When in Rome
Chapitre 101 : J'aime qu'un plan se déroule sans accroc
5490 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour il y a 15 jours
Chapitre 50 J'aime qu'un plan se déroule sans accroc
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Los Angeles, 22 août 2046
Spike s'était mis en tête de suivre les consignes de Maya. Tôt dans la soirée, il avait commencé par aller voir si le Dr Canaan ne pouvait pas lui prêter une oreille attentive pour autre chose que d'habitude. Le psy avait semblé surpris de le revoir, étant donné que son patient n'avait jamais donné suite à ses relances pour de nouvelles séances.
Mais la dernière chose que le vampire voulait, c'était de parler de son état mental. Parler de la tristesse poisseuse de William qui suintait au travers de son mutisme obstiné ? Parler de la façon dont Parmakaï lui faisait payer d'être parqué et muselé ? Parler de la petite Thisbé qu'il était obligé de fuir? De sa jalousie qu'Angel puisse être là pour elle, même pour quelques semaines ? Pas envie et pas le temps.
Avec trop de fierté pour avouer son mal-être, il avait éludé d'un air sombre promettant vaguement qu'il reviendrait à un autre moment, parce qu'il était là en mission. Cela devait se voir sur sa figure que ce n'était qu'une fausse promesse. Peut-être pour cette raison, le doc ne s'était pas montré très coopératif après l'avoir écouté déballer les motifs de sa présence. Il semblait persuadé qu'aucun démon ne pouvait sortir de l'Enfer sans que le Diable n'en soit alerté et n'y mette le holà immédiatement. Il avait aussi minimisé ses pouvoirs de « nephilim » qui devaient pourtant être considérables, à commencer par cette impressionnante « chronokinésie » [1] dont il avait usé pour le pousser à rester plus longtemps. Questionné sur ses semblables, il avait affirmé qu'il n'y en avait que deux et que l'autre n'était pas là. [2]
Ses propos laissaient Spike perplexe. D'après Canaan, le Diable ne cherchait plus à pervertir les âmes. Au contraire, il vidait les cellules de l'Enfer pour expédier dans des limbes pas trop dégueuses ceux qui accédaient au repentir sincère. Un bobard trop beau pour être vrai qu'il aurait été facile de vendre à Maya, qui ne prenait pas tellement mieux que Pietro, le sort de Papounet Wells y souffrant mille morts.
Spike avait hésité à demander s'il y avait aussi un Enfer pour les démons. Le psy l'avait regardé avec l'esquisse d'un sourire en répondant qu'à priori, c'était le même pour tous, mais les uns et les autres en avaient peut-être une expérience personnalisée, conforme à leurs croyances. Il soutenait que les humains s'y torturaient eux-mêmes mais par le truchement des démons.
— Non, je suis un démon et j'y suis allé. Je n'étais pas du côté fun.
— Là-bas, les âmes des damnés sont torturées. N'en aviez-vous pas une?
Le vampire avait soupiré d'agacement. William en avait une, avant d'être tué et puis transmuté par Drusilla. William avait toutes les raisons de prendre Buffy en pitié, car il savait ce qu'elle ressentait pour le vivre lui-même. Et bonjour le trauma, lorsqu'il avait découvert qu'il existait bien pire que d'être arraché au Paradis, de retour sur Terre et ficelé avec un démon. Bien pire.
— Ce sont des conneries et vous le savez. L'Enfer est une vraie passoire. Il y en a plein des démons dehors. Ils tuent vraiment des gens. Il doit bien y avoir une brèche pas surveillée quelque part.
Alors Canaan, avait seulement dit :
— Vous m'avez parlé de votre expérience au Tibet. Que pensiez-vous de la réalité à ce moment ? Attention, je ne dis pas que vous êtes en train d'halluciner actuellement. Seulement que ce que vous décrivez, avec l'irruption de ce que vous appelez des démons primordiaux, pourrait n'être que le cauchemar de quelqu'un d'autre. Pas le vôtre. [3]
— C'est n'importe quoi. Peut-être que je ferais mieux de vous emmener en virée, pour que vous voyiez de vos yeux si les démons ne sont que des fantasmes. Quand il y en aura un qui vous plumera vivant, vous y réfléchirez à deux fois avant de sortir des trucs fumeux dans le genre.
— Je n'ai jamais dit que je ne croyais pas en leur existence. Je vous rappelle que vous êtes sur mon canapé...
— Le problème avec vous, Canaan, c'est que quand vous parlez, on n'est jamais très sûr de ce que vous êtes en train de dire, ni si ça a le moindre sens. Je me souviens de la fois où vous avez sorti en transe un truc sur « combattre les fantômes du passé». J'ai compris bien après que ce n'était pas juste une image, comme vous vouliez le faire croire. Il fallait le prendre littéralement. Il y avait un fantôme, et du passé.
— Je ne m'en souviens pas bien.
— Bah, peut-être bien parce que vous n'étiez qu'un pion dans le rêve de quelqu'un d'autre ? avait-il rétorqué avec un sourire agaçant.
Cette visite n'avait pas été un échec complet cependant.
Au moment de quitter le cabinet, Spike avait découvert que l'incandescente secrétaire du psy angélique, l'exact opposée d'Harmony, était une lilim bien acclimatée à la Terre. Tout à fait motivée pour la violence, elle s'avéra très encline à filer un coup de main, se faisant fort de convaincre aussi plusieurs de ses sœurs bien désœuvrées depuis la nouvelle politique du Diable. [4]
Il avait accepté l'offre mais en voyant le regard alarmé du doc, il en avait conclu qu'il y avait un prix. Il serait toujours temps de s'en inquiéter si jamais ils s'en sortaient vivants. Pas de néphilim mais plein de lilim ? A une syllabe près, ça lui allait aussi.
Le message de Giles était tombé peu après son rapport laconique au QG de crise des Observateurs.
Rupert Giles
Spike ! Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse avec des succubes !?
Il sourit en coin. Pas grand-chose en vérité, à part se battre. De son point de vue, l'affaire était jouable. Si ces démones avaient l'intention de séduire des mortels dans leurs rêves concupiscents, elles avaient sans doute intérêt à ce qu'il en reste quelques-uns.
Positif et pragmatique, avait dit Maya.
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Spike avait ensuite gagné les bureaux de Wolfram et Hart avec le sentiment qu'il allait perdre son temps, mais il se sentait tenu d'essayer quand même.
L'entrevue avec les avocats, lui assurant ne pas être indifférents mais pris dans un conflit d'intérêt sur la question, s'annonça d'abord bien plus frustrante. En les voyant tergiverser, il finit par leur asséner leurs quatre vérités de lâches. Comme il se faisait plus méprisant, leur porte-parole lui rafraîchit la mémoire :
— Vous avez une dette envers Wolfram et Hart depuis qu'on vous a payé à prix d'or l'opération pour vous faire regreffer vos deux avant-bras tranchés. Vous pourriez vous montrer plus reconnaissant, si vous ne voulez pas qu'on vous les reprenne.
— Vous pourriez essayer, répondit le vampire avec un sourire trop plein de dents. Mais vous auriez bien du mal.
A ce moment de grande tension, une avocate impeccable aux longs cheveux châtain clair, se joignit à la réunion. La température de la pièce baissa de quelques degrés pendant qu'elle faisait le tour de la table pour y prendre place. Son aura de belle vénéneuse fit frissonner les trois juristes présents qui semblèrent plus mal à l'aise, cherchant à fuir son regard bleu. Un charmant sourire aux lèvres, Mlle Morgan reprit ses collègues froidement, leur disant qu'ils auraient mieux fait de lire le dossier en entier pour y découvrir que leur « invité » était plus réceptif à la carotte qu'au bâton.
— Spike, vous pourriez tout à fait envisager de retravailler pour nous, proposa-t-elle d'un air avenant pour l'amadouer. Nous savons pertinemment quel atout c'était d'avoir parmi nous un second vampire doté d'une âme. Votre travail de patrouille efficace a rassuré et sauvé la vie d'autant de nos clients qu'il en a énervés. Ce sont les affaires. Chaque service gère ses propres dossiers.
— Oh, je vois très bien. Mais je travaille uniquement pour les vieux amis. Et le Cercle de l'Aiguille Noire n'en fait pas partie.
— Le Cercle a été détruit avant la chute de Los Angeles.
— Oui, votre cabinet aussi et regardez autour de vous... Vous trouvez que ça a l'air détruit ? Eyghon, représente une menace planétaire qu'il faut éliminer, et vite. Mais d'après vos amis ici présents, vous êtes déjà en train de lui filer un coup de main et n'avez pas l'intention de le trahir à brève échéance. Donc c'est réglé.
— Vous allez trop vite en besogne.
— Lilah, vous avez peut-être le temps de finasser, mais moi pas. La vie n'a plus tellement de valeur pour vous, j'imagine. Vous êtes morte depuis longtemps après tout.
— Moins que vous ! rétorqua-t-elle, amusée. Vous auriez tort de croire que cette offre d'emploi n'est pas sérieuse. Vous la rejetteriez sans même vouloir entendre ce que nous vous proposons ? Est-ce bien raisonnable ?
— Et vous voulez faire quoi ? Me refiler un joli médaillon incendiaire peut-être ? Je vais passer mon tour.
— Là c'était un malentendu. Il n'aurait pas dû vous revenir. Et je pense également que le travail exécuté par Mlle Burkle était le moins que nous puissions faire pour compenser votre préjudice immédiat.
— C'est elle qui l'a voulu. Pas votre firme.
— C'était une employée. En tant que telle et travaillant avec nos ressources, rien de ce qu'elle pouvait mettre en œuvre ne se faisait sans l'assentiment des Associés Principaux...
— Bien ! fit Spike en se levant. Merci de m'avoir consacré quelques minutes de votre vaine éternité. Maintenant, j'ai d'autres rendez-vous...
— Messieurs, le coupa Mlle Morgan en se tournant vers ses collègues, si vous voulez bien nous laisser un instant.
Les avocats interchangeables obéirent sans un mot mais avec des regards réprobateurs. Spike sentait toutefois qu'ils avaient trop peur pour la dénoncer. Lilah se rapprocha et s'appuya contre la table de réunion en acajou lustré. Elle baissa la tête et dit d'une voix sourde :
— Vous vous trompez sur mon compte. Je ne suis pas plus ravie que vous des tractations qui sont livrées avec Eyghon. Vous croyez que grâce à la clause de perpétuité, je ne craindrais rien du tout si les démons venaient à prendre le dessus. C'est faux. Si les humains devenaient du gibier, que pensez-vous qu'il adviendrait de ceux qui peuvent être ressuscités indéfiniment ? Dépecés un jour, relevés le lendemain, re-dépecés le surlendemain... Je l'entends d'ici la chanson. « Oh vous comprenez, mais les démons ont des besoins. Et puis il faut bien qu'ils mangent, comme tout le monde. » Vous parliez de l'Aiguille Noire, je pense que vous vous souvenez de l'archiduc Sebassis qui sirotait des humains tenus en laisse. Ou des Frères de la Férocité qui réclamaient des bébés pour les sacrifier. Si on se dirige vers ça...
— Pourquoi insistez-vous ? J'ai dit non.
— Si on se dirige vers ça, il faudra un contre-pouvoir agissant de l'intérieur. Je sais très bien ce que vous avez fait quand Los Angeles est tombée. Vous avez sauvé des innocents en jouant double jeu. Si le monde entier est aux mains des démons, il en faudra d'autres, des idéalistes comme vous.
Spike laissa passer qu'elle le traite « d'idéaliste ». Il considéra l'étincelle de sincérité qui brillait dans ses prunelles pendant qu'elle soutenait son regard direct. Il ne pouvait pas croire qu'elle avait réellement peur pour elle-même. Déjà redoutable de son vivant, cette arriviste écrasait tous ceux qui se mettaient en travers de son chemin.
— Si vous cherchez des bons Samaritains, c'est certainement pour qu'ils soient au menu à votre place...
— Peut-être que non ? répondit-elle avec une moue coquette qui faisait ressortir ses pommettes et ses lèvres rouges.
— Lilah, on n'a pas bossé ensemble mais je sais que les démons qui viendraient vous chercher des noises ne le feront pas bien longtemps. Votre truc, c'est de recruter pour Wolfram tous ceux qui permettraient de vous faire bien voir de vos patrons. Angel, Faith, Wesley... Mais si ça venait à vous arranger de me trahir, vous n'auriez aucun scrupule... Qu'est-ce qu'il y a de « pas raisonnable » à refuser ?
— Écoutez, je suis loin d'être stupide. Des caisses entières de ces tracts arrivent ici aussi, dit-elle en agitant un papier sur lequel il reconnut la « propagande » mise en place par Maya. Les jeux ne sont pas faits. Je peux être utile autrement. Vous aurez besoin de quelqu'un pour négocier des traités avec les non-humains qui voudront se ranger de votre côté...
— C'est vrai.
— Quelqu'un qui ait de l'expérience.
— C'est toujours vrai.
— Alors ?
— Alors, je n'ai pas confiance en vous. Et ni vous ni moi n'avons plus le temps de changer ça.
Elle se croisa les bras et secoua la tête, pas décidée à lâcher l'affaire.
— Je comprends. C'est pour cette raison que je ne suis pas venue les mains vides. Pendant que je cherchais comment entrer en contact avec vous, j'ai découvert que je n'étais pas la seule à vouloir vous embaucher, et aussi ce qu'ils comptaient mettre dans la balance. Je reconnais que je regrette de ne pas avoir eu leur idée moi-même, dit-elle avec un sourire d'auto-dérision.
— Je ne suis pas si facile à corrompre mais j'admets que la tête de Warren Mears sur un plateau, ce serait déjà un bon début...
— Non, ce n'est pas ça, mais j'en prends note. Venez, l'invita-t-elle en passant la première dans une salle attenante.
Sur le seuil, Spike resta figé un instant, comme s'il avait été foudroyé sur place. Debout près d'une table de travail inutilisée, une svelte jeune femme immobile gardait les paupières closes. Son visage ovale aux sourcils fins, s'encadrait dans de longues mèches souples et dorées. Il reconnut son nez bosselé, sa lèvre inférieure plus charnue et son petit menton rond.
— Est-ce que je peux ouvrir les yeux maintenant ? demanda-t-elle d'une voix claire.
— Oui, voici la surprise que j'avais pour toi.
Elle ouvrit les paupières sur des iris verts. Un large et lumineux sourire éclaira aussitôt ses traits comme elle s'écriait :
— Spike ! Tu es enfin là ! Tu m'as tellement manqué !
A la seconde où elle avait ouvert la bouche et souri, avant même de l'entendre parler, il avait compris qu'elle n'était qu'une autre version du « Buffybot» , qui se jetait à son cou pour un baiser passionné. Celui que Willow avait passé son temps à retaper avait été détruit longtemps auparavant. D'où sortait celui-là ?
Son regard effaré croisa celui de Lilah et il n'y lut que de l'incertitude, comme si elle ne savait se réjouir ou s'inquiéter d'avoir très mal joué cette carte. Le robot posait sa joue tiède contre son torse, le serrant entre ses bras puissants.
— Emportez-le, conseilla l'avocate. Avant qu'ils ne se rendent compte qu'ils ne l'ont plus.
Les traits du vampire se crispèrent et se durcirent incroyablement, et Lilah se recula prudemment d'un pas. Il détacha de lui les bras du robot pour la repousser lentement.
— Je... je ne peux pas accepter... ça, articula-t-il. Non.
Il se tourna immédiatement pour ne pas voir le petit visage factice troublé, parcouru d'étonnement et de peine en s'imaginant qu'elle lui avait déplu.
— Spike ? Je veux être à toi. Tu sais bien que je ne peux pas résister à ta sinistre attraction ! Tu m'as recapturée. Je me sens toute bizarre et j'ai chaud, tout d'un coup, je crois que j'ai envie de toi... Oh, dévore-moi tout de suite
— Shht ! fit-il. Dors un petit peu, chaton.
Le Buffybot acquiesça immédiatement et ferma les yeux en conservant son expression réjouie. Comptant sur sa mémoire gestuelle, la main du vampire trouva sous le bras gauche la commande d'extinction qui arrêta toutes les fonctions.
Puis il se retourna vers l'avocate et dit entre ses dents, le regard fulminant :
— Il y a bien un truc qui me permettrait d'être un peu plus convaincu de votre bonne foi. Ce serait que vous démontiez cette chose pièce par pièce et que vous brûliez le tout. Si je la revois une fois, et que vous essayiez de faire pression sur moi avec, c'est vous qui cramerez à sa place. Vous verrez si ça fait du bien, avertit-il en sortant son briquet pour l'allumer. Maintenant, vous allez me dire où se cache celui qui a fait ça. Et si vous le faites, on sera simplement quittes.
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En regagnant L'Insectoïde, Spike savait où il devait aller. Lilah s'était montrée étonnamment loquace en voyant danser dans ses yeux une lueur meurtrière qu'elle n'attendait pas. Le vampire se doutait qu'elle l'imaginait faible devant ce simulacre. Il savait aussi que s'il avait eu un cœur vivant et battant, celui-ci aurait été déchiré. Cet autre Buffybot, s'exprimait comme l'ancienne. Il n'avait pu se retenir de lui parler plus gentiment.
Elle était bien plus que ce que tout le monde voulait imaginer à son propos. Il voulait bien reconnaître qu'elle n'avait eu au début qu'un statut de poupée gonflable. Mais il avait été surpris de découvrir combien cette machine sophistiquée pouvait faire évoluer sa programmation, et parfois presque réfléchir. L'admiration qu'elle montrait pour lui, sa facilité à lui tenir la main, à lui sourire, à lui être agréable... Oh, c'était vrai que ça faisait carrément du bien à l'ego aussi.
À l'époque, la vraie Buffy ne cherchait qu'à le rabaisser et le vexer. Elle ne faisait pas mystère qu'elle le trouvait immonde et que jamais elle ne l'aimerait. Terrifiée par les aveux frontaux qu'il lui avait faits, elle le traitait de « chose » incapable d'éprouver des sentiments.
Alors qu'il en avait et elle le savait très bien. Car qui prenait la peine de vouloir humilier un grille-pain ?
Reconnaître qu'il pouvait avoir des sentiments, impliquait qu'elle fasse table rase de son conditionnement lui faisant voir les choses tout noir ou tout blanc. Il n'était pas le petit ami idéal loin de là, il pouvait comprendre que pour quelqu'un comme elle, il avait l'air d'un monstre qui jurait avec son sens du devoir, et ses valeurs. Mais il n'aimait pas qu'elle décrète ce qu'il ressentait ou pas.
Pourtant, depuis qu'il avait une âme, il voyait mieux l'effet qu'avait eu sur elle son double désastreux. Elle n'y avait pas vu le support et le réconfort qu'il y cherchait aussi. Elle s'était projetée. Ce qu'elle avait compris de tout ça, c'était qu'il voulait la réduire à l'état de sex toy à sa disposition. Elle avait imaginé que c'était cela dont il rêvait : la posséder et l'utiliser. C'était assez tragique quand on y pensait. Ce dont il rêvait, c'était qu'elle l'aime en retour ; mais ce qu'elle avait toujours fait, c'était se servir de lui comme elle avait peur qu'il ne se serve d'elle – avant de la jeter.
Merci bien pour ça, Angel.
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Cleveland, plus tard la même soirée
Le rayon téléporteur de L'Insectoïde déposa Spike au centre d'une vieille baraque qui aurait semblé désaffectée, s'il n'y avait pas eu une poignée de gardes devant chaque sortie. Il était toujours en colère. Peut-être plus contre lui-même, à cause du frisson qu'il avait ressenti pendant quelques secondes. Immédiatement, l'image de Thisbé pleurant à propos de « la méchante dame blonde qui le frappait » s'était surimprimée. Et puis celle de Dawn qui lui avait offert de faire l'amour sous un soleil qui ne le brûlait pas. Mais ce court laps de temps qui l'avait électrisé, il aurait voulu qu'il n'existe pas.
— Warren !
Spike appela sans crier, histoire de ne pas rameuter les gars qui faisaient le guet à l'extérieur. Personne dans la cuisine, ni dans le salon. La porte d'un bureau était ouverte, et manifestement, il servait; car il y avait là-dedans tout un fatras innommable. Des quantités de papiers couverts de chiffres et de schémas recouvraient une bonne moitié de l'espace, un vieil ordinateur obsolète dans un coin faisait tourner un programme de 3D. En s'approchant, Spike vit des pochettes de jeux posées à côté. Il en prit une pour y déchiffrer « Wolfenstein II ». Il y était question de nazis ayant gagné la seconde guerre et colonisé les États-Unis... où la société les avait très bien accueillis... [5]
Le vampire avait jeté négligemment la boite en carton. Les nazis, il les avait connus. Si autrefois ils lui avaient semblé divertissants, ce n'était plus le cas.
Il entendit un cri derrière lui et vit Mears blanc comme un linge et... tout transparent. Le vampire plissa les yeux et conserva son calme. Il devait jouer le jeu pour en savoir plus.
— Warren, j'ai entendu dire que tu me cherchais pour me parler. Je ne l'ai pas cru tout d'abord... Je pensais que tu étais mort pelé par une sorcière.
— Eh bien, j'ai été rafistolé par une autre.
— Sans vouloir te vexer, j'ai pas l'impression que ça ait tenu très longtemps.
Warren secoua la tête, ne le prenant manifestement pas mal.
— Allons à côté, proposa-t-il, c'est le bordel ici. J'ai cherché à savoir si tu étais en vie car j'ai besoin de ton aide, et je suis prêt à payer pour ça.
Spike leva un sourcil et un coin de lèvres dubitatifs.
— Et depuis quand on est potes, pour que tu me demandes ça ?
Mears agita les mains en signe de dénégation.
— Ah on ne l'est pas, c'est sûr. Mais j'ai entendu dire après ma... résurrection que tu étais toujours en vie et plus ou moins dans le camp des Tueuses. C'est vrai ?
— Moi j'ai entendu dire que tu attaquais des gamines et que tu les faisais descendre par des démons.
— Moi ? Mais j'attaque pas du tout des gamines...
— C'est pas le son de cloche que j'ai entendu à Rome.
— Ah... ces filles-là. Oui, non, j'admets que c'est vrai. Mais c'est juste parce que ce sont des Tueuses. Laisse-moi t'expliquer pourquoi...
Spike soupira.
— Je m'en fous. Dis-moi pourquoi je suis-là et pourquoi je devrais t'aider.
— Ok. Il y a un démon qui s'appelle Eyghon et qui veut faire sortir de l'Enfer un max d'autochtones, et aussi des vampires assez anciens.
— Et ?
— Bah, il va tuer tout le monde.
— Sûrement. Mais toi, t'es dans ses petits papiers, pas vrai ? En tous cas, c'est ce que disent tes gars dehors. Il ne va rien te faire. Alors qu'est-ce que t'en a à foutre que les gens meurent ?
— Ah mais moi, je voulais juste me venger de Rosenberg et de Summers. Pourquoi j'aurais voulu tuer tout le monde ?
— Je vais te dire ce que j'en pense. J'en pense que si tu m'appelles, c'est parce qu'Eyghon te menace aussi maintenant, hein ? Et c'est uniquement pour ça que je suis là. Parce que tu veux que je m'occupe de lui régler son compte.
— Ouais, tout à fait. Alors, j'ai conscience que tu ne voudras sans doute pas le faire pour moi, et pas gratuitement. Mais peut-être que pour les autres ? Je sais pas ?
— Quels autres ?
— On m'a dit que tu vas souvent à Rome. Je crois que la sœur de Buffy, elle y vit ?
— Non. Elle est morte il y a quelques années dans un accident... tiens, avec ton vieux pote Andrew. C'est bizarre, non ?
Spike plissa les yeux alors que ceux-ci commençaient à devenir jaunes. Le spectre de Warren leva les bras en signe d'apaisement.
— Attends, attends, j'ai une info pour toi ! Les Observateurs t'ont raconté n'importe quoi. Je l'ai vue il n'y a pas très longtemps. Elle avait l'air en pleine forme. C'était dans la rue. Elle était dans une petite voiture, avec son mec, je pense. Un brun, assez canon je dois dire... Je suis sûr qu'elle va bien.
— Bah moi, j'ai les Observateurs qui m'ont dit qu'elle avait souffert pendant des semaines avant de clamser. Et que tu étais mêlé à cet accident.
— Ils t'ont menti ! Ils t'ont menti ! Je te le jure, je l'ai vue! Elle allait parfaitement bien.
— Warren, je sais que tu me mens. Tu as commencé par vouloir tuer Buffy, ta balle perdue a descendu une petite sorcière que j'aimais bien. Des années plus tard, tu flanques la bagnole de Dawn dans une crevasse. Et maintenant tu attaques des fillettes parce que tu es frustré de ne pas avoir eu la vengeance que tu voulais. Comment t'as pu penser que je t'aiderais ?
— Parce que pour me faire pardonner, je peux te refaire une Buffy-robot !
— Ah ouais ? Bah te fatigue pas. Non seulement t'as pas l'air en état, mais en plus ça ne m'intéresse pas. C'est du passé, tout ça.
— Tu es sûr ? En l'honneur du bon vieux temps ? Elle est super réussie !
— Si c'est celle que Wolfram et Hart t'ont piquée, elle est bousillée.
— Hein ?
— Je suis allé les voir pour un truc et quand j'y étais, ils m'ont proposé de me la filer si je rebossais pour eux.
Warren ouvrit la bouche et se montra soudain plus fébrile. Il commença à clignoter anxieusement sur place.
— Attends, je vais vérifier si elle est toujours là. Personne n'aurait pu rentrer sans que je m'en rende compte tout de même. Bouge pas, je reviens.
Le fantôme disparut et Spike grimpa deux par deux les marches menant à l'étage. Un petit couloir à la tapisserie désuète distribuait trois chambres, vides à l'exception d'autres fantômes. Le vampire les salua de la main et l'un deux leva le doigt vers le plafond. Leurs bouches muettes articulèrent quelque chose qu'il ne comprit pas jusqu'à ce qu'un fantôme d'enfant trace dans la poussière de la vitre « Il est là ». Spike les remercia d'un bref hochement de tête et continua sa progression.
Le grenier mansardé semblait avoir deux autres pièces. La porte de l'une était ouverte, par laquelle il entendait marmonner Warren des « C'est pas possible » catastrophés. L'autre était fermée. Silencieusement, il se dirigea vers la seconde pour ouvrir et comprit ce que les fantômes essayaient de lui indiquer. Allongé sur un lit d'une place, par-dessus les couvertures, le corps raide de Warren était bleu et commençait à pourrir par endroits. Spike approcha un doigt et l'enfonça dans son bras.
— Aïe ! fit Warren dans la pièce à côté.
Le double astral apparut près de Spike en un clin d'œil.
— Ah bah, t'es re-mort alors, la décomposition a commencé, remarqua Spike en se penchant un peu sur le corps.
— Nan, nan. C'est Eyghon qui fait ça. T'inquiète.
— Eyghon ? répéta Spike l'air innocent.
— Oui, il se sert de mon corps... une possession, je veux dire. Heureusement, ma sorcière me file un petit remontant et ça va mieux après. Viens voir de l'autre côté. J'ai une bonne nouvelle. Le premier robot a disparu mais c'était seulement un prototype que j'avais refait de mémoire... Je n'avais pas eu le temps de remonter le mark 3. Il est super, toutes options, bien mieux qu'avant. La tech a progressé depuis, tu penses bien...
A l'époque, il n'y avait jamais pensé, mais à présent, l'idée que Warren ait pu manipuler le robot, peindre sa peau synthétique mais tellement bien faite, et tester chacune des caractéristiques et effets de ses sous-programmes sexuels, le hérissait... Combien de fois jusqu'à ce que le ressenti rivalise avec celui qu'on éprouve au creux d'une vraie femme ? Spike eut du mal à détendre ses traits.
— Et ça te prendrait du temps de l'assembler pour que je voie ?
— Non pas très. J'ai le temps, Eyghon ne va pas revenir tout de suite. Il se pointe quand je l'appelle ou qu'il a envie de nous casser les pieds pour qu'on accélère. Tiens, les cartons sont là, tu vois je te mens pas...
Spike regarda les boîtes d'où dépassaient une main, une épaule nue, un morceau de perruque pendante, deux jambes... Une sorte de rage se mit à flamber dans son ventre, qu'il contint à toute force. Il fit la moue et désigna le cadavre puant du pouce.
— Ok, j'imagine que tu as besoin d'être là-dedans pour assembler les pièces détachées... Alors on va faire un truc. Je vais te chercher la potion à requinquer, je la fais boire à ton corps avant que tu reviennes dedans et tu vois ce que tu peux faire...
— Ouais ! Super! On fait ça ! Elle est dans l'armoire de toilette de la salle de bains !
La démarche nonchalante, Spike redescendit l'escalier pour gagner la salle d'eau du premier étage. En passant devant les chambres, il constata l'air inquiet des autres fantômes. Il leur adressa un regard qui pointait vers le plafond et du pouce traça une ligne droite en travers de son cou. Tous eurent l'air de se réjouir.
— J'ai trouvé plein de trucs, lança-t-il en remontant les poches pleines. Warren ?
Il pénétra dans la chambre où le lit était vide. Un violent choc à la tête le fit vaciller et tomber sur un genou. Derrière lui, Warren qui tenait à peine debout, brandissait un bras robotisé dont il s'était manifestement servi pour le frapper. Le voyant sonné par le coup reçu, Mears alla jusqu'à sa fenêtre appeler ses gardes et revint près de Spike pour essayer l'assommer de son arme improvisée. Il se fit faucher les jambes et se retrouva bientôt bloqué sous Spike, assis à califourchon sur son torse. Les mains aux ongles vernis noirs attrapèrent aussitôt la tête de Warren et lui tordirent la nuque d'un coup sec.
Avec un rictus satisfait, Spike se releva souplement et sortit d'une poche la réserve d'essence qui lui servait à remplir son briquet. Il arrosa le corps délabré et y mit le feu. Puis il passa dans l'autre pièce, pour appliquer le même traitement aux tronçons du robot. Fasciné par les flammes pendant quelques instants, il les regarda fixement faire fondre le latex et les cheveux...
En bas, les cris des gardes résonnèrent et il prit conscience des fumées épaisses qui envahissaient les lieux. Elles ne l'empêcheraient pas de respirer puisqu'il pouvait s'en passer. Mais des sirènes de pompiers retentissaient déjà au loin, il fallait filer. Spike sortit le petit boîtier qui bipait les pilotes de L'insectoïde quand il voulait remonter à bord.
Il appuya.
Rien ne se passa.
Il réessaya plusieurs fois. Sans succès. Soit le signal ne passait pas, soit le vaisseau était parti.
Le vampire regarda les flammes ronflantes qui s'attaquaient voracement au bois du plancher, tapis, draps, rideaux... Dehors, l'aube pointait et il ne pouvait pas sauter sans risquer de brûler tout autant.
— Chiottes.
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Notes
[1] Pour mémoire, Charles Canaan est un personnage extrapolé de la série Lucifer, où il n'est qu'un bébé. Je pose qu'il aurait pu hériter cette capacité de son père, l'ange Amenadiel, fils ainé de Dieu.
[2] Le second néphilim est sa cousine Rory Morningstar (fille de Lucifer).
[3] La mythologie de la série postule que les démons existaient sans partage sur Terre bien avant les humains. Ici, le psy croit voir un lien avec la mythologie grecque qui pose que la Terre, fécondée insatiablement par le Ciel, donnait naissance à d'innombrables monstres voraces et destructeurs. Il sous-entend que « la réalité » pourrait tout aussi bien n'être qu'une forme de conscience de Gaïa où ses créatures baigneraient. A noter que la généreuse Laïta, la bonne amie ophidienne de Spike, s'est fait également dévorer par ses enfants. C'est étrange, ce motif récurrent. :-D
[4] Ladite secrétaire s'avère être Mazikeen Smith, l'une des nombreuses filles de Lilith.
[5] Le jeu vidéo préféré de James Marsters.