Cyberpunk 2051

Chapitre 3 : Protocole Cerise

2624 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a environ 2 mois

Nightcity était encore endormie sous ses néons fatigués quand Mac releva les yeux de sa tablette. Cherry, adossée au mur près de la porte de service, triturait un anneau sur sa main gauche. Noxx, elle, était déjà là, jambes croisées, sur les marches juste a coté de Cherrybit, casque autour du cou

— Seulement à utiliser en mode urgence, ok ? 

La voix de Mac n’était pas forte. Mais elle vibrait de cette façon-là, comme une consigne qu’on entend même dans le chaos. Noxx hocha la tête sans mot dire. Cherry leva un doigt, paume vers le bas — accord silencieux. Aucune question. Ils sortirent tous les trois. Le reste de l’équipe attendait dehors, à l’arrière d’un van tagué jusqu’à l’os, les plaques dissimulées sous un film modulé. L’air sentait la pluie de métal. Les moteurs dormaient, mais les armes, elles, étaient réveillées. Mac planta les yeux sur le bâtiment en face : une structure tordue, mi-hangar, mi-clinic, probablement tenue par une cellule locale des Maelstroms.

— Ils ont pris du matos. Notre matos. Ce qu’on leur a laissé... par erreur. On récupère. On laisse rien. 

Noxx fouilla dans le coffre, fit glisser un long sac noir jusqu’à ses pieds. Elle le tira par la sangle, sans un mot, comme on sortirait un cercueil miniature d’un silence trop lourd. Un instant, ses doigts se figèrent sur la fermeture. Elle l’ouvrit lentement. De l’intérieur, le reflet froid d’un canon dépassa. Hexa, un peu en retrait, s’approcha. Première mission officielle. Premier vrai test. Il hésita, puis demanda, un peu trop bas, comme si la question pouvait être mal vue :

— Qu’est-ce que je fais, exactement ? 

Noxx leva les yeux vers lui. Sourire fin, tranchant comme du verre poli.

— Survivre. 

Elle attrapa son sac, tourna les talons.

Mais déjà à quelques pas, elle se retourna à moitié, lança par-dessus son épaule, plus fort, presque moqueuse :

— Et protéger les autres ! 

Son rire claqua dans la nuit, léger, électrique. Un doigt levé vers le ciel pour ponctuer. Les portes volèrent quelques minutes plus tard. Mac, Raze, Dye, Angel, Hexa — entrée propre, formation serrée. Chaque pas compté. Cherry était restée dans la voiture de Noxx, connectée à son deck. Une mèche de cheveux trempée de sueur collait à sa tempe, ses doigts dansaient dans le vide, traduisant des couches de données qu’elle seule voyait. Elle ne disait rien, mais chaque serrure qui sautait, chaque lumière qui clignotait, chaque caméra qui se déconnectait... c’était elle. On croyait qu’elle dormait. En fait, elle leur ouvrait la voie.

Et au-dessus d’eux, perchée sur un toit d’en face, Noxx était déjà en position. Le sniper déployé sur deux trépieds magnétiques. Viseur calibré. Respiration calme. Elle les regardait tous faire. Un à un. Comme une sœur veillant sur sa meute. Et quelque part dans le silence, un mot traversa son esprit — Hexa. 


Le souffle du vent accrocha le bord du manteau de Noxx, haut perchée sur le toit du bâtiment opposé. Son œil rivé à la lunette de son sniper Phantom KLR-X modifié, amplifié thermique, visée smartlink. Sa respiration calée sur le métronome de ses battements cardiaques, boostés par un calmchip de combat. En bas, le monde bougeait. Pas dans le désordre — non. Dans le rythme. Comme une danse tactique. Cherry était toujours connectée. Patchée au système via son deck neural Synapse GT, elle pilotait les flux comme une marionnettiste fantôme. On ne la voyait pas, mais elle était là : dans chaque lumière qui s’éteignait au bon moment, dans chaque porte qui grinçait une seconde plus tard, dans chaque mur qui cessait de capter les ondes. Les ombres se tordaient à son avantage. Son esprit tissait la route. Efficace. Invisible. Présente.

À l’intérieur, Mac ouvrait la voie. Raze en couverture. Dye et Angel en relais. Hexa fermait la marche, crispé, mais solide. Et ça commence. Un premier couloir. Deux Maelstroms boostés, câblés, armés jusqu’aux rotules. Trois tirs, trois corps au sol. Tout s’enchaîne. Aucun cri. Aucune hésitation. Des mouvements ciselés, mécaniques. Chaque geste répond à l’autre. Chaque position s’ajuste dans une géométrie fluide. Un ballet létal. Une machine de guerre chorégraphiée. Noxx, en haut, suit tout. Elle ne tire pas. Pas encore. Puis, elle murmure dans le micro intégré à sa gorge:

— Par terre. 

Un mot. Froid. Brut. Tranchant. En bas, Mac, Angel, Raze, Dye — tous réagissent immédiatement. En une demi-seconde, ils plongent Mac se plaque contre une colonne. Raze glisse derrière une pile de serveurs carbonisés. Dye s’écrase entre deux modules de ventilation. Angel bascule dans une alcôve, corps tendu, visage au sol. Sauf Hexa. Il ne comprend pas. Il reste debout, hésitant, entre deux gestes. Pris dans le vide. Angel l’attrape par l’arrière de la veste, le tire violemment vers le sol.

— Fais comme les grands, bambino. 

Un clin d’œil. Et le monde explose.

  • Premier tir : Un garde planqué derrière une verrière blindée.
  • Verre éclaté. Crâne éclaté.
  • Deuxième tir : Un drone d’assaut sur rail suspendu. Réduit en pluie de flammes et circuits.
  • Troisième tir : Un Maelstrom en exo squelette. Le tir vise les articulations. Les jambes cèdent. Le torse s’écrase dans les câbles haute tension.
  • Quatrième tir : Sniper en visée thermique à l’étage supérieur. Cible trop lente. Tir entre les yeux. Le corps tombe comme un sac de câbles.
  • Cinquième tir : Portail blindé avec triple verrouillage bio-numérique. Explose en un chaos de métal et de flammes, ouvrant le chemin.
  • Sixième tir : Silhouette camouflée par champs optiques.Mais repérée via un flicker d’énergie. Abattue en vol d’un tir fendu.
  • Septième tir : Un opérateur neural connecté à trois autres Maelstroms. Le tir traverse son crâne et son interface centrale. Les trois autres s’effondrent avec lui.

Et au moment de viser la huitième cible — Noxx se fige. Quelque chose est là. Une présence. Pas une signature thermique. Une respiration. Un oubli. Elle sent la pression du canon froid contre sa tempe avant même de l’entendre. Un souffle rauque. Un mot en dialecte haché. Un nom effacé. Mais familier. Elle l’a déjà vu. Elle l’a visé. Jamais tiré. Pas encore. Elle lâche la lunette, pivote. Genou dans le torse. L’arme vole. Un deuxième surgit. Elle l’éclate avec le canon du Phantom. Un troisième — un masque de verre cybernétique — frappe son com implanté derrière l’oreille.

CRACK.

Module éclaté. Lien coupé. Plus de Cherry. Plus de signal. Le silence. Total.

Ils sont trois.

Elle est une.

Elle glisse.

Frappe. Recule. Frappe encore.

Un bras brisé.

Un crâne ouvert.

Il en reste un.

Un couteau-serpent à la main.

Une lame de mémoire.

Il s’approche. Il sourit.

Elle aussi.

Mais pas à lui.

À la lunette.

Toujours active.

Toujours posée.

Toujours pointée.

Elle plonge.

Un genou au sol.

Son doigt s’enroule autour de la détente.

BOUM.

Huitième tir : Le crâne de l’homme éclate. Parfait. Comme si la balle avait attendu son moment. Le corps tombe. Noxx reste là, un souffle, un battement.

Puis elle murmure, presque avec tendresse :

— Pas aujourd’hui. 


Le silence s’était refermé d’un coup. Un silence pesant, sale, collé à la peau. Noxx resta un instant figée, les doigts crispés sur le fusil encore fumant. Son souffle saccadé, irrégulier, hachait l’air comme un moteur en surchauffe. Elle respirait comme si elle n’y croyait pas encore. Le sang tambourinait dans ses tempes. Elle recula, tituba presque, posa un genou à terre. Son regard balaya le sol, fébrile. Elle chercha, fouilla, poussa du bout des doigts une plaque arrachée, un éclat de verre. Puis elle le vit : son module de communication. Fracturé. Le noyau arraché. Mort.

 — Putain... 

Pas de colère. Juste ce mot, comme un souffle de constat. Elle se releva, bascula le Phantom sur l’épaule et fila. Elle dévala l’escalier de secours, deux marches à la fois, sans se retourner. Mais en bas, dans un renfoncement d’acier tordu, juste avant le parking, elle s’arrêta net. Un corps, explosé contre le mur. Et à ses pieds : une énorme mitrailleuse lourde, montée sur un rig bricolé, avec une sangle de fortune et des munitions encore chaudes. Un monstre. Noxx se pencha lentement, la souleva à deux mains. C’était lourd comme une carcasse, mais elle sourit. Grand. Vraiment grand. Comme une gosse à qui on aurait laissé les clés d’un tank. Elle lâcha un petit rire. Puis reprit sa marche, comme si de rien n’était, la chose sur l’épaule. Elle arriva à la voiture. Cherry était toujours dans son interface, plongée dans un océan de lignes de code et de menaces électroniques. Un œil rouge battait au fond de son écran. Sa main tremblait à peine. Concentrée. Brûlée vive de l’intérieur par le flux.

CLAC CLAC CLAC

Noxx frappa à la vitre. Cherry sursauta comme si on venait de tirer dans son dos. Elle se retourna d’un coup, le cœur au bord de la gorge, les yeux dilatés. La fenêtre était encore fermée. Noxx se tenait là, derrière, son sourire trop large, trop heureux pour ce qu’elles venaient de traverser. La mitrailleuse reposait sur son épaule, plus grande qu’elle. Elle la souleva légèrement d’un geste de triomphe. Moue d’enfant. Regard qui brille. Et à travers la vitre, elle articula, exagérément :

— T’AS VU CE QUE J’AI TROUVÉ ? 

Cherry la fixa. Pas un mot. Elle avait tout vu. Tout. Du début à la fin. Et elle était fatiguée. Très, très fatiguée. Elle leva les yeux au ciel. Noxx secoua la mitrailleuse comme une clochette.

 — Allez on y vaaaaa ! 

Et elle partit en courant, l’arme sur l’épaule, comme une gamine trop contente d’aller à la fête foraine. Cherry referma son deck avec un soupir. Et la suivit. Parce qu’il fallait bien.


Les Folles pénétrèrent dans l’enfer. Cherry resta en arrière, tapie dans l’ombre d’un pylône fumant, son deck greffé au bras, les yeux injectés de flux. Noxx marchait droit devant, silhouette sale, silhouette sûre, la mitrailleuse monstre sur l’épaule. Dedans, c’était l’apocalypse. Des balles traversaient les cloisons comme du papier. L’équipe se battait au sol, plafond qui s’effondre, câbles à nu, cris métalliques des Maelstroms. Mac gueulait des ordres entre deux rafales. Dye couvrait. Angel tirait à l’aveugle. Hexa... Hexa survivait. Ils étaient acculés. Et personne ne voyait la sortie. Jusqu’à ce sifflement. Une seule note. Pure. Fendue. Noxx. Ils levèrent tous la tête.

Elle était là, au centre du chaos. La mitrailleuse trop lourde, braquée comme si elle pesait rien. Ses yeux brillaient. Pas de peur. Pas d’urgence. Juste... cette chose dans ses veines. Ce feu froid. Et elle ouvrit le feu. Des douilles incandescentes tombèrent en pluie. Les murs se fissuraient. Les Maelstroms explosaient. Elle cria dans la radio :

 — MAC, c’est une URGENCE ?! 

Mac hurla quelque chose. On n’entendit qu’un fragment. Mais c’était suffisant. Noxx serra la mâchoire. Ses yeux croisèrent ceux de Cherry, planquée dans l’ombre.

Et elle hurla :

 — CERISE ! 

>> Protocole d’urgence CERISE engagé

>> Clé biométrique acceptée : CHERRY/NOXX

>> Autorisation croisée : EXCEPTIONNELLE

>> Activation en tandem : ChromaPhase-Z // CERISE

Le monde s’étrangla. Quand Cherry valida le protocole, tout s’ouvrit dans le corps de Noxx. Un grondement monta depuis sa nuque. Un son épais, vibrant, sale, comme si quelque chose d’ancien se réveillait sous sa peau. Le caisson cryogénique du ChromaPhase-Z se déverrouilla dans un claquement hydraulique. Un souffle de froid intense s’échappa de ses cervicales, comme de la vapeur d’azote. Sa colonne se cambra, un spasme de tout le système nerveux. Puis tout bascula. Sa peau se tendit. Ses veines prirent feu. Les implants dormants se réveillèrent d’un coup. Sous la chair, des lignes rouges et violettes s’illuminèrent, courant depuis la base du crâne jusqu’au bout des doigts. On aurait dit un circuit imprimé vivant. Ses membres se raidirent, puis craquèrent violemment vers l’arrière, comme disloqués. Mais ce n’était pas une blessure. C’était un réalignement. Ses omoplates s’ouvrirent. Littéralement. Deux panneaux mécaniques fendirent sa peau et s’extirpèrent de son dos, dans un jet de liquide neural et de câbles rétractables. Des bras secondaires internes, faits de pistons miniatures et de systèmes gyroscopiques, se verrouillèrent sur ses hanches, renforçant chaque articulation. Ses jambes claquèrent — deux rails internes surgirent depuis ses cuisses, fixant ses genoux. Ses bottes se fendirent, et des crochets en titane s’ancrèrent au sol. Son torse se contracta. Puis des plaques d’armure en fibre-carbone surgies de son propre sternum vinrent recouvrir sa cage thoracique. Sa respiration cessa. Elle n’en avait plus besoin. Son visage ? Presque humain. Mais ses yeux n’étaient plus là. À leur place : deux optiques rouges multifréquences, qui zoomaient, analysaient, filtraient. Sa mâchoire claquait doucement, à chaque micro-ajustement de son équilibre. Elle leva la tête. Et dans un souffle mécanique, sa voix sortit — filtrée, modulée, sans émotion :

— Mode CERISE. ChromaPhase-Z engagé. Priorité : neutralisation. 

Noxx n’était plus humaine. Elle était un monstre. Une chimère cybernétique née d’une fille et de la guerre. Elle explosa en avant. Les impacts ennemis ricochèrent sur son armure vivante. Son corps déplaçait l’air comme une machine lourde. Chaque pas faisait vibrer le sol. Sa mitrailleuse s’ancra à son bras via un port magnétique. Ses doigts se bloquèrent en place avec un *clic* sordide. Chaque tir devenait une rafale chirurgicale, synchronisée au ralentissement du monde. Le ChromaPhase-Z ralentissait le temps à l’échelle locale. Elle voyait tout. Les balles. Les souffles. Les tremblements d’ennemis avant qu’ils ne tirent. Elle anticipait. Elle corrigeait le futur. Elle traversa la ligne ennemie. Un, deux, trois… huit. Puis elle s’arrêta. Hexa. Devant elle. Elle s’approcha, inhumaine. Le fusil pointé. Droite vers lui. Elle ne parlait plus. Elle n’était plus. Hexa leva son arme. Il vit. Derrière elle. Un dernier Maelstrom. Prêt à tirer. Il tira. L’homme s’effondra. Et Noxx aussi. Son corps se coupa net. Les optiques s’éteignirent. Les plaques se rétractèrent. Les bras secondaires se replièrent. Le ChromaPhase-Z ferma le circuit. Elle tomba à genoux. Éteinte. Il n’y avait plus un ennemi vivant. La pièce fumait. Les autres sortaient lentement de leur cachette. Hexa s’approcha. Tendit la main.

— Protéger les autres ? 

Elle ouvrit les yeux. Et sourit.

— Protéger les autres ! . 

Et elle se releva avec lui.

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