Cyberpunk 2051
QG Principal
Le vieux container métallique gronda dans la pénombre, comme un monstre endormi qu’on venait de réveiller. Un souffle de vent s’y engouffra, charriant l’odeur âcre des pluies toxiques et des câbles brûlés. Dehors, les gouttes acides tambourinaient la tôle rouillée en une cadence irrégulière, mélange de pluie et de corrosion. Le silence intérieur se fissura d’un seul bruit : celui d’un pas mesuré, presque trop parfait pour appartenir à un homme ordinaire. 5h01. La serrure cliqueta sans alarme. La porte s’ouvrit sans fracas, comme si elle savait déjà à qui elle devait céder le passage. Un homme entra. Ni frisson. Ni hésitation. Son regard ne glissa sur rien — il s’imposa. Il marchait avec la précision d’un tueur et le calme d’un vétéran, chaque pas glissant sur le béton criblé de fissures comme une lame sur une gorge tendue. Il portait un long manteau noir, déformé par l’humidité, perlé de gouttes qui glissaient lentement le long du tissu renforcé. Aucun chrome apparent, mais chaque mouvement trahissait un équilibre parfait, une puissance dissimulée. L’élégance d’un prédateur. Cherry releva la tête depuis ses écrans, mâchoire serrée, doigts suspendus au-dessus du clavier lumineux. Une lueur verte clignotait dans ses rétines.
— Putain. Il est là.
Angel, pieds sur la table, mâchonnait un biscuit.
— T’es en retard, Bambi noir.
L’homme ne répondit pas. Il posa un sac au sol. Lentement. Se redressa. Et son regard traversa la pièce. Lentement. Froidement. Mac s’avança. Bras croisés. Ne souriait pas.
— Nom ?
— J’en ai plus.
— T’en veux un ?
Un silence.
Puis :
— Hexa.
Noxx apparut dans l’embrasure d’une porte. Bras croisés, silhouette tendue mais parfaitement stable, elle se découpait dans la lumière pâle comme une ligne de fracture prête à céder. Sa veste sombre laissait deviner le métal sous la peau, et ses yeux gris luisaient d’un éclat fixe, presque trop calme. Elle ne disait rien. Elle observait. Et son silence, plus que des mots, fit baisser les épaules de deux des membres déjà présents.
— J’lui ai dit que ça lui irait.
Cherry secoua la tête, lentement, presque théâtralement. Ses yeux balayèrent Hexa de haut en bas, scrutant chaque pli de son manteau trempé, chaque centimètre de silence qu’il traînait derrière lui comme une ombre. Une mèche de ses cheveux fluo, collée par la sueur et la concentration, glissa devant son visage sans qu’elle la chasse. Elle souffla du nez, une sorte de soupir ironique, puis fit rouler sa chaise en arrière, bras croisés. Le cuir grinça.
— Génial. Un muet.
CherryBit était affalée sur son siège comme si le trône lui appartenait. Deux longues couettes surgissaient de part et d’autre de sa tête, retenues par des élastiques fluo qui pulsaient doucement sous la lumière des écrans. Ses lunettes oversized à reflets néon cachaient à peine des cernes de fatigue et une lueur féroce. Elle mâchait un chewing-gum rose à tempo régulier, chaque claquement sec trahissant son impatience naturelle. Sa combinaison technique était ouverte au col, révélant un débardeur noir où dansaient des lignes de code phosphorescentes. Autour d’elle, les écrans affichaient des fragments du Net, des lignes de code corrompu, des visages floutés, et au centre, un cœur pixelisé en feu. C’était Cherry. Bordélique, brillante, insolente. Une netrunneuse qu’on ne contournait pas — même quand on voulait.
— Tu bidouilles les systèmes de sécurité en t’infiltrant par les fréquences fantômes. T’as un module de fuite codé dans tes rétines. Et t’as inversé le câblage B-12 de ton DataJack.
Cherry cligna des yeux, une fraction de seconde de bug dans son système. Son chewing-gum s’arrêta net. Puis elle reprit sa mastication avec un claquement sec, haussa un sourcil derrière ses lunettes fluo, et laissa échapper un sifflement moqueur. À côté, Angel éclata d’un rire franc, brutal, le genre qui claquait comme un coup de feu dans le silence, secouant la table du plat de la main.
— Ok. Il parle. Et il flambe.
Angel croisa les bras derrière sa tête, toujours affalé sur sa chaise, un éclat de rire roulant comme une basse chaude. Son profil se découpa dans la lumière bleutée des écrans, mâchoire nette, barbe fine comme tracée au scalpel, et ce grain de peau doré qui accroche les néons comme un filtre trop parfait. Un anneau brilla à son oreille, clin d’œil discret à son goût pour le style — urbain, affirmé, théâtral parfois. Son regard glissa vers Hexa, amusé. Il n’avait pas besoin d’en faire plus. Chez Angel, tout passait dans le rythme des gestes, le silence entre les mots. Un mec qui dansait avec l’ombre comme d’autres dansent avec le feu. Mac lui sourit, très légèrement.
— Bienvenue dans l’équipe.
Hexa ne répondit pas. Il balaya la pièce du regard, un à un, comme s’il évaluait les possibles, les failles, les forces. Rien d’hostile, mais rien de naïf non plus. Puis, lentement, ses yeux glissèrent jusqu’à la carte tactique fixée au mur — vieille impression thermique couverte d’annotations fluorescentes, coins écornés, lignes de trajectoire presque effacées. Il ne tourna même pas la tête.
— C’est pas une serrure à forcer. C’est une grille thermique. Y’a un point d’entrée dans la gaine sud.
Mac se tourna vers Noxx. Un silence s’abattit. Léger frisson. Comme si la pièce venait de reconnaître l’un des siens. Elle sourit.
— Il a étudié le plan ?
— Il a redessiné le plan.
Un nouveau silence.
Raze, adossée au mur, lança simplement :
— Il est peut-être pas sociable. Mais s’il sait viser aussi bien qu’il sait lire une map… il peut rester.
Sa voix était posée, presque plate, mais tranchante comme un scalpel. Sous son long manteau noir et son voile tiré avec précision, son regard fixait Hexa avec la clarté de celles qui n’ont plus le luxe de douter. Raze ne parlait pas pour meubler. Chaque mot était un poids, chaque silence, un calcul. Elle avait cette présence dure et compacte, forgée par la survie, l’intelligence, et un feu intérieur maîtrisé jusqu’à l’os. Une tension contenue, élégante et discrète. On ne lui demandait jamais de sourire. Et c’était très bien comme ça. Cherry grogna en ramenant ses jambes sous elle.
— Ok, Hexa. Bienvenue. Mais si tu touches à mon matos… je t’empoisonne avec un chewing-gum.
Hexa hocha la tête, sérieux.
— Noté
Et alors, dans ce mélange d’ombres, de chrome, de méfiance et de câbles, Hexa entra dans la meute. Pas avec un cri. Pas avec un tir. Mais avec une promesse silencieuse, tapie sous la peau : il ne rate jamais.
Mac, lui, resta debout. Bras croisés. Le visage barré de rides profondes et d’un calme dangereux. Son œil gauche était remplacé par un module optique renforcé, câblé à même l’orbite, son pourtour noirci par les cicatrices de l’ancien feu. Il ne bougeait pas, ou à peine, mais tout chez lui respirait la force retenue, la guerre digérée. Une montagne taillée au couteau. Mac ne parlait que quand c’était nécessaire, et jamais pour rassurer. Mais à cet instant précis, un pli presque imperceptible passa sur son visage. Un sourire, ou quelque chose qui s’en rapprochait.