When in Rome

Chapitre 98 : Positif et pragmatique

5387 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a environ 2 mois

Chapitre 47 Positif et pragmatique

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Maya était descendue de voiture avec une bonne migraine, une légère claudication et un plat à gratin plein de lasagnes aux épinards sous le bras. Elle referma la portière d'un coup de hanche et les clés lui glissèrent des mains. Pendant qu'elle se penchait pour les ramasser, son communicateur sonna, son sac glissa de son épaule, le plat tangua mais elle réussit à le stabiliser sur le coffre de la Fiat de Pietro. Une main fouillant dans le sac, elle sortait son appareil quand un frisson désagréable lui parcourut les bras.

De l'autre côté de la voiture lilliputienne, le sourire plein de crocs d'un vampire totalement inconscient l'accueillit et elle souffla l'air longuement par le nez en le fixant d'un œil charbonneux. Il ouvrit la bouche mais elle l'empêcha de dire quoi que ce fût d'un doigt levé.

— Tu me donnes une minute ? Je suis au téléphone là… Oui, je suis dehors… j'ai ramené le dîner. Je finis un truc et j'arrive. A tout de suite…

Le vampire élargit son sourire pendant qu'elle rangeait soigneusement ses affaires et profita de son apparente distraction pour se jeter sur elle. Elle envoya son sac sous la voiture.

— Bon ! À nous ! Je te préviens, je n'ai pas beaucoup de temps à t'accorder, dit-elle en sortant « Nouveau Pieu Super Cool » de derrière sa ceinture. On fait ça vite, hein ? J'ai eu une journée de merde et j'ai la dalle.

Comme s'il était d'accord avec le plan, il lui attrapa le bras et tordit pour le lui faire lâcher, avec succès. L'objet clinqua par terre dans un vacarme. Quand le vampire chevelu comme un hippie lui attrapa l'épaule, elle lança vivement la paume de sa main sous son menton et doubla le geste d'un rapide coup de genou dans l'aine. Pendant qu'il criait de douleur, à demi courbé, elle lui asséna ses deux avant-bras sur la nuque pour l'envoyer au sol, et elle reprit sa garde. Il rugit et se remit sur pied.

— Pouah, du krav maga? Mais ça n'a aucun style!

— Écoute, je fais ce que je peux, hein?

— Mais t'es pas la Tueuse ?

— Damned, je suis démasquée, dit-elle ramassant son pieu d'un air las pour reprendre la position.

— T'es fatiguée, mémère ? Tant mieux pour m...

Shlack ! Maya l'avait lancé comme un couteau, pile au centre de la cible. Le vampire explosa en poudre grise.

— Mémère, toi-même !

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Sur le perron de l'immeuble, son fils assis avait les bras croisés sur les genoux et le regard fixe. Son dos rond se redressa quand il entendit des pas résonner sur le pavé. En la reconnaissant, il jeta un regard suspicieux avec un froncement de nez en direction du plat qu'elle avait sous le bras.

— Lasagnes ?

— Oui, j'ai pris épinards-chèvre, dit-elle rien que pour voir les yeux de son fils s'écarquiller d'horreur. Qu'est-ce que tu fais là-dehors tout seul au lieu d'être à l'intérieur ? Là où il n'y a pas de vampires, par exemple ?

— Il n'avait pas l'air très malin celui-là...

— Réponds.

Evan exhala lentement en se grattant le cuir chevelu, le regard soudain plus fuyant.

— Pietro et Spike s'engueulent encore, finit-il par dire entre ses lèvres pincées. Une histoire de lettres. Franchement. Comme s'il n'y avait pas plus important... Joy est redescendue toute seule, marche par marche pour venir voir ce qui se passait.

— Quoi ? Mais pourquoi tu ne l'as pas remise dans sa chambre ? Elle n'a rien à faire debout à cette heure.

Evan haussa une épaule.

— Bah, elle est mignonne. Elle leur fait ses sourires et ses petits yeux de bébé. Et du coup, ils arrêtent. Et puis, tu ne t'en rends pas compte, mais elle est un peu lourde pour moi maintenant.

Maya observa son garçon avec un petit nœud dans la gorge. Elle n'avait pas hâte qu'il grandisse trop vite pour pouvoir porter Joy parce qu'elle se souvenait encore de ce qu'elle pensait de ses parents en devenant ado... Le temps filait et elle avait l'impression que son petit homme aurait d'autant moins besoin d'elle qu'il aurait appris à faire sans. Quelle autorité aurait-elle ? Aucune. C'était dingue mais elle était devenue ce genre de mère dont le travail passe avant, et qu'elle s'était jurée de ne jamais être, quand elle avait compris qu'elle ne pourrait fuir aucune de ses deux responsabilités.

— Bon, allez, viens on rentre. Le plat de lasagnes, il est trop lourd pour toi ou tu as la force d'aller le mettre dans la cuisine ?

— Je sais pas... Je pourrais le laisser tomber malencontreusement par terre, dit-il en plissant les yeux. Ce serait tellement dommage...

— Malencontreusement ?

— Par inadvertance.

— Ok, je crois que tu fréquentes trop papi Rupert, toi, dit-elle en lui embrassant les cheveux avant de lui mettre le plat dans les bras.

Aouch, ça pèse une tonne.

— Ou tu le prends, ou tu files au bain immédiatement et... tu récures bien dans les coins. À toi de voir.

— T'es raide en négo.

— Je crois que tu fréquentes aussi un peu trop Spike. Refile-moi ça. Je vais voir ce qu'ils ont. Mais pendant ce temps, mon chéri, tu serais un amour si tu voulais bien mettre la table... Mhh ?

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En entrant dans le salon, elle trouva les deux hommes en train de se regarder en chiens de faïence et Joy, les yeux rouges comme si elle avait pleuré. Pietro rangea à la hâte un bout de papier dans sa poche. Maya se précipita pour prendre sa petite contre elle et lisser ses cheveux dorés.

— Eh bien mon bébé, c'est quoi ce gros chagrin?

— Pietro il a dit que Mamie, elle mange de la pizza tous les jours !... Et moi, j'en veux mais il n'y en a jamais ! Et je veux qu'on aille chez elle, même si c'est loin, tant pis si c'est avec l'avion, je fermerai les yeux. Mamie, c'est Mamie.

Spike avait la mâchoire dure et saillante, les bras croisés, il inclinait la tête en regardant méchamment le tapis neuf, qui ne lui avait rien fait. Et, avec un geste bien autochtone de la main, les doigts serrés en l'air, elle leur demanda silencieusement de quoi il retournait au juste.

— Ah, ça c'est sûr. Mais j'ai pas de pizza pour ce soir, je ne savais pas. J'ai pris des lasagnes vertes. Viens, tu vas les manger avec ta fourchette préférée. Celle qui a des petits pois rigolos dessus.

— J'aime quand même mieux de la pizza avec Mamie.

— Ok, on verra demain pour le dîner. Je vais demander à Pietro s'il veut bien en faire une petite, juste à ta taille, mmh ? Fais un sourire tout joli à Maman. Et pour que demain arrive plus vite: au dodo !

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Plus tard après dîner, une fois les enfants bordés dans leurs lits respectifs, Maya rassembla les assiettes sales en demandant tout haut et tout fort à ce que Spike et Pietro l'aident « parce que les vrais hommes n'ont pas peur de la vaisselle ». Avec son statut non humain, Spike ne se sentit pas concerné.

— Bon. Maintenant, je ne sais pas quel est encore le problème entre vous, mais il faut que je vous débriefe de la réunion du Conseil.

Elle soupira, en laissant couler l'eau dans l'évier pour couvrir ses paroles, et elle empoigna énergiquement le flacon de liquide vaisselle (aux agrumes bio) et l'éponge (végétale recyclée).

— Alors voilà... bah, c'est la grosse merde tous azimuts, dit-elle en attaquant un faitout en fonte. Accrochez-vous bien à vos chaussettes, je vais essayer de vous faire la liste, rapido. On développera si vous voulez après. Un : un quart des effectifs du CDO et des membres de Deepscan ont disparu purement et simplement de la surface de la Terre, en moins d'un mois.

— Attends, mais c'est quoi « Deepscan »?

— Une partie du problème. Les Real Avengers, le syndicat des Tueuses, n'existe plus. J'ai dû noter ce nom sur ma main pour essayer de ne pas l'oublier. À la place, il y a cette société de gardes du corps où certaines Tueuses sont en réinsertion sociale.

Deux : Kennedy n'a aucun souvenir d'être mariée à tata Willow. Elle ne sait plus qui est Alexandra. Une Alexandra qui, trois, est introuvable depuis l'expédition pour récupérer la faux de Faith. Et qui doit la remplacer dans ses fonctions ? C'est bibi. Génial, je n'étais déjà pas beaucoup là...

— Que veux-tu dire par « disparu ». Ils ont été enlevés ? se troubla Pietro.

— Je veux dire pareil qu'avec le prof de karaté. Ils sont là et soudain pshouf ! Ils ne sont plus là. D'autres ont été témoins de la même chose que toi.

Quatre : les bases de données du CDO et leur première sauvegarde ont été altérées ou corrompues ou je ne sais quoi. Les disparus y figurent quand on remonte dans le temps mais s'effacent dès que leur fichier est ouvert. Willow dit qu'ils restent présents dans un second niveau de sauvegarde pendant une heure ou deux. Elle est en train de rameuter un bataillon d'hypermnésiques pour essayer de retenir un maximum d'infos.

— On sait ce qu'ils auraient en commun ?

— Au début, on a pensé que c'était parce qu'ils étaient embauchés depuis moins d'un an, mais ça ne colle pas avec Alexa, ou pour des petites gamines qui ont été déjà repérées dans des collèges depuis plusieurs années. Résultat, et ça, c'est le Cinq : face à l'effondrement rapide des effectifs, Tokyo et la Chine imposent d'autorité des contingents de sorciers et shaolins pour renforcer tous les points chauds de la planète.

— Et c'est pas bien ?

— Si, mais les antennes orientales ont décrété qu'elles utiliseraient la magie coup pour coup de façon offensive, ce qui défrise particulièrement Willow. Et c'est pas fini... attendez. Six : il y a bien un Turok en liberté à Cleveland. On suppose qu'il a fui durant la mêlée de la laiterie. Il se cache très bien, ce qui est bizarre. Sept : Wolfram et Hart ont infiltré un agent double auprès d'Eyghon qui agit comme un facilitateur. Robin avait fait la même chose de son côté parmi les porte-flingues de Warren, et c'est comme ça qu'il est au courant. Le Conseil est divisé pour ce qui est de faire alliance avec eux, même temporaire. Angel fait partie de ceux qui sont catégoriquement contre. Je comprends pourquoi, il les a pratiqués...

Huit : autre surprise, il semble qu'on ait gagné une remplaçante pour Alexa. La petite que tu as ramenée, Spike, c'est une Tueuse maintenant.

— Hein ? Mais... c'est une mioche rachitique ! Et comment pourrait-elle être une Tueuse ? Elle vient d'une autre planète !

— Faith a tranquillement déclaré – comme si c'était rien – que le fameux « agent double » de Wolfram l'avait asphyxiée avec un produit chimique. Elle est morte pendant quelques instants avant qu'Angel parvienne à la réanimer. Et devinez quoi ? La petite Thisbé, elle a commencé à constater un changement chez elle juste après ça. Désolée de te contredire Spike mais c'est, et depuis le début, une jeune fille rachitique qui ne fait pas son âge, mais ça je m'en doutais. On a ça en commun, elle et moi : elle est devenue Tueuse du jour au lendemain, sans signe avant-coureur. Personne n'a le temps de chercher pourquoi.

Avant que j'oublie, très important, le numéro neuf : Giles a reçu un appel d'une révérende d'un covent wiccan. Elle lui a affirmé qu'une sorcière, correspondant au portrait-robot d'Amy Madison, a demandé une audience à la plus haute sommité magique de chez nous. Et c'est qui ? Madame... la Terre. Tadaaa ! Je savais pas que la Terre, c'était quelqu'un, moi.

— Voilà ce qui arrive quand on roupille en cours...

— Peut-être, mais Willow aurait pu me le dire. Elle a eu affaire à elle deux fois.* Bon bref, le covent a réagi aussitôt pour mettre sur pied une arnaque et savoir ce qu'Amy voulait. Les wiccanes avaient une pythonisse qui leur devait un service... Et comme ça, elles ont découvert les plans d'Eyghon. Eh bah, moi qui pensais que Warren était très con...

— Et c'était qui cette pythonisse ? s'enquit Spike d'un air curieux.

— Pas une que tu connais, mon petit père.

— M'appelle pas « mon petit père ».

— Sûr ! Dès que t'arrêtera de me rappeler que tu trompais ma mère avec l'une d'elles.

— Pardon, mais on n'était pas encore ensemble. C'était avant...

— Pardon, mais t'étais déjà amoureux d'elle depuis des mois, alors pour moi ça compte.

— Mi scusi, est-ce qu'on peut revenir au compte-rendu ? Je n'ai rien à faire de la vie sexuelle du vampire. Et avec une sirène serpent, cela me dépasse.

— Mon cher Pietro, je te répondrais bien qu'elle avait d'autres orifices pour me faire du bien, mais je vais faire rougir Maya. Pour ton info, je sortais avec une pythie, et c'est pas la même chose. Toutes les Ophidiennes ne deviennent pas des prêtresses du culte chtonien réformé... Si jamais elles ont des petites prédispositions et qu'elles sont choisies, alors elles attrapent la queue de serpent à leur initiation. Histoire de bien leur faire comprendre qu'elles devront entièrement se consacrer au dieu qu'elles servent... et ce qui se passe sous la ceinture, couic.

— Mais vampiro, donc tu lis des livres !

— Non. C'est elle qui m'a raconté tout ça pendant qu'on surveillait ses œufs.

Maya leva prestement la main pour les interrompre.

— Euh... ça devient gênant. Pour ceux que ça intéresse encore, les wiccanes ont réussi à boucler Amy plusieurs heures et elles ont découvert qu'Eyghon était un puriste de la démonitude. En gros : la Terre aux démons, les humains à dégager, ou au frigo pour qu'il reste un minimum à manger. Et comme il a potassé, il s'est dit qu'il allait améliorer la biodiversité et le contingent de ses futurs adorateurs, en les faisant débarouler ici d'un coup. Soi-disant qu'une déesse avait déjà tenté de le faire avant... J'en ai marre de tous ces démons qui ont un pois-chiche dans le crâne, si vous saviez...

— Oh bordel ! s'écria Spike en se détendant comme un ressort sous l'effet de surprise. Mais c'est peut-être pour ça que Dawn a disparu !

De façon étrangement mimétique, Pietro et Maya clignèrent deux ou trois fois, pendant que Spike se repassait le fil des événements qui hantaient ses insomnies et ses mauvais sommeils.

— Il va falloir que tu développes un peu...

— À un moment, vous avez commencé à parler d'Eyghon en plus d'Amy et Warren. Et, pratiquement en même temps, Dawn a disparu. Alors mettons que le plan d'Eyghon soit effectivement de dominer la Terre en régnant sur une population de démons. Il commence par quoi ? D'abord des sortes de mercenaires brutaux pour terroriser son monde, ça explique les Turok. Et dans un deuxième temps, faire venir d'autres démons pour que le nombre joue en sa faveur. Parce que vous êtes sacrément nombreux, vous autres. Moi à sa place, si je connaissais son existence, j'aurais forcément voulu mettre la main sur la personne qui a été capable d'ouvrir les dimensions pour cette pétasse permanentée de Gloria. C'était la déesse en question. J'étais là quand c'est arrivé. Et je peux vous dire qu'il n'y a eu aucun besoin que Dawnie soit d'accord – ou même consciente – pour que ça se produise.

Maya coupa l'eau du robinet qui coulait à flots depuis tout ce temps, s'essuya les mains et s'assit à une chaise de la cuisine. Elle repoussa ses cheveux châtains trop longs. Ses paupières se fermèrent alors qu'elle réalisait que le tableau était bien plus vaste que ce qu'ils en comprenaient.

— Mais ça n'a aucun sens, réagit l'Italien. En quoi Dawn jeune était-elle moins dangereuse que sa version âgée ? Elle pouvait aussi ouvrir une dimension, no ?

— Bonne question, Bambino... Peut-être parce que Dawn a réappris à le faire bien plus tard. Notre Dawn avait retrouvé cette capacité mais pas sa version étudiante. Je ne comprends pas l'intérêt de faire un échange, mais je mettrais ma main au feu qu'il y a quelqu'un qui l'a enlevée pour cette raison.

— Je m'appelle Pietro, je te l'ai dit cent fois. Et j'ai dit à la Dawn jeune fille que qu'il fallait bien trop d'énergie magique pour arriver à faire ça et qu'il n'y avait probablement aucun sorcier assez puissant pour le faire sans dégâts.

— Grande énergie, grande énergie... Willow a bien renvoyé ma mère ado.

— Non, on espère qu'elle l'a fait, chouquette. On n'en a aucune preuve. Tout ce qu'on sait, c'est que ta mère adulte était dans le passé à un instant T, comme le prouvent les deux notes que Pietro Galardi Junior a daigné nous montrer. Et qu'à priori, elle y est restée au moins un an ou deux, comme le prouvent d'autres lettres datées que Pietro Galardi Junior s'est gardé pour lui sans nous en parler.

Loin de lui faire son regard de Maman Fâchée ou pire, de Tueuse Fâchée, Maya le considéra avec étonnement et douceur pour une question muette. Ce simple fait serra la gorge de Spike autant qu'il l'énerva. Pietro était un petit cafard, et elle lui accordait encore le bénéfice du doute ? Ledit cafard inclina la tête d'un air triste pour se justifier.

— Elle n'était pas sûre d'elle. Pas sûre que l'École existe. Dans une lettre, elle dit que je ne dois pas en parler ; dans une autre, elle dit que je peux. Comment savoir puisqu'elle avait perdu la tête ?

Maya fronça les sourcils en s'ébrouant.

— Pardon, rembobine, je ne comprends pas. Quelles lettres ? Vous vous écrivez ? Mais comment ?

— Non, non. Ce n'est pas ça... C'est elle seulement qui a écrit. Il y avait une autre feuille dans l'enveloppe que je vous ai montrée, elle m'était personnellement adressée. Le timbre indiquait octobre 2003. C'était pour me dire adieu parce qu'elle n'avait pas vu Willow revenir pour la chercher. Elle n'avait pas le courage de vous écrire à vous deux, et elle craignait que vous ne soyiez plus là, de toutes façons.

— Qu'on ne soit plus là ?

— Je n'ai pas bien compris. Elle disait qu'elle devait sauver sa sœur, et que si elle y arrivait, tu ne serais pas là. Et Spike n'aurait aucune raison d'être à Rome non plus. Elle a même écrit un passage pour le cas où je ne la connaîtrais pas.

Dans son coin, Spike grinça des dents. Il se souvenait très bien du soir où Dawn, dans sa magnifique robe à fleurs rouges, lui avait avoué qu'elle faisait n'importe quoi après la dernière mort brutale de Buffy, et qu'elle était tombée enceinte d'un inconnu rencontré dans un bar. Un inconnu en tout point semblable à n... Chut, William. Alors... pas de mort de Buffy : pas de Dawn en dépression, pas de bars, pas de comptable fadasse et nul, pas de Maya. Et si pas de Maya, pas de retrouvailles avec Spike... Limpide.

— Je ne comprends pas la logique, moi. Comment peut-elle t'écrire et penser que toi tu serais là et pas nous, et encore plus si elle doute de l'existence de l'École ?

Pietro s'autorisa un sourire triste.

— Je suis né ici et ma famille y vit depuis plusieurs générations. Et mon père n'est pas n'importe qui. Il n'a rien à voir de près ou de loin avec vos activités. Au pire, cette lettre atterrissait sur son bureau. Et comme il n'y aurait rien compris, il serait venu me demander des comptes... Mais on a un peu dévié du sujet de la réunion, non ?

— On s'en fout, déballe tout ce que t'as ! Comme l'a si bien résumé Joy : Mamie c'est Mamie, et vous avez tout le reste de la soirée pour apprendre les mauvaises nouvelles.

Spike plissa les yeux en tordant la bouche, manifestement contrarié.

— Pourquoi ? Il en reste encore beaucoup ? Le CDO en peau de chagrin, les ordinateurs qui buguent, un Turok à Cleveland, des hordes de Japs condescendants, Wolfram, et à courte échéance le monde ravagé et des millions de morts si Amy fait ce qu'Eyghon lui commande. Qu'est-ce qui peut bien manquer au tableau ?

— Unzio, les membres du Conseil africain disent qu'on doit prévenir les Moldus d'urgence et les évacuer en masse tant qu'il est temps. Et il faut trouver qui, quand, comment et où, super vite. Deuzio, Tara a avoué qu'elle a vu sa sœur en rêve lui dire qu'on l'obligeait à rester au Paradis même si elle ne voulait pas. Partant de là, je vais considérer qu'on ne pourra pas compter sur elle. Troizio, Tara m'a révélé aussi qu'elle a vu dans l'aura d'Angel qu'il allait mourir bientôt et que comme son âme est très lourde, il va aller au fond de l'Enfer avant d'avoir pu se racheter suffisamment. Youpiii, c'est la fête. J'aimais mieux quand je croyais qu'il n'y avait rien après la mort.

— Mais... comment tu peux penser qu'il n'y a rien après la mort, alors que tes deux parrains ont fait un tour en Enfer, que ton « papounet » s'y trouve, et que ta tante est notoirement allée au paradis des Tueuses ? T'as pas suivi le film ?

— Hé mais comment ça, papa est en Enfer ? C'est vrai qu'il a été manipulé par la Force quand il était jeune pour tuer son ami, mais depuis il a fait des tonnes de trucs bien...

— Ah, tiens, Pietro ne t'a rien dit sur ça non plus ? grinça Spike.

Pietro explosa soudain en les faisant sursauter tous les deux. Le rouge aux joues, il se mit à trembler en bégayant un peu, serrant ses deux poings devant lui comme s'il se retenait de taper sur quelqu'un.

— Mais la ferme, vampire de malheur ! Tu ne comprends pas que j'ai la rage contre lui parce qu'il m'a menti ? Dans nos vœux de mariage, on s'était juré qu'on se retrouverait après, de l'autre côté. Et ça veut dire que jamais ça n'arrivera, à moins que je ne devienne moi-même quelqu'un d'abject. Tu ne veux pas me transformer tout de suite qu'on en finisse ? Comme ça je prendrai plaisir à être un connard sans cœur ou, si j'ai de la chance, Maya me tuera avant ça et comme ça j'arrêterai de souffrir à me demander s'il le savait depuis le début ?

Le cœur battant et les yeux humides, Maya fit taire ses propres questions, se leva et vint le prendre dans ses bras – ce qui était difficile car elle était petite – pendant qu'il étouffait des sanglots.

Spike ne dit rien, dans la mesure où il pouvait confirmer qu'Andrew avait organisé un autre meurtre de sang-froid. Sur la personne du déchet humain qui avait violenté une Dawn en état de fragilité extrême, en toute impunité pendant des mois. Il aurait voulu lui dire qu'il avait eu de l'estime et de la gratitude en sachant ce qu'Andrew avait fait pour la venger. Mais Galardi n'était pas en état de comprendre ça.

— Pietro, s'il te plait... Je comprends que tu aies besoin de te libérer de tout ça, mais parle un peu plus bas, les enfants peuvent t'entendre.

— Je suis désolé, hoqueta-t-il. Je suis angoissé à l'idée de mourir bientôt, et je ne sais pas ce qui est pire. L'idée d'être seul, l'idée que les enfants meurent, l'idée que les enfants ne meurent pas mais soient abandonnés dans ce monde horrible, ou savoir que de toutes façons je ne pourrai pas les protéger...

— Shht shhtt, souffla-t-elle. Moi je peux vous protéger. Et puis nous n'avons pas dit notre dernier mot. J'ai demandé à Giles de piloter un groupe qui serait ouvert à des solutions créatives.

— Comme quoi ? s'intéressa Spike.

— Par exemple, je trouve qu'Angel a fait preuve d'un bon esprit en se servant utilement de ses anciens contacts de Wolfram. Il a parlé d'Equarisseurs, des genres de bouchers-charcutiers spécialisés dans la viande de démon. Il y a une chance que ces gars traquent et trouvent le Turok (ou les Turok) sans même qu'on s'épuise à le faire.

— Tu veux les monter les uns contre les autres ? bredouilla Pietro avec incrédulité.

— Pietro, dit-elle en le détachant doucement pour le tenir par les épaules et le regarder dans les yeux. S'il y a un cours auquel j'ai assisté, c'est celui qui dit que les Tueuses ont été créées en leur donnant le cœur féroce d'un démon pour pouvoir les combattre. Donc démon contre démon, ça marche. Je sais qu'Angelus a réussi à chasser Eyghon quand il a voulu le posséder. Je sais aussi que la plupart sont extrêmement territoriaux. La manœuvre de Wolfram, c'est de faire semblant, de faire secrètement copain-copain. Pour garder leurs privilèges dans le nouvel ordre mondial ? Pour lui planter un coup de couteau dans le dos à la première occasion ? Je sais pas. Moi je dis que ça vaudrait peut-être le coup, au contraire, de faire voler le secret en éclat et une bonne grosse campagne de pub, largement diffusée dans les communautés démoniques ou souterraines, ou sur les mondes tout juste adjacents, séparés par un très mince voile. Qu'ils sachent que des centaines de milliers d'envahisseurs vont venir tout péter et leur prendre tout ce qu'ils ont, pour les traiter au mieux en sous-fifres, au pire en esclaves, et qu'ils pourraient se trouver bientôt au bas de la chaîne alimentaire... Et que la seule chose à faire pour que ça n'arrive pas, c'est d'empêcher une seule entité isolée de mener à bien ce projet qui menace directement leur mode de vie chèrement acquis. Alors, qu'ils ne nous aiment pas parce qu'on les empêche un peu de dévorer les gens, bon d'accord... Mais j'ai envie de dire « Terriens, unissez-vous contre l'ennemi commun qui vient d'ailleurs ! Battez-vous pour protéger vos démoneaux ! »

— De la propagande xénophobe ? Là, tu m'impressionnes, chaton.

— Mais je sais très bien qu'il y a des démons qui sont différents. Il y en a même qui protègent les petites filles qui font semblant de dormir dans leur lit, qui gardent les portes des écoles... et qui pourraient être prêts à tout pour conserver leur contrat de travail et de si bons employeurs... Et qui ont un tas de copains tout à fait raisonnables et accessibles à la discussion. Toi plus que tout autre, Spike, avant même que tu n'ailles rechercher ton âme, je me suis laissée dire que tu n'étais pas hyper chaud pour le projet d'un certain Alfafa ?

— Acathla.

— Voilà, celui-là. Tu comprends donc que, même s'ils sont moins intelligents que toi, d'autres démons pourraient avoir la même philosophie. Il faut les trouver. Il faut réseauter. Qu'ils soient là pour empêcher que les envahisseurs envahissent, ou pour les refouler là d'où ils viennent, si jamais ces nouveaux pas beaux mettaient une griffe dans leur pré carré. Le Révérend tibétain que tu connais, il était là, a dit que les Djinns brillaient par leur absence.

— Eh bah, bon débarras ! Ces pourritures, je les regrette pas.

— Spike, je sais que tu as des raisons hautement valables de les détester. Mais au point où on en est... Si jamais une brèche s'ouvrait près de l'Himalaya... Faut voir. Si ce qui les intéresse dans la vie, c'est de torturer des trucs pour les bouffer lentement, eh bien pourquoi ne pas leur proposer un arrivage de créatures inédites, en grand nombre, en échange de la vie sauve des humains du pays ? Tu vois ce que je veux dire ? Ça nous rend service, ça leur rend service. C'est pas des réfugiés politiques ceux qui vont débarquer, hein ?... Eyghon veut la guerre ? Mais qu'est-ce qu'il croit ? Qu'on va l'attendre bien gentiment ? De la merde ! Et là, il nous faut penser positif et pragmatique.

— Ça a l'air si facile quand tu le dis, murmura Pietro en détournant la tête.

Senti me.** Eyghon veut nous faire croire que nous sommes sans pouvoir et que nous allons nous faire laminer. Eyghon veut faire croire aux démons locaux qu'ils deviendront des dieux, obtiendront tout ce qu'ils ont toujours voulu et un monde à eux où ils seront libres. Dans les deux cas, il ment. Rona m'a dit qu'un Turok avait complètement envoyé bouler Eyghon qui voulait leur ouvrir l'accès à l'extérieur, s'ils se prosternaient devant lui. Les vamps se sont foutus de sa tronche en disant en substance que ça ne les intéressait pas, qu'ils n'avaient pas besoin de lui et qu'ils feraient exactement ce qu'ils voudraient. C'est ce genre de petite histoire édifiante qu'il faut raconter. Elle montre qu'Eyghon est un imbécile et que les nouveaux arrivants vont faire des coupes claires dans leurs populations...

— Il y aura des neuneus lèche-bottes qui vont trouver ce plan génial, objecta Spike.

— Bien sûr. Mais ce qui m'intéresse, moi, c'est d'équilibrer un peu plus les forces en présence si des Tueuses ou leurs formateurs s'évaporent. Les démons ont vu comme une injustice indigne le fait qu'il y ait trop de Tueuses. Bah, déjà, il y en a moins. Et pour une fois, ils vont vivre un peu notre vie, ça va les changer de jouer en défense plutôt qu'en attaquant. Et c'est sûr que s'ils nous aident, il va falloir établir des traités ensuite mais...

— Maya, je ne t'imaginais pas si froide. Ta cousine est morte et tu ne...

— Alexandra est au Valhalla des Tueuses, le coupa-t-elle doucement. C'est Tara qui l'a dit et je la crois. Et j'espère pour elle qu'elle a des tas de beaux garçons court vêtus qui vont se bousculer pour lui masser les pieds. Et Spike, n'ajoute rien à cette phrase.

— Te faire masser les pieds, c'est ton ultime fantasme? Tu sais qu'il y a mieux, au moins?

— Hey. Tu as vu ces bottes? questionna-t-elle en levant une jambe à cent vingt degrés pour lui mettre le talon a un centimètre du nez. Super shine, hein? Je leur ai mis du cirage ce matin. Et les renforts en métal, ça claque, non ? Eh bien, tu vois, elles font mal à tout le monde. Ceux qui se les prennent dans le bide ou ailleurs, et ceux qui les portent... Maintenant que c'est clarifié, j'aimerais bien, si ça ne dérange pas trop, qu'on reparle de cette histoire de lettre de Maman, et si l'un de vous deux s'y connait en mythologie égyptienne, j'ai des questions. Parce qu'il y a le Tamaziz-là, j'ai rien compris de ce qu'il a dit quand il a parlé d'elle, avec une histoire de Nout, de ouep ouep, de barque, et d'une ancre ou cou...

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Notes

* Dans mon canon personnel, je considère que l'archétype Gaia était : 1-l'entité supérieure invoquée par Alex (le cœur), Willow (l'intelligence) et Giles (la sagesse) pour s'incarner temporairement dans Buffy (la main) et permettant qu'elle en finisse avec Adam en saison 4; et 2-la source pure de magie blanche où Willow s'est connectée via la Faux, pour activer toutes les Potentielles en dernière saison (quand ses cheveux sont devenus blancs).

** Ecoute-moi.

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