When in Rome

Chapitre 94 : Urgences

5864 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 17/09/2024 19:14

Chapitre 45 Urgences

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Le pont de L'Insectoïde s'était vu transformé en hôpital de campagne.

Au contraire du reste de l'équipage – une quinzaine de cancrelats géants que Spike n'avait du reste jamais su différencier les uns des autres –, seuls les pilotes étaient restés en poste. Il fallait dire qu'ils étaient des vétérans d'au moins trois ans avec le cœur bien accroché. Tous les autres avaient prudemment reflué vers leurs quartiers en attendant que l'agitation cesse.

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Simone se détourna et soupira. Autour de la petite zone de téléportation, ça grouillait. Il y avait des femelles guerrières humaines assises ou couchées qui suintaient de la lymphe rouge partout. Merci bien, et le gros nettoyage en perspective, ce serait pour qui ? D'autres femelles semblaient les essuyer avec des pièces de cellulose fine à l'odeur âcre, les faire briller de lumière jaune et les réconforter sur leur état de bon fonctionnement. Mais hélas sans jamais cesser de vocaliser.

Le fait leur semblait à tous étrange car la mascotte ne faisait pas de bruit, et c'était l'un de ses nombreux atouts. Elle semblait aimer désigner tout ce qu'elle voyait pour lui donner un nom. La première chose que Capitaine avait faite en les rencontrant, c'était de leur en donner un. Il avait tendance à se croire chez lui et ramenait de plus en plus souvent toute une flopée d'humanoïdes. Il leur avait même donné la clé… Les ancêtres parlaient d'un très grand humain qui, en des temps immémoriaux, avait apporté une offrande de poisson à la chair délicate. [1] Il était certes revenu une ou deux fois, mais sans poisson. D'ailleurs, puisqu'on évoquait le sujet, plus personne n'apportait rien pour eux depuis belle lurette.

En général, leur familier ne faisait rien de très constructif, il passait son temps à rentrer ou sortir, re-rentrer, re-sortir, ronchonner tout seul ou dormir. Sauf… quand il y avait la femelle spéciale. Simone pensait que c'était sa préférée parce qu'ils se touchaient les bouts de pattes supérieures, en déambulant côte à côte dans les coursives; se collaient alors qu'il y avait beaucoup de place, et se frottaient souvent les mandibules. Il y avait forcément une signification à cette sélectivité. Il était fort dommage que cette humaine ne vienne plus car le comportement de Capitaine était radicalement différent quand elle était là. Un cas d'étude très intéressant.

Pour l'heure, c'était une autre humanoïde qui était plantée devant leur console. Elle avait des milliers de fines antennes souples et rouges qui lui tombaient sur les côtés du crâne. D'après les registres, elle était déjà venue à bord. Parfaitement formée aux usages de communication inter espèces, elle tendit la main vers la tablette d'interfaçage et dès qu'elle l'eut, elle fit comprendre qu'elle voulait appeler le communicateur d'un certain Rùpert_Giiiless via le réseau de communication du vaisseau. « Besoin grande discrétion » écrivit-elle. Barnabé leva une patte supérieure. C'était parfaitement grotesque et inutile mais la mascotte avait dit que ça lui permettait de savoir qu'il devait attendre, au lieu de répéter la question en supposant qu'ils n'avaient rien compris la première fois.

Cet autre humanoïde réclamé était celui aux petits ocelles cerclés de fer. Il était déjà venu lui aussi. Simone modula un peu avec Barnabé pour s'assurer qu'ils étaient d'accord avant de striduler un ordre à destination de l'ingénierie. Puis ils dévissèrent légèrement le cou en regardant vers le cercle de téléportation.

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Un léger flash lumineux plus tard, Giles se dressait en pyjama avec son communicateur à la main et la moitié d'une joue rasée, en marmonnant :

« Attention. Tenez-vous prêt. » ? Mais à quoi diab… ?

Tourné face à une paroi, il reconnut aussitôt l'intérieur du vaisseau spatial de Spike, surtout grâce à une série de pattes de mues accrochées comme des trophées au mur crépi d'un marron douteux. Il songea quelques secondes à son conditionnement géocentrique, spéculant trois secondes que cette décoration était peut-être du dernier chic dans leur culture, puis abandonna ces considérations oiseuses, réajusta plutôt ses lunettes et pivota pour évaluer la situation.

Lorsqu'il avisa la sorcière rousse, il la salua en masquant sa surprise sous une épaisse couche de flegme longuement patiné. Willow avait l'air surprise aussi, mais elle remercia les insectes extraterrestres en s'inclinant avant de se rapprocher de l'ancien Observateur pour l'entraîner un peu à l'écart.

— Giles, je suis navrée du dérangement. Je ne pensais pas que vous arriveriez en chair et en os. Est-ce que vous allez bien ?

— Oui, oui, mais Juste Ciel ! s'exclama-t-il en regardant la « passerelle » envahie. Que s'est-il passé ici ? Est-ce que toutes ces jeunes filles vont bien ?

— Mis à part le choc d'une première rencontre avec des Turok-han… oui, pour la plupart. Les équipes médicales et les guérisseuses psychiques ont fait un boulot formidable. Par contre, l'ambre d'orichalque laisse une trace qui ne part pas bien.

— L'ambre de quoi ?

— Le gel magique qui cautérise et scelle la blessure dans un champ éthérique, en attendant qu'on puisse la traiter… expliqua-t-elle en montrant le bras d'une jeune Tueuse qui souriait devant sa cicatrice dorée.

— Oh, je vois. Mais est-ce que je peux savoir comment la mission de récupération de la faux de Faith a pu tourner aussi mal ? D'où sortaient ces Turok-han ? J'ai appelé Robin et il m'a dit que la Bouche de l'Enfer était toujours en place et qu'il n'y avait eu absolument rien de notable là-bas.

— J'ai ma petite idée. Malheureusement, j'ai une autre mauvaise nouvelle qui vous touche directement. L'apparition d'Eyghon dans le donjon de l'école de Rome n'était pas fortuite, il a repris pied dans notre monde, toutes les filles l'ont vu en compagnie de Warren et Amy. Ils travaillent ensemble.

— Les pauvres fous ! Ils ne savent pas dans quoi ils ont mis le nez ! dit-il avec une simple grimace de contrariété qui cachait pourtant une vive émotion.

— On ne peut pas dire que cette descente ait si mal tourné. On a repris la faux volée et personne n'est mort malgré les invités qu'on n'attendait pas. Avec un peu de chance, ils ne sont pas au courant qu'on s'en est tirés grâce au système de téléportation du vaisseau. C'est positif, non ?

Giles acquiesça. Il n'avait pas envie de projeter son anxiété et s'efforça de conserver un visage optimiste, mais Willow savait décoder même ce qu'il ne disait pas.

— Est-ce qu'on est sûrs qu'aucun Turok-han n'a pu s'échapper ?

— Non, ça, on n'en sait rien, les patrouilles seront renforcées. Mais les scans fournis par les pilotes montrent qu'il n'y a aucune cavité au sous-sol. C'est comme si un bloc de béton était apparu d'un seul coup là où il y avait une pièce et, plus bizarre, il n'y a aucune trace résiduelle de magie... A ce propos, vous avez vu ma fille ? J'aimerais bien son avis.

— Oui, Tara est là-bas à côté de Rona… Elle est en train de la soigner.

Sentant confusément des regards peser sur elle, la jeune sorcière blonde lissa ses cheveux derrière une oreille et leur envoya un coup d'œil doux. Sa mère le trouva étonnamment triste étant donné le plein succès de l'idée du baume qui avait été la sienne.

— Non, je veux dire Alexandra. J'essaie de la joindre depuis tout à l'heure mais elle ne répond pas à mes appels. Je ne veux pas paniquer et jouer les mères surprotectrices mais…

— Alexandra ? répéta-t-il un peu troublé. Non, elle n'a pas l'air d'être ici. Je suppose que tu as déjà essayé un sort de localisation.

— Euh, non. Vous savez comment elle est… Quand elle était ado, elle m'a promis d'être sérieuse et en échange m'a fait jurer de ne jamais l'employer à moins de quarante-huit heures sans nouvelles. Alors maintenant qu'elle est adulte, vous pensez bien… On m'a dit qu'elle avait quitté la zone avant tout le monde. Je vais voir avec Kennedy. Et à part ça, je pense qu'il nous faut une réunion immédiate du Conseil. Pour moi, c'était un galop d'essai. J'espère qu'on a encore le temps de mettre en place des lignes de défense coordonnées avant qu'ils ne trouvent une autre source de puissance maintenant qu'ils ont perdu la faux.

— Naturellement. Pourtant j'avoue que j'ai du mal à envisager que Warren ou Amy aient pu avoir été assez stupides pour aller chercher des Anciens et se figurer qu'on pouvait négocier avec eux. Quant à Eyghon, ce serait bien étonnant de sa part. Je déteste l'idée mais il va peut-être falloir approcher Wolfram et Hart et leur faire comprendre que ce qu'il mijote n'est pas dans leur intérêt non plus… Angel est mitigé sur cette idée, il affirme que c'est l'un de leurs envoyés qui a... Que se passe-t-il ? s'interrompit-il en la voyant froncer les sourcils avec une moue perplexe.

Willow regardait son petit appareil de communication circulaire reposé sur la paume de sa main, comme si elle le voyait pour la première fois.

— C'est bizarre. Je ne comprends pas… On a un code avec Ken. On laisse sonner trois fois et puis un message vocal sur le dernier appel. Au début, j'ai entendu son répondeur mais là, ça me dit que le numéro n'est pas attribué… Bon, je débrouillerai ça plus tard, pour l'instant, je file lancer les convocations.

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Faith fut rejointe par Giles qui parvint jusqu'à elle en louvoyant entre les blessées. Elle l'accueillit avec son ancien « Salut G-man ! » qui les fit sourire tous les deux, avant qu'elle lui montre fièrement ses bras entaillés.

— Classe le doré, non ?

Il eut ce même sourire patient que lorsqu'il était devenu son Observateur pendant quelques temps. Tous deux avaient bien vieilli depuis cette époque mais elle la tournait en dérision, en affirmant d'un air fataliste qu'elle récupérait toujours les poupées et les jouets de sa grande sœur : l'Observateur, le petit ami vampire ténébreux, la sœur, la mission de leader…

— Dites-moi, comment va la petite ? Angel la laisse sortir prendre l'air au moins ? Ne serait-ce que pour qu'elle arrête de lui poser mille questions ?

— Il dit qu'elle a l'air inquiète depuis cette fameuse attaque. Elle rumine quelque chose et n'en parle pas.

— Bah, une soirée avec au menu agressions de démons, morts en direct, kidnapping par un vampire et prise de sang… énuméra-t-elle. Moi je dis que c'est une chance si elle n'est que « inquiète ». Il y a de quoi traumatiser un gamin à vie, non ?

Il acquiesça, lui concédant volontiers qu'elle remportait cette fois la palme du bon sens. Dans la mesure où rien ne venait les étayer de façon plus tangible, Faith n'avait pas été informée des hypothèses circulant entre Tara, Willow et lui, au sujet de l'âme de Thisbé. Bien sûr que n'importe quelle autre enfant aurait été traumatisée. Mais celle-ci ?

— J'ai le temps d'aller voir si tous les deux vont bien, avant la Big Réu chiante ?

— Faith, décider de la coordination en cas d'attaque imminente de Turok-han, ce n'est pas superflu…

— Je vous fais marcher, dit-elle en lui tapotant la manche. Bien sûr que c'est important.

Et quand elle lui tourna le dos pour le laisser à ses réflexions, elle grimaça en levant les yeux au ciel. Une irruption des Turoks, c'était la deuxième fois qu'elle vivait ça, et elle n'était pas sûre qu'elle serait de taille pour une troisième…

La Tueuse aux mèches grises lissa bien le devant de son débardeur et remit son blouson dont le dos était brodé d'un logo des Real Avengers. Quand elle se dirigea vers pilotes, Giles fronça les sourcils en voyant le dessin se modifier sous ses yeux. Il affichait désormais la marque d'une entreprise dont il n'avait jamais entendu parler.

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Pointant le hublot, Faith demanda par signes aux navigateurs d'afficher la Terre en plus gros, avant de leur montrer du doigt l'île européenne où elle voulait aller, et la grande ville au creux d'un estuaire.

— Je vous dis où vous arrêter quand on passera au-dessus, ou si je vous donne l'adresse, ça va aussi ?

« Désignation locale, bien » indiqua le pad de communication après qu'ils aient bourdonné dans le micro.

— Vous êtes des champions !

« Merci, Cocotte » clignota l'interface. Elle regarda la chose en faisant la moue, et en la secouant un peu.

— Pas terrible les trucs de traduction du futur, hein ! Je ne m'appelle pas « cocotte » mais « Faith », j'y tiens. Pourquoi vous m'appelez comme ça ?

— Capitaine a donné toutes informations utiles pour bien différencier terriens humanoïdes. Toi: « Cocotte, et son mâle Dessous-de-bras. [2] Cocotte puissante femelle, bonne pour reproduction. Respect. » Correct ? [3]

— Il y a du vrai même si je ne l'aurais pas formulé comme ça… Bon, voilà, c'est là, on arrive… Hey, dites, vous êtes bien invisibles là, j'espère ? Parce que si jamais les voisins aperçoivent une cacahuète volante au-dessus de la maison, ça va un peu surcharger les fils d'info de ces tarés d'ufologues. Oups, désolée, je ne pensais pas à mal, c'est encore nouveau pour moi. Nous en général, on vous imagine… plus verts.

Les deux blattes émirent un bruit de crécelle en appuyant sur les boutons de leur console. Le familier humanoïde avait raison. Cette Cocotte était marrante.

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Faith trouva Thisbé assise en tailleur sur un canapé Chippendale en velours râpé, un gros casque extra auriculaire sur la tête, les yeux rivés sur un antique écran de télévision plat – qui faisait tout de même tache dans la décoration victorienne. Angel était à la grande table pompeuse de la salle à manger, il prenait des notes tout en consultant lui aussi un holo-écran.

— Les chéris, Maman est rentrée à la maison ! relança-t-elle d'un ton amusé comme aucun des deux n'avait levé les yeux vers elle.

« Monsieur Lehane » la regarda avec un sourire en coin et, de deux ou trois gestes économes, lui indiqua qu'il lui parlerait après la fin de ce qu'il était dieu-sait-quoi en train de faire. Dépitée, elle se dirigea donc vers l'enfant, presque prête à la taquiner elle aussi, tant elle était heureuse d'être en vie et d'avoir pu les revoir. Cela n'allait pas de soi. Elle était la plus vieille des Tueuses maintenant et personne ne savait si « ça » s'arrêtait, passé un certain âge.

— Et pourquoi t'es plantée devant la télé au lieu de faire tes devoirs, toi ?

La petite la regarda sans comprendre, ni la question ni l'amusement de Faith, clignant ses petits yeux marrons, comme si elle attendait la suite, ou une explication. Avec ses cheveux qui avaient poussé d'un millimètre (si on y croyait très fort) et le gros casque, elle avait l'air toujours aussi malingre noyée dans les vêtements ternes et trop grands qu'elle s'obstinait à vouloir porter « pour pas salir les neufs ».

— Qu'est-ce que tu fais ? demanda l'aînée en soupirant, finalement avide que Thisbé devine un peu plus vite.

— Bah, tu vois bien ! J'apprends !

— En regardant la série Urgences ?

— Oui, c'est très intéressant de comprendre comment soigner les gens. Quand le vampire a mordu dans mon bras, j'ai cru que j'allais mourir de la septicémie ou du venin anaphylactique. Ici la médecine est antique, alors j'ai demandé comment savoir ce que vous saviez dans les dispensaires. Parce que si c'était pour être nosocomiée, pas la peine d'y aller. En plus, le très vieux monsieur qui m'aime bien a dit que je n'étais peut-être pas pareille dans mes organes et que ça pouvait leur faire peur. Alors Angel m'a donné ce programme, et je regarde pour apprendre tout bien.

— Il aurait pu t'en filer un plus récent. On a fait des progrès depuis… Et surtout, il faut faire un sacré paquet d'études avant de pouvoir faire ce qu'ils font…

— Ça ne fait rien. Il y a peut-être des choses faciles.

— Du coup, qui a soigné ta morsure ?

— Personne. On a mis de l'anti-germes et du pansement, comme quand Dawn a été griffée par le démon bleu. Après on a attendu, et ça ne brûlait pas et je n'avais pas de fébrilité. Il y a des marques, mais la peau est bien fermée. Vos anti-germes sont pas mal finalement, je ne vais peut-être pas avoir besoin de beaucoup de dermolaser.

— Fais voir.

Toute contente et fière, Thisbé releva sa manche bien haut et tendit le bras avant de pointer de l'index les deux trous de canines indéniables par lesquels son sang avait été aspiré. Faith, dont la vue était pourtant plutôt bonne, se rapprocha en biglant sur la peau qui avait un bien meilleur aspect qu'elle ne s'y serait attendue.

— Ah bah, oui, vachement… Est-ce que d'où tu viens, les gens guérissent aussitôt ?

— Je ne sais pas. Mais on est soignés très vite par les autorités médicales parce que quand on est malades ou blessés, on ne peut plus travailler et alors on fait perdre de l'argent.

— Ah d'accord, je vois le genre… Peut-être que ton peuple cicatrise plus vite. Moi j'ai mieux. Tu veux voir un truc cool ? Je me suis battue aujourd'hui, et les sorcières ont fait un tour de magie, et maintenant, mes cicatrices sont comme ça ! dit-elle en exhibant une balafre sous ses côtes.

Thisbé plissa la bouche en une moue indécise, modérément enthousiaste en voyant le résultat.

— Mh. C'est quand même très abimé sur les bords, je trouve, observa-t-elle en regardant de plus près.

Elle profita de ce geste pour se pencher et chuchoter :

— J'ai bien fait comme tu as dit. J'ai demandé tout le temps son aide à Angel, même quand je savais déjà, pour qu'il se sente important.

— Et est-ce que ça marche ? questionna-t-elle sur le même ton.

— Ouais ! Maintenant, il a la « grosse tête » ! confirma la gamine en pouffant.

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Impatient de parler à sa compagne, Angel avait coupé court à sa réunion avec les commerçants parias les plus craints du marché underground : le cartel des Équarrisseurs. Il était bien placé pour savoir que certains démons payaient cher pour consommer des organes d'autres démons, par vengeance, au cours de cérémonies rituéliques ou de dîners fins. Le moins qu'il pouvait faire était de leur donner le signalement de spécimens préhistoriques extrêmement rares aperçus autour de Cleveland et dont on attendait un nouvel arrivage... Les humains étaient des proies faciles, mais d'autres démons motivés et vaniteux qui allaient se focaliser sur les Turoks ? Peut-être déjà moins. Le passé d'Angel chez Wolfram lui permettait de savoir pertinemment que les équarrisseurs pour leur faire miroiter un « juteux » business, allaient affirmer qu'il n'y en aurait peut-être pas pour tout le monde. Involontairement, ces gastronomes allaient pouvoir aider les Tueuses en gênant la progression des envahisseurs.

Les coudes posés sur le dossier du canapé, il les considéra toutes les deux avec tendresse pendant leur concours de cicatrices, notant simplement les étranges zébrures sur les bras de Faith. Elle n'avait pas du tout l'air paniquée à ce sujet.

— Alors, est-ce que l'infirmière Sally Siclic [4] a finalement avoué ses sentiments au Dr Folamour ? [5]

— Non, ça ne parle pas de ça. Ne me dis pas trop à l'avance. Pour l'instant, ils font les blessés par voiture qui arrivent tous en même temps.

Cet intérêt subit pour la médecine ne pouvait pas être fortuit. Pour creuser la piste soulevée par Giles, la Tueuse essaya de savoir si voir des morts ne lui faisait pas trop peur après ce qui s'était passé l'autre fois. La fillette la regarda en biais.

— Bien sûr que non, ça ne fait pas peur ! Dans le programme, les gens font semblant. Mais je suis contente d'apprendre des choses médicales. S'il y a une autre attaque, je saurai quoi faire pour soigner Angel. Il est tout cyanosé sur le devant, et puis il tousse des poumons.

Faith leva un sourcil en quête d'une traduction instantanée.

— L'Oryx m'a donné un coup dans la poitrine. J'ai un méchant bleu et c'est miraculeux car j'aurai dû avoir les côtes cassées… Thisbé, j'ai faim, pas toi ? Je vais préparer le déjeuner mais regarde la suite pendant que ça cuit, si tu veux.

La jeune fille attendit d'être complètement seule pour retirer son casque et presser les paumes sur ses yeux. Elle revoyait les mêmes images que la nuit passée qui défilaient derrière ses paupières. Des gueules béantes qui grognaient, des mochetés qui tuaient des jeunes femmes super fortes. Ils remontaient d'un trou par milliers.

Pourquoi voyait-elle cela alors qu'elle n'était même pas près de Spike ? Dire qu'elle était partie aussi loin pour cette raison ! Et découvrir maintenant que ça n'avait peut-être rien à voir avec le mauvais fonctionnement des traducteurs sous-cutanés ? Pourquoi est-ce que tout empirait maintenant alors qu'elle était devenue presque heureuse dans le pays britannique ?

Elle serra le casque entre ses paumes jusqu'à entendre un « crac ». Elle arrêta de s'énerver aussitôt pour vérifier l'objet et découvrit qu'elle avait fendu le plastique. Honteuse, elle le reposa sur le côté en n'osant plus le toucher.

Sur l'écran, avec l'image sans le son, on voyait très bien que l'infirmière était amoureuse du docteur mais qu'il faisait semblant de ne rien voir, alors qu'il savait très bien. Elle avait de la peine pour elle et du dédain pour lui. Comment pouvait-on repousser une personne si jolie qui était toujours là, vigilante et aidante, et qui mettait tant d'amour dans ses yeux ?

Pour éviter d'avoir à répondre à cette question, elle abandonna le casque en décidant de le cacher sous un coussin et puis se hâta de rejoindre les deux adultes dans la cuisine parce qu'Angel avait dit « si tu veux regarder la suite » et elle ne voulait pas. Elle les surprit en train non de s'embrasser mais plutôt de chuchoter très vivement à voix basse, devant une cuisinière à gaz qui l'impressionnait beaucoup car elle savait que c'était explosif. Avoir le sentiment qu'ils se disputaient la désarçonna et l'inquiéta aussi.

— Qu'est-ce qui ne va pas? demanda Angel en voyant qu'elle était entrée avec les yeux rouges.

— Il y a quelque chose de grave que je ne vous ai pas dit.

Comme par magie, ils arrêtèrent leur conversation qui avait pourtant l'air importante.

— ...mais peut-être que ce n'est pas un bon moment ?

Il n'y avait pourtant aucun jugement dans leurs yeux, ni à l'un ni à l'autre. Ils attendaient simplement qu'elle prenne la parole, ne pouvant guère présumer de ce qu'elle estimait « grave ».

— J'ai cassé les écouteurs, admit-elle d'un ton funèbre.

Faith renifla et s'esclaffa tandis qu'Angel resta immobile à la regarder fixement. Elle papillota des paupières, visiblement mal à l'aise.

— En fait, ce n'est pas si grave que tu crois, la rassura-t-il. Il y a quelque chose d'autre ?

Thisbé hocha la tête en se mordant la lèvre. Après une courte hésitation, elle marcha jusqu'au placard bas qui était près de la cuisinière, ouvrit la porte, tira la bonbonne de gaz et la souleva d'une seule main. Puis elle la reposa doucement en la poussant du pied près du placard. Elle resta tournée vers eux, les doigts croisés devant elle, comme si elle avait le cœur gros et qu'elle était prête à repleurer.

— Je ne sais pas pourquoi ça fait ça. Je crois que j'ai pris le virus de la super force en allant chez les jeunes dames, dans l'école de la Litalie. Je suis contaminée, c'est pas de ma faute. Je n'aime pas casser des choses.

Faith se posa un poing sur la hanche en glissant un regard en coulisse à Angel.

— Tiens donc, répondit-elle en avançant vers elle d'une façon qui fit reculer la petite. Je croyais que t'avais du fromage blanc dans les biceps ? Tu as raconté des craques depuis le début ?

— Non ! Non ! Je le jure. Ça fait ça depuis pas longtemps. Je ne comprends pas... et tout arrive en même temps, chouina-t-elle.

— Tout quoi ? questionna Angel toujours calme.

— Je crois qu'il vaut mieux que j'en parle à elle. C'est… honteux.

— Qu'est-ce que tu racontes ? s'impatienta légèrement Faith, peut-être plus choquée par la crainte que l'enfant leur ait menti ou ait trahi leur confiance d'une façon ou d'une autre.

Angel comprenait mais il posa la main sur l'épaule de sa femme pour lui signifier implicitement de se tempérer un peu et qu'il fallait écouter, parce que ça pouvait être important. La petite se livrait si peu...

— Explique-nous mieux. Nous voulons comprendre… En tant que vampire, j'avais une super force moi aussi…

— Non, c'est pas ça. Je dois me marier et fabriquer des enfants maintenant, et je ne veux pas. Le sang des femmes, c'est revenu pour moi… chuchota-t-elle sans les regarder. Et il y a eu les démons qui sont venus à la salle, une voix m'a parlé dans ma tête pour me dire que je devais lâcher le poids sur le pied de celui qui avait des cornes. Et puis après, j'ai pu courir très très vite pour échapper au croqueur de bras, et j'ai presque réussi. Et maintenant, je peux faire ça. J'ai compris quand tu es tombé hier et que je t'ai relevé. Normalement, tu es lourd. Et là, non.

— Hop pop pop ! fit Faith en tapant plusieurs fois ses doigts tendus perpendiculaires sur la paume de l'autre main. Qu'est-ce qui s'est passé pendant que je n'étais pas là ? Une autre embuscade ?

— Non, il n'y a eu personne. On s'ennuyait tranquillement, alors je lui montrais comment j'attrapais les rats… dans la cave. Il y en a des minus. Adorables.

La Tueuse roula des yeux mais ce fut surtout pour considérer Angel en fronçant les sourcils. Il n'aimait guère être couvé en raison de son nouveau statut de « petite chose fragile » et il avait toujours assez d'ego masculin en réserve pour préférer garder pour lui certains trucs qui concernaient sa désormais petite santé…

— Quoi ? se défendit-il. Mais rien… j'ai trébuché sur un truc, on ne va pas en faire tout un plat… Ma vue et ma coordination sont moins bonnes, forcément, ça je le savais…

— Et aussi, il a saigné du nez !

L'interpellé leva les bras en l'air et décocha une œillade qui signifiait clairement « petite cafteuse », pendant que la fillette vidait manifestement tout son sac :

— Et puis aussi, je vois les monstres courbés. Ils sont complètement abominables. Plus que les brucolaques de l'autre fois. Et ils me font très peur ! Ils viennent. On va tous mourir.

— Stop ! cria Faith qui n'était plus d'humeur à endurer les crises de panique. Toi, viens là et frappe-moi. Enfin… essaie.

Thisbé recula, serrant les bras contre elle avec une grimace horrifiée.

— Mais non ! Je ne veux pas faire ça. Tu es folle ?

Faith secoua la tête.

— Souviens-toi, il n'y a pas si longtemps, un client est arrivé en demandant à suivre les cours de boxe. Et qu'est-ce que j'ai fait ? Je lui ai dit de mettre les gants et de monter sur le ring pour que j'évalue son niveau, pour que je sache s'il s'y connaissait un peu, moyen ou beaucoup, ok ? Eh bien là, on n'a plus de salle de sport pour l'instant, mais je veux quand même voir quel est ton niveau de force. C'est ça ou on va à la fête foraine, et on te teste à la mailloche.

— J'aime mieux la fête foraine. C'est plus joli.

— Bah dommage... Il n'y en a pas en ville actuellement ! Allez !

— Je suis capable d'attendre qu'une vienne, je ne suis pas un bébé.

— Hmhmhn, fit Faith, et si les monstres arrivaient avant ?

Thisbé fit la tête, comme à chaque fois qu'elle était piégée dans ses propres contradictions. En boudant, elle alla jusqu'à la crédence carrelée à fleurs pour décrocher les maniques qu'elle enfila soigneusement avant de se mettre en position comme elle l'avait vu faire.

— Je ne suis pas forcément bonne en boxe parce que j'ai vu les gens s'entraîner, hein ?

Avec une remarquable patience qu'elle ne montrait pas souvent, la Tueuse s'abstint de commenter en se contentant d'attendre qu'elle ait fini d'épuiser sa nervosité en bavardant.

— Tu sais, tu ne vas pas me faire mal. Mais j'aimerais que ça ne prenne pas cent sept ans. Parce qu'ensuite, on va aller à l'hôpital pour faire passer un check-up à monsieur, sachant que derrière, j'aurai sûrement une grosse réunion bien glauque qui va durer je ne sais pas combien de temps et il faudra peut-être, sûrement même, que je reparte… Alors essaie de me donner un coup de poing qu'on en finisse.

— Mais…

Angel croisait les bras, adossé à un mur. Il ne pipait pas mais son visage était fermé. Comme Thisbé ne parvenait pas à se mobiliser, trop prise au dépourvu et en conflit avec l'idée même de frapper une bienfaitrice, ce fut ladite bienfaitrice qui fit le geste de lui lancer un crochet. La petite se protégea instinctivement le visage derrière ses deux maniques à carreaux, exactement comme elle l'avait vu faire.

— Ho, tu vas m'en allonger une, oui ?

— Mais c'est pas très équitable. Tu es blessée.

Faith soupira, Angel sourit.

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Cleveland, 5 août 2046

Cueilli au saut du lit ou presque, Robin était arrivé très attendu dans le local défraîchi où il officiait. Le lieu avait le look bien typique d'une association de quartier et se baptisait néanmoins sans honte "salle de gym". Pour peaufiner leur couverture et justifier la présence de jeunes femmes, tous les mardis, il y avait des cours de zumba qui connaissaient un grand succès.

L'Observateur avait volontiers laissé une Willow électrique consulter l'ethernet du Conseil, en découvrant qu'elle avait débarqué à huit heures tapantes, bourrelée d'anxiété. Il avait cédé son petit bureau de bois et était allé dans la pièce d'à-côté, où des personnes attendaient déjà pour le cours de self-défense. Il désirait interroger Petite Tara sur la situation.

La blonde jeune fille avait baissé la tête pour donner quelques explications à voix basse.

— On ne trouve pas Alexa. Maman n'arrive pas à la localiser du tout. Tout le monde a essayé, personne n'y arrive.

— Pardonne-moi mais est-ce qu'il se pourrait qu'elle ait été… tuée pendant cette mission ?

La jeune fille fit la moue pour indiquer qu'elle l'ignorait. Robin connaissait suffisamment les jeunes gens pour avoir travaillé avec. Son instinct lui disait que la petite sœur savait quelque chose, mais Willow était trop bouleversée pour y prêter attention. Tara ne put rien dire de plus parce qu'une exclamation venait de retentir de l'autre côté de la porte du bureau qui était seulement poussée.

— Robin ! Viens vite !

L'Observateur de Cleveland s'exécuta et revint à pas lents dans son bureau avec "Mini Rosie" sur les talons. Les yeux ronds et fixes, Willow faisait défiler les pages sur l'écran tactile transparent avec de grands gestes nerveux. Les commissures de ses lèvres entrouvertes frémissaient légèrement, tandis qu'elle passait en revue dossiers pour les lire en diagonale.

— La sécurité de nos bases de données est compromise ! Non seulement je n'y trouve pas Alexa mais il est indiqué que Kennedy n'est plus affiliée aux Real Avengers. Elle est mentionnée seulement comme retournée au civil, dirigeante de la société privée Deepscan [6] et qu'elle vit en Chine depuis des décennies ! Et en plus… elle serait mariée à une certaine Satsu. Qu'est-ce que ça signifie… ? [7]

Le grand noir plissa les lèvres, croisa les bras et avec une pointe d'humour répondit sobrement :

— Une nouvelle réunion extraordinaire du Conseil ? Ah non c'est vrai, on n'avait pas fini la précédente…

Mais Willow n'était pas spécialement en état d'apprécier même une toute petite pointe de légèreté. Elle appela aussitôt le bureau de New-Beijing où elle demanda Kennedy Dole. On lui répondit que celle-ci était en mission, en demandant de laisser un message. Pour s'identifier, elle répondit qu'elle était sa femme Willow Rosenberg-Dole, que c'était à propos de leur fille Alexandra, et que c'était très urgent.

Et même Robin et Tara entendirent le glapissement qui retentit dans le haut-parleur de son communicateur.

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Notes de l'auteure

[1] Voir When In Rome t.1, chapitre Vampires et wampa

[2] Quand le Buffybot fait remonter la fiche technique d'Angel de sa base de données, elle dit qu'il est "coiffé comme un dessous-de-bras".

Par ailleurs, au chapitre La petite crapule (t.1), on apprend de qui Spike a puisé l'inspiration pour désigner Faith sous le nom de Cocotte. Le vampire sympa de Los Angeles qui avait manifestement vu Le Bon, la brute et le truand.

[3] Autrement dit, une Tueuse sexy.

[4] L'acide acétylsalicylique est beaucoup plus connu sous le nom d'aspirine. Cela fait des années que j'essaie de caser cette infirmière dans une fic.

[5] Je crains que cette manie des surnoms n'ait déteint de Spike sur Angel. Ici, il faut lire entre les lignes: Carol Hathaway (Julianna Margulies) et Doug Ross (George Clooney). A noter que je n'ai retenu "Folamour" pour sa sonorité amusante et pas pour sa similitude de caractère avec le personnage d'un film éponyme.

[6] Tiré des comics. Société employant des ex-Tueuses comme gardes du corps pour des VIP et appartenant effectivement à Kennedy.

[7] Personnage lesbien tiré des comics et originaire de Chine. Satsu et Kennedy n'ont pas ce type de relation en vérité. Deepscan est localisé aux États-Unis. La réalité dépeinte dans les comics se retricote mais on y décèle toujours d'infimes variations.

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