When in Rome
Chapitre 96 : Autant en emporte l'avant
5929 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 08/11/2024 18:46
Chapitre 96 Autant en emporte l'avant
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Plan de Tiphereth, hors du temps
— Oui ! Oui ! Oui ! C'est pour bientôt ! s'enthousiasma Cordelia en claquant des mains.
Doyle détourna la tête et s'éloigna du puits, la tête basse.
— Bah quoi? Angel va être sauvé! Tu n'es pas content?
Le jeune homme hocha la tête mais sans répondre, regagnant à pas lents une jolie balançoire de jardin où il se laissa tomber lourdement.
— Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as des doutes ?
La question de Cordelia avait le mérite d'être directe. Depuis quelques temps, elle planait toujours entre Doyle et elle, sans qu'il ne fasse de remarque particulière. C'était juste son souffle qui se retenait un peu plus longtemps, le port de ses épaules un peu plus crispé, ses paupières mi-closes alors qu'il était à demi tourné… Il devenait bon dans l'art de lui cacher ses pensées et ce seul facteur était pour elle un indice suffisant. Qu'aurait-il besoin de cacher s'il était complètement d'accord ?
Angel était l'un des piliers de leur petite troupe, le perdre pour toujours en Enfer n'avait pas de sens. S'il restait davantage sur Terre, Cordelia n'était pas sûre qu'il puisse rester perpétuellement dédouané de ses exactions en tant qu'Angelus, simplement parce qu'une âme venait le museler... Alors que si son extraction était réalisée maintenant, il gagnerait une zone très basse des limbes certes, mais ça valait bien mieux que l'Enfer. On sortait des limbes avec de l'aide.
Jonathan s'y trouvait déjà. Cordelia savait bien que Buffy avait toujours eu une profonde influence positive sur lui. Sur Angel aussi évidemment – elle n'avait rien oublié de son histoire d'amour avec lui. Elle ne pourrait que les motiver à aller de l'avant et corriger leur karma. Elle l'avait déjà fait.
Il en faudrait des âmes fortes, passées de l'autre côté du voile. Elles seraient nécessaires pour régler les « cas difficiles ». Ceux de Sunnydale, simples humains devenus meurtriers et qui s'étaient mérité l'Enfer. Pour certains, leur vie devait s'allonger pour leur donner des chances d'alléger leur cœur par le Bien. Pour Angel, c'était l'inverse, il fallait empêcher qu'il ne commette plus de Mal si son démon prenait encore le dessus. Ils ne s'en réjouissaient pas, mais Doyle et Cordelia savaient que c'était arrivé déjà plus d'une fois et que ça pouvait recommencer, car une âme brutalisée comme la sienne n'était pas suffisamment forte pour dépasser ce lourd handicap d'un coup, et ne retrouverait pas son équilibre par miracle.
Et puis, il y avait les cas « encore plus difficiles ». Ceux qui se trouvaient déjà en Enfer et qu'il faudrait rédimer à force de volonté, d'abnégation et de sacrifice.
Doyle opina, prouvant par là qu'il « l'écoutait ». A travers leur lien perméable, il savait qu'elle pensait d'abord à Wesley qu'il n'avait pas connu de son vivant. Et il y avait de grandes chances qu'elle pense aussi à Alex Harris pour le sauver du Cercle des Parjures. N'avait-il pas abandonné la femme-démone qu'il aimait par peur et faiblesse d'âme ? Cette dernière n'avait-elle pas replongé, abandonnant à nouveau son humanité pour perpétrer des crimes atroces à cause de la souffrance d'avoir été rejetée ?
Cordelia voulait tous ses hommes auprès d'elle, c'était ainsi. Doyle tenait pour acquis que bientôt, il devrait s'accommoder de passer au second plan.
Mais ce travail était nécessaire. Personne ne devait rester en arrière. Personne. Ou bien au coup de gong final, ils allaient être recalés et renvoyés à l'aube des temps où ils devraient tout recommencer après un nouveau big-bang. Et franchement, après avoir connu l'ascension et les pouvoirs qui vont avec, Cordelia n'avait aucune envie de se retrouver à l'état de protozoaire.
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Une brise fraiche fit voleter sa toge courte et hérissa les poils de ses bras. Le temps changeait. Doyle tourna la tête vers la prairie environnante pour constater que ce décor paisible s'effilochait et se modifiait soudain en un lieu bien plus sombre.
— Elle arrive, avertit-il.
Cordelia tendit le cou vers la même direction et vit effectivement une jeune femme à la peau mate et aux yeux en amande qui progressait vers eux, du pas tranquille de toutes les Tueuses qui n'ont pas peur de grand-chose. Ils se redressèrent, tirèrent sur leur toge et se recoiffèrent en synchronicité, pour avoir l'air à leur meilleur avantage pour l'accueillir.
— Bienvenue Alexandra !
La nouvelle venue stoppa sa marche, légèrement décontenancée.
— Euh… Je pense que vous vous trompez de personne. Où est-ce qu'on est ici ?
— En général, on appelle ça le Paradis. Je suis Cordelia, voici Doyle. Nous sommes de très bons amis de ta sœur qui nous a demandé de t'accueillir et de répondre à tes questions. Après ça, tu te détends et tu profites.
— Le Paradis ? répéta la jeune femme en jetant autour d'elle des regards incrédules. Ça m'étonnerait. Est-ce que ce n'est pas censé être beau et agréable? C'est pitoyable! Vous auriez pu faire un effort pour rendre ça crédible.
Cordelia jeta un coup d'œil à son comparse car ça ne démarrait pas bien. Mais comment expliquer à la nouvelle venue qu'ils n'y étaient pour rien et que les lieux étaient sa création à elle ? Peut-être que les Élues étaient trop plongées à bras le corps dans leur existence pour prendre le temps d'imaginer ce qui se passerait ensuite. Buffy n'avait pas fait mieux qu'un fond d'écran de Windows XP…
— Et si on gagnait du temps ? proposa Alexandra. Avouez plutôt tout de suite que vous êtes Amy et Warren. Laissez tomber, je ne vous dirai rien du tout. « De bons amis de ma sœur » ! Et vous croyiez que ça suffirait pour me faire tomber dans le panneau ? Mais vous me prenez pour quel genre d'idiote, au juste ?
Exsudant une colère piquetée d'angoisse, la Tueuse croisa les bras, avant de poursuivre d'un ton ouvertement menaçant:
— Par contre, si vous avez touché un seul de ses cheveux…
Doyle secoua la tête pour la détromper.
— Non, ta sœur va très bien, elle est en sécurité avec ta mère et Robin Wood. Il t'est possible de lui parler si tu veux. Il faut juste attendre qu'elle soit endormie.
— Oui, sauf que vous pourriez me montrer n'importe quoi… Je sais bien que je ne suis pas morte, je vais parfaitement bien. Quelle drogue avez-vous utilisée sur moi ?
— Mais aucune… ! Tu ne veux pas aller voir Tara dans son sommeil ? Elle pourra te confirmer que…
— Ça suffit, vous me faites perdre mon temps ! On va arrêter ça tout de suite ! Deceptum tollo ! lança la jeune sorcière impatientée, avec un geste latéral de la main.
Cordelia soupira, contrariée par le tempérament éruptif qui s'opposait à elle. Elle comprenait que la méfiance fasse partie de la trousse de survie d'une Tueuse, mais là…
Comme rien ne changea autour d'elle, Alexandra regarda ses mains, et puis fronça un sourcil résolu.
— Delustro ! insista-t-elle sans plus de résultat. Depello falcitatem !
…puis finalement, avec un cri d'exaspération :
— FINITE INCANTATEM ! [1]
— Écoute Alexandra, ça ne servirait à rien, l'interrompit Cordelia. Tu n'as pas tes pouvoirs de sorcière ici. Ils étaient attachés à ton corps et à ton énergie vitale. Ce n'est pas la peine de t'énerver. Je vais te résumer les choses. Doyle et moi, on est ce qu'Angel appelle Les Puissances. Nous avons été sur Terre autrefois et maintenant nous sommes ici pour guider un certain nombre de gens. En général, ceux qui débarquent ici sont morts, mais dans ton cas, c'est un peu différent.
Comme tu sais, des événements super graves se passent sur Terre à l'époque dont tu viens. Pour cette raison, Dawn a été déplacée dans le passé, en 2003, pour la protéger d'Eyghon, parce qu'il convoitait son pouvoir d'ouverture des dimensions.
2003, c'était justement l'année où Warren et Amy ont été sortis des décombres de Sunnydale par l'Armée. Dawn sait que tout est parti de là. Et sachant pertinemment ce qu'ils ont fait plus tard, elle a voulu empêcher Warren et surtout Amy de développer les pouvoirs qu'ils vont accumuler pendant des années et avec lesquels ils ont eu les moyens de blesser ta mère physiquement et moralement pour se venger d'elle.
— Quoi ? Qu'est-ce qu'elle a, Maman ? Elle va bien ?
— Elle aurait dû mourir à Rio, mais ton intervention pour la guérir en puisant dans tes propres ressources a changé les choses, répondit Doyle.
— Tu sais, reprit Cordelia, Warren avait sa petite liste. Il a provoqué l'accident d'Andrew et se réjouissait de tuer « la sœur de Buffy » pour le même prix. On a essayé de convaincre Dawn de renoncer à son plan, mais pour elle c'était trop tentant. Moi je comprends. Elle est seule, elle est désespérée, elle vous imagine mourir un par un. Elle se dit que si elle peut faire quelque chose, elle doit le faire.
— Je suis d'accord. Moi aussi j'aurais agi pareil, dit Alexa entre ses dents. C'est évident que tout le monde l'aurait fait.
— C'est compréhensible. Mais il y a des conséquences à ses actes et qu'elle n'a pas pu mesurer. L'une d'entre elles, c'est que Willow va finir par culpabiliser d'avoir privilégié sa relation avec ta mère en laissant tomber son amitié avec Buffy. Sa meilleure amie. Qui affrontait une nouvelle dépression et avait besoin d'elle. D'un commun accord, Willow et ta mère ont choisi de se séparer définitivement et, du coup, tu ne naîtras pas dans la nouvelle ligne temporelle qui découle de cette décision. Nous avons vu à l'avance ce qui allait se passer et nous avons capté ton âme de justesse, avant que tu ne disparaisses en raison de cette réécriture des événements. Voilà pourquoi tu es là.
La Tueuse au regard velouté continua à les fixer avec ébahissement, comme si elle pensait sincèrement qu'ils racontaient n'importe quoi. Manifestement, l'explication ne lui expliquait rien.
— Ce que vous dites n'a pas de sens, dit-elle toujours sur la défensive. En admettant que ce soit vrai, pourquoi moi aurais-je disparu et pas Tara ?
— En théorie, elle aurait dû, reprit Doyle. Je suis désolé si ça te semble compliqué. C'est vrai que ça fait beaucoup et que l'essentiel est lié à des événements passés. Comment je peux expliquer ça simplement? Ta sœur n'a pas disparu parce qu'elle n'est pas née de façon ordinaire… C'est une Puissance comme nous. Dans sa dernière vie de mortelle, elle s'appelait Tara Maclay et elle était l'âme-sœur de Willow. Sa mort brutale était complètement imprévue et Warren en était responsable. Quand elle est venue nous rejoindre, elle était malheureuse et n'a pas réussi à embrasser pleinement sa mission ici. Elle a préféré revenir une dernière fois en se servant de ses nouveaux pouvoirs pour renaître comme la fille de celle qu'elle avait aimée. Tara est indépendante de la ligne temporelle où vous êtes sœurs. Ce ne sont pas tes mères qui ont voulu une autre enfant. C'est Tara qui a truqué les règles pour venir de son propre chef, et alors même que Willow n'aurait pas pu concevoir.
— Mais… c'est quoi « une puissance », au juste ? De quel genre de magie vous parlez quand vous dites « renaître » ? Elle est redevenue un bébé ?
— Ce n'est pas de la simple magie, c'est de la thaumaturgie. C'est la capacité d'influer sur la matière au niveau moléculaire. De créer, façonner et modeler, comme un Démiurge. En tant que Puissance Tara a rendu viable l'un des ovules de sa mère, l'a fécondé, et a attendu le moment de la naissance pour s'y projeter.
— Mais pourquoi elle ne m'a rien dit ? Pourquoi a-t-elle caché qu'elle avait de tels pouvoirs ?
— Parce qu'elle n'en a pas forcément conscience. Ce n'est pas comme si elle se souvenait de sa vie antérieure. Elle se rend compte qu'elle peut faire certaines choses, elle s'imagine que c'est génétique mais elle préfère le cacher. Elle a peur de se faire trop remarquer. Elle ignore pourquoi, mais nous pouvons dire que c'est parce qu'elle craint d'être ramenée ici contre son gré.
Alexandra resta quelques secondes silencieuse, avant de poursuivre, en s'entêtant.
— Eh bien, c'est sympa d'apprendre que j'étais la moins douée des deux, en fait. Mais si c'est vrai qu'elle peut faire tout cela, pourquoi ne me fait-elle pas revenir ? Je sais qu'elle m'aime et je n'ai pas besoin de lui expliquer combien l'Organisation a besoin de moi.
Cordelia soupira en pensant clairement que c'était toujours pareil avec les Élues qui ne voulaient jamais rien entendre.
La réaction de Cordelia ne lui plut pas, de toute évidence. Bien qu'elle n'ait plus la capacité à utiliser la magie, les émotions de la jeune femme étaient très fortes et des pics magnétiques se formaient tout autour d'elle. Le voile gris pâle par lequel elle venait juste de traverser, tourbillonnait en ondulant d'avant en arrière comme s'il hésitait à la réaspirer.
Doyle s'approcha, les mains ouvertes, polissant son regard le plus gentil et le plus patient, et il tenta de temporiser :
— Nous comprenons que le dévouement à la mission est naturel pour une Tueuse, et que c'est difficile d'y renoncer. Mais tu as mérité un repos auquel tu t'es déjà soustraite une fois pour reprendre le collier – soit dit en passant, exactement comme ta sœur. Dans ton cœur, tu as été frustrée d'avoir été fille unique lors de ton avant-dernière vie. Tu as été très seule. Et à la toute fin, tu t'es rendu compte de ce qui t'avait toujours manqué. Des amis, des frères, des sœurs. A l'instant de ta mort, tu as compris que c'était trop tard pour ces liens que tu enviais. Mais tu mérites deux fois plus ta rétribution maintenant. Elle est à la hauteur de ton sacrifice, et cela a toujours été la même pour toutes les Tueuses, même si leur vie est courte.
— Mais je m'en fiche ! Faites-moi redescendre ! Amy Madison a su libérer des vampires comme je n'en ai jamais vus. Il n'y a pas d'autre Tueuse qui soit aussi sorcière avec mon niveau d'entrainement. Laissez-moi y retourner, ils ne peuvent pas se permettre de me perdre avec de tels ennemis qui nous menacent !
— Alexandra, ce n'est pas possible, il n'y a plus de corps matériel dans lequel te renvoyer car il s'est dématérialisé comme n'ayant jamais existé…
— Quoi ? Mais je suis là, donc j'ai existé ! Qu'elle m'en fasse un! Ou vous, si vous êtes aussi "puissants" !...
— Tu n'as pas entendu ce qu'on vient de dire à propos de ta sœur ? On ne peut pas t'en refaire un nouveau à partir de rien, sans passer par tout le tralala habituel ! On n'est pas des dieux. On ne peut se densifier sur Terre que pendant quelques minutes.
— Je sais que vous mentez ! Et puis arrêtez de m'appeler Alexandra ! Je ne m'appelle pas comme ça !
Cordelia inclina la tête, comme pour se montrer un peu plus conciliante.
— Alors tu préfères ton prénom d'avant ? C'est rare mais… comme tu veux. Nous allons avertir ta sœur pour qu'elle puisse venir te parler, Kendra.
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19 août 2046 - Quartier général de l'Organisation des Tueuses, Aberdeeshire, Écosse
La réunion accueillant tous les responsables des succursales du Conseil International des Observateurs venait de commencer. En Écosse comme partout, les écrans affichaient la mine grise et sévère de ses membres répartis en différents points du globe. Ce rendez-vous se déroulait en direct, à heure de Greenwich ; pour certains pays, c'était le milieu de la nuit et les visages accusaient le coup.
Dans la salle claire où se déroulaient ordinairement les briefings, un peu en recul de la large table ronde où s'asseyaient les Tueuses, Giles était appuyé à un pupitre et pourvu d'un discret micro-casque. D'un bref regard pour chacun, assorti d'un coup de tête appuyé, Giles salua tous les participants en distanciel. Il n'avait pas besoin de se présenter. Tous le connaissaient, ou le reconnaissaient, au minimum grâce à sa large crinière neigeuse plutôt qu'à ses lunettes.
— Chers tous, j'ai été désigné pour prendre la parole le premier, au nom du centre britannique et très probablement de mon imbattable ancienneté, ajouta-t-il avec une légère touche d'humour pince-sans-rire, en recalant ses verres sur son nez. Je vais vous résumer les informations que nous avons. Ensuite, tous les chefs de centre sont invités à faire la même chose. Tout le monde est là ? Je peux commencer ?
— Allez-y Giles, souffla Faith qui grillait d'impatience.
— Alors… À 6h30 heure locale, le 16 août dernier, à quelques kilomètres de Cleveland (Ohio), la sorcière Amy Madison – que nous recherchons depuis plusieurs mois maintenant – a fracturé un passage vers une dimension infernale. Il en est remonté au moins dix Turok Han, peut-être un peu plus. Nous avions une équipe prête à intervenir, menée par Rona auquel s'était jointe la Commandeure Faith Lehane. Le but initial de leur mission était de récupérer la faux personnelle de Faith, volée précédemment par des démons à la solde de Warren Mears. Comme vous le savez, ce dispositif destiné à protéger la Faux véritable, n'a cependant pas vocation à semer des copies dans la nature… Juste avant cette mission, plusieurs médiums nous avaient alertés à propos de créatures vampiriques qui surgissaient dans leurs visions. D'après leur description, Rona et Faith ont reconnu cette race qui, je le rappelle, ne circule pas sur Terre, leur unique invasion ayant été stoppée en 2003.
Derrière les écrans, les responsables de centre montrèrent des signes de nervosité. Ils retinrent cependant leurs questions. Certains coupèrent leur micro pour s'entretenir avec leur assistant ou quelques membres de leur propre équipe. Willow distingua nettement le profil de Kennedy près de la responsable japonaise, la fameuse Satsu.
— Fort heureusement, Willow Rosenberg et moi-même nous trouvions dans un aéronef en orbite haute au-dessus du site de l'intervention, et nous avons pu récupérer toutes les Tueuses saines et sauves. Nous ne le devons qu'à la présence d'esprit des pilotes. Leurs senseurs ont capté une détonation et ils les ont dématérialisées et remontées à la seconde même. Je signale que ce n'était pas sur notre ordre, mais leur réactivité extraordinaire a permis de sauver la quasi-totalité de l'escouade. A l'heure actuelle, aucune analyse poussée n'a pu être conduite sur le site mais je vous renvoie au rapport préliminaire que vous avez dû recevoir juste avant la visioconférence. Je pointe à dessein que les scanners ont montré que le lieu même de la confrontation, situé en sous-sol, avait été totalement éradiqué sans qu'aucune magie n'ait pu être détectée.
Giles leur jeta un coup d'œil. A Cleveland, Robin se tenait impassible, mais Willow était certainement émue à ses côtés. Le vieil homme s'éclaircit la gorge.
— C'est tout pour les événements du 16. Robin, je crois que tu as quelque chose à ajouter ?
Robin Wood plissa ses grandes lèvres charnues en une esquisse de sourire mais ses yeux étaient sombres, enfin… davantage que d'habitude. Les mains bien à plat, il ne lisait pas de notes. Il n'en avait pas besoin.
— Oui, merci Rupert. Bonsoir à tous. Je veux ajouter qu'après cette intervention, malgré des recherches intensives, physiques, psychiques et magiques, il ne nous a pas été possible de localiser la responsable de l'entraînement des recrues de l'école de Rome, Alexandra Dole-Rosenberg. Elle se trouvait en renfort sur la mission menée par Rona. Elle a été la seule à ne pas être remontée dans l'Insectoïde. Comme si ce n'était pas suffisamment inquiétant, nous avons remarqué que le traceur sous-cutané, qui devait nous permettre de la retrouver en cas de besoin, n'était pas enregistré. Je veux dire par là que son numéro de série ne figure nulle-part. J'attends confirmation du fabricant mais les premières recherches semblent établir que ce traceur n'a jamais été fabriqué. D'autre part, Alexandra ne figure dans aucun de nos dossiers, ce qui n'a bien évidemment aucun sens. Willow Rosenberg a passé le système informatique au peigne fin toute la journée. Je la laisse vous détailler le processus, si vous voulez commencer à l'appliquer de votre côté pour sécuriser vos serveurs…
Robin tourna légèrement sa caméra afin qu'elle fasse la mise au point sur Willow. La sorcière au visage toujours juvénile avait des cernes violacés sous les yeux. Il était à peine nécessaire de la présenter pour tous ceux qui assistaient à ce conseil. Comme Giles et Robin, elle faisait partie intégrante de l'organisation depuis des décennies et sa renommée ne se limitait pas à l'Amérique du Nord ou du Sud.
— Merci Robin. Bonjour à tous. Alors, comme le disait donc Robin, j'ai passé un certain temps à compulser le système éthersphère du CDO américain. Je n'ai pas pu faire davantage sur trois jours. La première chose que j'ai tentée a été de déconnecter le serveur de Cleveland, puis plus tard celui de Los Angeles, et celui de Rio où j'ai mes entrées directes. Je cherchais particulièrement Mlle Dole. J'imagine que peu d'entre vous ignorent qu'elle est ma fille et la seule Tueuse sorcière.
Sur l'écran du bureau de Tokyo, la responsable se crispa légèrement mais personne ne le décela car Willow était le centre de l'attention. Ses yeux brillants et sa petite voix tremblante rappelaient la toute jeune fille qu'elle avait été au collège.
— …elle ne figure nulle part et n'est listée sur aucune des missions auxquelles elle a participé. J'ai fait tourner tous les programmes d'analyse que j'ai pu trouver, aucun n'a décelé la moindre faille dans le système. Comme il y en avait manifestement une, je me suis tournée vers la copie de sauvegarde akashique du mois dernier.
Pour information, ce type de sauvegarde fait partie des projets de recherche et développement hextech en cours. Il n'a pas encore été déployé car il est toujours en phase de tests. Pour le dire simplement, ce procédé est inspiré de l'ancienne bibliothèque noire de Wolfram et Hart dans les années 2000. Avant l'heure, ils avaient mis au point l'équivalent d'une bibliothèque virtuelle où les grimoires étaient stockés dans l'éther, sur un support immatériel. Selon l'ancienne terminologie, il s'agissait de ce que les plus âgés d'entre nous connaissent sous le nom de « cloud ». Un livre vierge suffisait à « télécharger » le contenu comme sur nos tablettes. Détruire l'objet ne détruisait pas l'information. Aujourd'hui ça semble banal, mais à l'époque, c'était prodigieux…
Bref, l'important est de savoir que le service R & D HexTech du CDO testait des solutions de gravure en astral-2, et non plus en éthérique. A ma grande surprise, lorsque j'ai pu y accéder, j'ai découvert que je n'étais pas folle et qu'Alexa Dole faisait bien partie du personnel… le mois dernier. Son dossier complet s'y trouvait encore. Mais une fois ouvert, la totalité de sa version éthérique a été effacée au bout d'une heure. Je ne me prononce pas encore sur le phénomène que je ne peux pas expliquer pour l'instant, mais je pense que tous les centres doivent procéder à des vérifications au plus vite. Y a-t-il d'autres personnes qui sont concernées par des disparitions de cet ordre ?
Les yeux rouges, Maya leva la main, elle attendit qu'on lui donne le feu vert pour ouvrir son micro.
— Bonjour à tous. Maya Wells, sergent-major rattachée au bureau de Rome, maréchale par intérim.[2] J'ai signalé hier soir après le couvre-feu que quatre étudiantes s'étaient également complètement envolées et ne répondaient à aucun appel. Comme elles ne sont pas encore assermentées, elles n'ont pas de traceur biométrique... Mais le phénomène ne concerne pas que des Tueuses, nous avons aussi trois professeurs qui ne se sont pas présentés au poste sur les dix derniers jours. Et j'ai un témoin oculaire qui affirme qu'il a vu l'un d'entre eux, je cite « devenir transparent avant de s'effacer complètement dans les airs ».
— Ce témoin est-il vraiment fiable ?
La question venait d'être posée par Omboshako, le responsable délégué du continent africain. C'était un Massaï résidant au Kenya. Il disait descendre des Hommes de l'Ombre ayant créé la première Tueuse à l'époque préhistorique. Par extraordinaire, il restait très puissant dans l'organisation malgré cette ascendance présumée. Ses deux plus proches collaborateurs, l'Égyptien et le Sudafricain, étaient présents à ses côtés. [3]
— Oui, confirma Maya. C'est un administrateur appointé par le Conseil en qui j'ai toute confiance. Il dirige l'école de Rome depuis le décès de son fondateur, Andrew Wells. Par ailleurs, je voulais ajouter que ma mère, Dawn Pratt, qui a été la directrice des archives italiennes du Conseil pendant huit ans, a disparu également depuis plusieurs semaines.
— Satsu, Kyôshi et Tigre d'Argent [4] à Tokyo, se presenta la responsable du Japon. Puis-je me permettre de demander pourquoi vous ne le signalez que maintenant ?
— L'école de Rome a été assiégée pendant des jours et sous le feu constant des attaques de Warren Mears. Il en va de même pour le covent de Rio… Kennedy que je vois près de vous pourra vous le confirmer... Nous avions les ressources pour faire face mais avons dû parer au plus pressé. Nous avions des raisons de penser que ma mère était présente mais avait été atteinte par un sortilège de rétromorphisme décapacitant.
— Qu'est-ce que c'est que ça, exactement ?
— Elle avait la tête d'une gamine et plus aucun pouvoir, soupira Maya qui avait pourtant fait un effort pour rester professionnelle.
— Lequel était ? releva Omboshako en levant un sourcil hiératique. Pourquoi ne figure-t-elle donc pas dans la liste des personnes dotées ?
Voyant Maya qui commençait à serrer les mâchoires, Giles leva un doigt diplomatique pour prendre la parole à sa place.
— Elle y est sous le nom de Dawn Summers bien qu'elle ait été mariée deux fois. Il s'agit de la sœur cadette de Buffy Summers. J'ai été son Observateur pendant cinq ans au début du siècle. Dawn a pu ouvrir très brièvement une brèche inter dimensionnelle d'importance mais cette capacité a complètement disparu ensuite, avant de se réactiver des années plus tard. Vous pouvez vous reporter à son dossier grâce à vos accréditations pour les détails, normalement, il devrait toujours être dans la base…
— Êtes-vous en train de dire que vous avez perdu quelqu'un de potentiellement aussi dangereux ?
— Oui, nous l'avons perdue, mais nous ne l'avons pas égarée. Merci pour votre sollicitude, répondit Maya assez sèchement.
Sur le bras d'Omboshako, une main se posa, sur laquelle on pouvait reconnaître le sceau de l'Égyptien. Il s'approcha pour dire quelque chose qu'on n'entendit pas puisque le micro avait été coupé. Puis le Kenyan, le rouvrit et s'inclina.
— Je vous présente mes excuses si j'ai pu vous paraître insensible. Veuillez accepter mes condoléances pour vous et votre famille. Tamaziz me confirme que la protégée de Nout est sauve. Mais… il dit aussi que l'esprit de Wepwawet-Rê protège toujours votre mère où qu'elle soit. Dans sa vision, elle se tient debout dans la barque solaire immobile, les bras ouverts, elle porte une ankh au cou et elle regarde vers l'orient.
Moins au fait que d'autres du Livre des Morts et peu sûre de savoir quoi faire de cette formule de condoléances, Maya s'inclina légèrement avec un coup d'œil pour Giles qui signifiait clairement qu'elle comptait sur lui pour une traduction. Ce dernier attrapa la balle au bond et s'éclaircit la gorge.
— Très bien, merci Omboshako, merci Tamaziz. Y a-t-il d'autres centres qui veulent faire état de phénomènes particuliers? Hambourg? Oslo?
Chaque représentant appuya en même temps sur le bouton pour requérir la parole. Et l'écran principal clignota à tout va. Battant les autres de vitesse, le responsable en poste en Chine ouvrit son micro et l'on eut la surprise de le voir tourner la caméra vers un personnage près de lui. Giles le reconnut tout de suite: le révérend père du monastère tibétain où Oz était mort.
Avec politesse, le moine s'inclina vers son hôte, et il expliqua que celui-ci avait bien voulu lui prêter son temps de connexion. Il n'avait qu'une seule chose à dire, qui serait brève.
— Je m'adresse plus particulièrement à M. Giles et M. Angel pour leur signaler que les Djinns, nos ennemis démoniaques, ont cessé d'attaquer et qu'ils ne font plus de victimes. Nous ignorons s'ils sont encore là. Les guides de montagne disent que tous les trajets sont redevenus sûrs. Tous les voyageurs qui partent franchir les cols, reviennent. Si de par le monde des personnes disparaissent, de notre côté, c'est le contraire : elles ne disparaissent plus.
— Est-ce que ça ne ressemblerait pas à la première bonne nouvelle de la journée ? demanda Satsu, un peu hautaine.
— Nous ne sommes pas d'un naturel inquiet, éminente gardienne, mais nous ne pouvons que nous interroger. Les Djinns étaient le fléau de nos montagnes depuis plus de cent ans. Jamais ils n'ont bougé. Ils sont restés là, à terroriser insidieusement les villages, à enlever des gens pour faire des expérimentations. Ils sont arrogants et puissants. L'armée n'a rien pu faire contre eux. Et soudain, ils s'en vont ? Nous aimerions croire que Dieu a entendu enfin nos prières et les a chassés. Mais les villageois sont moins optimistes. Notre hôte chinois nous a révélé que le Mal progresse partout sur la planète… Les habitants de l'Himalaya se demandent si c'est un mal plus puissant qui les a fait fuir. Ou bien s'il est né un nouvel avatar céleste dont l'aura les ferait déjà refluer ?
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Willow serra le combiné dans sa main en tremblant un peu. Dès la première pause dans la réunion du Conseil, elle s'était isolée pour pouvoir rappeler Tokyo et essayer de joindre Kennedy directement.
— Ma chérie, je n'ai pas réussi à retrouver Alexa, commença-t-elle précipitamment. Je te promets, je fais tout ce que je peux. Je n'ai pas dormi depuis trois jours…
Elle entendit un petit rire étouffé.
— Ce n'est pas drôle ! protesta Willow au bord de l'indignation.
— Non. Excuse-moi. Évidemment. Mais il y a bien longtemps que je ne t'ai pas entendue m'appeler comme ça. Et ça me fait bizarre.
A l'autre bout du fil, la Tueuse se racla la gorge et sembla se remettre de son trouble.
— Willow, je vais être franche, je ne comprends pas ce qui se passe. Et pas un mot de ce que tu as dit tout à l'heure.
— Moi non plus, je n'y comprends rien ! C'est ça qui est rageant ! Mais je voulais t'appeler pour te dire que je suis sur l'affaire, jour et nuit. Je voudrais tellement que tu sois là. Tara est très triste. Elle ne dit rien mais je sais qu'elle est déboussolée.
— Tara ?
— Oui, elle garde tout pour elle quand ça va mal…
— Attends, pardon... Willow, ma femme est dans tous ses états à côté. Pourquoi dis-tu qu'Alexandra est ma fille ? Je n'ai pas envie de dormir sur le canapé, moi ! Je n'ai rien à voir avec ça !
— Hein ? Oh non, non, Ken ! Tu ne te souviens pas d'Alexa et Tara ?
— Si, bien sûr… ce sont tes filles.
— Nos filles ! Tu ne te souviens pas non plus qu'on est mariées ?
— Mais… enfin ! On n'est pas mariées du tout ! On est sorties ensemble il y a… ouhf… une éternité ! Mais, on s'est séparées, je ne sais plus quand… en 2004 ? Par là ? En quarante ans, on s'est à peine croisées... Est-ce que tu vas bien ?
— Oh, par la Déesse, ce n'est pas vrai ! s'étrangla la sorcière.
— Écoute Will, je comprends que tu puisses être bouleversée, c'est normal, je le serais aussi à ta place, je t'assure. Nous allons chercher dans nos bases de données ici aussi, et nous te dirons si nous trouvons quoi que ce soit ? D'accord ?
— D'accord.
— Écoute, il faut que je te laisse pour l'instant mais on te dira, sans faute.
— D'accord, répéta la sorcière rousse dans un murmure désincarné.
La communication se coupa et Willow regarda le téléphone avant de le reposer sur le banc des vestiaires, comme s'il l'avait brûlée. Et puis elle éclata en sanglots.
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Notes de l'auteure
[1] J'imagine que le latin de cuisine de J. K. Rowling sera plus clair que les sorts précédents qui veulent sensiblement dire la même chose et mettre fin à l'illusion.
[2] Je me suis inspirée pour elle des grades de l'armée italienne. Toutes les Tueuses sont des opérationnelles de terrain. Dans cet univers alternatif où leur organisation est assez paramilitaire, leur conférer des grades élevés et ronflants ne me semble pas très judicieux. Maya est à mi-temps, elle entraine les recrues et patrouille toujours. Le bureau de Rome est assez secondaire en Europe, car l'activité démonique est faible (normalement). J'en ai fait un centre de formation.
Au regard de son ancienneté d'Élue et puisqu'elle est la détentrice de la lignée des Tueuses, j'ai conféré à Faith la distinction honorifique de Commandeure. Dans les faits, je la vois plutôt comme une lieutenante-colonel réticente... que générale des armées – le Haut-Commandement et la stratégie n'étant clairement pas son truc…
[3] Personnages absolument pas canon.
[4] Bien que « Tigre d'Argent » soit un grade chinois appartenant aux 9 Duans de Wushu (à savoir : Aigle, Tigre, Dragon, répartis sur trois couleurs : bronze, argent, or), je trouvais cela plus poétique et pas trop jargonneux. Satsu (plus jeune que Dawn de quelques années) est une Tueuse émérite distinguée par Buffy. En 2046, elle n'a pas l'âge pour le titre de « Hanshi » auprès des Tueuses tokyoïtes mais son niveau de maîtrise intermédiaire me paraît suffisant pour diriger une succursale de taille modeste.