When in Rome
Chapitre 46 D'autres options
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Cleveland, 19 août 2046
Eyghon était revenu voir Amy chez elle après l'expérience visant à créer une seule petite porte vers un seul monde démonique, et durant laquelle elle avait failli perdre la vie. Fiévreusement, il tournait autour d'elle en cercles concentriques et suspicieux. Qu'il se méfie autant qu'il veuille ! Il avait prouvé qu'il n'avait aucune intention de les protéger lorsque les accès aux mondes infernaux seraient tous ouverts. Comment pouvait-il être aussi imbu de lui au point d'en être stupide ? Mystère.
— Sorcière. J'exige une réponse. Quand vas-tu libérer les accès des royaumes infernaux ?
— A la pleine lune.
— C'est trop long. Ce vaisseau ne va pas tenir.
— C'est pourtant le moment où elle est puissante, et de la puissance, il va en falloir.
Amy alla ouvrir une porte du placard de la petite cuisine qu'elle sous-louait et en tira deux autres fioles plus grosses qu'elle lui tendit pour qu'il les boive. Eyghon avait raison sur ce point. Il «usait» le corps de Warren, qui était presque au bout du rouleau. Elle s'attendait à ce que ce dernier tombe en pièces d'ici quelques jours. Leur pacte mutuel lui imposait de ne pas l'abandonner à ce sort. Elle ne se faisait guère d'illusions: ni l'un ni l'autre ne s'appréciaient vraiment. Mais face à un démon qui se foutait complètement d'eux, pouvoir réellement espérer qu'ils ne se poignarderaient pas dans le dos, leur permettait de tenir. Pour un peu, elle aurait eu de la compassion. Il était évident qu'il était encore debout parce que le démon n'avait pas envie de changer d'hôte tous les jours...
— Et encore, même la prochaine pleine lune n'est pas le meilleur moment pour ce que tu veux, dit-elle avec une moue crispée pour cacher son dédain.
Eyghon avait avalé les flacons sans broncher et il se sentit effectivement instantanément mieux. Il soupira et s'essuya la lèvre du pouce.
— Je ne suis pas aussi ignare que tu as l'impudence de le croire. Tu voudrais attendre le solstice d'automne. Il semble que vous disiez toutes toujours la même chose et que vous n'ayez aucun pouvoir par vous-mêmes. La lune, les cycles, vous n'avez que ces mots-là à la bouche.
Elle leva un sourcil mais s'abstint de répliquer. Quel talent avait-il qui le dispense d'utiliser les énergies telluriques ou les cycles ?
— Toutes ? Je constate que tu songes à me remplacer. Alors ? Ça progresse ? persifla-t-elle en faisant mine de l'ignorer.
Elle prenait des notes en consultant des grimoires friables d'un côté et un écran de tablette où tournait un planétarium de l'autre.
Un borborygme inintelligible lui répondit.
— Je maintiens que je pourrai t'ouvrir une brèche à la date convenue... mais certainement pas une autoroute vers les enfers. Tu devras t'en contenter, sauf si tu trouves avant une autre sorcière complètement folle, disposée à laisser ravager la planète où elle vit et dont elle tire ses pouvoirs.
Le démon bleu fronça les sourcils, soudainement dérangé parce qu'il venait d'entendre.
— Es-tu en train de dire que tu es folle ?
— Est-ce que ça t'intéresse vraiment ? Je ne crois pas. Il me faut un lieu difficile d'accès, retiré de préférence. Où personne n'aurait envie d'aller.
— Tu as une suggestion ?
Elle afficha l'ombre d'un sourire et ses yeux devinrent subitement très noirs.
— Bien sûr. A Sunnydale ! répondit-elle d'une voix rauque.
Eyghon renifla et ricana en haussant les épaules. Elle ne bougea pas d'un cil.
— C'est ridicule. Il n'y a plus aucune énergie là-bas.
— C'est faux. Il y a une source de magie très puissante qui va me permettre de compenser. Mais il faut creuser.
Il cessa de sourire.
— Que dis-tu ? Quelle source ? Si tu as des informations, donne-les ! la brusqua-t-il en se ruant vers elle.
Amy s'arc-bouta pour le repousser de toutes ses forces, tandis qu'il lui avait saisi le cou pour l'étrangler d'une main. Elle ne laissa pas la peur de la suffocation la gagner. Ses yeux immenses remplis d'encre, elle se débattit pendant qu'elle était plaquée contre un mur, les jambes pendantes. En tâtonnant, avec des gestes désespérés, elle arracha des ongles le boîtier d'un interrupteur et attrapa les fils à pleines mains. Électrocuté par contact, Eyghon dut la lâcher.
— Désolée Warren, ajouta-t-elle assez diplomatiquement, avant de se recroqueviller avec un gémissement, le cœur fou et les membres tremblants.
Les bras ramenés contre sa poitrine, elle respirait avec peine sous le regard furieux du démon qui se retira aussitôt de son hôte, lequel s'effondra à son tour comme une poupée désarticulée.
— Eyghon, tu ne me respectes pas. Tu ne nous respectes pas.
— Et alors ? Vous ne faites rien pour m'y inciter ! répliqua-t-il avec hauteur avant de les abandonner sans cérémonie.
Choqués, tous deux restèrent par terre à essayer de reprendre leurs esprits. En se passant le dos de la main sur le front pour essuyer la sueur, Warren eut la désagréable surprise de voir un gros lambeau de peau bleuâtre tomber. Après un long silence hébété, il rejeta au loin le morceau d'épiderme et regarda Amy.
— On ne va pas se laisser faire, ragea-t-il. Pour la désactivation des Tueuses, il peut toujours courir ! D'ailleurs, il n'en parle plus. Il faut parvenir à l'éliminer d'une manière ou d'une autre. Comment peut-on faire ça ? Quelqu'un a-t-il seulement réussi à l'affaiblir ?
— Oui.
— Vas-y, dis !
— Tu ne vas pas aimer la réponse.
— Dis quand même.
— Déjà, il y a Rupert Giles… et surtout Angel. Deux gros fans de Buffy. Tu sais, celle que tu as déjà essayé de tuer plusieurs fois et dont tu as précipité la sœur dans un abîme sans fond… C'est pas de chance qu'ils soient rancuniers…
— Pas la peine d'être sarcastique. Il n'y a aucun autre vampire qui pourrait faire l'affaire ?
— Je n'en connais pas qui soit suffisamment fort.
— Bah, dans le temps, il y avait Spike. On a déjà fait affaire, lui et moi. Summers est morte depuis un bail. Je pense que je pourrais lui remonter vite fait une poupée gonflable avec la tête de la Tueuse, s'il faisait imploser Eyghon. Ça l'intéresserait sûrement de pouvoir se rappeler des bons souvenirs.
— Je ne sais pas où il est. Ici, on n'en entend pas parler. Quand tu as recruté des démons et des vampires pour les opérations de déstabilisation en Europe, son nom ne t'est jamais revenu aux oreilles ?
— Non. Je vais voir si quelqu'un peut balancer des infos.
— Très bien. Moi pendant ce temps, je vais aller demander une audience en haut lieu. A quelqu'un de beaucoup plus puissant qu'Eyghon. C'est pour ça qu'il me faut une introduction en bonne et due forme.
— Attends, s'il y a quelqu'un de plus puissant que lui, pourquoi on s'embêterait à chercher Spike ?
— On ne s'embête pas, on se donne d'autres options. Ça va aller ? Tu peux marcher ?
— Ouais. Plus ou moins, répondit-il en se levant maladroitement.
Warren clopina pendant quelques pas vers le microscopique salon et s'arrêta brusquement, prenant appui sur l'encadrement de la porte pour se stabiliser. Il fit le tour de la pièce des yeux, scrutant dans les coins.
— Je me sens observé, il y a quelqu'un. Tu es là, le Cerf ? Montre-toi !
Amy sursauta quand la haute silhouette de l'Oryx apparut effectivement devant eux. Il s'avança, ses muscles noueux roulant sous sa fourrure fauve et lustrée. Perché comme il l'était sur ses sabots vernis, il les dominait de toute sa taille.
— Vous complotez contre lui...
Face à leur silence, le Cervidé les regarda de ses grands yeux à la fois doux et terribles. Ses babines noires se plissèrent, révélant deux canines qui n'étaient pas celles d'un ruminant, tandis qu'il secoua lentement ses cornes noires effilées.
— ...mais je ne suis pas surpris, poursuivit-il tranquillement. J'ai toujours su que vous ne lui étiez pas loyaux. Je l'ai averti d'entrée qu'il ne devait pas vous faire confiance. C'est du reste pour ça qu'il m'a chargé de vous surveiller.
— Et bien ? Tu devrais être déjà parti ventre à terre faire ton rapport à ton maîmaître, cracha Warren.
— Mais c'est bien mon intention. Et je pense qu'il sera ravi d'entendre ce que j'ai à dire.
Rouge de colère, Amy changea de regard et ses doigts crépitèrent soudain de magie et d'un restant d'électricité. Elle attrapa le poignet de Warren pour bénéficier des pouvoirs qu'il avait en lui. Même si c'était peu, elle était certaine qu'il était prêt à se défendre avec elle.
— Ha. Et tu penses qu'on va te laisser partir comme ça ? demanda-elle d'un ton plus menaçant.
— Oh, oui. Complètement…
— Qu'est-ce qui te rend si sûr de toi ?
Manifestement pas le moins du monde impressionné, le grand hybride patientait comme un acteur anticipant son effet. Il se croisa les bras et inclina la tête.
— On n'a jamais été officiellement présentés, commençons par là. Mon nom est Caliban. Et Eyghon n'a jamais été mon maître.
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West Liberty (Ohio), 20 août 2046
Au bout d'un voyage en voiture de presque trois heures vers, Amy avait fini par arriver à destination des Ohio Caverns, à l'ouest de l'État. Elle était partie dès qu'elle avait pu se remettre de l'agression d'Eyghon, et avait roulé sans arrêt, plus déterminée que jamais.
Après plusieurs tractations malaisées auprès d'un Coven, et alors qu'elle pensait ne pas y arriver du tout, elle avait obtenu le rendez-vous qu'elle attendait fixé au lendemain. A la porte du bâtiment discret localisé en pleine ville, on ne l'avait pas fait entrer, la laissant poireauter dehors. Elle n'avait pas bougé de là, indifférente aux passants qui la regardaient de travers car elle gênait sur le trottoir. Sans doute en raison de sa patience inébranlable, un simple message lui avait été remis. Elle devait se présenter purifiée dans les Ohio Caverns où quelqu'un viendrait la chercher «durant la nuit».
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Dès son arrivée aux cavernes, lieu prisé de visites ouvertes au public, elle avait acheté un ticket pour deux dizaines de dollars. Son objectif était d'entrer grâce à la dernière visite de la journée et d'y rester discrètement après la fermeture. Ensuite, il lui faudrait attendre de longues heures pour pouvoir rencontrer une pythie. Elle se doutait qu'il s'agissait d'un autre test de patience.
L'aspect "purification" l'inquiétait davantage. Sa pratique de la magie noire et le combat contre le vampire primordial avaient probablement eu raison des dernières miettes d'humanité en elle. Mais elle se devait d'essayer. Pour se préparer de son mieux, elle avait pris un long bain agrémenté de cristaux. Faute d'améthyste, elle avait trempé avec du sel rose, de la sélénite, un cristal de roche et des billes de tourmaline. Son corps et ses cheveux avaient été lavés soigneusement avec un savon à la sauge. Pour se vêtir, elle avait opté pour un pantalon gris et un pull clair sans ostentation. Le reste de la journée, elle avait préféré jeûner et méditer en adressant des prières silencieuses à celle dont elle espérait une audience.
A l'heure dite, elle avait emporté des barres de céréales nature, un thermos de thé chaud, une boussole, une lampe électrique, son téléphone rechargé à fond mais éteint, et elle avait conduit jusqu'aux cavernes. Comme prévu, une casquette enfoncée sur ses cheveux, elle s'était d'abord mêlée aux touristes, observant avec eux les jeux de lumières sur des concrétions scintillantes qui formaient des friselis nacrés. Tombant d'un plafond bas, des stalactites aiguës rivalisaient de blancheur, alors qu'ils cheminaient sur une petite allée de lattes de bois serpentant entre des roches colorées. Et avant que leur guide ne prenne le temps de mémoriser tous les membres du groupe, elle s'était cachée.
Leur départ et la fermeture la laissèrent pleine de nervosité lorsque tout redevint silencieux. Et pire encore quand les lumières s'éteignirent. D'inoffensives chauves-souris se serraient les unes contre les autres en piaulant, dérangées par le faisceau lumineux de sa torche. Pour ce qui était de se retrouver seule sous d'énormes masses rocheuses, elle avait déjà connu pire dans sa vie, et bien plus dangereux : au moins celles-là ne menaçaient pas de s'ébouler.
Amy s'était contentée de suivre les indications qui lui avaient été fournies : suivre le couloir aménagé en direction de l'Ouest et s'arrêter quand l'aiguille de la boussole tournerait en rond sur elle-même. Là, elle s'était posée sur un rocher, écoutant le clapotis ténu de l'eau qui s'infiltrait et les murmures légers du vent qui s'engouffrait parfois en déplaçant l'air presque tiède.
La journée avait été rude et dans ce cocon inconfortable et humide qui sentait le salpêtre, elle s'était tout de même assoupie légèrement pour essayer d'oublier sa crampe de faim. Ce fut un bruit différent de celui des gouttes qui la tira de sa somnolence, se répercutant entre les parois. Un léger chuintement, un raclement, peut-être. Personne ne répondit à son appel. Elle leva sa torche pour examiner le petit espace aménagé où elle attendait mais ne vit rien de spécial. Le bruit s'était arrêté très vite lorsqu'elle avait allumé.
Après une minute, Amy avait éteint sa torche pour économiser la pile. Elle aurait pu générer un lumignon à l'aide de la magie mais préférait l'éviter puisque la sienne était ternie. Le bruit se manifesta de nouveau, plus fort.
Elle ralluma… et poussa un cri aigu de surprise en se trouvant nez à nez avec une très grande femme au teint foncé, évoquant le vert mousse et le bronze. Ses cheveux noirs très raides encadraient un visage triangulaire aux yeux jaunes semés de paillettes ambrées.
— Bon... soir, dit-elle d'une voix blanche. Etes-vous… celle qui doit me conduire à la voix de la Grande Mère ?
La grande femme cligna ses paupières verticales et ouvrit la bouche découvrant langue noire bifide. Aucun son n'en sortit, ni aucune respiration. Amy n'était pas sûre de voir sa cage thoracique se soulever. Parfaitement immobile, la sorcière se demandait si sa question avait été comprise quand elle s'avisa soudain qu'elle n'avait peut-être pas été assez déférente. Elle s'inclina et ajouta :
— J'ai apporté une offrande de grains, de plantes et d'eau, dit-elle en levant sa besace qu'elle tendit avec des gestes très mesurés.
La grande femme siffla en émettant un petit cliquettement de crotale. Avec un sourire moqueur, elle se mit à tanguer s'élevant en hauteur d'un coup de hanche et Amy comprit en la voyant avancer qu'elle avait en réalité une gigantesque queue de serpent, épaisse comme un corps d'enfant, musculeuse et puissante. Elle suivit son guide à distance respectueuse, curieuse de cette rencontre avec une véritable ophidienne.
Trop occupée à observer les bifurcations par lesquelles on la faisait passer, Amy ne prenait pas le temps d'admirer la vraie beauté de la grotte naturelle. La sorcière se repassait mentalement en boucle ce qu'elle avait l'intention de dire, en craignant la moindre erreur. Il fallait qu'elle soit convaincante.
Sa guide s'arrêta abruptement et se fit marcher sur la queue quand Amy trébucha dessus. Elle reçut un sifflement rageur en réponse, mais ce n'était pas le moment de se montrer arrogante. Elle baissa la tête et le regard, en s'excusant.
Devant elles, il y avait un trou d'où s'élevait une vapeur. Et derrière le trou, se trouvait un trépied où était assise une autre femme, en tout point similaire à celle qui l'avait conduite. Son vêtement par contre semblait fait d'écailles lisses qui envoyaient des reflets métalliques comme une robe en lamé. Dans ses paumes ouvertes, Amy tendit les "offrandes".
— Approche, fille de la Lune Sombre. Je suis carnivore, mais je te remercie pour tes présents. Ils sont agréables à la Grande Mère… Tu peux t'en retourner. La Mère ne te parlera pas aujourd'hui.
Amy ne masqua pas sa surprise et tenta de dissimuler son dépit.
— J'en suis navrée. Y aurait-il un autre moment plus propice à son attention ?
— Pas pour toi.
— Pourquoi ?
— Tu le sais. Tu aurais dû te purifier plus longtemps. Certes, ton corps est propre, ton esprit est ordonné, mais ton cœur est troublé et, pire, ton âme à moitié dévorée par l'ombre. Une légère trace de pure lumière sur tes paumes nous a un instant abusées, mais tu ne peux rencontrer la Mère. Tu peux t'en aller.
— Je le dois pourtant.
— Peu importe.
— Non, c'est au contraire très important. Je suis venue l'alerter d'un grave danger qui la menace. Laissez-moi la voir !
La pythonisse se dressa.
— Fille de la Lune Sombre, tu ne comprends pas. Ce n'est pas une punition. C'est pour ta sauvegarde. Telle que tu te présentes aujourd'hui, tu n'es pas en état d'endurer la présence divine de la Grande Mère. Elle te consumerait. Continue de nettoyer tes corps et reviens au premier jour du printemps.
— Il sera trop tard ! Est-ce que vous pouvez lui faire passer mon message? Un danger effroyable menace les êtres vivants, plantes, animaux, humains... La planète entière est menacée.
Son interlocutrice cligna des yeux, ne cherchant pas à répondre de suite, mais au bout d'un moment elle dit:
— Les créatures qui vont sur le dos de la Grande Mère sont périssables. C'est dans l'ordre immuable des choses, mais la Grande Mère demeure. Il n'y a pas de danger pour elle. A dire vrai, la plus grande menace pour les êtres vivants est représentée par votre espèce, vile, stupide, irrespectueuse. Vous êtes un cancer dévorant qui ne cesse de grandir et de piller. Elle ne cesse d'espérer que vous vous amendiez car vous êtes aussi ses enfants. Mais un jour prochain, elle acceptera que vous ne pouvez pas l'être. Durant sa longue vie, la Grande Mère a déjà connu plusieurs épreuves où elle a perdu presque toutes ses créatures. Mais le vivant est dans son Esprit et ainsi ne meurt jamais tout à fait. Dans sa sagesse, la Mère décide quand il est l'heure pour elle de rentrer dans un long hiver et quand elle voudra s'éveiller. Et rien ne sert de l'implorer alors.
Amy inspira profondément.
— Certes. Mais est-elle disposée à ce que d'autres décident à sa place? Je comprends que la Mère n'est pas réduite à la planète même. Mais acceptera-t-elle de la voir réduite à néant tout de même ? Les barrières entre les mondes vont être détruites. Et alors des dizaines de mondes s'enchevêtreront et se focaliseront sur notre plan matériel. La Terre est forte, mais l'est-elle assez pour supporter vingt, trente, quarante fois son propre poids à chaque nouvelle dimension qui s'ouvrira ? Plusieurs autres espèces agressives supplémentaires – pas de ses enfants – vont arriver par centaines de milliers de ces autres dimensions pour nous chasser et occuper le sommet de la chaîne alimentaire… Peut-être la Grande Mère y verra une solution, si elle n'en peux plus de nous, mais elle ne gagnera pas forcément au change si son but était de protéger et entretenir le reste du vivant…
La femme-serpent consulta du regard son acolyte, leurs deux visages indéchiffrables. Amy attendit que se termine leur conciliabule, peut-être muet.
— Fille de la Lune Sombre, ce que tu dis ne peut être. Les lois harmonieuses régissant l'univers ne peuvent être détournées de la sorte. Va maintenant, avant que la Mère ne finisse par s'irriter de ta présence en ce lieu sacré.
— Elles l'ont pourtant été par deux fois il y a près de quarante ans...* Dans un mois, les planètes seront disposées d'une façon que nos traditions jugent terriblement néfastes, par expérience, et m'incitent à exprimer mes plus vives inquiétudes. Cette configuration parle des myriades venues du ciel profond qui viennent comme la foudre, apportant la mort et la guerre pour longtemps, et la Grande Mère sera prise au milieu... Voilà pourquoi j'étais là. Pour savoir si elle allait laisser faire ou aider. Je vous remercie de m'avoir écoutée. Je me retire comme vous le demandez.
L'atmosphère changea brusquement et se fit piquante et désagréable. Les yeux de la sorcière se mirent à la brûler. Entre ses larmes et la suffocation, elle aperçut le corps de la pythonisse s'illuminer, ses yeux et sa bouche irradiant d'une lumière blanche aveuglante. Amy tomba à genoux et essaya de reculer à quatre pattes. La protection qu'elle lança autour d'elle fut dissoute en trois secondes par un vent violent.
De la gorge de la pythonisse, une voix ample et vibrante s'insinua par tous les pores de la peau d'Amy et elle l'impression que ses os allaient se briser quand le son rebondit entre les parois de la caverne et de son crâne.
— Enfant, fit la voix grave et impérieuse, quelle force crois-tu capable de pervertir l'équilibre de l'univers et faire ployer l'intégrité de Gaïa ?
— Ma... ma... gie, hoqueta la sorcière dont les yeux ruisselaient.
— Ton espèce n'en est pas capable. Lors des événements que tu as en tête, ce ne sont pas des humains qui ont compromis l'étanchéité des espaces, mais des entités supérieures et très anciennes.
— Oui, chuinta Amy. Ma... mais, moi je... peux. Et je… dois. Dém... mon. Fou.
— Tu peux lever les barrières ? Es-tu folle ?
— Dé... m-mon f-fou, gémit-elle la gorge en feu.
— Très bien. Je t'entends. Si c'est vrai, il y a une issue simple pour que cela n'arrive pas... Retirer ses moyens à ton «démon fou». Je serai encore une fois miséricordieuse. Je n'attendais pas l'intercession d'une humaine aussi ternie.
— Me… r... ci, haleta Amy.
— Accepte ma gratitude pour ton sacrifice. Toi morte, il ne pourra rien.
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Note
*Lorsque Gloria a utilisé le sang de Dawn pour ouvrir les dimensions à Sunnydale (Saison 5 Buffy), et trois ans plus tard, lorsque Los Angeles a subi le même genre d'envahissement quoique très localisé (Saison 5 Angel).