When in Rome

Chapitre 89 : Et la vérité vous affranchira

4835 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 30/06/2024 21:49

Chapitre 89 Et la vérité vous affranchira



Californie, 5 octobre 2003

Après un adieu silencieux à Spike, Dawn avait entraîné sa moitié d'Eucaryote dans un vortex plat, le déposant pile devant la prison militaire de la frontière mexicaine, bien en face des caméras de surveillance… avant de s'enfuir en s'éclipsant aussi vite que possible par le même moyen.

Elle avait utilisé son dernier reste d'énergie pour faire ce voyage « quantique » et s'effondrer devant la porte de la maison où vivait la femme de Riley. Celle-ci, ayant entendu du bruit, avait sorti son arme de service, l'avait coincée dans la ceinture de son jogging distendu par son ventre arrondi. Puis, une batte à la main, elle était allée ouvrir prudemment… pour trouver Dawn assise les yeux grands ouverts à côté de son seuil. Elle avait enregistré immédiatement son teint pâle, la main qui avait doublé de volume, sa difficulté à marcher et l'avait aidée à entrer.

Sam avait dû pratiquer un examen physique complet avant d'appeler un médecin car elle avait tout de même besoin de savoir s'il ne fallait pas plutôt l'emmener aux urgences. L'exosquelette prêté par son mari avait dû être enlevé avec précaution et remisé avant l'arrivée d'un praticien. Dawn avait peur de sa réponse. Comment s'en sortirait-elle quand elle devrait donner son identité ? Sa carte d'assurance médicale ? Le médecin de garde avait décrété que sa petite blessure à la jambe n'était pas sérieuse mais que sa main l'inquiétait davantage. Si des os étaient cassés, il fallait le savoir et immobiliser.

Dawn avait un peu honte de s'en être étonnée mais Sam avait été merveilleuse, naturellement secourable, alors qu'elle ne la connaissait pas du tout. Elle l'avait conduite, avait payé pour ses frais médicaux, avait attendu avec elle dans la salle d'attente et pendant l'examen et la radiographie. Dawn avait supposé qu'elle le faisait parce qu'elle était plus que reconnaissante d'avoir pu rencontrer son mari finalement grâce à eux. Mais Interrogée durant la longue attente, Sam l'avait détrompée.

— Non, je sais seulement que Rye avait confiance en vous. C'est Maggie Walsh qui s'est servie de lui et de son unité. Je sais qu'il ne le pense pas, mais rencontrer Buffy Summers l'a sauvé de la mort certaine que lui promettait Walsh en faisant de lui un cobaye. Je vous suis reconnaissante parce que vous étiez là. Vous ne l'avez pas abandonné quand il pensait avoir tout perdu, sa carrière, sa petite-amie, ses illusions… Au final, il est revenu dans l'Armée et après avoir été débriefé, il s'est servi de tout ce qu'il a appris auprès de vous, pour former des gens comme moi. Cet entraînement a sauvé la vie de nombreux hommes et femmes qui font notre travail. C'est normal que je vous aide.

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Après quelques heures de repos et un beau plâtre neuf, Dawn avait décidé de recontacter le patron de Wolfram et Hart en toute discrétion en lui adressant une invitation à se voir en privé – officiellement pour s'excuser des dégâts occasionnés. La décision ne s'était pas prise sans tourment. Le seul moyen d'y aller vite et pas cher, c'était de se zapper entre la maison de Sam Finn et le bureau d'Angel. Elle ne pouvait pas demander à la femme de Riley de la conduire partout. Elle avait des cours à suivre. Pourtant Dawn avait l'impression de se sentir chaque fois plus fatiguée en utilisant cette technique et d'avoir besoin de toujours plus de repos. Pour la première fois, elle s'était demandé s'il existait un quelconque danger pour sa santé ou si elle avait droit sans le savoir à un nombre de voyages limités. Peut-être que c'était « juste » selon les lois naturelles. Peut-être que comme Willow autrefois, elle usait de cet avantage tant et plus, par facilité. Depuis quarante-huit heures, elle avait ouvert quatre portails, il lui en faudrait un autre pour retourner voir Angel et un autre pour revenir. Était-ce trop ?

Se promettant que ce serait la dernière fois avant longtemps, elle s'y était rendue aux petites heures du matin à dessein, souhaitant croiser le moins de monde possible. Et surtout pas Spike.

Dawn était commodément apparue directement dans le bureau d'Angel. Pour elle, c'était à peine plus compliqué que de mettre un signet sur une page. Elle était déjà venue, elle pouvait y retourner.

Une fois là, elle constata pourtant bien vite que tout était presque revenu à la normale, balayé et propre. Mais en fait de « calme », des ouvriers remontaient des cloisons et changeaient la moquette, tandis qu'Harmony supervisait le retour d'un nouveau mobilier et de grosses plantes vertes. Cette petite agitation lui convenait également bien pour masquer son arrivée. S'il avait été surpris de la trouver là tout d'un coup, Angel n'en avait rien montré.

Elle prit place sur le gros fauteuil inconfortable qu'il lui offrait puisqu'il n'y avait rien d'autre, sa main plâtrée posée bien à plat sur l'accoudoir.

— Contente de voir que vous vous en êtes sorti. Il est où le vôtre ? s'enquit-elle poliment en faisant référence à Mitose-I.

— Balancé sur Quor'toth. Il s'acclimatera très bien, déclara-t-il avec une satisfaction non dissimulée. Vous parlez parfaitement anglais finalement et quasiment sans accent.

— Oui. C'est pour ma couverture. Je suis là incognito et ainsi tout le monde pourra attester que je suis Italienne, si jamais on vous pose des questions.

— Qui pourrait m'en poser ?

— D'autres Observateurs et je ne veux pas vous placer dans l'embarras. Je n'ai rien contre vous. Autrefois, je sais que vous avez été d'une aide précieuse pour Rupert Giles lorsqu'il entraînait Buffy Summers.

— Autrefois ?

— Pardon « naguère ». Je mélange un peu les mots.

— Pourquoi êtes-vous revenue ?

Elle s'était préparée à cette question. Le plus simple était de réitérer le souhait de rencontrer Wesley, mais puisqu'il n'était toujours pas là, elle devait se résigner à faire sans.

— Allons, insista Angel, malgré tout reconnaissant de l'aide qu'elle lui avait apportée. Il va revenir et j'ai de quoi noter. Je lui fais passer le message et il vous recontacte. Il sera peut-être heureux de voir une Observatrice qui le considère encore un peu. Allez-y, dites-moi.

Céder à sa requête fort raisonnable, cela revenait à embarrasser Sam Finn de sa présence encore quinze jours. Elle aurait mieux aimé inverser les rôles et pouvoir aider la future mère plutôt que se faire dorloter par elle.

À cause de son expérience avec Spike, elle estima que cela lui avait servi de leçon : elle déballa tout. Mentir à un vampire doté d'une âme ne l'avait pas aidée jusqu'à présent, alors avec celui-là, autant changer radicalement de tactique. En commençant par la raison pour laquelle elle avait aussi besoin de lui personnellement.

— Angel, je vais commencer par la fin de l'histoire pour aller droit au but. J'ai besoin de vous parce que je sais que vous avez recours à des faussaires pour fabriquer de nouvelles identités. Et j'aimerais que vous puissiez me rendre ce très grand service. Ensuite, vous n'entendrez plus jamais parler de moi. La seule chose que je désire, c'est pouvoir sortir du territoire et me rendre en Europe pour m'y faire oublier.

Il haussa des sourcils étonnés, tentant d'imaginer ce qu'elle aurait bien pu faire de si terrible.

— Laquelle de leurs règles avez-vous enfreinte ? Utiliser votre pouvoir contre eux ? Ne pas vous en servir comme ils auraient voulu que vous le fassiez ?

Il connaissait bien les anciens Observateurs. Sur ses lèvres, elle laissa flotter un sourire heureux qui le désarçonna un peu. Comment aurait-il pu savoir qu'il lui manquait tout autant que les autres ?

— Rien de cette sorte. Je sais qu'il y a un collègue à Cleveland mais ce n'est pas la porte à côté. En plus des papiers, j'aurais besoin que vous me prêtiez un peu d'argent que je vous rembourserai au plus vite. J'ai été enlevée et larguée en Amérique contre mon gré je n'ai que ce que je porte sur moi, aucune preuve de mon identité. Et si j'en avais une, cela poserait de gros problèmes.

— De quel genre et à qui ?

Elle soupira et le regarda un instant dans les yeux, suffisamment longtemps pour qu'il se sente un peu troublé par ce regard direct.

— À tous les anciens de Sunnydale… Parce que mon nom de jeune fille est Dawn Summers, j'ai cinquante-cinq ans et il y en a déjà une ici en Californie qui est en première année d'université.

Angel écarquilla les yeux avant d'exhaler une courte expiration stupéfaite qui l'amusa.

— D'accord… Et pourquoi je devrais croire ça ? Vous ne lui ressemblez pas du tout !

Elle pinça les lèvres en une moue faussement dépitée, grommelant entre ses dents que tout le monde ne pouvait pas rester jeune et beau éternellement.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire…

— Alors quoi ?

Il plissa les yeux en cherchant ses mots avec une petite grimace contrite.

— Dawn est moins… Oh pour être franc, je ne sais pas comment est Dawn maintenant, car je n'ai fait que l'entrapercevoir les deux ou trois fois où je suis revenu à Sunnydale. Mais vous, vous êtes indéniablement plus… plus sombre que ce que je pourrais imaginer. Vous sentez la souffrance.

Elle agita son plâtre maladroitement en roulant les yeux, ce qui le troubla encore car là, vraiment, ça ressemblait à Dawn.

— Ce n'est toujours pas ce que je voulais dire…

— Ok, ce n'est pas grave. Voulez-vous m'aider ou devrai-je me tourner vers d'autres anciens amis de Buffy ?

— Vous avez perdu des gens, poursuivit-il en essayant toujours de la cerner. Beaucoup ?

— En quoi est-ce important ?

— C'est important parce que vous dites être Dawn, mais… si vous ne l'étiez pas ? Vous apparaissez, comme ça, avec cette histoire incroyable, juste au moment où j'apprends qu'elle est en Italie et, oh surprise, vous me demandez mon aide pour vous y rendre. Vous la cherchez ?

— Pas du tout. Je veux simplement rentrer dans mon pays et comprendre qui m'a fait ça et pourquoi. Vous n'avez pas l'air convaincu…

— Mettez-vous à ma place. Buffy et moi, nous ne nous parlons plus, mais ça ne veut pas dire que je vais lui envoyer délibérément une inconnue, une sorcière dotée de pouvoirs non-humains qui affirme beaucoup, sans être en mesure de prouver quoi que ce soit.

Dawn fit la moue tout en hochant la tête pour montrer qu'elle entendait son argument.

— Écoutez, je ne suis pas une sorcière, si je l'étais, je me serais déjà rétablie. Je pourrais vous dire que mon envie de retourner en Europe n'a rien à voir avec Buffy mais c'est plus compliqué que ça. J'y vais parce que j'y habite et j'y habite parce que je suis venue avec Giles et Buffy pour des vacances et que je suis tombée amoureuse de ce pays. Je ne peux pas tenter de vous convaincre grâce à des choses qui ne sont pas encore arrivées et, comme vous le savez, de votre point de vue, vous avez quitté ma sœur il y a trois ans, environ.

— Quatre.

— Ah ? Bon, si vous le dites. Est-ce que vous croyez qu'à mon âge je vais me souvenir de choses qui se sont passées quand j'avais onze ou douze ans ? Je vais être plus claire sur mes motivations. Je ne veux pas rejoindre Buffy mais bien partir d'ici où je suis en doublon, où vous êtes, où Spike est. Je me connais, je ne vais pas pouvoir rester là à me regarder faire des erreurs stupides qui vont conduire à ces souffrances que vous percevez. Ce ne serait pas plus facile de rester stoïque… Et vous regarder Spike et vous, vous comporter comme des idiots sans devoir lever le petit doigt, je ne saurais pas faire ça. Alors quitte à aller quelque part qui soit loin d'ici, je préférerais là où je vis, et retirée. Spike m'a suivie toute la soirée. Il sent qu'il y a quelque chose de bizarre à mon propos, mais il n'a pas encore compris quoi. J'ai passé plus de temps dans sa crypte que je n'aurais dû et on a vécu un an sous le même toit. Il ne va pas lâcher l'affaire, il a trop besoin de croire en quelque chose maintenant...

— Vous ne lui avez donc pas dit qui vous étiez ?

— Non. A quoi bon ? Et je préfère vous savoir concentrés.

— Vous insinuez que vous pourriez nous déconcentrer ?

— Je n'insinue rien, je le vois. Vous ne réalisez donc pas que vous portez votre visage de vampire depuis que je vous ai dit qui j'étais ? Je ne suis pas une menace. Je ne veux rien de mal. Mais il y a quelque chose chez moi qui vous irrite d'instinct. Raison de plus pour ne pas m'éterniser dans le coin.

Angel toucha sa joue, déplissa son front et se croisa les bras en secouant la tête pour la détromper.

— Moi je trouverais ça très pratique de connaître quelqu'un qui a trente ans d'avance sur ce qui va se jouer.

— Vous voulez les numéros du Loto ? Désolée, je n'ai pas été parachutée ici avec l'Almanach des Sports, hein ? [1]

— Vous pourriez travailler pour moi…

— Bosser chez Wolfram et Hart ? Jamais ! Je ne sais pas comment vous y arrivez, et ça ne me plait pas du tout que vous le puissiez, mais c'est votre choix. Pour ma part, ce sera non.

— Dommage. Des tas de vies pourraient être sauvées si vous me disiez où regarder.

— Vous voulez dire, comme le faisaient Doyle et Cordelia quand vous aviez encore l'intention de suivre un chemin de rédemption ?

Elle porta la main à sa bouche comme pour ravaler ses paroles. Il fronça les sourcils et serra les dents en la regardant fixement pendant de longues secondes.

— Je suis désolée, ajouta-t-elle précipitamment. Je n'aurais pas dû vous dire ça. Je crois… que j'ai assez abusé de votre temps, je vais y aller.

Avec un peu d'amertume, elle soupira lentement en fermant les yeux. Si jamais il avait pu y avoir la moindre sympathie qui commençait à émerger entre eux, elle venait de la faire voler en éclats.

— Est-ce que dans le futur, je vous ai fait du mal ? Vous avez une raison de m'en vouloir ?

Elle secoua la tête tristement, l'œil embué.

— Non, pas du tout. Vous êtes l'un de mes plus fidèles amis et le parrain de mon enfant…

Il masqua son étonnement sous un petit rictus entendu. Elle se leva pour lui tendre maladroitement sa main valide.

— Alors qu'est-ce qui pourrait vous convaincre de rester et de m'aider ? Quel serait votre prix ?

— Trop cher pour vous, je le crains.

Avec un sourire hésitant, elle lui rendit une poignée de main qu'il trouva très formelle. Pourquoi, est-ce qu'ils en étaient là soudain ? Ils avaient combattu un Eucaryote ensemble tout de même ! Ce n'était pas rien…

— Dites quand même.

Ses yeux n'y croyaient pas quand elle répondit par une question qui resta en suspens entre eux :

— Vous seriez prêt à quitter Wolfram et arrêter d'agir dans le camp du Mal ?

Non, il ne l'était pas.

Et il ne le serait pas avant d'avoir à nouveau touché le fond, avant d'avoir intimement compris que son âme n'était pas un fardeau mais un phare. Et compris qu'en avoir une ne signifiait pas qu'elle était incorruptible pour autant... Rien dans ce processus délicat qui l'attendait ne pouvait être hâté. Tous les collègues Observateurs peigne-culs binaires et moralisateurs de 2046 le savaient grâce à lui...

Le moment commençait à devenir gênant, mais on frappa à la porte toute neuve. La frimousse joyeuse d'Harmony se montra dans l'ouverture.

— Patron, j'ai récupéré tous vos dossiers, ils sont remis en ordre, les voici. Et j'ai posté votre courrier.

— Mon courrier ? releva-t-il, bien certain ne n'avoir pas eu le temps d'en faire.

— Oui, la grande enveloppe que j'ai trouvée sous votre bureau. Elle avait dû glisser…

— Quelle enveloppe ?

— Mais celle qui allait au bureau de Rome ! En Italie, précisa-t-elle en le voyant sans réaction. J'ai mis un max de timbres ! [2]

Du coin de l'œil, il vit Dawn baisser la tête et devina que c'était elle qui avait envoyé des informations à quelqu'un là-bas. Après avoir congédié Harmony, une fois de nouveau seuls, il la regarda sans parler un petit moment, en se disant que ce n'était peut-être pas un bon calcul de l'accuser, alors que cette femme apportait deux bonnes nouvelles : presque au mitan du siècle, il serait toujours en vie et en plus, il aurait des amis. Il se racla la gorge.

— Vous vous en allez alors ?

— Eh bien oui. Je ne souscris pas à vos conditions et vous ne souscrivez pas aux miennes. J'imagine que ça signifie que l'entrevue est terminée…

Déçu qu'elle ne cherche pas à argumenter ou le faire changer d'avis, il la considéra avec perplexité quand elle lui conseilla d'être « prudent avec le dragon » [3] et disparut aussi vite que si elle était passée en vitesse lumière.

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Avec un timing remarquable dont il pouvait avoir le secret, Spike fit irruption dans le bureau à grands pas, jetant des regards inquisiteurs tout autour de la pièce pour en fouiller inutilement les recoins. Ne tenant pas en place, il vibrait d'une énergie impatiente, arpentant les quelques mètres carrés comme un lion en cage. En le voyant aussi souvent en rogne, Angel se fit la réflexion qu'il allait devoir se trouver une copine parce que là, ça ne pouvait plus durer...

— À qui tu parlais ?

— À personne. Je réfléchissais tout haut.

— À d'autres. Elle était là, pas vrai ? Hot Mommy… Je veux dire l'Observatrice.

— Tu vois bien qu'il n'y a personne…

— Si elle était là ! Elle était en vie ? La mocheté ne l'a pas eue ?

— Pourquoi ça t'inquiète ?

L'œil fulminant, Spike serra les dents et ressortit en claquant la porte. Elle tint bon.

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Le vampire agacé continuait à faire les cent pas dehors et cria pour décharger sa frustration sous les yeux de la secrétaire embarrassée.

— Blondie Bear ? dit-elle en s'approchant presque timidement pour lui toucher le bras.

— Harm, il y a quelqu'un qui est entré dans ce bureau pour voir Angel ?

— Je n'ai vu personne entrer. Mais la femme d'hier, celle qui a combattu avec lui – enfin aidé avec le truc qui nous a attaqués – elle discutait avec il y a une minute…

— Mais je vais le tuer ! promit-il en se ruant de nouveau dans le bureau de son aîné.

Choquée, Harmony réagit aussitôt et s'agrippa à lui pour le retenir. Elle changea prestement de visage à son tour, ôta un escarpin rose et se mit à lui taper dessus en utilisant le talon pointu.

— Non, non, non ! Tu ne le tues pas ! Hors de question que je perde mon travail à cause de toi !

— Angel, rugit-il à moitié en la traînant à l'intérieur. Harm vient de me dire qu'elle était là ! Pourquoi elle est partie ? Qu'est-ce que tu lui as dit ?

— Que je voulais lui filer un job, répondit-il calmement. Elle a refusé. Harmony, tu peux disposer.

— Mais pourquoi t'as fait ça ?

Ennuyé par cette conversation et par l'état fébrile de son congénère, Angel cessa de le regarder et se saisit d'un classeur gisant sur sa table pour recommencer à le compulser comme il le faisait avant de recevoir cette… Donatella Galardi.

— Parce qu'elle me demandait des papiers et de l'argent. J'ai trouvé plus simple de lui proposer un boulot. Wes a besoin d'aide... En tant qu'employée, elle aurait eu, et le passeport, et le salaire qui lui permettaient de voyager.

— Ha ! Mais t'as vu où on est ici ? Tu pensais vraiment qu'elle allait accepter ? Elle a dit où elle allait ?

— Non. Je pense qu'elle n'avait pas que moi sur sa liste. Elle n'a pas cherché à me faire changer d'avis ou négocier. J'ai trouvé ça étrange car j'étais prêt à le faire… Elle est venue, elle est repartie, fin de l'histoire.

— Alors tu ne sais rien du tout d'utile ?

Angel secoua la tête en clignant des yeux, reposa le rapport qu'il ne parvenait pas à lire, se frotta le visage et le regarda en soupirant avec une fausse patience.

— Rien d'utile à quel propos ?

— Mais pour la retrouver !

— Pourquoi j'aurais dû ?

— Mais tu ne te souviens pas ? Ce que tu m'as dit hier… à propos de son sang ? Je croyais que tu allais faire des recherches.

— J'ai dit un truc à propos de sang ? L'Eucaryote m'a tapé sur le crâne plus fort que je croyais.

— Mais si… tu as dit qu'elle avait un sang spécial.

— Ah bon ? Ça a dû me sortir de la tête. J'ai surtout pensé à dégager ce truc du hall d'entrée.

— Et alors tu ne l'as pas aidée du tout ? Moi j'ai merdé mais je pensais que tu rattraperais le coup…

— Aider qui ?

— Mais l'Observatrice ! Joue pas au plus malin ! Je suis pas d'humeur !

— Quelle Observatrice ? Tu veux dire l'Italienne bizarre qui est venue l'autre fois ?

— Tu me fais marcher ? Pas « l'autre fois » : hier et juste à l'instant ! Une bombe brune… Yeux bleus… avec des gros s…

— Spike ! Je comprends très bien que tu n'aies rien à faire de ta journée et que tu cherches des distractions mais ce n'est pas mon cas. Maintenant dégage. Va emmerder quelqu'un d'autre. Je n'ai rien de plus à te dire, je ne sais pas de quoi tu me parles.

— Quoi ?! [4]

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Rome, quartier de la Regola, 11 octobre 2003

L'air restait doux malgré un souffle d'air aigrelet et taquin qui soulevait ses mèches brunes. Depuis qu'elle était descendue d'avion, et après un voyage interminable en taxi, elle déambulait lentement dans un lacis de viccoli à l'ouest de la Piazza Navona.

Pour quelque raison mystérieuse, la résilience du temps, sans doute, elle n'avait pu recevoir aucune aide des deux personnes sur lesquelles elle aurait espéré pouvoir compter. Les créatures surnaturelles avaient été un échec cuisant… mais les humains pas du tout.

D'abord Alex qui s'était précipité pour l'aider sans discuter et puis la femme de Riley qui avait pris soin d'elle et arrangé avec lui les conditions de son retour en Italie… Quand, ils l'avaient recueillie, elle s'était confondue en remerciements avant de craquer quelques heures plus tard, au cœur de la nuit, pleurant de soulagement comme de chagrin au souvenir de ces deux jours où elle s'était trouvée meurtrie de bien des façons. Doyle n'avait pas eu le front de revenir hanter le sommeil de plomb qui s'était abattu ensuite sur elle. Au lendemain, en la voyant les yeux rouges, Sam n'avait rien dit, mais l'avait juste prise dans ses bras pour un réconfort muet qui n'avait pas besoin de connaître les détails de sa détresse. Jamais elle n'oublierait ce que les Finn avaient fait pour elle.

Mais l'Angel du futur pouvait l'aider d'une autre façon. Étant restée trop longtemps entre deux mondes, sa mémoire enfermée dans un coffre dont la clé était au fond d'un puits, elle ne se souvenait pas du nom de la rue où il allait, mais pensait qu'elle aurait pu la reconnaître en la voyant. Là, quelque part, dans l'une de ces minuscules voies étroites, se trouvait derrière une porte qui ne payait pas de mine, la petite pension arrangeante qui l'accueillerait bien des années plus tard lorsqu'il séjournerait à Rome.

Après un court pèlerinage à Trevi, où elle avait jeté son dernier centime, elle s'était mise en quête de souvenirs, persuadée que si elle trouvait la pension, tout irait bien pour elle. Sur ces rues antiques, le temps n'avait pas de prise. Il y aurait toujours les petits pavés serrés, les murs ocrés de jaune ou de rose, des maisons glorieuses ou décrépies, les devantures des restaurants qui s'environnaient de fleurs et de vigne vierge. Ici, elle se sentait revivre un peu pour la première fois. Elle se perdait dans ce labyrinthe mais avec bonheur. Personne ne faisait attention à elle, tandis qu'elle donnait l'air de flâner comme une touriste. Se donner l'air d'une Italienne en Amérique, se donner l'air d'une Américaine à Rome...

Avec ses jambes redevenues faibles en l'absence de l'appareillage prêté par Riley, les distances se faisaient plus longues. Elle aurait aimé aller voir la galerie qu'elle achèterait, retrouver la rue où Spike avait combattu les Ophidiens, celle où se trouverait la maison qu'Andrew achèterait pour le compte du CDO... Elle n'avait pas le courage de marcher jusqu'au jardin du Colisée ce soir, mais… domani ? [5]

C'était le milieu de l'automne. D'ici une heure ou deux, le soir tomberait déjà. Il lui fallait un endroit sûr où passer la nuit. Avec sa main immobilisée et sa claudication, elle ne pouvait pas rester dehors, sans avoir de quoi ni frapper ni quoi courir, ce n'était pas un bon plan du tout.

Après avoir tourné en rond pendant deux heures, en désespoir de cause, elle entra dans une trattoria de la rue du Vieux Gouvernement où elle demanda des adresses de petits hôtels en expliquant qu'elle n'avait pas beaucoup à dépenser. Le patron, réfléchissant les bras croisés en tirant machinalement sur sa fine barbiche blonde, lui dit fièrement dans un mauvais anglais qu'elle devrait évidemment aller dans le plus beau quartier de Rome, le Trastevere. L'homme n'avait pas tort, hautement touristique le quartier revêtait un charme indéniable, mais elle ne se voyait pas aller jusque là-bas. Elle répéta sa question sa langue, en expliquant qu'elle s'était blessée quelques jours plus tôt et qu'elle préférerait une chambre plus près d'où ils se trouvaient car elle avait du mal à se déplacer.

Il la laissa quelques instants, prétextant qu'il allait demander à sa femme qu'il apostropha d'une voix de stentor alors qu'elle était vraisemblablement en cuisine. Une grande femme, les cheveux châtains portés en tresse basse, énergique et mince sous un tablier et une toque, s'avança vers elle en demandant ce qui se passait. Dawn ne fut pas sûre qu'elle serait aimable car elle la trouvait sèche et un peu brusque.

Pourtant, en la voyant pâle et prête à tourner de l'œil, la patronne lui proposa aussitôt une chaise et un verre d'eau, tout en engueulant copieusement son mari en le traitant de rustre. Puis elle se retourna vers elle, pour lui demander si elle avait faim. Dawn acquiesça en répétant qu'elle n'avait pas d'argent italien mais qu'il lui restait quelques dollars américains.

La femme prit un billet avec un sourire ravi qui éclaira son visage en lui recomposant une tout autre physionomie, l'examina à la lumière d'une lampe avant de hocher la tête avec un « va bene » [6]. Elle retourna dans sa cuisine avant de rapporter un immense plat de lasagnes qu'elle posa d'autorité devant elle, avec une fourchette et une seule injonction :

— Mangiare, poi parleremo ! [7]

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.

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Notes de l'auteur

[1] Référence à Retour vers le Futur II, où le vieux Biff Tannen utilise la DeLorean pour donner à son lui-jeune tous les résultats sportifs des décennies à venir, et devenir instantanément riche.

[2] Ceux qui ont vu la série Angel savent que Wolfram & Hart possède une succursale à Rome, tandis que les Observateurs y ont un bureau restreint où Andrew est censé enseigner aux ex-Potentielles. Dawn a parié sur le fait qu'Harmony ne remarquerait pas l'adresse erronée. C'est comme cela qu'Andrew a reçu les lettres qui ont dormi pendant des années dans les archives. Tadaa.

[3] Durant les dernières secondes de son spin-off, alors que Los Angeles submergée par l'Enfer qui déferle sur la ville sous des trombes d'eau, Angel déclare qu'il « se ferait bien le dragon », un quiproquo qui lui vaut des regards stupéfaits ou dégoutés de tous ceux qui sont encore debout à ses côtés.

[4] On est bien d'accord qu'Angel ne se conduit pas ici en goujat mais en victime d'une manipulation psychique destinée à le détourner de ce souvenir ?

[5] Demain

[6] Cela signifie « ça va bien », plutôt dans le sens ici de « ça ira ».

[7] Mangez, ensuite on parlera.

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