When in Rome

Chapitre 92 : Un pied sous terre

2715 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 20/08/2024 17:25

Chapitre 92 Un pied sous terre

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Florence, le 12 mars 2004

Mon cher Pietro,

Ceci est la quatrième lettre que j'écris. J'espère de tout cœur que tu pourras trouver les précédentes et peut-être les futures.

Vous me manquez tous.

Le pire est de ne pas savoir si vous êtes toujours en vie, ou bien si je ne fais qu'écrire à mes souvenirs dans un journal qui porte ton nom. D'ailleurs, je voulais te dire aussi que j'ai réfléchi et changé d'avis. C'est complètement idiot de te demander de garder ça secret. Si ça se trouve, quelqu'un – qui ne serait pas forcément toi, d'ailleurs – pourrait bien trouver toutes mes lettres dans une seule boîte. Ou la découverte d'une lettre 121 pourrait arriver avant la 46 (je suis optimiste, tu vois)… Si mes proches sont toujours en vie, dis-leur que j'allais bien, à la date indiquée. Je ne suis pas certaine que ce soit d'un grand réconfort ni pour vous, ni pour moi. Je te laisse juge.

Mais passons aux nouvelles. Je suis donc partie de Rome après y avoir passé des semaines douces amères à me sentir finalement plus étrangère que jamais alors que techniquement, j'étais chez moi. Spike m'a dit autrefois quelque chose comme « Ici ou là peu importe. La maison, ce sera toujours là où tu es". C'est trop joli et affreusement romantique pour qu'il ne l'ait pas fauché à quelqu'un. Mais je comprends ce qu'il voulait dire maintenant.

Le couple de la trattoria, ceux qui m'ont aidée, étaient arrivés au bout de leur bail et ils sont partis s'installer dans le Nord pour y ouvrir un autre restaurant. Je ne pensais pas perdre mon travail si vite, j'ai été un peu prise de court. Les nouveaux patrons ne voulaient pas me garder parce que leur affaire démarrait et qu'ils n'avaient pas de quoi me payer. Ils ont bien voulu me dépanner et me laisser tous les pourboires pour que je puisse avoir de quoi finir de payer mon loyer et garder un toit pendant quelques semaines. A quelque chose malheur est bon, je n'ai plus mes kilos en trop avec un repas par jour.

Alors je me suis dit que j'étais bête, qu'Andrew était là et qu'il fallait que j'essaie de me faire embaucher au bureau de Rome comme secrétaire ou archiviste. Ce n'était pas une bonne idée, mais je n'en avais pas d'autre et j'étais aux abois.

J'ai rassemblé mon courage, peaufiné mon histoire, et je suis allée jusque devant chez lui un soir pour lui parler. Devant son immeuble, j'ai reconnu Angel et Spike. Les trouver là tous les deux, alors que je les avais vus à Los Angeles, je ne m'y attendais pas du tout ! J'avais effacé les souvenirs d'Angel après qu'on se soit vus et je me suis demandée si ça n'avait pas marché. Mais comme il était habillé bizarrement, j'ai cru que ceux que j'avais sous les yeux étaient ceux de mon époque, venus me chercher pour me ramener à la maison ! Je me suis mise à courir pour aller leur dire que j'étais là. Angel était en colère, il m'a regardée sans me voir, comme s'il ne me reconnaissait pas, alors je n'ai plus bougé. En fait, il était en train se chamailler avec Spike à propos de ma sœur. Je ne sais pas pourquoi, ils avaient l'air de croire qu'elle était à Rome avec un nouveau petit copain.* J'ai compris qu'ils n'étaient pas ceux que je croyais. Ça m'a remis les idées en place et je me suis enfuie à toute vitesse parce que Spike, lui, pouvait me reconnaître. Je n'avais pas eu le temps de lui faire oublier notre rencontre.

J'ai déménagé pour Florence, ce qui me garantissait de ne pas tomber sur des Observateurs par inadvertance… Ni sur des démons, apparemment. C'est extraordinaire de constater que je n'en ai pas encore vu un seul alors que j'y suis depuis plusieurs semaines. Et pas un seul homicide suspect pour l'instant. Je me demande si ce n'est pas dû à la puissance spirituelle de la cathédrale Sainte Marie. Je vais régulièrement sur son parvis pour tirer le portrait aux touristes et je n'ai jamais été plus sereine et apaisée que dans le périmètre immédiat de ses murs blancs et roses. Cela me fait énormément de bien, car je fais moins de cauchemars que lorsque je suis arrivée à San Francisco.

Mes jambes me font aussi moins souffrir, ou en tous cas, avec une canne, ça peut aller. J'arrive à me débrouiller un peu plus au quotidien, ça me motive. Comme je ne me teins plus, personne ne s'étonne de voir une femme aux cheveux gris qui a du mal à marcher. Mais je dois dire que quand il y a des escaliers, les super jambes de Riley me manquent. Et cette phrase doit avoir l'air très bizarre si tu n'as pas eu la deuxième lettre…

Ici, j'ai trouvé assez facilement un travail tout de suite comme guide touristique bilingue à la Galerie des Offices** car la saison va commencer doucement. Je suis donc à peu près sûre de tenir jusqu'à la fin de l'été. Je tourne aussi sur d'autres musées. Ça me donne l'occasion de nouer des contacts pour espérer trouver un poste pendant la basse saison. J'aurais adoré pouvoir te laisser un indice et une lettre aux Offices mais c'est très surveillé : il y a trop d'œuvres précieuses et donc trop de caméras.

J'ai l'impression que je n'ai fait que te parler d'argent et d'être revenue aux temps de dèche quand ma mère est morte, et pendant « l'absence » de Buffy l'année d'après. Je crois que je mesure combien je n'ai pas assez remercié Andrew de m'avoir mise à l'abri du besoin avec Maya pendant des dizaines d'années. J'espère que je ne vais pas être obligée de ré-épouser un vieil homme riche pour m'en sortir ! (Je plaisante).

Comme tu t'en douteras, ma priorité va plutôt être d'acquérir un bout de terrain à la campagne. Je veux faire construire une mini maison pour ma retraite. Ne ris pas. A cette époque, on la prend vingt ans plus tôt ! Mais c'est normal, sans les réjuvénants, on a l'air gâteux très rapidement et on ne tient pas le rythme dans un corps usé. J'essaierai de te mettre une photo la prochaine fois et j'imagine qu'après un an sans avoir pu en prendre, ça va être une cata…

Bon, j'ai juste le temps de cacheter et de déposer ça à la Poste avant d'aller au travail.

Baci mille, amorino ***

Dawn

PS : Je vais l'écrire tout le temps, pardon si tu l'as déjà lu. Sache que j'ai photocopié mes lettres, au cas où celles que j'envoie au bureau de Rome seraient jetées. J'ai caché les duplis dans les lieux que nous aimions tous les deux. J'irai au moins une fois par an à Rome pour les dissimuler. Cela ne sera sans doute pas nécessaire mais réfléchir à ce jeu de piste occupe mes moments de solitude et m'amuse autant que quand je cachais des œufs de Pâques dans le jardin pour Maya.

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Pietro posa la fine feuille de papier à moitié effacée sur sa cuisse et se passa une main tremblante sur la figure pour essuyer des larmes, restant ainsi à tenter de calmer sa peine. Puis avec un soupir, il sortit son communicateur pour prendre une photo de la lettre. Ensuite, il la replia pour la remettre dans le sac en plastique où elle avait reposé toutes ces années, au fond d'une petite boîte métallique rouillée. Il empocha cette dernière, se leva et ramassa la pelle miniature pleine de terre qui était restée sur le banc près de lui. Devant l'arbre scarifié par les lettres de son prénom, il remit de la terre là où il avait creusé et tassa le tout du talon quand il eut fini.

Un souffle aigrelet s'engouffra dans son cou quand il marcha vite pour regagner la sortie, et il releva son col. Personne ne regardait quand il grimpa à la grille et retomba souplement de l'autre côté : le parc était fermé à cette heure pendant l'hiver. Il n'avait guère d'hésitation sur sa prochaine destination.

Visiter les musées prendrait du temps. Il en aurait, car les troubles semblaient s'être un peu calmés dans les rues. Tout le monde en avait assez des couvre-feux inexplicables imposés par le gouvernement. Les démons aussi, quoique pour d'autres raisons. La semaine passée, Spike les avait gratifiés de ses observations éclairées avec un sourire supérieur. Il avait décrété que les démons étaient tous crétins s'ils n'étaient pas foutus de comprendre qu'il n'était pas dans leur intérêt que leurs proies se méfient et se cachent, qu'il fallait au contraire qu'elles se sentent en sécurité. Il avait noté la réaction de Maya, pendant qu'elle faisait manger Joy. La jeune femme l'avait regardé pensivement, comme si elle avait été sur le point de lui poser une question mais s'était ravisée.

Dès qu'elle en avait l'occasion, elle restait avec ses enfants car les patrouilles incessantes l'en éloignaient trop.

Trouver les trois premiers messages écrits de Dawn aux archives avait rendu Pietro mélancolique. Mais ses proches n'avaient pas le luxe de pouvoir s'affliger de son absence.

Willow non plus. Elle s'était épuisée à envoyer la jeune version de Dawn dans son passé. Au lieu de se reposer, elle supervisait des sorcières sympathisantes pour former des sortes d'escouades de soutien à distance pour les Tueuses très exposées. Pour le moment, elle se refusait à utiliser la magie pour autre chose que des actions de défense et de protection. Elle avait trop de mauvais souvenirs d'elle-même incapable d'endiguer la puissance dont elle s'était gavée sur la Bouche de l'Enfer de Sunnydale.

Mais d'autres voix au Conseil, particulièrement en Extrême-Orient, avançaient que les démons n'avaient pas de scrupules à utiliser tout avantage magique, et que s'en priver mettait inutilement des populations en danger. Ils avaient fait comprendre que, si les Occidentaux avaient des doutes sur leurs capacités à utiliser sainement la magie, ils seraient ravis de proposer l'assistance de moines-sorciers formés au Tao depuis des générations et qui, eux, n'avaient pas le risque de basculer du « côté obscur »...

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La veille, pour se vider l'esprit des débats politiciens où il n'avait pas voix au chapitre – puisqu'il n'était pas Observateur mais simple témoin –, il était venu s'asseoir sur le banc préféré de Dawn dans le parc du Colisée. Ce parc n'avait pourtant rien d'exceptionnel… mais elle l'aimait et il était heureux de pouvoir profiter d'une soirée de libre. Il avait passé quelques minutes à baigner dans ses souvenirs, se demandant si elle était revenue à Rome ou si elle avait préféré s'installer ailleurs, sur la côte adriatique ou dans le Sud. Il voulait s'imprégner du décor car il n'était pas sûr de pouvoir y revenir de sitôt, en raison des troubles générés par les démons en surnombre. Pour y parvenir, il avait décrit mentalement chaque détail, comme on note un rêve de peur que les images ne s'évanouissent trop vite. Sur le tronc plutôt mince de l'arbre le plus proche, il avait distingué dans une esquisse de cœur les lettres à moitié effacées "DIET" ce qui l'avait fait sourire. Quelqu'un avait avoué son amour aux régimes secs.

Il était déjà dans la rue quand il s'était arrêté brusquement. Quelques secondes plus tard, il rebroussait chemin en courant.

En traçant délicatement les contours de la boursouflure sur l'écorce partiellement colonisée par de la mousse, il avait dérangé un insecte dont les élytres offraient un excellent camouflage. En partant, ce dernier avait embarqué un peu de matière végétale, mettant à nu une ligne verticale sous le D.

En reconnaissant alors les premières lettres de son prénom, son cœur s'était mis à cogner fort dans sa poitrine, avant même qu'il ne conscientise l'information. Quelles chances y avait-il pour qu'il trouve son prénom écrit à portée de vue, en un lieu connu d'eux deux et que ce soit une simple coïncidence ? Quelles chances y avait-il pour qu'il n'ait pas envie d'y voir une tentative de communication de Dawn et par-delà le temps ? La fébrilité dévorante qui l'avait envahi lui avait semblé ridicule. Où était l'urgence ? L'arbre était là depuis des années. Y compris toutes les fois où il était déjà venu et où il n'y avait jamais prêté attention…

Le lendemain, il s'était mieux équipé, avec une petite torche, une paire de gants et une pelle de jardinier d'intérieur. Rien ne disait que l'inscription ne valait pas simplement pour ce qu'elle était, bien sûr. Quelque chose comme un « Salut, je pense à toi ». Mais il ne l'imaginait pas se donner tout ce mal pour si peu. Et encore moins avec une sorte de petite flèche qui pointait vers le bas.

Et il avait eu raison. Parce que maintenant, il avait exhumé deux indices avec cette lettre : "leur" restaurant et les musées de Florence.

Tandis qu'il marchait en tenant la précieuse boîte dans sa poche gauche, il ressentait cette sensation de picotement évanescent qu'on éprouve toujours quand on se sent observé. Quelqu'un était tapi dans l'ombre et scrutait le moindre de ses mouvements. D'un geste qu'il voulut le plus naturel possible, il sortit une flasque d'eau bénite dont il avala une lampée, faisant mine d'avoir bu pour se réchauffer. Il tapa dans ses mains et souffla dans ses doigts pour donner le change, avant de leur faire chercher la chaleur dans les poches de son ample manteau. Ses paumes s'arrondirent autour de deux pieux patinés qui s'y trouvaient à demeure. Un bus qui arrivait lui donna l'occasion d'accélérer.

Il n'avait pas envie de se battre, mais s'il y avait un vampire à ses trousses, il n'avait pas l'intention de se faire avoir trop vite. Il voulait vivre pour Joy et pour retrouver Dawn. Gonflé de détermination comme il l'était à cette minute, aucun vampire potentiel ne l'empêcherait de se rendre dans leur restaurant préféré, celui où il avait emmené sa jeune version… Le mot trattoria avait été souligné… c'était là qu'il fallait aller.

En alerte, il jetait des coups d'œil à la dérobée tout en se déplaçant dans le bus, cherchant qui pourrait être suspect parmi les passagers qui montaient. Le bip de son communicateur détourna un instant son attention. Un seul message apparut et il lui contracta brusquement les entrailles.

URGENCE DEFCON 2. REJOINDRE LE QG IMMÉDIATEMENT.

Il pinça les lèvres, pressant les bords acérés de la boîte jusqu'à s'en égratigner les jointures, et bouscula un peu les gens amorphes pour descendre au prochain arrêt où il savait pouvoir trouver un taxi.

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Spike en filature vit nettement la vive tension du jeune homme qui durcissait ses traits quand ce dernier s'engouffra dans une voiture. Tout en le regardant filer, il sortit son communicateur qu'il avait senti vibrer pour trouver le même message d'urgence, suivi d'un autre de sa filleule qui disait :

Maya

C koi 1 turocane ?

Le vampire grinça des dents.

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Notes

* Épisode « The Girl in Question » Angel saison 5. L'intrigue pour les conduire en Italie est bidon, mais les relations entre Angel et Spike valent leur pesant de cacahuètes. Sans parler du fait qu'on a tous cru qu'on allait voir Buffy…

** Il s'agit d'un très célèbre grand musée de Florence.

*** Mille baisers, mon petit amour (mon petit cœur)

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