When in Rome

Chapitre 102 : Dopplegänger

3312 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a environ 1 mois

Chapitre 51  Dopplegänger

 

Florence et San Francisco, décembre 2005

Dawn était rentrée épuisée de sa petite opération commando en Écosse, et n’avait que l’intention de se jeter sur son lit dont les lattes étaient aussi fatiguées qu’elle. La conversation qu’elle avait eue avec Cordelia lui bouillonnait encore sous le crâne. Cette histoire de mondes parallèles où le passé était parfois réécrit et parfois pas, c’était d’une complexité sans nom. Autrefois, elle avait suivi des cours où on lui expliquait que la Nature aimait les choses simples. Avec un ricanement, elle en déduisit que le surnaturel, pour sa part, les aimait compliquées !

A sa surprise, Doyle l’attendait, planté là tout seul au milieu de son studio de quinze mètres carrés. Bille en tête, elle avait essayé de le cuisiner pour avoir des éclaircissements sur ce qu’avait dit Cordelia, à propos des deux mondes dans lesquels elle n’existait pas, mais il lui avait dit que ce serait peut-être plus simple de le lui montrer.

D’un geste fluide, il avait fait apparaître sur le plus grand mur une sorte de petite baie, par laquelle elle pouvait regarder une chambre d’hôpital comme à travers une vitre sans tain.

Là, reposait une jeune fille pâle et amaigrie. En l’observant, elle reçut comme un coup de poing dans le cœur qui se mit à palpiter comme un oiseau effrayé. Dawn. Elle qui avait d’habitude une santé de fer, elle avait l’air bien mal en point. Et cela lui serrait la gorge de voir ses bras presque aussi minces que ceux de Drusilla…. ce qui n’était pas peu dire.

— Je me souviens de cela maintenant, murmura la plus âgée en tendant la main vers l’image. J’avais presque oublié...

De l’autre côté de cette vitre intangible, à San Francisco, la jeune fille aux cheveux longs contemplait ce qui l’entourait avec une expression étrange, mêlant distance et tristesse, peut-être aussi un peu de perplexité, comme si elle se demandait ce qu’elle faisait là. Ou comme si elle s’étonnait d’être encore là. Elle semblait chercher quelque chose des yeux autour de la pièce.

Où est-il ?

— A qui parle-t-elle ?

— Elle attend quelqu’un.

— Spike ?

La plus âgée des deux fronça les sourcils et réalisa subitement que c’était vrai. Spike avait été dans cette chambre, près d’elle à ce moment-là. Il était resté à lui parler de ce qu’il savait de la courte vie qu’elle avait menée.

Son geste était bizarre quand elle y repensait. Elle l’aurait plutôt vu se jeter dans l’action, aller prêter main forte aux autres au lieu de la regarder s’éteindre. Passer du temps avec une petite sœur mourante, ça ne lui ressemblait pas trop. A l’époque, elle ne s’en était vite plus souciée car des pans entiers de son histoire se dissolvaient. Les heures passant, ni elle – ni lui – ne savaient plus très bien qui elle était. L’histoire se répète, toujours la tête en vrac...

Plus tard, quand les choses étaient revenues plus ou moins en ordre, elle s’était dit que s’il avait été là, c’était sûrement parce que les autres n’avaient pas voulu de lui. Cela ne pouvait être que pour cette raison. [1]

— Spi- ?

La seconde syllabe disparut dans une toux de la malade et une volute lumineuse épaisse s’échappa de ses lèvres, pour disparaître prestement comme si elle était aspirée par le plafond. [2]

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle à Doyle qui regardait la scène silencieusement.

— La Clé a pris forme humaine grâce à la magie. Avec la destruction de sa source, ce corps s’éteint peu à peu. Les autres ne voient pas l’énergie s’évanouir à chaque respiration. S’ils l’avaient vue avant, ils auraient réagi plus tôt. Même si tes amis font tout pour rétablir la magie dans le monde, pour toi, c’est presque trop tard... Tu disparais. Tu as disparu, pas longtemps.

Dans la chambre d’hôpital, la porte s’ouvrit très doucement sur une femme toute fine vêtue d’une robe cintrée dans les tons verts. Les pans de sa petite jupe ressemblaient à des feuilles d’arbre. Regardant si personne ne la suivait, elle se glissa furtivement avant de refermer sans faire de bruit. De courtes mèches noires ébouriffées encadraient son visage au teint légèrement jaune, mais ce qui frappa aussitôt Dawn, c’était ses yeux d’obsidienne qui ne semblaient pas avoir d’iris. Ça et le fait qu’elle avait deux paires d’ailes de libellule géantes bien pliées dans son dos. En n’y prêtant pas garde, on aurait pu les prendre pour une cape dentelée.

L’inconnue se posa sur le bord du lit et contempla la jeune femme allongée avec une infinie tristesse. Elle lui prit une main dans la sienne

Bonjour Dawn. Tu ne me connais pas, je m’appelle Donnfhlaidh. [3] Je tenais absolument à te rencontrer.

Les deux Dawn, californienne et florentine, plissèrent les yeux en même temps.

— J’ai connu Buffy. Mais pas la tienne, celle du monde souterrain. Je l’aimais beaucoup. C’était mon amie et elle est morte pour me sauver.

— Hhm, fit la jeune Dawn avec une petite moue. Voilà un truc familier... Je... sais pas qui est cette autre Buffy du monde souterrain ? Un robot ?

— Non. Une humaine, une Tueuse de démons. En fait, c’était son travail d’être Buffy. Elle s’est battue contre nos ennemis, mais ils l’ont eue et après ils ont tué tout mon clan. Peut-être même tout mon peuple... Je me suis mise à leur recherche, dans nos cachettes habituelles, et je n’ai trouvé personne. C’est très bizarre d’être seule sans les miens, tu sais. C’est carrément déprimant. On n’est pas vraiment faits pour ça.

— Okay. Et... pourquoi tu es là ? Pour voir ma sœur ? Elle n’est pas ici. Elle est partie chercher un moyen de me guérir, mais c’est pas gagné.

— Non, je ne veux pas voir ta Buffy. Par Andrew Wells, j’ai su que tu étais très malade. Je sais que ta Buffy souffrirait beaucoup si tu mourrais. Comme moi j’ai souffert quand la mienne est partie.

— Tu connais ce débilos d’Andrew ?

— Oui, ma Buffy m’a parlé de lui et de son travail. Je l’ai cherché à la surface, et quand je l’ai trouvé, je lui ai expliqué que je voulais aider Buffy d’En-Haut, même si ce n’était pas celle que j’ai connue. Je n’avais plus rien, plus personne, et c’était trop dangereux de retourner dans nos cavernes.

— Attends, tu vas trop vite. Pourquoi tu parles de cavernes ?

L’inconnue hocha la tête.

— Oui, mon peuple vit là. Vivait là. Moi, je pensais que je pourrais devenir la nouvelle Buffy du monde souterrain mais Andrew a refusé en disant qu’il fallait une Tueuse. Il a promis qu’il allait essayer de me trouver quelque chose dans l’organisation mais que ça ne serait pas facile à cause ma taille... Je suis bien moins grande à l’état normal, ajouta-t-elle en aparté.

— Euh, sans vouloir te vexer, tu te ferais repérer avec la couleur de ta peau. Et tes yeux.

— Ça c’était pas un problème. J’ai la capacité de modifier légèrement mon apparence. C’est dans nos gènes, pour notre survie. Un peu comme les pieuvres, on prend une couleur « rocher », ou « mousse ».

— Mais qu’est-ce que tu es, en fait ?

— Bah, ça se voit pas ? Une Faerishyn ! Tu n’as jamais entendu parler de nous ? [4]

L’inconnue se retourna et fit vibrer un peu ses ailes dans le dos, l’air de souligner l’évidence.

En Italie, la Rédactrice en chef du « Bestiaire Universel des Créatures et Démons » pour le compte du Conseil des Observateurs Europe, commença à froncer les sourcils d’incompréhension. C’était impossible. Ces créatures n’existaient plus depuis le moyen-âge...

Doyle, est-ce qu’elle est en train de dire qu’elle est une fée ?

Puis comme par jeu, l’intéressée cacha son visage et quand elle retira ses mains, elle en montra un autre qui ressemblait énormément à celui de la jeune malade, avec des yeux bleus d’une couleur inédite.

— Tu vois ? Facile ! Je suis devenue toi !

Chacune de son côté, les deux Dawn sursautèrent, portant la main au cœur avec effroi. Doyle pressa doucement son bras pour l’apaiser.

— Je veux dire que je suis devenue une fausse-toi. Andrew m’a expliqué qu’on pouvait vouloir te capturer pour atteindre Buffy. Alors, j’ai signé pour faire semblant d’être toi. Je parcours le monde soi-disant pour étudier, mais dans l’espoir de trouver d’autres clans de mon espèce. Ça n’a encore rien donné. J’essaie de ne pas perdre espoir. Je suis contente quand même d’aider à mettre sur la mauvaise piste ceux qui voudraient peut-être t’enlever. J’ai un but. Mais je suis venue aussi parce que je peux t’aider toi, autrement. Serre ma main. Plus fort...

Au point où elle en était, Dawn accepta après une hésitation. Elle se sentait faible et luttait pour ne pas s’endormir. L’homme qui s’appelait Spike n’était toujours pas revenu. Elle avait peur de mourir sans un visage ami pour l’ancrer un peu plus dans ce monde où elle n’aurait fait que passer...

Un sourire naquit sur ses lèvres quand la malade retrouva un peu de rose aux joues et une respiration plus ample.

— Ça marche ! se réjouit Donnfhlaidh. Je peux te donner de mon énergie pour que tu ailles mieux. Mes pouvoirs sont restés intacts malgré la destruction du Germe de la magie.

— C’est dangereux pour toi de faire ça ?

— Pas tellement. C’est comme une transfusion, il y a une limite raisonnable. Je peux t’en donner encore un peu. Cela laissera du temps à tes amis pour faire ce qu’ils ont à faire. Tu veux ?

Sur le visage de la jeune Dawn, on lisait une culpabilité évidente. Le geste de sa visiteuse était extraordinairement généreux, et pourtant c’était si peu... Tout au plus tiendrait-elle une heure ; deux si elle se rendormait... Est-ce que ce laps de temps serait suffisant pour les autres ?

Elle contemplait ses mains impuissantes, et à ses poignets les coupures qu’elle s’étaient faites quelques années plus tôt, en découvrant qu’elle n’était peut-être pas humaine.

— J’accepte, je ne sais pas comment te remercier... Mais surtout, tu t’arrêtes dès que tu ne te sens pas bien.

— Ok. Détends-toi. J’ai besoin d’une goutte de ton sang pour me calibrer. Ça ne fait pas mal. Si tu veux, tu peux me raconter des souvenirs qui m’aideront à mieux tromper ceux qui voudraient t’attraper.

— Je ne sais pas. Mon cerveau est une passoire maintenant. J’oublie super vite. Je me demande encore comment je peux parler...

— Avec un petit boost, les connexions vont se refaire, ne t’inquiète pas. Prête ? J’y vais...

La Dawn âgée regarda l’inconnue se couper le bout du doigt avec une feuille de papier et faire de même pour la malade. Puis, la Faerishyn posa une paume à plat sur la poitrine, et le cœur de sa jeune version se mit à briller à mesure qu’elle était abreuvée d’une lumière blanche. Quand elle sembla avoir fini, Donnfhlaidh effleura des lèvres le font de la jeune fille qui tomba endormie, son corps ayant sans doute besoin de quelques dizaines de minutes pour se réajuster à cette énergie inhabituelle pour lui.

En considérant cela, un doute sinueux s’immisça dans l’esprit de la spectatrice attentive. Après avoir prodigué ce soin particulier, l’inconnue avait touché le sternum et le front. Et ce geste lui était tout à fait familier. C’était presque celui dont elle s’était servi pour faire « oublier » sa souffrance à Parmakaï...

A son tour, avait-elle été psychiquement manipulée pour ne jamais se souvenir de cette entrevue ? Instantanément, la Dawn plus mûre qui ne s’était pas privée d’en user pour le « bien », se sentit plus mal à l’aise, la conscience moins tranquille. En quoi avait-elle été différente de Willow effaçant la mémoire de sa petite amie sans rien dire ? Parmakaï était d’accord, c’était même l’objet de leur pacte, mais pour Angel ? Et elle l’aurait fait à Spike sans hésiter, si elle en avait eu le temps. Elle s’était dit qu’elle n’avait pas le choix. Qu’un mal plus grand en résulterait si elle ne le faisait pas, mais à présent qu’elle découvrait qu’elle en avait peut-être été victime...

Elle allait questionner Doyle quand elle vit la créature sursauter au bruit de la poignée de la porte qui venait de s’ouvrir. Une silhouette remplissait l’encadrement en barrant la sortie et la pixie fut stoppée dans son élan.

Sur le pas de la porte, Spike tant attendu cligna deux fois quand il vit une jeune personne debout devant lui et une autre allongée endormie dans le lit d’hôpital. Il ne tarda pas à réagir en saisissant le poignet de celle qui voulait leur fausser compagnie. Le cœur de Dawn s’emballa.

— Qui êtes-vous ? Que faisiez-vous ici ? demanda-t-il aussitôt soupçonneux.

— Rien. Rien du tout ! Excusez-moi !

Elle le bouscula un peu pour tenter de se glisser derrière lui mais rien n’y fit. Planté dans ses bottes, Spike était inamovible.

— Poussez-vous donc et laissez-moi passer !

Sans qu’il soit possible de comprendre comment, elle lui fila entre les doigts, assez littéralement. Il la tenait et soudain, il n’avait plus rien entre les mains. Dans le couloir, du personnel soignant vaquait à ses tâches, mais la soi-disant fée s’était volatilisée.

.

Toujours muette derrière sa fenêtre étrange, Dawn âgée contemplait le spectacle de l’homme qu’elle aimait et dont elle ne pouvait détacher les yeux. Il ne portait pas son vieux manteau de cuir mais les mêmes vêtements basiques qu’il affectionnait.

Comme dans un rêve, elle le vit s’approcher du lit et poser une main sur le bras de la jeune endormie. Évidemment, elle ne s’en souvenait pas, mais la seule idée fit fondre son cœur. Il pressa doucement pour essayer de la réveiller.

— Poussin ? Tu vas bien ? Il y avait quelqu’un avec toi...

— Oui, ça va je me sens bien. Bien mieux.

— Elle t’a dit qui elle était ?

— Une des dopplegängers d’Andrew. Faut qu’il arrête d’aller dans les Conventions...

— Euh... quoi ??

— Oui, tu sais, genre « suivante de la reine Amidala »... Elle attire les démons où je ne suis pas. Un leurre, si tu préfères. Buffy en a aussi...

— Qu’est-ce que tu viens de dire ?!

— Un leurre. Tu sais pas ce que c’est ?

Spike resta bouche bée pendant plusieurs secondes et retourna dans le couloir, comme s’il était possédé. Il ouvrait les narines, cherchant manifestement à retrouver l’odeur de celle qui n’était plus nulle part et dont la piste s’arrêtait à un mètre de la chambre.

.

La signora Donatella Galardi jeta un regard peu à mène à la Puissance qui venait de fermer impitoyablement cette trouée vers son passé. Si elle avait pu lui arracher les entrailles, elle l’aurait fait. Spike était là, vivant sous ses yeux...

Elle frappa du poing sur le mur et craquela la peinture.

— Pourquoi est-ce que vous me faites ça ? cracha-t-elle. Je vous ai dit que je n’en pouvais plus de ces jeux. Je suis à ça d’ouvrir un passage pour le rejoindre là, maintenant, devant la porte de cet hôpital. Je le vois et j’ai envie de le voir toujours plus... Je ne peux pas m’en empêcher.

— C’est normal, votre rituel de séparation n’a pas complètement fonctionné. Ce n’était pas de votre faute. Tu vas le retrouver, quand ce sera sûr, sois patiente.

— Et comment ? Il faut qu’il décide d’aller vers Buffy ! Et d’ailleurs, où en est le monde que j’ai laissé derrière moi ? Y a-t-il des survivants ou sont-ils tous déjà morts ?

— Dawn, à part Spike, tu n’as rien vu d’autre dans cette scène ?

Elle soupira, et alla s’asseoir sur le bord de son lit dont le sommier grinça. Elle passa la main sur la couverture jaune, choisie parce que c’était la couleur préférée de Joy.

— Eh bien, si ! J’ai vu qu’Andrew s’est bien gardé de me dire qu’il avait machiné un truc pareil dans mon dos. Je comprends, intellectuellement, que c’était pour assurer ma sécurité. La part la plus adulte de moi, le voit en tous cas. Compte tenu de ce qui m’est arrivé par la suite à cause de la triple malédiction de Kenny, c’était assez clairvoyant d’avoir tenté de détourner la foudre. Mais on a été mariés quand même...

Paumes sur les yeux, elle massa son front, sentant venir une migraine, comme presque à chaque fois que Doyle était dans les parages. Un instant perdue dans ses pensées, elle fixait d’un œil vide le mur où elle avait vu tout ça se dérouler, à des milliers de kilomètres d’ici. Il aurait été si facile d’ouvrir un portail, de l’attraper sur le parking et de le serrer très fort contre elle. Et aussi de l’embrasser comme elle avait tant voulu le faire. Il l’aurait reconnue, elle en était sûre... Et peut-être même qu’il ne se seraient pas disputés...

— Et par curiosité... questionna-t-elle au bout d’un moment. Qu’est-ce qu’elle est devenue ma protectrice magique ? Elle a retrouvé les siens ?

Doyle sourit gentiment.

 



Notes

[1] Oui. Aussi étrange que ça paraisse, Buffy est partie avec Alex et Andrew, préférant ne pas demander à Spike.

[2] Dans les Comics fin de saison 9, Dawn n’est plus à l’hôpital mais dans l’appartement où elle vit (avec Alex). C’est Illyria qui fait remarquer qu’elle est en train de mourir quand elle discerne de grandes quantités d’énergie s’échapper d’elle.

[3] C'est un nom celte. Il se prononce à peu près "Donnefleille" et signifie "Brune princesse" :-D

[4] Une fée. J’emprunte ce terme plus stylé à Carnival Row, une série d’urban fantasy qui a développé tout un vocabulaire autour des créatures fantastiques, appelées « Critch » (soit créatures non humaines)

Laisser un commentaire ?