When in Rome

Chapitre 91 : No pasarán!

4163 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 03/08/2024 22:25

Chapitre 42 No pasarán !

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Les deux humains toujours en vie fixèrent avec stupeur la porte la plus éloignée de leur position pour savoir qui avait parlé. Leur regard insistant fit se retourner l'un des Turok qui n'avaient rien entendu étant donné leur surdité récente. Il n'y avait pas eu d'entrée fracassante. A leur décharge, aucun petit craquement, ni grincement de gonds n'avait trahi la moindre présence aux bien-entendants non plus.

Sa faux personnelle à la main, Rona drapée dans son éternelle salopette secoua ses dreadlocks poivre et sel, en s'assouplissant le cou. Elle siffla avec deux doigts dans la bouche.

Derrière elle, à peine une dizaine des descendantes de Sineya, tous âges confondus, venaient juste d'entrer en formation delta et la mine résolue.

— Ho ! Les Turok-han ! On a un vieux compte à régler ! Vous n'avez pas eu assez d'une première humiliation ? demanda la Tueuse black.

Elle souleva ostensiblement la chaîne épaisse qu'elle portait au cou. Au bout, se balança une conséquente amulette circulaire, constituée d'une énorme gemme claire, facettée pour briller de mille feux et lancer de cruels reflets. Les vampires Turok se consultèrent d'un coup d'œil circonspect. Il y avait peu de chances qu'ils aient une mémoire collective qui leur aurait permis de reconnaître l'Amulette de Champion qui avait drastiquement éclairci leurs rangs sur une autre Bouche de l'Enfer...

Faith n'avait besoin de rien d'autre que cette diversion. Profitant de ces brèves secondes de flottement, elle sortit du rang et s'élança au milieu des vampires primordiaux qui ne semblaient pas l'intéresser. Elle fonça droit devant Amy qui s'accrochait compulsivement à Falkis comme une bernique à son rocher, intensifiant le champ de force qui les protégeait Warren et elle.

— Rends-la moi immédiatement.

— Non !

Derrière elle, la bataille venait de s'engager, mais Faith ne cilla pas.

Du coin de l'œil, Alexandra Dole, vit "la Vénérable" cogner en vain sur le champ de force qui résonna comme un gong. La jeune femme se hâta de planter un Turok-han avec la faux de Rona, la lança à une autre fille à proximité et rejoignit son instructrice favorite. Cette dernière détestait que les jeunes Tueuses l'appellent "Vénérable" pour la faire enrager.

Alexa avait une autre raison de venir lui prêter main forte : elle avait hâte de se mesurer à l'ennemie de sa mère. Pour commencer les présentations, elle décocha un étonnant sort de shurikens lumineux qui effilochèrent la bulle protectrice d'Amy en libérant le passage pour Faith.

— On n'a pas le temps pour tes petits jeux ! déclara celle-ci en récupérant brutalement sa faux. Tu as fait massacrer des innocents rien que pour t'en emparer. Clairement, tu as choisi ton camp, Madison ; et ce n'est pas le bon.

Un Turok-han interrompit la Tueuse aux mèches grises. Quand il se prit une grande entaille en travers du torse pâle et couvert d'ecchymoses, il resta debout mais son sang noirâtre gicla copieusement sur Amy qui se recroquevilla.

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Pour sa part, Warren s'était écarté dès qu'il avait vu Faith récupérer son arme des mains d'Amy, avant de retourner aider ses sœurs sans plus de cérémonie. Rasant les murs ternes sous le regard fiévreux d'Eyghon, il espérait atteindre l'issue non gardée par laquelle le commando des Tueuses était arrivé. Mais une inconnue aux yeux noirs surgit en lui barrant l'accès. D'entrée de jeu, elle lui aplatit son poing sur la figure en lui brisant le nez. Sous le choc, il se cogna au mur en glissant tout du long avant de recevoir un coup de pied dans le ventre.

— Mears, je suis Alexandra Dole-Rosenberg, ni fan de ta carrière, ni de ce que tu as dit de mes mères l'autre fois en Italie. Voyons si tu as le cran de répéter ça devant moi.

— Je… je… bégaya Warren les yeux s'arrondissant de terreur.

C'était davantage parce qu'un vampire aux crocs dégoulinants s'élançait pour frapper la Tueuse dans le dos.

Sans avoir besoin de regarder, celle-ci esquiva d'un économe pas de côté et vint l'attaquer au flanc. Le Turok-han se saisit de son bras armé pour le tordre violemment. Avec une grimace, elle dut lâcher son pieu qui roula aux pieds de Warren. Sous l'indécision, il resta figé. Autour de lui, la férocité s'exacerbait et il n'avait nulle part où se cacher. Dans cette marée mouvante, des corps roulaient, d'autres explosaient en fumée. Des Tueuses qui le détestaient se battaient comme des lionnes face à des raptors avides de se nourrir. Il allait vite apprendre comment prononcer "Damoclès".

De son perchoir, Eyghon les contemplait aussi quoiqu'avec malveillance, en constatant que les filles qui étaient blessées voyaient leurs plaies se recouvrir immédiatement d'une épaisse pellicule ambrée et brillante. Ainsi rafistolées, elles repartaient de plus belle à l'attaque à peine diminuées. Le démon eut beau scruter, il ne put trouver la source de cette inique thaumaturgie.

Un boum sourd à proximité immédiate tira Warren de sa contemplation hébétée, le ramenant à ce qui se passait près de lui. Déjà enivré à l'idée d'absorber un sang plus riche qui décuplerait sa force, le vampire préhistorique toujours après la fille Rosenberg exulta face à sa proie tombée à genoux. Par réflexe, Warren replia ses jambes et éloigna malencontreusement le pieu.

Il se gagna une œillade fulminante de sa propriétaire qui tendit son autre bras en direction du bout de bois. Ce dernier lévita et vint s'enfoncer à pleine vitesse sous l'arcade sourcilière du Turok. Éborgnée, la bête rugit en essayant de retirer l'objet pour le jeter au loin. Ignorant sa propre souffrance, Alexandra libérée de toute emprise, rattrapa son pieu au vol et brisa les côtes de l'Ancien pour transpercer son cœur.

Le vampire resta debout.

Elle marqua le coup avec stupéfaction.

Si les Turok-han pouvaient survivre, même peu de temps, à un pieu dans le cœur, l'issue de leur opération de récupération de Faux se faisait déjà plus incertaine. Le monstre esquissa un rictus arrogant, et puis pencha la tête vers sa poitrine pour constater l'absence de dégâts. Ce fut juste le temps de voir une pointe brillante et dure en sortir. Il explosa, laissant apparaître derrière ses cendres poudreuses, Faith brillant de nombreux pansements de lumière dorée. Celle-ci lança un clin d'œil avant de s'interposer pour accueillir un nouvel ubervamp. Alexa dut admettre que toute Faux dans leurs mains en valait indubitablement la peine.

Mais "Falkis" avait beau être à nouveau à elles, restait encore à nettoyer les lieux. Pourtant des monstres hargneux sortaient toujours de la petite excavation, se bousculant presque les uns les autres. Seule la petitesse de l'ouverture les empêchait de déferler en masse.

Voyant la situation relativement sous contrôle, Alexandra blêmissante se repencha sur Warren, une lueur vengeresse inquiétante dans le regard.

— Revenons à nous… dit-elle tranquillement. La mauvaise nouvelle pour toi, c'est que je suis ton seul rempart contre ces créatures abjectes. Il suffit que je ne lève pas le petit doigt en attendant que lui, lui ou lui, ne se mettent à te saigner à blanc. Tout ce qui arrive là, dit-elle en désignant le champ de bataille confiné, c'est ta responsabilité – certes conjointe – mais ça ne change rien. Il est peut-être temps que tu comprennes ta folie. Je ne suis pas sûre que ces machins te relèveraient en vampire. Ils sont trop méprisants envers les humains.

Comme pour illustrer ce qu'elle venait de dire, elle se releva et siffla fort pour attirer l'attention d'un Turok affamé fraîchement débarqué.

— Eyghon ! implora Warren. Aide-moi ! Nous avons fait ce que tu voulais ! Amy ! Viens ici !

Les yeux brillants, le démon se retourna lentement et baissa le regard vers eux, comme s'il les avait oubliés. Il plongea aussitôt sur Warren et se fondit en lui afin de pouvoir l'extraire plus facilement du carnage.

— C'est vrai. Et… je suis très satisfait ! dit-il par la bouche de son hôte. Amy Madison, j'en ai assez vu. Détruis tout !

Amy acquiesça. Sans demander son reste, elle fit tomber le trompe-l'œil masquant une trappe au sol et se faufila dans l'ouverture pour s'échapper de l'enfer qu'elle venait de créer.

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Ce n'était pas censé se produire, se répétait-elle comme un mantra. Un démon lambda tombant sur ce sceau de craie par hasard, oui. Peut-être deux démons, s'il voyageait avec un copain... Mais ces créatures ? Qu'est-ce qui avait poussé cet escadron enragé à émerger en si grand nombre ?

A force de courir comme une dératée, elle se mit à manquer d'air. Les espaces confinés lui avaient laissé un trauma jamais révélé qui ne s'était pas arrangé en passant toutes ces années emprisonnée vivante dans le cercueil high-tech de l'armée.

Lorsqu'elle avait commencé à ramper dans les ruines de Sunnydale sous des tonnes de roches et de béton instables, allant de poche d'air en poche d'air, malgré ses pouvoirs, elle s'était crue perdue, s'accrochant à un espoir utopique qu'elle "ne pouvait pas mourir comme ça". Puis pendant quelques heures, le spectre de Warren avait nourri cet espoir, avant qu'elle ne réalise qu'il était loin d'être son ange gardien. Galvanisée par une irrépressible envie de vivre, elle avait mobilisé des ressources qu'elle ne soupçonnait pas et qui n'avaient rien à voir avec la magie. A sa surprise, elles lui avaient permis de faire face au vampire qu'elle avait trouvé à l'Expresso Pump.

Mais là, à une dizaine de mètres du grand air, elle se sentait vraiment pour la première fois comme l'Apprenti Sorcier de Disney en mode gore, et écrasée par la réalisation. Est-ce qu'elle avait réussi là un tour de force ? Même pas. Cela n'avait rien à voir avec faire revenir Warren d'entre les morts. Rien à voir non plus avec la conception d'un sort qui ramènerait les Tueuses activées à l'état dormant, et sur lequel elle butait depuis des jours.

Car aucune magie noire ne semblait assez puissante pour outrepasser celle de Gaia. L'esprit de la planète, en admettant qu'il soit corruptible, ne pouvait pas favoriser ce qui pourrait faire advenir sa propre destruction physique. Pour donner satisfaction à Eyghon, il fallait donc biaiser et s'y prendre dans le respect de certaines de ses lois. Le Démon mégalomaniaque ne voulait pas l'entendre, prêt à ouvrir autant de passages interdimensionnels qu'il le faudrait pour augmenter ses troupes, éradiquer l'humanité et rétablir la loi du plus fort. Peu importait pour lui que d'autres démons meurent ou servent de gibier quand il n'y aurait plus ni humains, ni faune à sang chaud. Ce qu'il voulait c'était "le monde aux démons et seulement aux démons", pas d'établir une utopie progressiste parmi eux...

Amy n'avait jusqu'alors pas eu d'idée précise du type d'immigrants qu'il entendait importer. Mais ce qui était sorti de terre était bien pire que tout ce qu'elle avait pu imaginer. En moins de cinq minutes, une petite dizaine d'hommes bâtis comme des camions avaient été littéralement étripés et presque intégralement vidés de leur sang…

Chaque pas la rapprochait du point de sortie tout comme de l'insidieuse vérité qui commençait à infiltrer le terrain pourtant guère fertile de ses doutes. Jusque-là, elle avait trouvé confortable de penser que la destruction de Sunnydale était le fruit d'une gestion négligente des quotas démoniaques en ville. Complètement isolée dans la planque du sorcier Rack, Amy n'avait rien vu de ce qui s'était produit. Mais elle s'était toujours dit qu'il s'agissait certainement pour la Tueuse et sa bande d'un simple dommage collatéral pour lequel ils n'auraient jamais à rendre de compte. Oups, bah désolés pour les dégâts, hein ?

Mais aujourd'hui, alors qu'elle venait de prendre en pleine figure le carnage qu'elle fuyait, une idée qu'elle commençait seulement à pouvoir formuler se mettait à émerger. Et si cela n'avait pas été le fruit d'une maladresse inconséquente, mais un acte délibéré ? S'ils l'avaient fait exprès ?

Oui, oui, oui ! lui criait son instinct. Mille fois oui, si c'était ces bêtes qui à l'époque avaient voulu envahir le monde. Alors soudain tout prenait un autre sens à mesure qu'un voile se déchirait sous ses yeux.

Elle entendait des pas résonner derrière elle. Comment avaient-ils pu la retrouver aussi vite ? La porte était là, toute proche : elle le savait pour avoir appris par cœur le plan des niveaux inférieurs et le chemin tortueux pour y parvenir.

Ils l'avaient fait exprès. Et cette certitude croissante venue d'on ne sait où, ne déclenchait aucune haine en elle, mais un suffoquant sentiment de pitié. Ils devaient savoir qu'ils allaient sombrer avec le navire. Leur petite bande infecte avait organisé à l'insu de tous un commando suicide avec un seul mot d'ordre désespéré : No pasaràn!

Son cœur cognait comme un fou dans sa poitrine en comprenant qu'il n'y avait pas eu d'autre solution. Et qu'elle aussi allait devoir fermer le passage vers l'Enfer qu'elle avait bêtement ouvert. Aucune de ces créatures ne devait remonter de cette cave, sous aucun prétexte. Pour la première fois, elle réalisa qu'elle avait envie d'obéir sans aucune réticence aux ordres d'Eyghon. Tous devaient mourir là-dessous. Hélas même les Tueuses qui se battaient encore pour les endiguer.

Son cas de conscience ne dura guère. Peu importait qu'elles y restent. C'était leur destin : les Tueuses étaient vouées à mourir en protégeant le monde.

Elle enclencha à distance le minuteur couplé à la petite charge invisible logée sous la coque du percuteur. Le sang unique d'une petite fille fermerait l'ouverture de cette dimension démoniaque, et le matériau expansif sous pression allait tout recouvrir et se solidifier en quelques secondes. Du moins, c'était ce qu'avait assuré le gérant du magasin californien lui ayant vendu de la bave d'arthropode géant.

Dans cinq minutes, le monde serait sauvé.

Le cœur au bord des lèvres, elle ahanait en accélérant au tournant. La porte était là… Elle se jeta dessus avec un immense soulagement. Ses doigts fébriles tâtonnèrent pour trouver la poignée. Quand elle tira dessus, elle prit conscience simultanément que son plan comportait en réalité trois problèmes. Un, cette porte n'aurait jamais dû être là. Deux, elle était bloquée. Et trois, si elle ne réussissait pas à l'ouvrir, elle allait mourir aussi avec toutes celles qu'elle entendait sacrifier.

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Lancée aux trousses d'Amy depuis qu'elle l'avait vue s'éclipser, Alexandra comptait sur son agilité, sa vitesse, sa condition physique spécifique, et sa réceptivité à la magie pour la pister. Sans pouvoir s'enorgueillir du fait, la jeune femme était la Tueuse parfaite. La moralité studieuse de Kendra, l'endurance de Kennedy, la pugnacité de Faith… et ses talents naturels de sorcière patiemment transcendés et polis par Willow.

Une part de son esprit était restée en haut auprès de ses consœurs, et priait pour l'éradication des "Turok-han", comme Rona et Faith les avait désignés. Mais comment se faisait-il que l'existence de ces monstruosités n'ait jamais été abordée en cours ?

Dans le boyau de service où elle avançait à demi-courbée, elle s'exhorta à rester calme et à vider son esprit de tout ce qui n'était pas ici et maintenant, malgré les élancements dans son articulation meurtrie. Bien lui en prit. Elle vit un sort ricocher sur les murs et s'aplatit au sol pour l'éviter. Impavide et concentrée, elle continua d'avancer presque accroupie. Madison pouvait lui envoyer tous les maléfices qu'elle voulait. Pour sa part, elle n'était pas fatiguée ni coincée dans un cul de sac…

De là où elle était, elle entendit des coups répétés tout proches et sut qu'elle était presque arrivée. Se tenant le bras pour envoyer des ondes de chaleurs apaisantes sur ses ligaments, elle continua sa progression, prête à bondir dès son arrivée. Par jeu, juste avant d'investir les lieux, elle claqua des doigts pour un sort mineur qui éteignit l'éclairage opalescent créé par Amy. Le brusque obscurcissement lui permit de faire une entrée furtive. Madison écarquillait les yeux, impuissante à rallumer ses sources de lumière sans comprendre pourquoi. Elle avait l'air terrifiée, pensant sans doute qu'il s'agissait des abominations qui étaient sur ses talons.

Elle avait l'air si peu impressionnante en cette minute, celle qui se voulait l'égale de sa maman Will… Les commissures des lèvres d'Alexa se soulevèrent lentement. Showtime ! pensa-t-elle en élevant la voix dans le noir. Ses mots s'écoulèrent, veloutés et hypnotiques.

— Je sais bien que c'était toi qui lançais ces attaques de lâche contre ma mère et ma sœur. Ce n'était pas une bonne idée.

— Ah, s'étrangla la sorcière avec un soulagement audible. Tu es donc l'autre fille de Willow… Enchantée. Je suis celle que ta mère a corrompue et abandonnée aux mains d'un sorcier noir avant de s'en aller détruire le monde au nom de Proserpexa.

— Oh, ne me refais pas l'histoire. Ma mère t'a gardée et nourrie pendant des années dans ta petite cage, Amy le rat. Crois-moi quand je te dis qu'elle ne m'a épargné aucun détail de ce qui s'est passé entre vous. Ni de ce que tu as fait, ni de ce qu'elle a fait. Je m'en serais bien passée mais elle en a tiré une bonne demi-douzaine de leçons que j'ai pourtant écoutées avec grande attention.

— Elle ne t'a pas tout dit.

Alexa soupira.

— Non, reprit-elle d'une voix douce. C'est moi qui n'ai pas tout dit. Pendant que vous étiez occupées toutes les deux quand tu manipulais les Golems à Rio, j'observais en donnant le change sur le terrain. Quand je dis que tu as eu tort d'attaquer mes proches, c'est parce que tu te croyais devenue si puissante que tu ne t'es pas protégée. En soignant ma mère, j'ai vu la nature de ce que tu lui avais infligé et comment tu t'y étais pris, et ce que tu as sacrifié pour cela. La magie, c'est donnant-donnant. Tu prends, tu perds. Tu donnes, tu reçois. Que dirais-tu de recevoir maintenant un petit aperçu de ce que tu lui as donné ? demanda-t-elle en faisant apparaître une sphère noire et rouge crépitante dans sa main.

Amy recula en serrant les dents devant ce visage parfaitement lisse qui ne laissait transparaître aucune émotion particulière. Une aptitude que Warren lui avait déjà reprochée en la désignant comme « flippante ». Comment cette fille pouvait-elle avoir le pouvoir de Dark Will au bout des doigts sans qu'il ait été perceptible dans l'éther ? Une puissante sorcière diabolique, c'était comme un trou noir déformant le cosmos de la Magie. La mini Rosenberg expliqua obligeamment avec un petit sourire en coin.

— Ça tu vois, ce n'est pas à moi. C'est juste un tout petit condensé de ta propre énergie, un simple fragment. Je l'ai capturé tout à l'heure, pendant que tu te focalisais exclusivement sur la tâche consistant à ouvrir un foutu sceau secondaire dans cette foutue ville. Ne le prends pas mal : tout le monde te sous-estime. Mais pas moi. Ta mère était déjà une sorcière quand elle t'a conçue, c'est donc passé dans tes gènes. D'ordinaire, tu es intelligente et, comme tu es bosseuse, tu peux parvenir à des résultats assez remarquables. En plus, tu as eu des années pour développer certaines aptitudes alors que tu étais confinée dans ton caisson de stase. Tu devrais être une très grande sorcière, Amy. Mais ce que tu as fait là, c'est extraordinairement stupide. Comment as-tu pu utiliser une Faux imprégnée de magie et de l'essence de sa propriétaire sans te douter qu'elle allait pouvoir la tracer sans difficulté ? A moins que cela n'ait été ton plan depuis le début pour nous attirer, je ne comprends pas…

— Bla bla bla, petite princesse poseuse et donneuse de leçons ! Tu te crois meilleure que les autres. C'est de famille, manifestement.

— Non, je ne le crois pas. Je le suis. Ce n'est pas de la vanité. J'ai vécu dans un bon environnement, équilibré et encadré. Chacun de mes faux-pas m'a été expliqué. Et malheureusement, ça n'a pas été ton cas. Toute ta perception de la magie a été polluée par ce que t'a fait subir ta gentille petite maman… Et en voilà la preuve indéniable, dit-elle en faisant léviter la sphère. Tu vois comme elle rougeoie ? C'est toi qui lui donnes cette couleur et ces nervures noires…

— Alors je peux reprendre ce qui est à moi à tout instant, déclara Amy en retrouvant confiance.

Alexa hocha la tête en laissant la sphère flotter au-dessus de sa main tendue en un geste d'offrande.

— Vas-y. Reprends-la.

Amy Madison resta un instant interdite, elle n'était pas si stupide que l'autre le pensait. La fille de Willow ne comprenait simplement pas ce que c'était de devoir survivre en négociant entre des forces hostiles. Son « environnement encadré » ne l'avait pas préparée à cela. Mais ce comportement n'était pas normal et sentait le piège à plein nez.

— Allez. Tu n'as plus beaucoup de temps devant toi. Il te faudra de quoi te battre contre ceux qui sont en train d'arriver… Et tu comprendras bien que je ne pourrai pas t'aider. Pas avec tes tentatives de meurtre sur ma famille. C'est ta seule chance de survivre face à eux. Pourquoi hésites-tu soudain ?

La boule changea de couleur. Alexa ferma le poing dessus en s'approchant pour la lui amener, posant une main sur son épaule. Avec ce geste, toutes les alarmes d'Amy se mirent à sonner intérieurement. Du bruit résonnait dans le couloir.

— Ils arrivent, chuchota la jeune femme à son oreille avec une fausse innocence.

Irrationnellement, Amy secoua la tête et se recula en cherchant à s'échapper sa prise de fer qui la maintenait sur place, les yeux rivés sur la sphère noircie qui lui faisait soudainement aussi horreur que les abominations qui venaient pour la tuer. Regardant partout autour d'elle à la recherche de la moindre chose qui pourrait l'aider, elle se recula jusqu'à buter contre la porte verrouillée.

— C'est désagréable de se voir tel qu'on est sans pouvoir se mentir, hein, Amy ? Cette chose noire et apeurée qui palpite dans sa prison de verre, c'est une partie de ton âme. Tiens, retour à l'envoyeur !

D'une poussée implacable, Alexandra appuya la sphère sous le sternum de l'autre sorcière comme pour la lui enfoncer dans l'estomac.

Le gémissement de douleur qui s'ensuivit augmenta la rumeur et les grognements provenant du couloir. Amy réagit en repoussant l'autre de toutes ses forces avant de s'enfermer dans un champ de force. Mais quand elle pencha la tête, elle vit que la boule était toujours collée à elle, dégoulinant et s'étalant jusqu'à lui grignoter la surface de la peau du ventre.

— Mais qu'as-tu fait ? Sale peste !

— Rien du tout. Cette chose crépitante de colère et poisseuse de ténèbres, tu as dit pouvoir la reprendre à tout instant. C'est parfaitement vrai. Mais vois le bon côté des cho…

La fille de Willow s'interrompit brusquement. Pendant une seconde, elle posa les yeux avec curiosité ses mains fines qu'elle utilisait pour souligner son propos. En une seconde, elles étaient passées de très blanches à translucides. Et la seconde d'après, la plus accomplie des Tueuses européennes s'était évaporée.

Complètement sidérée, Amy resta la bouche ouverte. Elle n'avait pas la moindre idée de la façon dont cette gamine s'y était prise pour réussir ce tour, la laissant prise au piège et abandonnée à son sort.

Un monstre pâle fit irruption dans la pièce avec une inspiration sifflante rauque. La tête penchée, il sembla dubitatif un instant en la voyant. Un tout petit instant seulement.

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