When in Rome

Chapitre 103 : Conversations avec les morts

5770 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 27 jours

Chapitre 52 Conversations avec les morts

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Septième cercle des Enfers, premier giron, hors du temps [1]

Warren se réveilla en sursaut, toussant à s'en arracher les poumons. Il était étendu sur une plaque vitrifiée rugueuse et transpirait comme un bœuf car il régnait une fournaise abominable, avec une odeur douceâtre de cochon grillé. Il essaya de se redresser mais ce verre noir était brûlant, l'obligeant à retirer sa main en sifflant de douleur. Puis après quelques instants, en plissant les yeux difficilement, il la considéra dans la faible lumière pour tenter d'évaluer les dégâts... Étrangement, elle avait beau être cloquée, elle lui paraissait en bien meilleur état que d'habitude.

Quelques minutes plus tôt, dès qu'il avait été maîtrisé par Spike, il s'était glissé hors de son propre corps, juste à temps pour voir le vampire lui tordre le cou. Ce dernier avait filé aussitôt dans l'autre pièce et d'autres feulements sauvages avaient retenti, sans qu'il pût dire s'il s'agissait du feu ou des cris du vampire. A ses pieds, le pauvre corps que lui avait laissé Eyghon gisait les yeux grands ouverts.

Il voulait prévenir Amy au moins, pour qu'elle vienne l'aider. Il savait qu'Eyghon la harcelait pour qu'elle ouvre les Bouches de l'Enfer ou tout passage infernal, quel qu'il soit. Raison pour laquelle, il lui avait fait valoir qu'avec un second robot programmé pour les défendre et, surtout un qu'Eyghon serait incapable d'investir, ils auraient une meilleure chance de s'en tirer. Elle avait dit oui. Il avait expliqué comment il voulait faire avec Spike. Elle avait dit oui. Le fait qu'elle dise oui à tout était un signe alarmant. Amy, en général, c'était plutôt le Docteur No...

En comprenant que Spike fuyait les lieux, Warren était allé jeter un coup d'œil dans la chambre attenante et avait découvert la catastrophe. Le nouveau robot-Buffy était en train de fondre. Du moins sa chair de latex soyeux, car il avait voulu son ossature aussi solide qu'un T1000...

Il avait reculé mais avec la fumée envahissante, il n'y voyait rien du tout. Il avait trébuché, ce qui n'était jamais arrivé lorsqu'il était sous forme astrale, et alors qu'il s'étalait à côté de son cadavre, il s'était sentit soudain attrapé par le crâne et tiré à une vitesse prodigieuse. En vain, il avait crié «stop, stop !» tandis qu'une douleur intense lui fouaillait le cerveau. Et lorsque cette cavalcade éperdue s'était arrêtée enfin, il avait été largué comme un paquet malodorant.

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La touffeur des lieux était insupportable, s'il ne buvait pas bientôt, il allait se dessécher sur pied.

A quelque distance, une silhouette aux contours mal discernables lâcha quelque chose dans un bruit métallique qui résonna. Cette haute figure restait immobile, mais Warren n'avait d'yeux que sur le crochet de boucher rutilant, recouvert de sang et de cervelle qu'il venait de ramasser à ses pieds. On aurait dit celui avec lequel Amy avait tiré la tête du Turok Han dans son cauchemar. Par association d'idées, Warren se tâta l'occiput et se mit à hurler en sentant un trou et en voyant une matière gluante sur ses doigts. Il réalisa avec panique que cette chose avait été plantée dans sa tête et que c'est au bout de cela qu'il avait été traîné pendant ce qu'il lui avait semblé des heures...

— Mais bordel ! Où est-ce que je suis ? s'écria-t-il avec horreur en lançant l'objet loin de lui.

Celui-ci tournoya mais on ne l'entendit pas retomber. Curieux de comprendre, Warren s'essuya les mains sur son pantalon et s'approcha... avant de reculer précipitamment avec un cri, en voyant ce qui s'étendait devant ses chaussures. Un pas de plus et c'en était fini ! Au creux d'un profond canyon, roulait un fleuve torrentueux de lave épaisse et putride, tandis que des clameurs de plus en plus audibles lui envahissaient les oreilles. Dans tous les détails, lui revint en mémoire l'image de Gollum sautant à la poursuite de l'Anneau dans la Montagne du Destin.

— Bienvenue au Phlégéton, dit-une voix derrière lui.

Warren sursauta.

Il n'avait pas entendu cette voix familière depuis longtemps. En se tournant vers elle, il découvrit à côté de lui un homme qu'il peinait à reconnaître. Bien sûr, c'étaient les mêmes cheveux et les mêmes yeux, les mêmes méplats de son visage... mais son rictus, son ton coupant et le rougeoiement dans ses pupilles qui fixaient la lave, le firent prudemment reculer d'un pas.

— And... rew ?

— Normalement, j'aurais dû dire un truc du genre « Haha ! Comme on se retrouve !» mais je n'en ai même pas envie...

— Mais qu'est-ce que tu fais là ? T'es mort !

— Oh. Tu crois ?

— T'es un fantôme ?

En guise de réponse, Andrew lui balança son poing dans la figure.

— Ok, j'ai compris. C'est pas ça, grinça-t-il en se frottant la joue comme si sa mâchoire était déboitée. Laisse-moi réfléchir... Je suis inconscient aux portes de la mort et c'est une épreuve. C'est ça ? Si je réponds bien, tout va bien... Bon. Ok. Je me lance. Alors... Andrew, je suis désolé, je sais que c'est de ma faute si le camion a poussé ta voiture dans le vide. Je regrette. J'ai beaucoup changé depuis...

À sa grande surprise, Andrew acquiesça lentement.

— Oui, moi aussi. Je suis devenu une meilleure personne depuis Sunnydale. Et regarde où nous sommes...

Warren balaya d'un coup d'œil les alentours peu engageants. Le fleuve de lave enflait et grossissait. Des hommes et des femmes y marchaient pieds nus et finissaient engloutis au bout de quelques pas... Il ne comprit pas tout de suite que c'était les mêmes qui réapparaissaient dans la longue file de marcheurs se pressant au début du canyon.

— Mais c'est l'enfer, cet endroit ! Il faut que je me tire de là tout de suite !

Deux rires s'élevèrent distinctement. A travers la brume parfumée à l'œuf pourri, il entendit quelqu'un approcher.

— Tes autres juges arrivent, déclara Andrew. Rassure-toi, ce n'est qu'une formalité. C'est pour le décorum. Wesley ? cria-t-il en se retournant. Tout est prêt, le passage est sûr pour eux ?

Il n'y eut pas de réponse mais bientôt Warren fut saisit d'effroi en apercevant Katrina et Jonathan revêtus de longues robes noires à jabot blanc. Il sembla enfin comprendre ce qui se passait. Galamment, Jonathan aidait l'ancienne petite amie de Warren à stabiliser sa progression sur les roches surchauffées.

— Oh non non non... C'est eux, mes juges ? C'est complètement truqué ! Comment est-ce que je peux m'en sortir si c'est vous trois qui...

— Ah, tu as vite compris, répondit Jonathan en le coupant. Tu ne peux pas t'en sortir, Warren. C'est fini pour toi. Ou plutôt, ça commence tout juste.

— Katrina, Katy, Katy, écoute-moi. Je regrette. Je ne voulais pas que tu meures, ce qui t'est arrivé, c'est un accident ! Une tragédie...

La jeune femme n'avait pas changé par rapport au jour de sa mort. Elle regarda Warren droit dans les yeux. D'un ton glacial et dangereusement calme, elle demanda:

— Et que voulais-tu qu'il m'arrive, Warren ?

La bouche en carpe, il bredouilla un son inintelligible et chercha vainement secours auprès de ses deux anciens acolytes.

— Je vais te dire ce qui m'est arrivé. Tu m'as enlevé toute capacité de dire non pour m'obliger à tout ce que tu pouvais avoir envie de me faire. Et me soumettre, parce que tu n'aimais pas que j'aie un avis contraire au tien. J'étais consciente. Tu m'as humiliée en m'obligeant à porter des tenues dégradantes et à t'appeler maître. Et tu as promis sans broncher à ces deux autres qu'ils pourraient me violer aussi. C'est ce que tu appelles un « accident »?

— Violer ? Tout de suite les grands mots ! Pas du tout ! Tu n'aurais rien senti...

Elle tiqua et reprit entre ses dents serrées.

— Pendant des jours, tu as mis au point cette camisole mentale qui me rendrait docile. Ce n'est pas un accident. Et d'autant moins que ce que tu as fait ensuite, ça a été de créer un robot pour me remplacer. Pour avoir une nouvelle petite amie complaisante. Toutes ces préparations, ces calculs, ces heures de mise au point... Un accident ? Non. Et le dernier robot que tu étais très fier de finaliser juste avant ta mort... On en parle? Tu méprises toute femme qui réclame un peu de pouvoir. Et apparemment ça ne s'est pas arrêté à moi. On dirait que tu adores tuer des jeunes filles, à répétition. Alors ne dis pas que tu regrettes: tu ne regrettes rien du tout. Et tu recommences sans le moindre scrupule dès que tu en as l'occasion. Coupable.

— Mais... ?

— Attends, ça va être à moi, l'interrompit Jonathan. Andrew y aurait droit aussi, normalement, et viendront tous ceux qui ont eu à souffrir de tes agissements. Il y en a plein le couloir derrière nous. Ça risque de prendre un peu de temps, mais tu en as devant toi.

— Je ne vais peut-être pas pouvoir rester mais, pour que tu saches, je vais te spoiler un peu, intervint Andrew. Une fois que tu seras passé devant tous tes juges, tu vas souffrir dans ce lieu, jusqu'à ce que tu n'en puisses plus. Et, après avoir prié avec ferveur pendant des siècles que tout s'arrête, alors tu gagneras le droit de descendre d'un cran, dans le Huitième cercle. Et là, tu connaîtras d'autres tortures qui te feront regretter les premières, ça c'est sûr. Tu devrais y passer un moment parce que tu auras plusieurs bolges à visiter...

Remettant sa capuche, il se retourna, commençant à revenir vers l'entité géante qui semblait l'attendre patiemment.

— Hey ! Mais où tu vas ? Tu vas me laisser là à vivre cette parodie de procès pour me faire peur ? Tu la tiens, ta petite vengeance mesquine ? Toi aussi tu as tué, je te ferais dire ! Toi aussi tu mérites d'être torturé !

— ANDREW, IL FAUT QU'ON Y AILLE, dit la grande silhouette encapuchonnée qui leva une main squelettique pour se signaler.

— J'arrive. De toutes façons, avec ou sans moi, il est cuit. Jonathan, ça m'a fait bien plaisir de te revoir mais logiquement, cela ne devrait pas se reproduire. Mortimer, tu salueras bien Anya pour moi.

— Mais où tu vas ? s'égosilla Warren. Reviens petit bâtard! Tu es un meurtrier aussi!

Andrew afficha un sourire triste.

— Oui, évidemment. Mais apparemment, le meurtre n'est pas la pire chose. Je n'ai pas le quart de ton talent pour la malfaisance, Warren, et pourtant je suis déjà avec la lie des damnés dans le Neuvième cercle, celui des traitres. Alors ne t'inquiète pas, tu me reverras. Mais, j'espère, pas bientôt.

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Andrew s'avança vers « Mort' » qui remit à l'épaule sa nouvelle Faux, la première ayant été malencontreusement brisée par Anya, au cours d'une invocation qui avait très mal tourné. Il n'aurait pas su dire quand cela s'était produit. C'était dans le Donjon de l'École de Rome, qu'il avait reconnu, proche du temps où il était mort, car ni Giles, ni Pietro n'avaient changé.

— Mais t'en a vraiment besoin ? demanda-il en admirant l'objet alors qu'ils s'éloignaient. Les gens, tu passes les prendre, ils ne se débattent pas, si ?

— HA HA. NON. JE L'AI POUR ME PROTÉGER QUAND JE TRAVERSE ! TU AS VU CE QUI TRAINE PAR ICI ? BON, ALLEZ, IL FAUT QUE JE FILE. ON SE VOIT MARDI... [2]

Andrew le regarda partir avec une brave résignation. Il ne savait pas quand était « mardi » mais l'idée qu'on l'y attendrait lui donnait de l'espoir. Et c'était la monnaie la plus précieuse des environs.

Lentement, ses semelles pesant une tonne, il rejoignit Wesley après une interminable marche dans un paysage désolé. L'ancien Observateur de Faith et Buffy, avait fait circuler la nouvelle, et il maintenait toujours ouverte une porte et une voie sécurisée pour que des défunts non damnés puissent venir assister au procès de Warren, sans trop pâtir du voyage.

— Est-ce qu'on verra Buffy, tu crois ? questionna Andrew en cherchant parmi les arrivants.

— Oh, ça m'étonnerait. D'après ce qui se dit, elle n'est plus dans les Limbes.

— Ah bon ? Comment est-ce possible ?

— Elle a fait pénitence et elle a accepté de travailler pour les Puissances qui l'ont renvoyée sur Terre.

— Comment ça se fait que tu saches tout ça ?

— Bruits de couloir de la chambre blanche des Associés Principaux, disons. [3]

— Et qu'est-ce qui se dit d'autre ? Tu as des nouvelles de tous ? Anya ne me dit jamais rien...

— Un peu. Je n'y vais plus très souvent depuis qu'ils ne peuvent plus vraiment faire pression sur Angel. Les Associés sont sur les dents.

— Pourquoi ? Ils règnent un peu ici, non ?

— Peut-être plus pour très longtemps. On sent une effervescence. Quelque chose se prépare. Il se murmure qu'Eyghon veut faire ouvrir toutes les Bouches de l'Enfer.

Andrew eut une réaction primale d'ancien d'Observateur qui se respecte: il écarquilla les yeux de terreur, rien qu'à l'idée que ses proches et les Tueuses puissent avoir à revivre ça, et à une échelle pire que la première fois.

— Non ! Non ! Ce n'est pas possible ! Toutes ? D'abord, personne n'a ce pouvoir.

— Eh bien, ça dépend.

— Je n'y crois pas. C'est surhumain, sur-démonique...

— Précisément.

— Je ne comprends pas... Tu veux dire que c'est un dieu qui ferait ça ? Un méchant dieu, comme Gloria ou Jasmine, qui pourrait venir et rafler tout ?

— Andrew, murmura Wesley pour la première fois souriant depuis qu'ils se connaissaient. Si les Bouches de l'Enfer s'ouvrent, tout ce qui se trouve en Enfer peut remonter à la surface.

Ses lunettes cerclées jetèrent des reflets à la lueur des éclairs de foudre qui zébraient le paysage.

— Y compris nous.

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Cleveland, 23 août 2046

Dans la vieille demeure hantée, le feu commençait à se répandre partout au dernier étage sous le toit. Recroquevillés dans une chambre, un étage plus bas, les fantômes observaient la scène d'un air désolé. Les plus âgés semblaient plus sereins que les jeunes, lesquels gardaient sans doute des souvenirs de leurs peurs d'autrefois. Spike était passé devant eux et avait dit d'un air contrit:

— Je suis désolé. Le méchant homme ne reviendra plus. C'est lui que je voulais brûler, pas votre maison. Les pompiers arrivent, ils sauveront peut-être le premier étage... J'y vais parce que moi je suis pas ignifugé. L'un de vous sait par où est la cave ?

Un cri retentit en bas depuis la porte d'entrée, appelant pour savoir si les lieux étaient squattés. Dehors, le ballet des pompiers et leurs lances se mettait en place. Sans se faire voir, Spike dévala l'escalier qui menait au rez-de-chaussée et gagna la cuisine où il espérait trouver un éventuel accès pour se tirer de cette souricière. Derrière lui, une main s'abattit soudain sur son épaule et il réagit par réflexe en se pensant agressé. Deux fois le même jour, ça allait bien comme ça...

Un inconnu brun aux cheveux courts, plutôt jeune pour porter d'impressionnants favoris et s'habiller comme un biker des Village People, se recula aussitôt en levant les mains.

— Oh, du calme ! Je bosse pour Woods et j'avais infiltré la garde de Mears. Suivez-moi. Le cellier est par là. Il communique avec un tunnel de service des très vieilles lignes de métro. Celles des années 50 qui n'ont jamais été mises en service...

— Euh, si vous bossez pour Woods, je ferais peut-être mieux d'essayer de m'en tirer tout seul. Il a déjà essayé de me tuer.

Le jeune homme le regarda d'un air goguenard.

— A ce que je vois, ça n'a pas réussi. Arrêtez de parler et venez !

Deux pompiers lourdement harnachés faisaient le tour du rez-de-chaussée en lançant des « Il y a quelqu'un ? » et le biker de pacotille tira fortement Spike par la manche, tout en faisant glisser un vaisselier comme s'il s'agissait d'une porte coulissante. Il s'engouffra dans le couloir qui sentait fort le renfermé, le vampire à sa suite, et remit le meuble en place depuis l'intérieur.

— Allez, c'est par là. Donc, on va prendre les tunnels, marcher à pied pendant environ deux-trois kilomètres, après je vous largue au point de rendez-vous, où l'équipe qui garde la Bouche de l'Enfer vous attendra. C'est clair ?

— Comment vous saviez que j'allais venir ? Je ne l'avais même pas prévu moi-même.

Le jeune homme haussa une épaule avec un sourire amusé tandis qu'il ouvrait la marche en allumant une lampe torche qu'il venait de sortir de sa botte.

— J'ai votre signalement depuis un bail. Woods m'a briefé en me demandant de tout faire pour vous aider si jamais vous débarquiez à l'improviste. Il doit bien vous connaitre parce que c'est exactement ce que vous avez fait... Attention à votre tête, ça se rétrécit un peu.

Spike n'était pas sûr de pouvoir lui faire confiance. Comment connaissait-t-il cette sortie secrète ? Et si c'était un nouveau piège ? La seule autre personne qui savait où il était allé était Lilah. Elle était certes loin à l'autre bout du pays, mais un coup de fil lui suffisait pour prévenir quelqu'un ici. Avoir un homme dans la place aurait tout à fait permis à l'avocate d'escamoter le premier Buffybot...

— Comment vous connaissez Lilah Morgan ? demanda le vampire.

— Qui ça ?

— Lilah Morgan, de chez Wolfram et Hart. C'est bien elle qui vous a demandé de voler le robot, non ?

— Un robot ? Je ne sais pas, je ne suis pas au courant. Moi je faisais partie des gardes pendant la journée et j'étais rarement invité à rentrer. La nuit, des démons prenaient la relève... En tant qu'espion je devais noter les allées et venues, et qui il recevait pendant la journée. Et je sais pas qui est cette Lilah. C'est une Tueuse ?

— Pas dans le sens où vous l'entendez, non.

— Elle est maléfique ?

— Oui, plutôt.

Le jeune s'avança encore un peu et braqua sa lampe sur les plaques de rues souterraines à un croisement, avant de s'engager dans le boyau de droite. D'une de ses poches, il sortit son communicateur qu'il leva à la lumière pour voir s'il y avait du réseau. Il fit quelques pas en le tenant tendu devant lui.

— Qu'est-ce que vous faites ?

— Il y a un truc qui perturbe les télécommunications dans tout le secteur, depuis quelques temps. On aurait pu croire que c'était à cause de la Bouche de l'Enfer, mais non... ah, attendez, je crois que c'est bon. Je les appelle juste pour dire que je vous ai trouvé...

— Et si on leur faisait plutôt la surprise ? proposa le vampire en morphant soudain.

Le jeune homme sursauta.

— Quoi ? Qu'est-ce qui se passe ?

— Je crois qu'on n'est pas tout seuls... Il y a un truc qui nous suit, murmura Spike, vaguement vexé que le jeune homme n'ait pas eu peur une seule seconde. Continuez à avancer et grouillez. Mais si je vous dis de courir, vous courez !

— Ok je préviens la cavalerie, et j'ai un traceur sur moi...

— Et votre traceur, il vous grille pas le cerveau ?

— Non. Il est sous la peau...

Le garçon tapa à toute vitesse un message bref et Spike le bouscula un peu:

— Bon Randy, c'est le moment de courir ! s'exclama le vampire en jetant des regards aigus derrière lui. C'est encore loin ?

— Euh... non. On y est presque, on a fait vite. Par contre... J'ai pas la clé, ce sont les patrouilleuses qui vont ouvrir.

— Quoi ?!

— Elles seront là dans cinq minutes. Mais vous êtes fort, non? Vous pouvez bien vous battre un peu en attendant.

Spike grimaça et le repoussa vivement ajoutant mentalement « Oui... ou vous donner à manger à la bestiole qui nous course, aussi ».

— Partez devant, dit-il en se retournant pour faire face à la noirceur du tunnel.

Le vampire ouvrit grand ses narines et dilata ses pupilles, s'interposant entre ce qui les suivait et le petit inconscient.

— Il y a une créature ?

— Oui, partez, j'ai dit.

— Quel genre de créature ? C'est pour les prévenir, pour les recherches, et savoir comment ça se tue, vous voyez.

— Bah c'est un gros salopiaud de mes deux. Maintenant BARREZ-VOUS !

— Okay, okay, pas la peine de crier.

Un sifflement aspiré retentit, suivi d'une sorte de ricanement. Dans le halo de la torche, une silhouette malingre se découpa. Elle marchait un peu courbée, la gueule en avant et les yeux cernés de noir se plissaient dans le pinceau lumineux.

Aussitôt le jeune gars fit demi-tour, et partit à grandes enjambées en hurlant dans son téléphone:

— Code rouge, code rouge, Turok Han au point de jonction ! Verrouillez sur mes coordonnées GPS !

— Et quoi ? soupira Spike. Vous allez demander à Scotty de vous téléporter ?

— Qui ça ?

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Spike inspira profondément, fermant les yeux quelques brèves secondes tout en tendant ses sens pour ne pas perdre la créature qui lui faisait face, et il commanda à son démon intérieur de sortir en prévision d'une belle bataille.

« Non. Parmakaï pas vouloir. »

— Mhh, dommage, c'est un vampire originel. Pas Klaus Mikaelson, hein ? Un vrai !

« Pas vrai. Imposteur. Parmakaï seul vrai vampire début de tout. Le Mikaelson, c'est ennemi valable ? ». [4]

— S'il existait pour de bon, peut-être un peu...

Le Turok Han s'approcha lentement, ses ongles affutés levés prêts à taillader des veines. Il écarta des dents d'une blancheur inhabituelle, en poussant un grognement d'intimidation qui à dix contre un signifiait très probablement « Dégage ».

— Est-ce que les Turok Han parlent ?

« Parmakaï s'en fout complètement. »

Cela avait le mérite d'être clair.

Spike ne perdit pas de temps à s'interroger sur la bouderie de son démon, il n'avait pas besoin de lui pour attaquer cette dangereuse engeance. Il bondit et ce fut le top départ d'un combat remarquablement sauvage et remarquablement... bizarre. La créature rugit en voyant qu'elle n'avait pas le dessus, et fit tout pour défoncer la ligne de défense du blond vampire pour partir à la poursuite du jeune gars. Manifestement, c'était lui qui l'intéressait... Spike se devait de tenir pour lui donner quelques précieuses minutes d'avance, assez pour prévenir Woods et les autres. Il aurait volontiers soupçonné l'Observateur de vouloir capturer un spécimen vivant.

Donc pour l'occuper, il fallait éviter ses coups, tâcher de ne pas se faire rétamer trop vite, lui faire le plus mal possible mais sans le tuer... Pas facile « sans le tuer ».

Le Turok avait des façons inhabituellement vicieuses. Pour autant qu'il en savait, ces gars-là ne s'embarrassaient pas de fioritures. Mais celui-là, il aimait que ça gicle. Il visait les parties molles pour les ouvrir, et faire couler le plus de sang possible afin de l'affaiblir, au lieu d'achever sa victime le plus vite possible. Spike était content d'avoir sur lui le cuir épais de son manteau, mais il allait finir en lambeaux.

Face aux attaques, parades, clé de bras, le Turok s'en sortait toujours en lacérant copieusement tout ce qu'il pouvait. De multiples entailles qui le laisseraient bientôt exsangue si les Tueuses n'arrivaient pas vite.

Alors qu'il était lancé contre un pilier, Spike sentit ses os craquer et craignit le pire pour sa colonne vertébrale.

Répondant indirectement à sa question, le Turok Han s'était jeté sur lui, un genou enfoncé dans sa poitrine et une main griffue étranglant le cou, il articula distinctement sous son nez :

— Reste à terre, vampire.

« Vampire ? » Et il pensait qu'il était quoi, lui ?

C'est le moment que choisit Parmakaï pour daigner se bouger, il relégua Spike au rang de spectateur pour prendre le contrôle et il repoussa violemment le Turok, pour se remettre debout d'un coup de rein face à lui. Bon, épine dorsale, ok. Le démon le faisait par orgueil et pur effort de volonté car il était déjà couvert de blessures sexy (et ne recevrai même pas le moindre doux baiser pour sa peine).

— Et pourquoi faire ça ? dit-il d'un air provocateur, en s'essuyant le nez et la gueule. Viens là.

Semblant légèrement interloqué, le Turok qui s'était reculé, lui lança un regard méprisant et tourna la tête vers le couloir comme s'il hésitait entre revenir l'achever, et courser le jeune Village People. Spike n'aurait pas été contre un petit renfort de la cavalerie que dans le meilleur des mondes, le gamin aurait réussi à faire venir.

— Lâche ! Piètre monstereux, fuis devant Grand Parmakaï, bien-aimé d'Ocantha et sa poupée humaine Sileya ! Soumets, et moi clément.

Pour toute réponse, le Turok grogna et se jeta sur lui en hurlant, les yeux fous, cherchant à le mordre à la jugulaire. Mais dans cette mêlée furieuse, le démon de Spike riait. Sans doute était-il devenu cinglé.

— Toi valeur au combat, remarqua-t-il. Mais Parmakaï peut gagner avec cinq mots petits, nargua-t-il en essuyant une pluie de coups de plus en plus rageurs.

Parmakaï rit encore et Spike commença à se demander s'il resterait encore quelque chose de lui dans cinq minutes, à force de sentir son crâne cogné contre tout ce qui passait à portée.

— Furie sauvage envie concubine moi, gloussa-t-il.

« Hein ? » sursauta Spike, craignant d'avoir compris.

Mais contre toute attente, le Turok dut comprendre la même chose car il se figea et se recula instantanément, en feulant... à distance. Parmakaï s'appuya contre un mur pour se stabiliser et tenter de se « regrouper ».

« Vois ? poursuivit-il en pensée à l'attention de Spike. Femelle être femelle. Toujours envie Parmakaï très puissant dans ses cuisses. »

— Non mais t'es complètement cramé, c'est un Turok ! Il n'y a pas de femelles chez eux !

— Le Spike trop petaQ pour voir et sentir. Turok combat pareil guerrière petite initiation et hume bon...

— Petite, petite... j'en ai pris plein la tronche, moi. D'ailleurs, si tu pouvais essayer d'esquiver de temps en temps, ça m'arrangerait. Le fauteuil roulant, une fois ça m'a suffi... Et puis franchement, un Turok ? T'es vraiment pas regardant...

Parmakaï s'amusait en scrutant son opposant hésiter entre lui faire payer ce qu'il venait de dire et continuer sa route. Il arbora un large sourire qu'il voulait séducteur (ce qui était un échec cuisant).

« Le Spike laisse épée Parmakaï faim. Parmakaï veut concubine vite, sans pelure. Mais femelle doit douce peau. Parmakaï aime douce peau maintenant.

— Eh bah, moi vivant, tu ne tireras pas ton coup avec ça ! Tu dois tuer ce machin, c'est uniquement pour ça que je t'ai laissé sortir ! Rien d'autre ! Oh ça me débecte, rien que d'y penser j'ai envie de vomir. »

Parmakaï étira son cou et fit rouler ses épaules avant de s'adresser à son adversaire.

— Alors, Furie. Fini combat ? Prépare accueillir grande sexe dans toi ?

Le Turok Han écarquilla les yeux et sa réaction ne se fit pas attendre. Déterminé, il se précipita en courant vers lui. Se méprenant sur le geste, le démon de Spike agrippa ses deux bras pour l'y emprisonner. Il inclina sa tête pour venir dire à son oreille:

— Toi change visage, Parmakaï veut beauté peau... Furie moche comme ça.

Le Turok Han se recula d'un pas et lui expédia un violent coup de genou dans une zone extrêmement sensible qui le plia en deux de douleur. Puis il lui cracha dessus, tourna les talons et se rua à la suite de l'espion de Woods.

« Ah bah, si. T'avais raison finalement, c'est bien une fille » commenta Spike sarcastiquement.

Roulé en boule, Parmakaï haletait mais il éleva quand même la voix pour bien se faire entendre.

— Furie, chantonna-t-il. Toi courir mais pas cachette. Je sais ton odeur. Moi trouve et toi payer beaucoup pour affront.

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Le démon resta un instant étendu à même le béton, gisant dans une flaque trouble. Spike pensait qu'il allait refluer pour lui redonner le contrôle (histoire aussi qu'il prenne toute la douleur). Mais au lieu de ça, il soupira.

— Parmakaï manque sa moelleuse favorite. Oreiller rebondi de ses mamelles. Fesses rondes pour les mains. Entrailles douces qui brûlent... Oh pourquoi Petit Leurre abandonné toi ?

« Je t'interdis de parler d'elle comme ça. Elle ne m'a pas abandonné. Elle a été enlevée et elle est retenue dans un endroit où je ne peux pas aller. »

— Quoi veut de toi ennemi qui l'a prise ?

« Rien du tout. Elle a été enlevée parce qu'un démon encore plus mégalo que toi voulait la sacrifier, pour étendre son pouvoir et son royaume. »

— Ha, et pourquoi le Spike pas déjà tué démon impudent ?

« Bah tout à l'heure, j'ai zigouillé sa marionnette humaine, ça va le retarder ».

— Retarder ? Retarder ! Non ! Finir ! Tu vas, tu massacres, tu prends royaume, tu festoyer sang et ma concubine revient enfin ! Pas dur comprendre ! Même juvénile peut !

« Non ! C'est toi qui comprends pas... C'est pas 'ta concubine'. Pas un seul instant, je n'oublie ce que tu lui as fait subir. Elle en a été traumatisée pendant des mois. Et tu oses te gargariser du mot honneur ! Elle t'a aidé sans hésiter. Et toi, tu l'as utilisée, tu l'as blessée dans sa chair, tu l'as poussée dans la tombe avec ton pacte. Eh bien, ça c'est le comportement d'une sous-merde. J'ai pas de conseils à recevoir de toi. Ferme-la. »

— C'est stratégie. Si Parmakaï énerve bien, tu fais, et moi silence !

Spike essaya de prendre sur lui et de se calmer. L'idée qu'il se taise au lieu d'énumérer les appâts de Dawn lui plaisait énormément.

« Comment ça se fait que tu reparles petit nègre ? Je trouvais que tu avais progressé. »

— Le William fait déréliction. Parle rien. Explique rien. Alors Parmakaï dit charabia.

« Attends, j'entends quelque chose qui bipe, laisse-moi bouger ».

Le démon obtempéra et Spike se releva aussitôt en grimaçant. Faisant taire ses multiples blessures et douleurs, il tendit l'oreille en direction du bip d'autant plus sinistre qu'il évoquait furieusement un minuteur... Le vampire tâta ses poches et ne trouva pas le petit boitier qui lui servait à appeler l'Insectoïde, il avait dû le perdre dans la mêlée. Toutes oreilles tendues, il remonta un peu le couloir en suivant sa courbe, et vit en effet, bien en évidence, une boîte où de gros chiffres défilaient sur un cadran lui laissant moins d'une minute avant de déclencher dieu savait quoi.

Aussitôt, il écarquilla au maximum les pupilles pour favoriser sa vision nocturne et trouva ce qu'il cherchait dans une flaque un peu plus loin.

Il grimaça encore. L'eau et les bidules électroniques ne font pas bon ménage, en général. Les blattes du vaisseau l'avaient-elles créé waterproof ?

Il le ramassa, et commença à courir, anticipant la fin du compte à rebours. Il essaya plusieurs fois d'activer le signal, à chaque fois sans résultat. Les paroles du jeune homme lui revinrent en mémoire à propos de quelque chose qui bloquait les communications. Dans l'état où il se trouvait, il lui était impossible d'user de sa vitesse surnaturelle mais il estimait s'être suffisamment éloigné pour être relativement en sécurité, avec rien de plus qu'une méchante onde de choc. Plusieurs mètres devant, il voyait une grille...

Mettant fin à une insupportable attente, une détonation retentit enfin, suivie d'un bruit feutré étrange. Il se retourna juste pour voir une sorte d'avalanche énorme s'expanser et fuser dans sa direction, canalisée par les parois. Mû par pur instinct de survie, il accéléra en direction de la sortie. Mais alors qu'il glissait un œil derrière lui pour vérifier ce qui se passait, il s'étala en ripant sur un petit objet qu'il reconnut comme le communicateur de son guide parti devant. Il n'eut que le temps de se relever, et de se jeter sur une grille... verrouillée. Il força pour l'ouvrir mais ça ne suffit pas.

Rattrapé par une matière qui lui évoquait une pâte de guimauve possédée, il se sentit brutalement enseveli, soulevé en l'air vers le plafond et écrasé contre lui par une pression immense qui le fit hurler trois secondes... La bouche vite pleine d'une matière infecte et dure, sa gorge émit un dernier son guttural étouffé, ses os hurlant une souffrance à laquelle il ne pouvait plus donner voix.

Ci-gît le pauvre vampire imbécile tué par un marshmallow géant.

Aveugle et incapable de bouger, il sentit à peine sa conscience se retirer, emportant avec elle toute la rage de Parmakaï et le soulagement indicible de William qui pouvait enfin déposer son fardeau.

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Notes

[1] Pour mémoire, celui des « Violents », ce qui inclue les gents qui ont donné la mort, entre autres.

[2] Que les fans de Pratchett m'excusent encore de leur emprunter La Mort QUI PARLE COMME ÇA.

[3] Pour ceux qui ont oublié (ou jamais vu) la série Angel, Wesley est mort en dernière saison mais les Associés Principaux de Wolfram & Hart l'ont conservé comme agent de liaison avec Angel. Ils ne sont pas philanthropes. Ils ont un moyen de pression et attendent de lui qu'il convainque Angel d'agir dans le sens qui les arrange. Comme Lilah, Wes a signé la « clause de perpétuité standard » qui le maintient conscient et vivant quand ses patrons ont besoin de lui. Dans ma déviation, j'ai postulé que quand il ne travaille pas, il est en Enfer.

[4] Référence à un personnage violent, irascible, cruel, très manipulateur, avec un sens moral bizarre, des séries « Vampire Diaries » et son spin-off « Les Originels ». Dans cet univers, Klaus fait partie des premiers vampires créés. Je l'amène ici pour contraster avec les Turok Han difformes du Buffyverse, et pour me moquer de Parmakaï.


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