulateur mental ou un illusionniste ? Elle avait cru voir la femme de ménage mais elle devait être en pause et avait laissé son seau et son balai en attendant de revenir… Peut-être que c'était un genre de bizutage dans le milieu ? Une blague potache entre pros : on faisait peur aux assistantes godiches… Si elle revenait en criant vers le Docteur, n'allait-elle pas en plus griller bêtement leur couverture ?

Elle se força à penser à autre chose. A quelque chose d'agréable. Au rendez-vous qu'elle aurait peut-être avec Dave – tout à l'heure, demain, dans une semaine, allez savoir quand – si elle sortait vivante de cette aventure. Un sourire naquit enfin sur ses lèvres quand elle repensa aux lettres pleines d'esprit, émaillées de quelques discrets sous-entendus, qu'elle avait échangées avec celui qui n'était pas si inconnu…

Ça marchait. Se visualiser comme une jeune femme forte et intéressante, revoir le sourire ravi et un peu timide de son nouvel ami lors de leur premier rendez-vous vidéo où ils avaient sûrement eu autant l'un que l'autre un trac fou, lui réinsufflait un peu de courage.Elle tourna la tête vers le seau et le balai esseulés, puis d'un coup de talon, se décolla du mur pour partir prestement dans la direction de la salle où elle devait retrouver le Docteur.

Elle se glissa près de lui après avoir dérangé toute la ligne des spectateurs, pour revenir prendre place sur un fauteuil bleu marine.

― Vous avez manqué le meilleur, l'avertit le Docteur à voix basse avec un coup d'œil étonné.

― Pas sûr, répondit-elle. J'aurai un truc à vous dire tout à l'heure ; ça vous intéressera, je pense.

.°.

Après le petit spectacle, les convives furent moins nombreux dans le casino car beaucoup se dirigèrent vers les restaurants attenants pour dîner. Ce fut à cette occasion que Clara rencontra officiellement au professeur Wu Tsi qui la considérait de loin depuis un moment, sans réellement chercher à l'aborder ouvertement toutefois.

Pour Clara, cet homme avait l'air étrange. La seule chose à laquelle elle arrivait à penser en ce qui le concernait était : c'est un asiatique. Trop peu de choses en somme. Comme si toute autre description se refusait à impressionner ses neurones. Elle détailla sa longue robe de soie rouge gansée d'or et de noir, son petit chapeau droit et rond dans les mêmes tons, tout rebrodé de motifs compliqués, ses insondables yeux noirs perçants à peine bridés soulignés d'un trait de khôl étiré sur les tempes. Et sa très fine moustache ourlée, à la Dali, complétait une ridicule barbiche noire assez longue.Elle et lui étaient presque assortis dans leurs robes respectives du même rouge.

Elle n'arrivait pas à savoir s'il était séduisant ou pas.Ce fut le maire qui les présenta.

― Professeur Wu, je suis confuse d'avoir raté le plus clair de votre numéro, admit-elle en guise de préambule. Mais je suppose qu'il n'y a pas de temps de perdu et que vous jouez encore demain ?

― Naturellement, répondit-il en lui baisant la main très élégamment. Nous aurons d'autres occasions de mieux nous connaître.

Elle fut un peu surprise de l'ambiguïté séductrice de la formule et décida de la prendre à la légère.

― Vous êtes envieux d'Archim Boldo parce que vous n'avez pas d'assistante pour votre numéro ? Il doit y avoir de meilleures techniques de recrutement que de tenter d'en chaparder à des collègues, non ?

Il sourit et lissa un coin de sa moustache rebiquée. Postiche, supputa-t-elle.

― En fait, j'en ai eu, mais les aléas de la tournée… vous savez, répondit-il avec un petit geste vague et fataliste de la main. Ce genre de vie vagabonde ne plait pas à tout le monde.

― Vous m'en direz tant ! approuva-t-elle avec un léger sourire.

― Est-ce que ça signifie que vous comptez quitter votre père et la vie d'enfant de la balle ?

Clara mit deux secondes avant de se rappeler que « son père » n'était pas Dave Oswald mais le Docteur, ce qui changeait du tout au tout son regard sur la situation. Elle prit deux secondes catastrophées de plus pour prendre conscience qu'elle avait, en plus, actuellement le béguin pour un homme inaccessible qui portait le même prénom que son géniteur... Mettant tout ça de côté pour l'instant, elle opta cependant pour une réponse philosophe dont elle espéra qu'elle ne choquerait pas trop dans ce coin d'univers.

― C'est le destin de tout enfant de quitter un jour le giron familial, pour se lancer dans sa propre vie. Quitte à prendre une voie différente…

En vérité, elle songeait qu'elle se détachait de plus en plus de sa famille, faute de pouvoir supporter sa blle-mère. Elle faisait à peine l'effort de les voir à Noël, et encore uniquement parce qu'il y avait sa grand-mère…

― C'est le moment où je me dois de vous dire que vous avez parfaitement raison et que j'embauche, déclara-t-il en sortant une carte de son vêtement de soie.

Elle prit la carte qu'il lui tendait sans dire un mot. Toute information était bonne à prendre. Le professeur n'eut cependant pas le temps d'approfondir cette question avec elle. Le Docteur venait de les rejoindre pour reprendre possession de son assistante et la conduire à leur table située dans une salle de restaurant toute proche.

.°.

L'atmosphère y était très… rose, avec une moquette bordeaux, des nappes rose pâle, des encadrements de bois doux autour des tableaux aux murs, présentant les œuvres (ou les reproductions) d'illustres inconnus... Posée dans son dos, la main ouverte du douzième Docteur paraissait à Clara légèrement trop présente, sans qu'elle sut dire pourquoi. Sans doute était-elle un peu surprise, car il limitait toujours les contacts physiques avec elle, dussent-ils être aussi anodins que celui-ci.

― Je suis très étonnée que vous consentiez à quelque chose d'aussi trivial qu'un repas, dit-elle en s'asseyant face à lui.

― Il fait très froid dehors et nous allons ressortir cette nuit. Il vous faut des calories pour que vous teniez face à ces températures… Votre constitution fragile n'est pas adaptée.

Elle aurait spontanément eu envie de rouspéter qu'elle aurait préféré dormir un peu mais elle n'osa pas. Si elle rouspétait tout le temps, il se dirait sûrement qu'elle n'aimait plus tellement leurs folles équipées et elle ne voulait pas courir ce risque…

― Vous alliez dire quelque chose ? la questionna-t-il.

Elle posa sur lui un œil rond, avec un rien d'alarme, toujours aussi surprise par son intuition.

― Non. Enfin, je me demandais s'il y avait eu quelque chose d'inhabituel pendant le numéro de Wu Tsi ? Quelqu'un a disparu ?

― Et a réapparu comme convenu ! répondit-il. Que vous voulait-il ?

― La même chose que moi, répondit-elle en haussant comiquement très vite deux fois les sourcils. A savoir, étudier la concurrence ! Il voulait aussi que je sache qu'il pourrait m'embaucher, si j'en avais assez de vous, l'informa-t-elle en lui tendant la carte professionnelle qu'il lui avait donnée.

Il la prit mais lui jeta à peine un œil, avant de la lui rendre aussitôt.

― Il peut toujours rêver… Qu'est-ce qui peut bien lui fait croire que vous en avez assez de moi ?

Elle déploya le menu en se demandant comment il pouvait être aussi froid avec elle et affirmer péremptoirement ce genre de chose d'une aussi tranquille assurance. Pour le coup, elle commençait à se demander ce qui s'était passé pour lui pendant ces quatre mois où ils ne s'étaient pas vus, pour qu'il se montre aussi ambivalent.

― Oh, je ne sais pas, peut-être mon air complètement terrorisé pendant le numéro ? répondit-elle avec un peu plus d'humour. Tiens, il y a du ragout de talgofol à la carte…

― Non, vous avez été très bien ! C'est quoi le talgofol ?

Elle reposa la carte sur la table et le considéra d'un air ouvertement dépité.

― Je comptais un peu sur vous pour me le dire !… Mais il semble que cosmiquement parlant, je ne puisse jamais dîner quand il y en a au menu, ajouta-t-elle en voyant un petit groupe s'attrouper autour d'eux pour leur demander un autographe.

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La soirée lui parut interminable en raison des fréquentes interruptions de leur repas par les vacanciers. Elle ne fut pas fâchée de regagner enfin la petite chambre qu'on lui avait attribuée, même s'il avait fallu pour cela braver les températures extérieures. Sitôt qu'elle eut franchi le seuil, elle ôta au plus vite ses chaussures car la plante de ses pieds était douloureuse, puis considéra la pièce avec circonspection.

Ses murs étaient gris bleus avec des meubles de bois jaune, les draps d'un blanc pur du meilleur aloi mais l'atmosphère… vraiment glaciale ! Elle avisa que la fenêtre était restée ouverte. Peut-être bien pour aérer d'ailleurs, car ça sentait un peu le renfermé, comme si elle n'avait pas servi depuis longtemps. Elle se précipita pour fermer et chercha ce qui pourrait ressembler à un radiateur pour en ouvrir la vanne à fond.

En grelottant, elle fouilla dans ses affaires qu'on avait fait porter là à son arrivée, et repassa sa parka de ski empruntée au Tardis, les moufles, le bonnet et même la vilaine écharpe que lui avait donnée le Docteur le tout par-dessus sa jolie robe. C'était juste le temps de se réchauffer quelques minutes, se promettait-elle. De toute façon, il lui faudrait se changer s'ils devaient remettre le nez dehors…

Le lit était recouvert d'un très gros et très attirant édredon à carreaux bleus où elle pensa raisonnablement qu'elle aurait bien chaud. En le soulevant pour se glisser dessous, elle écarquilla les yeux d'effroi. Elle recula brusquement en découvrant qu'il y avait là, pelotonnée, une de ces créatures qu'ils avaient trouvées en arrivant plus tôt dans la journée… et qui avait probablement eu la même idée qu'elle !

La drôle de chauve-souris venait de lever la tête dans sa direction et poussa un glapissement sonore. Clara plaqua ses deux mains sur sa bouche pour ne pas crier aussi. La vilaine chose venait de s'élever dans les airs et la fixait d'une façon qui ne lui disait rien qui vaille, dodelinant étrangement du chef en battant des ailes pour se maintenir en vol stationnaire.Clara recula doucement, le plus doucement qu'elle pouvait, jusqu'au mur mitoyen de la chambre du Docteur et de son index recourbé, commença à frapper répétitivement SOS en morse, sans cesser un instant de fixer le Reaper.

Malheureusement pour elle, le Docteur ne pouvait pas l'entendre.

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