Les neiges sanglantes de Meltomène

Chapitre 3 : C3 : La nuit de tous les dangers

4927 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 08/11/2016 17:03

CHAPITRE III : La nuit de tous les dangers

LE DOCTEUR

En la circonstance, s'il ne répondait pas, c'est parce qu'il se trouvait dans le bureau du chef du Personnel, Papageno Bambalaya, en présence également du directeur de l'établissement et se faisant annoncer une triste nouvelle : la femme de ménage n'avait pas pointé normalement au moment de son départ présumé, un peu plus tôt dans la soirée. Il s'agissait donc là d'une autre disparition inexpliquée, comme celles qui motivaient sa visite à l'origine.

Pressé de quitter l'étouffante exiguïté d'une pièce remarquablement morne, le Docteur demanda à se faire conduire discrètement à l'endroit où l'on avait retrouvé les ustensiles de travail de la nouvelle victime. Le directeur Propergol Costopovitch tint à l'y accompagner en personne sans attendre. Bien qu'il eût certainement préféré rester seul, le Docteur accepta pour pouvoir observer son comportement sur les lieux. Ses pistes étant pour l'instant minces, il cherchait toujours qui aurait pu avoir de telles motivations et n'éliminait aucun suspect. Avoir l'air inquiet ne coûtait rien au manager. Il avait vu des plans de réduction des effectifs plus tordus…

Sortant le tournevis sonique une fois arrivé dans le couloir bouclé par les agents de la sécurité, il changea un réglage pour lui faire rayonner une lumière bleue qui aurait révélé d'éventuelles traces de sang ou taches suspectes invisibles sous un spectre lumineux normal. Il vit très clairement des gouttes de sang éparpillées un peu partout au niveau autour du seau mais qui avaient manifestement été effacées par la suite. Le corps avait tout bonnement l'air de s'être purement et simplement évaporé. Rien ne montrait d'éventuelles traces de pas, ou qu'on ait pu le trainer pour l'emmener ailleurs…

Passant les gants blancs de son costume de scène, il tâta précautionneusement les murs pour chercher si un passage dérobé ne se trouvait pas dissimulé dans la paroi : il n'en était rien. La seule autre chose intrigante qu'il trouva à quelques pas de là, ce fut une petite perle noire et deux plumes, contre la paroi qui, soit dit en passant, était recouverte d'un abominable papier peint vert olive.

Il ne mit pas longtemps à retrouver où il avait pu voir de semblables ornements : sur les cheveux noués de Clara. Ce détail signait sans conteste sa présence antérieure dans ce couloir et il se rappela alors opportunément qu'elle l'avait quitté un peu plus tôt dans la soirée, pour aller chercher son lainage. Il entendait l'interroger au plus vite là-dessus, se rappelant aussi qu'elle avait promis de lui parler de « quelque chose qui l'intéresserait ». Il s'en voulut de ne pas avoir prêté plus d'attention à ses propos, ni insisté pour savoir de quoi il s'agissait.

Il expliqua à Costopovitch qu'il craignait bien que son employée ne soit au minimum blessée, en lui parlant des traces de sang et l'informant qu'il en saurait plus après examen des valeurs affichées par les capteurs qu'il avait posés un peu plus tôt dans la soirée.

.°.

Debout et un peu hésitant devant la porte de Clara, il se décida à frapper. Il n'obtint tout d'abord aucune réponse, mais un remue-ménage et le bruit de quelque chose qui tombait au sol le motivèrent. En entrant, il aperçut un petit Reaper qui voletait dans la pièce en se cognant au lustre qu'il faisait tanguer dangereusement. Sortant le sonique, il appuya sur la touche bisactivant le dernier réglage et lui balança dans les yeux la même lumière bleue qui lui avait servi à détecter les traces de sang dans le couloir. L'animal poussa un cri strident et mécontent.

― Clara ! appela le Docteur. Vous êtes là ?

Il n'obtint pas de réponse et repérant la baie vitrée, alla l'ouvrir avant de chercher une couverture ou quelque chose à lancer sur l'animal pour l'emprisonner et pouvoir le mettre dehors. S'approchant du lit, il vit que Clara était assiste toute recroquevillée, les genoux sous le menton, à côté d'une grande armoire, la tête baissée et sans réaction.

― Clara ! Vous allez bien ? Répondez !

A grands coups de moulinets des bras, il chassa le Reaper avec quelques difficultés car le volatile était teigneux et très déterminé. Comme il fixait Clara avec des yeux fous qui ne lui disaient rien de bon, le Docteur se résigna à lui envoyer un ultrason tout à fait déplaisant pour lui qui contraignit la bête à reculer. Une fois que l'intrus fut dehors, le Seigneur du Temps referma vivement la fenêtre et appuya théâtralement du plat de la paume sur la commande qui faisait descendre les volets protecteurs prévus en cas d'avalanche. Il pourrait toujours essayer de rentrer maintenant.

Comme il s'y attendait, les chocs sourds de l'animal contre le volet s'arrêtèrent bientôt, et il put se tourner enfin vers Clara.

― Venez, il est parti, dit-il en lui tendant la main pour l'aider à se relever.

Ses mains et ses cheveux luisaient d'une substance poisseuse. Elle tremblait et semblait en état de choc plus sévère que prévu. Il la prit par la main mais elle résista se lever. En désespoir de cause, il finit par s'asseoir par terre, tout à côté d'elle.

― Laissez-moi vous aider… Que s'est-il passé ?

Elle ne répondit rien en continuant à trembler, semblant hors d'atteinte de toute conversation rationnelle pour le moment.

― Vous ne voulez pas que je vérifie si vous êtes blessée ?

Elle secoua la tête vigoureusement.

― Il… il… il… m'a… mordue… aux bras, fit-elle avec ses dents qui s'entrechoquaient.

― Clara, j'ai besoin de voir pour vous soigner… Ne vous inquiétez pas, j'ai tout ce qu'il faut dans le Tardis pour vous recoudre parfaitement s'il le faut, mais je dois voir s'il a déchiré vos chairs et si vous êtes en train de perdre du sang… vous êtes toute gluante…

― Il… m'a… bavé dessus ! dit-elle avec un regard d'incompréhension total.

― Oh ! fit-il seulement en essayant de ne pas sourire. Navré que vous ayez eu à endurer ça. Venez, ne restez pas ici, il faut que je voie les morsures.

Elle secoua la tête.

― Mes jambes tremblent tant qu'elles ne me portent plus, avoua-t-elle honteusement dans un souffle.

Il fit un mouvement pour se relever et glissa un bras sous ses genoux pour la soulever et aller la déposer assise sur le lit. Restant debout à côté, avec des gestes très lents et très doux, il lui retira sa parka et ausculta ses bras nus qui comportaient plusieurs marques de petites dents et des bleus violacés et que le port du manteau avait à peine atténués.

― Vous avez de vilaines écorchures aux jambes et aux genoux aussi on dirait, prévint-il, est-ce que je peux… ?

― C'est moi qui me les suis faites, répondit-elle la gorge si nouée qu'elle avait du mal à sortir le moindre son.

― Pourquoi ? demanda-t-il d'un air profondément désolé.

― Pour m'assurer que je ne rêvais pas, répondit-elle.

― Les Reapers existent bel et bien, je vous l'assure.

― Pas ça, souffla-t-elle. Je ne voyais pas que ça.

Il pressa doucement sa main et elle eut un premier sanglot. Il s'assit sur le bord du lit et la prit dans ses bras, elle s'effondra littéralement contre sa poitrine avec un gémissement.

― Je me voyais moi, morte comme la pauvre femme, articula-t-elle.

― Shhh ! Calmez-vous ! dit-il en la berçant et en résistant à l'envie de lui demander trop tôt de quelle pauvre femme elle parlait.

Car pourquoi poser des questions dont il devinait si facilement la réponse ?

.°.

Il attendit le plus longtemps que sa patience limitée le lui permettait et puis demanda s'il pouvait la laisser, ce à quoi elle réagit vivement en argumentant que « ça » pouvait recommencer.

― Il faudrait que j'aille relever les capteurs. Il y a d'abord eu une autre disparition tout à l'heure, et puis à l'instant votre mésaventure… J'aimerais m'assurer de quelque chose. Et je ne vais pas vous obliger à sortir après ça…

― Hors de question ! Je viens avec vous ! dit-elle en se redressant, soudain galvanisée.

Il lui adressa un léger sourire tendre.

― Oh ma brave petite Clara, vous n'avez pas besoin d'essayer de m'impressionner par votre courage. Je sais très bien que vous l'êtes. Mais là vous êtes sous le choc et…

― Je viens avec vous, je promets que je ne vous ralentirai pas, réitéra-t-elle fermement.

Il objecta encore qu'il faisait vraiment très froid et qu'elle ne pourrait sortir ainsi. Elle hocha la tête pour acquiescer et enfila à toute vitesse de grandes chaussettes, des bottes, deux pulls par-dessus sa robe rouge, remit la parka, le bonnet, et l'écharpe en moins d'une minute avant de déclarer :

― Je suis prête.

Pour le coup, sa dégaine était vraiment ridicule mais elle s'en fichait totalement. Il vit dans ses yeux qu'elle avait peur et se promit de faire revenir un sourire sur son visage, la bonne humeur et l'esprit piquant qui étaient les siens juste avant ce déplorable incident.

.°.

CLARA OSWALD

La neige tombait en fins flocons qui ne tenaient pas au sol quand ils sortirent de la petite auberge de montagne où se trouvaient leurs chambres. Ils cheminèrent prudemment pour remonter la rue puis faire le tour extérieur du casino bunker, à quelques mètres de là. Ils ne parlèrent pas au début mais comme elle sentait l'angoisse la gagner de nouveau en croyant voir du coin de l'œil des choses effrayantes dans la nuit environnante, elle rompit le silence pour pouvoir reporter son attention sur autre chose. Elle lui demanda s'il n'avait pas froid vu qu'il portait simplement son costume habituel.

― Si bien sûr, un peu, mais c'est supportable. Je suis à seize degrés, ajouta-t-il étrangement.

― A seize degrés de quoi ? Longitude nord ?

Il tordit un coin de sa moustache, ravi de constater que son esprit luttait pour mettre de la distance avec les événements récents et reprendre le dessus. Très brave petite Clara.

― Température corporelle.

― Encore moins qu'un reptile ! murmura-t-elle à voix basse les mains serrées sous ses aisselles. Est-ce que vous vous adaptez automatiquement aux conditions météo ?

Une épaule appuyée contre le mur du casino, le Docteur notait scrupuleusement ses relevés dans un petit carnet, et répondit sans la regarder en mode guide touristique :

― Les Seigneurs du Temps bénéficient d'une avantageuse et robuste constitution peaufinée au fil de siècles et de siècles d'évolution. Et contrairement aux reptiles, nous ne craignons pas les températures extrêmes… On passe au suivant, prévint-il.

Ils poursuivirent le long d'un petit sentier bitumé qui faisait le tour du bâtiment, la neige ne tombait plus beaucoup. Il recommença son manège avec le second capteur et puis lui dit au bout d'un moment :

― Vous avez l'air contrariée d'apprendre cela... Comme si vous n'arriviez jamais à vous souvenir que je ne suis pas humain.

Clara, qui était en train de se demander comment River avait pu supporter de dormir contre un corps à peine tiède, changea immédiatement de sujet dans sa tête quand elle vit le regard trop perspicace du Docteur se tourner vers elle. Elle se racla la gorge.

― Puisqu'on en est au cours de biologie, est-ce que vous pouvez me dire à quoi s'apparentent ces méchantes bestioles ? Les Reapers ? Ce ne sont pas des chauves-souris transgéniques…

Il voulut bien en convenir et l'informa qu'il ne restait que quatre capteurs. Elle ne se laissa pas distraire, avec une nouvelle question plus insistante sur les raisons qui, selon lui, les conduiraient à les pourchasser s'ils n'avaient rien fait de mal avec le Temps.

― Je crois que c'est juste après vous qu'ils en ont. J'ai l'impression qu'ils vous reconnaissent à tort… comme l'une des leurs.

― Je ne suis pas tellement d'humeur à plaisanter, Docteur, l'avertit-elle les poings sur les hanches.

― Non, sans doute. Encore deux et vous pourrez retourner aller dormir au chaud.

Elle ne répondit pas qu'elle ne se voyait pas fermer l'œil de la nuit, ni envisager une seconde de rester toute seule après ce qu'elle avait vu. Si elle avait osé, elle aurait bien demandé à revenir dormir dans le Tardis, mais l'idée de refaire le chemin inverse jusqu'au vaisseau, de nuit, dans le froid et en louvoyant entre de traitresses congères, ne lui plaisait pas davantage.

.°.

Lorsqu'il eut fini d'enregistrer le dernier relevé, le Docteur raccompagna Clara à l'auberge. Il était affreusement tard, mais elle n'avait pas la moindre intention de rester seule dans sa chambre, aussi refusa-t-elle tout net quand il voulut l'y reconduire. Elle déclara qu'elle allait d'abord se réchauffer d'une tisane qu'elle prendrait dans le petit salon de l'auberge, puis demanda au réceptionniste de l'alcool et quelques pansements.

― Buvez donc l'alcool et jetez ces pansements inutiles ! conseilla un peu plus loin une voix moqueuse inattendue.

Au grand étonnement du Docteur, elle entra directement dans la pièce d'où venait la voix et alla s'asseoir dans un fauteuil proche de l'autre insomniaque encore présent à cette heure et qui s'avérait être le magicien chinois. Puis elle entama avec lui une conversation en attendant qu'on lui serve sa boisson. Elle avait les yeux un peu brillants et fiévreux et il était désarçonné par son sourire qu'il trouvait exagéré. Dieu sait qu'il avait follement aimé le très large sourire de Rose, mais sur Clara, et destiné à un autre que lui, le Docteur laissé pour compte ne l'appréciait guère.

Un serveur vint poser une tasse et sa soucoupe sur un guéridon en bois rouge sombre qui n'était pas loin d'eux. Elle saisit précautionneusement l'anse et se rencogna un peu dans la grande bergère de velours rose où elle était assise.

― Votre père nous regarde d'un œil fort soupçonneux, déclara le chinois sans lever le nez de son livre. Est-il toujours aussi protecteur envers vous ?

― Je lui ai dit que vous vouliez me débaucher…

― Mhh. Qui sait alors dans quel sens il l'a pris ? répondit-il en tournant une page toujours sans la regarder.

Clara pouffa un peu et avala une gorgée de sa tisane.

― Vous n'avez pas sommeil ? demanda-t-elle.

― J'espère que ce n'est pas une proposition ? répondit-il en fermant son livre pour la regarder au dessus de ses petites lunettes rondes cerclées de métal argenté.

― Non, rassurez-vous. Que lisiez-vous ? Une biographie de Houdini ? Je suis étonnée que sa renommée soit aussi éclatante par ici.

― Je suis étonné que vous sachiez de qui il s'agit…

― Ne suis-je pas la fille d'un magicien ?

― Peut-être, ou peut-être pas, répondit-il évasivement. Puisque vous n'avez pas sommeil, puis-je peut-être vous proposer une partie de cartes ?

― Une partie ou un tour ?

― Voudriez-vous me montrer ce que vous savez faire ?

― Non ! Je veux juste passer le temps. Je suis en plein décalage horaire, mentit-elle presque plausiblement.

Le professeur Wu eut l'air un petit peu déçu qu'elle le déboute de la sorte.Clara jeta un coup d'œil en coulisse au Docteur, qui s'était refusé à partir et restait discrètement au fond de la salle, accoudé au bar – le nez ostensiblement dans son petit carnet et les oreilles tendues.

― Et bien, vous allez trouver ça bizarre mais il est très fort aux cartes. Et d'une certaine manière, ça m'intimidait assez pour ne jamais vouloir apprendre et me mesurer à lui. Mais si vous m'expliquez les règles d'un jeu simple, je devrais pouvoir arriver à me débrouiller…

Un paquet de cartes apparut dans la paume du prestidigitateur comme il faisait un petit mouvement théâtral avec ses doigts pour le dévoiler, ce qui la fit sourire. Ils déplacèrent le guéridon pour l'installer entre eux.

― Est-ce que vous connaissez ce jeu très facile où l'on oppose une carte à son adversaire et celui qui a la valeur la plus forte ramasse les deux et où l'on gagne quand on a toutes les cartes ?

Clara sourit et hocha la tête affirmativement.

― Je le connais. Il est suffisamment facile pour que vous me parliez du livre que vous lisez sans réellement vous déconcentrer…

― Vous voulez jouer à un jeu plus compliqué où l'on intéressait la partie ?

― Je n'ai pas d'argent.

― Si vous perdez, vous aurez un gage. Une question difficile.

― Professeur… je vous ai dit que le jeu facile me convenait bien !

Il eut un sourire en coin et sépara le paquet en deux.

― Qui ne tente rien n'a rien. Va, pour le jeu facile mais vous devrez me faire un minimum de conversation pour que moi je ne m'endorme pas…

Clara le regarda avec plus d'acuité. Un autre homme lui avait déjà dit ce genre de choses naguère. Un homme dangereux. Peut-être devrait-elle faire vraiment plus attention. Peut-être que la répétition de cette situation était un avertissement ? Elle choisit de le prendre ainsi.

― Excusez-moi, j'ai un mot à dire à mon père, dit-elle en se levant et en prenant sa tasse vide.

Il la regarda partir, bouche bée de frustration, incapable de comprendre ce qu'il avait bien pu dire de travers. Elle venait simplement de lui glisser entre les doigts.

.°.

Elle grimpa sur un tabouret haut pour s'asseoir près de lui au comptoir du bar. Le Gallifréen avait les yeux dans le vague, l'air de contempler son reflet dans le miroir d'en face, mais elle ne s'y trompait pas tellement. C'était comme ça qu'il faisait quand il était, en réalité, très concentré et en train de réfléchir à un problème.

― Déjà fatiguée de votre nouvel ami ? demanda-t-il sans élever la voix en lançant à l'autre un regard au diapason des températures locales.

― C'est un truc qu'il a dit qui m'a fait réfléchir… Est-ce que les relevés vous apprennent quelque chose d'intéressant pour notre affaire ?

― Tout à fait ! Il y a assurément des manipulations complètement illégales de l'espace-temps par ici. Ce qui m'inquiète, c'est qu'elles sont très évidentes. La personne qui les occasionne ne se soucie pas de les dissimuler.

― A qui pensez-vous avoir affaire ? Un débutant ?

Il sourit en rempochant son carnet.

― J'aime vraiment que vous pensiez toujours aux options les plus innocentes… Oui, un débutant, ou bien plutôt quelqu'un qui se fiche d'être découvert parce qu'il pense qu'il peut agir impunément. Vous savez qu'il n'y a plus d'Agence Universelle du Temps, et en théorie le dernier Seigneur du Temps était censé mourir à Trenzalore… Je me demande si des petits malins n'ont pas mis ces infos bout à bout et décidé de faire ce que bon leur semblait, faute d'une police adaptée ou de quiconque qui puisse venir pour leur tirer l'oreille…

― Êtes-vous en train de soutenir sans rire que vous êtes le dernier rempart contre le chaos spatiotemporel ? demanda-t-elle d'un ton un peu amusé et moqueur.

― Croyez bien que ce n'est pas pour me vanter…

― Hum, comme si c'était votre genre, persifla-t-elle.

― Allez essayer de prendre un peu de repos, lui conseilla-t-il. Quand vous n'avez pas assez dormi vous êtes presque pire que Donna…

― D'accord mais je vous préviens : si je retrouve le plus petit cloporte dans ma chambre, je réquisitionne la vôtre. Sans négociation !

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LE DOCTEUR

Le Docteur remontait le couloir désert qui menait aux chambres de l'auberge. Il voulait s'assurer que tout allait bien pour Clara. Une partie de lui se chagrinait de ne pas avoir pu traiter les morsures faites par les Reapers et qu'elle soit sortie comme ça, toute écorchée et gluante sous les couches de vêtements qu'elle avait rajoutées à la hâte.

Autant il se sentait fier d'elle parce qu'elle parvenait tant bien que mal à juguler sa peur, autant il se sentait très mécontent de lui-même, parce qu'il se rendait parfaitement compte qu'il avait envie de la réconforter dans ses bras, de poser un doux baiser son front. Et d'aller à l'infirmerie du Tardis pour lui ôter ses oripeaux et effacer délicatement de sa peau tendre chaque blessure faite par les Reapers nouveaux nés… Oh non, non, non. Ça n'allait pas du tout ! s'épouvanta-t-il absolument pas dupe. Ce qu'il visualisait là commençait à devenir sérieusement glissant.

La restitution de ses émotions, survenue quand il était resté loin de Clara[1], n'était malheureusement surement pas étrangère à l'irruption de ces pensées pour le moins ambigües…

Il soupçonnait également que l'hormone présente dans la bave des Reapers recouvrant les cheveux de Clara, n'arrangeait rien du tout. En effet, les domini temporis et les Reapers étaient des créatures temporelles. A ce titre, force était de constater que les plus petites s'avéraient littéralement affolées et shootées par les schèmes puissants qui virevoltaient autour de sa jeune amie. Le saut volontaire qu'elle avait fait dans sa ligne temporelle, où elle s'était éparpillée en une dizaine de copies, en était certainement responsable. Devant cette bizarrerie défiant leur interprétation et se présentant comme « une anomalie respectant pourtant les lois du Temps », les petits Reapers perdaient tout simplement le nord. Le choc avait tué le premier.

Parce qu'il connaissait la puissance de leurs mâchoires qu'il avait déjà vue à l'œuvre, et la façon dont ils pouvaient déchiqueter ou lacérer leurs proies dans difficulté, le Docteur était raisonnablement sûr que ces morsures faites à Clara n'étaient rien d'autre que les « baisers fous » d'un animal frustre adressés à celle qu'il devait percevoir, à son échelle, comme une sorte d'ange grandiose et effrayant.

La vraie question était de savoir si les Reapers faisaient partie d'un plan plus vaste et fort subtil pour le faire tomber. Ou s'ils n'étaient là que par une malencontreuse coïncidence.

Parce que leur présence, accidentelle ou non, signalait bien des manipulations temporelles interdites quoique probablement mineures. Mais dans la mesure où il ne restait rien du tout des cadavres, il était malaisé de supposer qu'un jeune ait pu dévorer un corps entier en un éclair et sans laisser de traces. Le mode opératoire ne correspondait pas.

Il ne fallait pas être un génie pour supposer que ces manipulations temporelles pouvaient être dues aux « boîtes de téléportation » de ce Wu Tsi. Pendant ses spectacles, il utilisait vraisemblablement un faible champ temporel donnant l'impression d'effacer le spectateur cobaye dans la première boîte tandis qu'un complice apparaissait dans la seconde. Le Docteur utilisait lui-même la désynchronisation à une demi-seconde pour cacher très efficacement et très simplement le Tardis à ceux que le filtre à perception ne trompait pas. C'était l'enfance de l'art… Mais en soi, cela ne constituait pas un interdit. Ce qui l'était par contre, c'était la disparition ou le meurtre de personnes impliquées dans des Points Fixes… Et pour l'instant, il ne voyait pas comment relier les deux.

Arrêté devant la porte de Clara, il déglutit un peu nerveusement avant d'y frapper, pestant contre lui-même de se sentir aussi mal à l'aise alors qu'il n'y avait pas lieu de l'être. Clara était son amie. Sa très jeune amie et elle avait confiance en lui. Il frappa une nouvelle fois et ouvrit lentement la porte.

Ce qu'il vit derrière lui porta un violent coup aux cœurs. La pièce ne comportait quasiment plus que des murs et plus de plancher. Un vaste trou béant l'avait remplacé donnant directement sur le vide spatial, comme si la chambre avait été brutalement aspirée dans une dimension différente. Et de Clara, aucune trace.

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[1] Denier chapitre de l'épisode précédent « Ce qui reste de moi »

 

PS : Merci à mes quatre poignées de lecteurs d'être toujours là... 

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