Cyberpunk 2051
Chapitre 1 : Bienvenue à Night City
2232 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour il y a environ 2 mois
Appartement de Noxx
L’appartement était blanc. Presque vide. Pas stérile — juste… épuré. Des murs nus, une lumière douce, des lignes nettes. Pas de désordre. Pas de photos. Pas de passé. Le silence y régnait comme un vide maintenu sous vide. Noxx était assise en tailleur sur le sol, dos contre un mur froid. Elle n’avait pas allumé la lumière. Le néon de la rue vibrait faiblement à travers les stores : un rose sale, clignotant, qui hachurait son visage de reflets instables. L’odeur de chrome chauffé, de poussière sèche et d’huile de maintenance flottait dans l’air. À ses pieds, un chat chromé s’étirait, lentement. Museau lisse, pattes métalliques articulées, reflets nacrés sur le dos. Il clignait doucement, comme s’il dormait — ou feignait de rêver. Elle le caressa du bout des doigts, sans y penser. Il ronronna avec un léger bourdonnement électrique, régulier, presque apaisant.
Sur la table basse : un pistolet soigneusement nettoyé, pièce par pièce, une seringue pleine de liquide ambré, marquée “Neuro-Stab™”, et un petit cube translucide, légèrement luminescent : une copie offline de son programme de combat : CERISE. En veille. Elle soupira. Un son court, entre l’agacement et la fatigue.
— T’as vu ce bordel, Noxx ? Ils auraient pu y rester. T’as vu le nombre de tirs mal couverts ?
— Et j’étais où ? En haut. À faire le ménage, comme toujours.
— Justement. C’est ça le problème. T’es trop là-haut. Trop loin.
Elle leva les yeux, agacée, les paupières alourdies par la lumière intermittente du néon. Son regard monta lentement, comme si chaque mouvement lui coûtait. Au même instant, le chat chromé bondit sur ses genoux dans un cliquetis feutré, ses pattes métalliques glissant à peine sur le tissu humide de son pantalon. Il se lova contre elle sans attendre, comme s’il sentait la tension et venait l’absorber. Un ronronnement mécanique monta, discret, apaisant — presque médical.
— Quoi, tu veux que j’descende faire des câlins à chaque mission ?
— Non. J’veux que tu respires l’odeur du terrain.
Silence. Il la fixait. Elle détourna les yeux.
— On a un nouveau contrat.
— Laisse-moi deviner : surveillance ?
— Non. Exécution.
Elle releva la tête. Légèrement.
— C’est un solo. Il se planque au Lizzie’s. Tu le trouves, tu le butes. Fin.
Elle se passa la main sur le visage.
— Putain… Ça m’souuuuuuule.
Le chat miaula, un son aigu, presque désynchronisé, comme une alerte douce. Elle souffla longuement, les épaules légèrement affaissées, le regard perdu quelque part entre les stores tremblants et un souvenir qui ne voulait pas remonter. C’était le genre de souffle qui ne soulage rien, mais qu’on laisse filer pour ne pas exploser.
— J’aime bien les toits.
— Je sais. Mais parfois faut descendre dans la merde.
Elle désigna le cube posé sur la table d’un léger mouvement du menton, sans même le regarder. Comme si l’objet parlait pour elle, comme si son simple clignotement suffisait à expliquer ce qu’elle avait en tête. CERISE. En veille. En attente. Et elle, déjà en train de penser plus loin.
— Je voulais m’entraîner. Battre mon record.
— CERISE ?
— Ouais. J’veux passer à neuf.
Mac esquissa un sourire. Un seul côté. Un rictus sec, à peine vivant, plus proche d’une cicatrice d’habitude que d’un vrai amusement. Ce n’était pas de la joie. C’était du signal. Une façon de dire : “Je sais que tu vas le faire. Et je sais ce que ça va te coûter.”
— Alors commence par aller au Lizzie’s. Qui sait… Peut-être que ce type te fera courir assez longtemps pour t’échauffer.
Elle roula des yeux. Et la tête.
— J’te jure Mac… Si encore c’était un contrat intéressant.
Elle se leva. Enfila sa veste d’un geste mécanique, le tissu encore tiède contre ses bras. Le chat grimpa aussitôt sur son épaule, agile, silencieux, comme une excroissance familière greffée à sa clavicule. Il frotta doucement son museau chromé contre sa joue, une doudouce tendre, presque humaine — tentative maladroite de réconfort ou simple rituel. Puis il glissa lentement le long de son bras, atterrissant sans bruit au sol.Elle ne dit rien, mais pensa fort : “Je peux pas t’emmener bosser, toi.”
— Bon. J’vais voir si ce type mérite une balle. »
Elle claqua la porte. Un bruit sec, tranchant, comme un coup de lame dans le silence. L’appartement vibra un instant, puis retomba dans l’immobilité. Sur la table, le cube de CERISE émit un dernier éclat rouge, pulsant une seule fois — comme un battement cardiaque isolé. Puis la lumière s’éteignit, avalée par l’ombre. Le programme retomba en sommeil. Pour l’instant.
Night City – Lizzie’s Bar
La pluie tombait finement sur les néons du Lizzie’s, éclaboussant le trottoir d’un dégradé rose-bleu instable. L’air sentait la sueur, l’alcool synthétique, et l’électricité statique de fin de nuit. Noxx descendit de son véhicule, veste longue encore humide sur les épaules, et poussa les portes du bar. Le son étouffé des basses se transforma en vibration complète dès qu’elle franchit le sas. À l’entrée, Sari, une des Mox, tenait son bébé contre sa poitrine sous une écharpe de combat. Un flingue dans le dos, une grenouillère à paillettes au ventre. Elle leva un sourcil en la voyant arriver.
— T’es encore là, putain ? T’as un abonnement ou quoi ?
— J’viens taxer du sucre et foutre le bordel, ouais. Mais promis, pas de balles ce soir.
Noxx lui lança un baiser en l’air, désinvolte, puis se pencha vers le bébé avec un sourire large, presque moqueur.
— Gouzi gouzi, futur runner de génie, hein ? Je PROMETS les filles, je respecte le règlement. Pas de cadavres, pas de chromes en feu, juré craché.
Elle tourna sur elle-même en pointant les Mox une par une, sourire aux lèvres.
— Et vous méritez d’avoir ce putain de territoire. Et même plus. Night City vous appartient, merde. J’vous aime, les Mox. J’vous jure.
Ce n’était pas que des mots. Noxx avait toujours eu du respect pour les Mox. C’était pas juste un gang — c’était une mémoire en armes. Un héritage remontant à l’époque de Lizzie herself : ancienne travailleuse du sexe, tuée pour avoir protégé ses filles contre des corpos. Depuis, les Mox avaient pris les armes. Protéger les leurs. Protéger les autres. Noxx aimait ça. Ce mélange de tendresse et de rage. Ce refus de courber l’échine. C’était pas de l’admiration. C’était du respect. De guerrière à guerrière. Des rires. Des clins d’œil. Des doigts levés en cœur chromé. Elle s’éloigna. Direction le fond du bar. Le Lizzie’s crachait ses basses comme des coups de feu sourds. Lumières violettes. Peaux moites. Alcool bon marché. Poudre planquée. Et lui. Il était là, assis contre le zinc, silhouette posée avec une précision presque inconsciente. Tatouages japonais nets dans la nuque, deux dragons enroulés sur ses bras comme une menace retenue. Veste sombre, renforcée, un peu trop propre pour un errant, un peu trop usée pour un corpo. Des implants discrets affleuraient sous ses gants ouverts. Ses cheveux noirs collaient encore un peu à ses tempes, traces de pluie ou de sueur. Et surtout, ses yeux — noirs, calmes, inaccessibles. Pas éteints. Juste… verrouillés. Il ne jouait pas. Il ne regardait personne. Il ne faisait rien pour exister. Et pourtant, il occupait l’espace comme une tension muette. Noxx le fixa, immobile. Quelque chose, en elle, s’était mis à ralentir. Dans son implant, elle envoya un murmure à Mac :
— Mac, j’ai trouvé ton mec.
Son pouce caressa la détente dissimulée sous sa veste. Elle aurait pu. Là. Une balle, un effacement propre. Contrat exécuté. Mais elle ne bougea pas. Elle avait promis aux filles. Aux Mox. Elle resta debout. À l’observer. son instinct hurla. Pas lui. Pas comme ça. Pas maintenant. Elle s’approcha. Lente. Contrôlée. Chaque pas absorbait le bruit, chaque geste semblait pensé à l’avance. Son manteau effleurait les silhouettes sans jamais s’accrocher. Elle ne le quittait pas des yeux. Pas une menace, pas une attaque — une lecture. Arrivée à sa hauteur, elle s’accouda au bar, juste à côté de lui, comme si la distance entre eux n’avait jamais existé.
— Hey.
Il tourna la tête à peine.
— Désolé, j’suis pas intéressé.
Elle esquissa un sourire. Pas charmeur, pas hostile — juste ce rictus en coin qu’on fait quand quelque chose nous pique, mais qu’on refuse de saigner. Elle ferma brièvement les yeux, pencha légèrement la tête. Oh putain… il a dit quoi, ce connard ? L’ironie lui traversa la poitrine comme une bouffée de chaleur. Il croit que j’suis là pour draguer ? Que j’suis pas assez bien pour lui ? Un rire intérieur, sec, amer. Sale con. Elle rouvrit les yeux, plus calme qu’elle ne l’était vraiment. Elle resta là, droite, ancrée. Parce qu’elle avait déjà décidé. Il allait la voir. Vraiment. D’un geste lent et maîtrisé, elle sortit son arme, la posa sur le zinc dans un claquement doux, précis, presque cérémoniel. Le canon tourné vers elle. Geste inversé. Geste de confiance ou de défi. Impossible à dire.
— Et là, je t’intéresse ?
Il l’a vit enfin. Pas juste une silhouette. Une présence. Capuche baissée, cheveux blancs trempés plaqués sur ses tempes, comme des filins de givre. Ses yeux étaient gris, métalliques, d’un ton froid qui ne brillait pas — ils absorbaient la lumière plus qu’ils ne la reflétaient. Des yeux qui regardaient sans chercher. Qui pesaient. Le visage marqué, anguleux, avec des implants faciaux fins courant sous la peau comme des veines synthétiques. Une cicatrice pâle longeait sa mâchoire gauche, souvenir discret mais impossible à ignorer. Et cette posture — calme, assurée, ancrée. Elle ne posait pas de question. Elle attendait une réponse.
— … Oh. Merde.
Elle leva un doigt. Geste sec, chirurgical. Ping. Une vibration discrète traversa l’air, et la fiche s’afficha dans son champ visuel : son visage, son nom, son historique — ou ce qu’il en restait. Et surtout, son prix. Une somme nette, brutale. Pas assez pour justifier un meurtre. Juste assez pour qu’on ne pose pas de questions. Il grimaça. Une tension traversa sa mâchoire, et il se redressa à moitié, lentement, sans geste brusque. Comme s’il savait qu’il était déjà trop tard, mais pas encore mort.
— T’es qui ? Une fucking corpo ?
— Non. J’suis Noxx.
Pause. Elle le regardait, lui, plus que le contrat. Et le vertige grimpa doucement.
— J’étais venue pour te descendre, ouais. T’effacer propre. Une balle dans la nuque, personne pleure.
Il se tendit. Son dos se raidit imperceptiblement, comme un fil qu’on tire trop fort. Un muscle claqua sous sa mâchoire, sec, nerveux, trahissant ce que son visage refusait d’admettre. Il ne parla pas. Pas un mot. Juste ce silence lourd, chargé, presque agressif — celui de ceux qui savent que parler serait déjà céder du terrain.
— Mais j’te regarde, j’t’écoute. Et j’peux pas.
— Pourquoi ?
— J’sais pas. Elle secoua la tête, doucement.
— J’le sens. Et j’écoute toujours quand ça parle comme ça.
— T’es chelou.
Elle sourit, doucement.
— Ouais. Mais j’sais ce que je fais.
Elle appuya doucement contre son implant.
— Code Mero. Puis, à Mac, plus bas :
— Il a sa place. Et tu sais que j’ai jamais eu besoin de deuxième essai.
Elle se pencha à nouveau vers lui.
— J’peux encore tirer si tu veux. Ou j’peux t’effacer d’une autre façon. Te faire disparaître de la liste, te donner une nouvelle putain d’existence. Avec nous. Avec moi.
— Tu crois que j’ai besoin d’aide ?
— Non. Mais j’crois que t’en veux. Même si tu le sais pas encore.
Elle recula, sans précipitation, les yeux toujours ancrés dans les siens. Son bras suivit un mouvement fluide, méthodique, et elle rangea son flingue d’un geste silencieux, presque élégant. Pas de menace. Pas de reddition non plus. Juste une décision. Définitive.
— Bois. Et si t’as les couilles, suis moi.
Et elle disparut dans la foule, avalée par les lumières violettes, les corps en transe, les basses qui cognaient comme des battements de cœur sous acide. Elle ne se retourna pas. Pas par défi. Parce qu’elle n’avait pas besoin de le faire. Elle avait dit ce qu’il fallait. Fait ce qu’elle devait. Le reste… lui appartenait.