When in Rome
Chapitre 86 : Les eaux troubles où je traîne
4864 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 05/04/2024 19:34
Chapitre 86 Les eaux troubles où je traîne
Faut-il que je t'apprenne (Je ne demande rien) Les eaux troubles où je traîne
Faut-il vraiment que tu saches (Tout ce que tu caches) Le doute au fond de moi
Axel Bauer / Zazie « A ma place »
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4 octobre 2003 - Quartier général de l'Organisation des Tueuses, Aberdeeshire, Ecosse [1]
Alex sortit de la tour de contrôle à grands pas. De cette pièce, devenu un peu son royaume, il coordonnait la majorité des informations et décisions qui se prenaient au sein de la nouvelle Organisation des Tueuses. Le Quartier Général était en Ecosse, mais plusieurs équipes étaient réparties tout autour du monde. Il avait ici un certain pouvoir qui ne lui était jamais monté à la tête. Bien au contraire. Nombre de fois, il s'était senti presque dépassé. « Il faut prendre le rythme et le garder » avait dit Willow. Elle en avait de bonnes. Souvent debout devant une dizaine d'écrans disposés tout autour des quatre murs, il se faisait l'effet d'un aiguilleur du ciel, avec le stress qui allait avec.
Autour de lui, une dizaine de filles assises, casque sur les oreilles, transmettaient les ordres, des informations vitales, ou bien les recueillaient, enregistraient des images, les stockaient… Bref, un centre névralgique. Derrière une paroi vitrée, il y avait aussi deux psychiques de permanence. Elles étaient plusieurs dans le château même, pour organiser des rondes et des gardes, exactement au même titre que les filles qui patrouillaient sur les remparts d'aspect très médiéval.
De fait, il était un peu comme un Observateur sans l'être. Il avait des décisions à prendre, mais l'armée des Tueuses s'entrainant au QG n'obéissait qu'à Buffy qui était la commandante en chef. Une sorte d'organisation bicéphale. Tricéphale, lorsque Willow reviendrait – car elle reviendrait, il en était certain.
C'était son rôle de veiller au grain dans ces lieux et parfois au-delà. Bien plus qu'un intendant, bien plus que le fidèle lieutenant de Buffy… Encore et toujours son ami.
Un ami qui s'inquiétait de ne pas l'avoir vue depuis vingt-quatre heures – alors qu'elle n'avait pas quitté le QG – ni de l'avoir vue à l'entraînement faire acte de présence plus de dix minutes ni même au réfectoire. Elle avait prétexté essayer une nouvelle technique de méditation basée sur le jeûne pour aiguiser ses sens et ses nouveaux pouvoirs. Rien que d'y penser, Alex se sentait pris d'un vertige vertigineusement vertigineux. « Garde le rythme ».
Il toqua à la porte de sa chambre sans obtenir de réponse. Comme il avait déjà fait le tour de toutes les pièces où elle aurait pu se trouver, il réitéra son appel en avertissant qu'il allait entrer. Il la trouva assise sur son lit à baldaquin, le dos courbé et les yeux dans le vide qui ne fixaient pas le mur rose.
— Efficace, cette petite méditation, essaya-t-il d'un ton léger.
— Je vais descendre tout à l'heure.
Sa voix était empreinte de lassitude.
— Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu t'inquiètes pour Willow ? Tu te demandes si l'espace qu'on veut lui laisser n'est pas une terrible erreur ? Et si elle n'est pas piégée quelque part, seule, se sentant abandonnée, torturée par un ennemi puissant, jouissant de lui soutirer tous ses pouvoirs ou bien tous nos secrets afin de pouvoir nous abattre ?
Elle tourna un regard effaré vers lui.
— Non… Mais maintenant que tu le dis comme ça, je devrais peut-être…
Il sourit gentiment en retour.
— Alors quoi ?
— J'ai reçu… un drôle de message de Dawn. Je ne sais pas à quoi elle joue. Elle m'inquiète, je pense, et ça m'énerve.
— Dawn ?
Alex avait toutes les raisons d'être curieux étant donné les quelques jours qu'il venait de passer en Californie. Buffy n'avait fait aucune remarque à ce sujet, ni posé aucune question. Il doutait même qu'elle s'en soit rendue compte car on lui avait dit qu'elle était partie en mission avec une équipe et puis revenue un jour avant lui.
— J'ai remarqué que tu n'es pas très… patiente envers elle, depuis qu'on s'est installés ici.
— C'est presque une adulte. Elle demande à être traitée comme telle mais elle me fait des scènes puériles… Elle me dit que j'ai toujours du temps pour mes nouvelles « sœurs » mais jamais pour elle. Que je fais la tête quand enfin j'accepte de la voir… Et tout un tas d'autres trucs.
— Et elle se trompe ?
— Je pensais qu'elle savait déjà quelle était ma mission, depuis le temps. Pourquoi fait-elle comme si elle le découvrait maintenant ? C'est aberrant. Il y a du travail. J'ai beaucoup à faire. Et quand je suis fatiguée, j'ai envie de me détendre, pas d'entendre ses accusations stupides…
Alex se croisa les bras, devenus épais pour essayer de compenser son inconfort à être entouré de catcheuses, et leva le sourcil de l'œil qui lui restait.
— Tu penses qu'elle est stupide parce qu'elle a besoin de sa grande sœur pour sa première année d'université ? Je me souviens bien comment t'étais, les premières semaines, hein... Tu es sa seule famille et tu as mis des milliers de kilomètres entre vous deux. Comment veux-tu qu'elle se sente ?
Buffy se renfrogna immédiatement, le coupant presque :
— J'ai pas dit qu'elle était stupide. Et tu sais très bien ce que j'ai voulu dire.
Alex s'abstint de se laisser embarquer dans ce petit jeu. Il n'avait pas envie que ça dégénère entre eux. Avec Willow on ne savait où, Giles qui préférait être ailleurs et copinait avec Faith, Angel passé dans l'autre camp qui dirigeait une succursale du Mal… Lui, le brave Harris, il était toujours là. Mais parfois, il avait le sentiment qu'il n'était pas suffisant, qu'elle attendait autre chose dont elle refusait obstinément de parler, murée dans le silence.
— Si tu veux, je pourrais lui parler. Je vais l'appeler pour savoir comment elle va… Grosso modo, elle t'a dit quoi ? Que je voie comment je pourrais arranger les choses…
— Elle s'est fait passer pour Spike. Un texto pour que je vienne. C'est pitoyable et… c'est cruel.
Alex ne sut pas cacher sa surprise.
— Ah bon ? Mais c'était quand, ça ?
— L'autre jour… ou hier, je ne sais plus, avec ce foutu décalage horaire.
Le jeune homme brun resta immobile en pleine cogitation. La semaine passée, il était arrivé à San Francisco, il n'avait quasiment pas quitté Dawn d'une semelle. Pourquoi aurait-elle décidé d'alerter soudain Buffy alors qu'elle était totalement contre et que son plan était bien arrêté ? Il avait bien senti que Riley avait été à deux doigts de prévenir leur QG mais il avait fini par y renoncer.
— Ok, je vais voir, dit-il en sortant son téléphone. Tu descends pour l'agenda du jour ? On t'attend ou pas ?
— J'ai dit que j'arrivais…
Alex opina sans chercher à discuter plus. En quittant la chambre, il avait appuyé du pouce sur le numéro pré-enregistré pour joindre Dawn et elle venait de décrocher quasi instantanément.
— Alex ! Alex ! Je suis trop contente de réentendre ta voix ! Il s'est passé un truc démentiel, tu me croiras jamais ! Faut absolument que je te raconte ! Lâche tout !
Cette fois, il reconnut immédiatement la voix surexcitée de la jeune fille. Les choses se mettant en place dans sa caboche, il avait une petite idée de ce qu'elle allait lui dire.
— Attends, attends, Dawn, je devais me rendre au briefing, je suis déjà en retard… Je peux te rappeler ?
— Bah, peut-être que tu ferais mieux de poser le tél sur la table ! Ce que j'ai à dire peut devenir le nouvel ordre du jour, super plus important, crois-moi !
Il sourit patiemment.
— Donne-moi un quart d'heure.
— Dix minutes ! Tu n'auras qu'à laisser Buffy ou je sais pas qui finir à ta place. T'as jamais de vacances, tu peux bien prendre une demi-heure, non ?
— Ok Dawnie, mais j'ai besoin de savoir un truc… Est-ce que c'est vrai que tu t'es fait passer pour Spike ? Buffy n'est pas très contente de ça, dit-il en marchant vite vers le second étage, le téléphone collé à l'oreille.
— Ouais, ouais, Buffy n'est jamais contente de rien ces derniers temps, je sais pas si t'as remarqué…
— Oui, un peu. J'arrive en salle de réunion, je te laisse…
— Okay, okay. Mais grouille, hein ?
Il coupa la communication, gagné malgré tout par l'exaltation de la jeune fille et qui l'empêcha de se concentrer complètement.
Au beau milieu de la présentation qui consistait à établir une stratégie pour débarrasser la côte la plus au nord d'une colonie de kelpies qui entendait s'y installer, Alex reçut un texto qui disait « ça fait dix minutes ». Il l'ignora. Il avait les cartes à détailler montrant la configuration du terrain et c'est le moment où Buffy arriva, semblant essoufflée en marmonnant un « désolée pour ce retard » pas du tout convaincant, avant de s'installer sur une chaise libre. Le téléphone d'Alex bipa. « Douze minutes ». Il prit l'air préoccupé et termina en énumérant les infos qu'ils avaient sur les récentes localisations où la population en avait aperçu et lança une vidéo amateur prise par un vacancier avec sa caméra numérique. Au troisième bip, il s'excusa, la mine sérieuse.
— Désolé mesdemoiselles, il faut absolument que je prenne un appel mais Buffy va continuer…
Cette dernière resta éberluée quelques secondes à peine et rebondit aussitôt comme Alex fermait doucement la porte.
— Euh, bien. Ok. Maintenant, on va passer au concret… la stratégie. La stratégie, c'est très important. Vous ne pouvez pas imaginer combien. On me l'a toujours dit. Il faut bien étudier tous les aspects avant de foncer tête baissée. Non, ça, ça n'est pas bien du tout. Autrefois peut-être mais plus maintenant, hein ? Tiens, Renée, comment tu procéderais dans cette situation ?
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C'était peu dire que la petite miss Summers bouillait d'impatience, il l'entendait nettement tandis qu'il se dirigeait en dehors du château. Ses murs très épais pouvaient avoir de très grandes oreilles, il valait mieux s'éloigner un peu. Il alla s'asseoir sur un gros rocher plat dépassant d'un talus herbeux et cala mieux le téléphone tandis que le vent décoiffait ce qui n'était déjà pas très coiffé.
— Vas-y je t'écoute, je suis à toi comme la sardine est à l'huile...
— Oh, Alex ! Je suis allée dans le futur ! C'était complètement dingue ! Je ne sais même pas comment ça a pu arriver. Pouf ! D'un coup, comme ça ! J'étais là dans ma chambre à l'uni, je m'endors normalement, et quand je me réveille, je suis complètement ailleurs ! Mais en même temps, pas n'importe où. Parce qu'il y avait presque tout le monde qu'on connaît. On vivait en Italie dans une grande maison, et j'avais apparemment eu une fille et même, j'étais grand-mère ! Et attends, attends, le coupa-t-elle avant qu'il ait le temps de commenter, c'était pas le pire ! J'étais, accroche-toi bien, divorcée d'Andrew et remariée avec Spike ! s'écria-t-elle d'un ton suraigu qui l'obligea à éloigner le téléphone. Non mais… Andrew ! Qu'est-ce qui peut être plus débile que ça ?
En son for intérieur, Alex voulait bien reconnaître que c'était vraiment le point sur lequel il aurait bien aimé avoir un peu d'éclaircissements parce que oui, Andrew était absolument inenvisageable mais alors Spike ! Spike ? Il les lui fallait toutes ? Coucher avec Buffy, coucher avec Anya, et puis après il faudrait qu'il mette Dawn dans son lit ? Il était grand temps que ce mec aille élargir ses horizons sexuels ailleurs…
— Enfin bon, il s'est passé plein de trucs et maintenant que je suis rentrée, je suis soulagée. J'ai l'impression d'avoir rêvé tout ça mais je suis perdue, parce que je ne peux pas m'empêcher de penser à eux ! J'ai peur qu'ils ne s'en sortent pas.
— Dawn, désolé pour l'effet de surprise, mais en fait, je le savais déjà… La toi du futur est ici, enfin pas en Ecosse, en Californie, elle m'a appelé pour que je l'aide.
— Rhhhha ! s'égosilla la jeune fille. Tu as vu Vieille-Dawn ? Je le savais ! Je le savais ! Ils ne voulaient pas me croire ! Je leur ai dit depuis le début. Ils pensaient je ne sais pas pourquoi que je m'étais rajeunie à cause d'un accident et que j'étais devenue amnésique. Mais depuis quand je saurais faire ça, moi ? Je suis comme toi, j'ai pas de pouvoirs ! Et sinon, alors je suis comment en vieille ?
— Euh, très… charmante. Et toute… hum… grandie. Et tu étais super contente de me voir. Ça fait toujours plaisir.
— Tu as eu confiance ? Je ne t'ai pas semblé bizarre ? Parce que moi, j'ai des doutes. C'est certain qu'elle fricotait avec Andrew, Warren, et elle l'a dit à personne… Tu imagines ce que je peux penser en sachant ça et qu'en plus qu'elle a un poste élevé chez les Observateurs ? Maintenant Warren fait décimer les rangs des Tueuses alors qu'elles sont encore en formation… Alex, je ne veux pas devenir cette personne ! Il faut faire quelque chose pour changer ça.
— Dawn, calme-toi. Il ne faut pas jouer avec les trucs temporels. Ta toi plus âgée et moi, on a essayé, et on a failli créer une catastrophe.
— Avec Warren et Amy ?
— Oui !
— Mais ils sont hyper puissants dans le futur. Amy est devenue presque aussi forte que Dark Willow, Warren est maboule pire qu'avant, et les démons sont partout, partout. Je savais comment les lire les rapports d'attaques sur les bouches de l'Enfer et les Ecoles !
— Dawnie, calme-toi – bis…
— Mais je ne vois pas comment être calme ! Willow a réussi à me renvoyer ici mais il se passait quelque chose qui les mettait sur les dents et dont ils ne me parlaient pas... Quelque chose d'effrayant pour des Tueuses, pour des Observateurs. Je crois qu'on va tous mourir…
— Dawn, laisse-moi en placer u…
— Et en plus, Buffy n'est plus là !
— Hem ! Bah tu vas rire, hé hé, si ! Elle est juste devant moi, un instant ! chuchota-t-il en bâillonnant le téléphone de sa paume avant de poursuivre à voix normale : Buffy ? Tu voulais me dire quelque chose en privé ?
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L'aînée des Summers était arrivée mollement, à pas hésitants. Jamais elle n'avait vu son ami aussi absorbé qu'il ne prête aucune attention à elle, gesticulant avec sa main libre et bouillonnant d'une émotion qui éclatait dans ses phrases courtes.
— Mais, c'est quoi ces messes basses ? Qu'est-ce qui se passe ? Tu m'as laissé tout sur les bras alors que je n'avais pas suivi l'affaire, merci bien. C'est qui ?
— Euh… c'est personnel. Enfin, je veux dire, c'est un contact qui habite loin et qui voulait me joindre personnellement pour un potentiel problème… mais grave. La routine pour moi, je dois m'inquiéter de ce genre de choses, tu sais bien.
— Mh… oui. Et du coup, si t'as fini, elle a dit quoi Dawn, tout à l'heure quand tu l'as appelée ? Elle va arrêter de faire ça ? Je ne sais pas si je vais le supporter bien longtemps.
Le jeune homme baissa son téléphone et fronça les sourcils, peu sûr de comprendre.
— Supporter ?
— Alex ! s'énerva-t-elle avec une drôle de grimace. Spike, je l'ai vu commencer à brûler devant mes yeux, ok ? J'aurais pu le faire sortir mais il a refusé, cet imbécile ! Il ne m'a pas crue quand je lui ai dit… Quand je lui ai dit… tu vois, quoi... Non, il a préféré mourir ! Il nous a tous sauvés en sachant qu'il allait finir EN ENFER !
Un instant, elle posa une main sur sa bouche tremblante aux lèvres tordues, et puis se servit du dos pour écraser l'humidité roulant sur ses joues.
— Est-ce que quelqu'un sait ce que ça me fait de revoir ça dès que je ferme les yeux ?! C'est trop dur ! ça fait des semaines et j'en suis toujours là. C'est trop dur, tu comprends ?
— Buffy, je suis désolé. Mais tu n'as jamais voulu reparler de ce qui s'est passé là-dessous…
— Mais comment je pourrais parler de ça alors que tout est de ma faute ?! rugit-elle. Et je travaille et je travaille, parce que comme ça, eh bien je n'y pense pas ! Tous les jours ! Et tu sais ce que je viens d'apprendre de la bouche d'Andrew ? Seulement maintenant ? Et bah, qu'il n'est pas mort !
Elle éclata d'un rire nerveux et sans joie.
— Enfin plus mort ! Ça fait des semaines ! Et il ne m'a même pas appelée ! Il n'a même pas essayé, il n'est même pas venu. Tellement il ne supporte plus la simple idée de me voir !
Elle s'étrangla dans un sanglot, avant de se remettre en colère :
— Et je sais très bien où il est ! Pas du tout à « San Francisco » comme Dawn croit malin de le prétendre. Il est à Los Angeles ! Avec Angel ! Il le déteste ! Ils se détestent ! Et il préfère encore être là-bas avec lui plutôt que de me voir ! Ou de m'appeler. Un coup de téléphone ! Est-ce que c'est trop ? Après… ce qu'il y a eu entre nous ? Nom de dieu, je n'en peux plus !
Alex observait la douleur empreinte de colère qui s'écoulait de son amie comme un barrage qui cède, bien conscient que Dawn devait tout entendre puisqu'il n'avait pas raccroché.
Il n'osait pas spéculer sur ce que Buffy entendait exactement par « entre nous » parce que, à ce qu'il en savait, leur relation avait été malsaine et tout le contraire de ce qu'il aurait espéré pour elle. Il refusait d'envisager qu'elle avait aimé l'horreur, les coups, les abus, et ce que personne n'osait désigner comme la tentative de viol. Information qu'il avait obtenue très tard. Très très tard. Et quand Spike était revenu complètement timbré à Sunnydale, soi-disant avec une âme, il avait bien compris que Buffy se sentait responsable de lui et que ça lui pesait.
— …alors j'essaie d'oublier ! Je fais tout ce que je peux ! J'essaie… mais je n'y arrive pas ! Rien ne marche ! Je n'y arrive pas ! répéta-t-elle d'une voix éraillée d'avoir crié.
Elle déglutit en respirant par la bouche parce qu'elle avait le nez qui coulait lamentablement.
— Il me l'a dit, quand Willow m'a ressuscitée. Il me l'a dit… que dans chaque rêve, il essayait de me sauver pour que je ne me jette pas de la tour de Gloria. Maintenant, je comprends. Maintenant, je comprends vraiment, parce qu'à l'époque, j'avais la tête dans du coton et ça me mettait plus mal à l'aise qu'autre chose, parce que j'étais incapable de me réjouir d'être revenue.
Elle se détourna pour se mettre face au vent, en reniflant, essayant de prendre des grandes goulées d'air, le temps de quelques profondes inspirations.
— Et qu'est-ce que je vais devenir ? J'avais à peine réussi à trouver un fonctionnement ici. A m'aménager un petit espace dans ce qui m'obsède. Et rien qu'un texto auquel j'ai cru pendant même pas cinq secondes et tout m'est revenu en pleine face avec une violence inouïe. Est-ce que je vais pouvoir me relever ? Alors que toutes ces filles comptent sur moi pour jouer les Giles alors que ce n'est pas mon rôle ? Et que je suis nulle à ça ! Je suis si fatiguée…
Alex se leva, et posa une main apaisante sur son épaule, lui offrant le réconfort de ses bras afin qu'elle puisse finir de pleurer les larmes qui n'étaient jamais sorties. Dans son poing, le téléphone était toujours en communication avec celui de Dawn. Il le laissa allumé juste le temps qu'elle entende sa question avant de l'éteindre :
— Et pourquoi toi, tu n'irais tout simplement pas lui dire que tu voudrais le voir ? Pourquoi attendre qu'il fasse le premier pas ?
Dans sa chambrette universitaire, Dawn en train de rater son cours de dessin durant cette confession était restée paralysée et muette. Elle regarda le téléphone dans sa main et relut le texto qu'elle avait envoyé, en ne pensant que bien faire pour les rapprocher.
Elle n'entendit donc pas la réponse de sa sœur.
— Parce que… Parce que si je vais à Los Angeles, Angel le saura et il me cherchera. Et si Spike nous voit encore ensemble, il en crèvera de souffrance. Je le sais.
Le jeune homme resserra sa prise autour de son amie et temporisa :
— Peut-être pas…
— Si, je le sais, il en mourra. Il l'a déjà fait, murmura-t-elle dans un souffle à peine audible.
Alex l'écarta de lui et il prit son visage en coupe, effaçant du pouce les larmes de ses joues rougies.
— Et alors, du coup, un rendez-vous ailleurs qu'à Los Angeles, c'est pas une option ?
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Bureaux de Wolfram et Hart, Los Angeles, Californie
Elle pénétra avec curiosité dans le bureau d'Angel chez Wolfram et Hart. Plus petit que ce qu'elle avait imaginé, son atmosphère intime était renforcée par les appliques tamisées et une petite lampe posée sur une commode rectiligne. Il les recevait assis confortablement dans un large fauteuil de cuir à sa table de travail acajou. Elle n'en avait jamais vu de semblable, formant un angle large, sans doute pour pouvoir disposer plus de dossiers à portée de main que sur un bureau droit. Dans son dos, sur le mur coffré d'une menuiserie en merisier couleur miel, un grand pan sombre servait de support à quelques armes blanches qui annonçaient plutôt la couleur. Cela lui rappelait étrangement le placard secret de Wood quand il était proviseur au lycée. Mais pas secret, ici, du coup.
Elle avait eu peur de rencontrer quelqu'un de très différent de celui qui, malgré tout, était devenu l'un de ses amis les plus proches. En quête d'une quelconque malveillance, elle scruta son visage toujours aussi pâle, ses yeux enfoncés sous des sourcils droits, au fond d'elle presque persuadée que les lieux et ses fréquentations locales ne pouvaient que l'influencer insidieusement.
En la voyant s'approcher accompagnée de Spike, il se leva pour venir lui serrer la main. Pas réellement méfiant, mais circonspect.
— Buongiorno signore Angelo, mi chiamo Donatella Galardi. Lavoro colli Osservatori dall'Ufficio di Firenze. Sono venuta a trovare il signore « Winnidame-Pryssè ». [2]
— Bonjour, Mme Galardi. Je regrette Wesley n'est pas disponible, il ne rentrera pas avant au moins deux semaines. Y a-t-il quelque chose que je peux faire pour vous ? Il n'est pas très courant que des Observateurs viennent jusqu'ici pour demander à le voir, lui ou moi, d'ailleurs.
— Due settimane ! répéta-t-elle sans cacher sa contrariété. Questo vampiro Spike ha incontrato un… "Eucariota". Molto pericoloso. Mi ha detto che avete incantesimi potenti per neutralizzarlo facilmente. È fuori discussione lasciarlo in città. Per le persone come per molte altre creature. Ora io e lui stiamo portando le tracce che seguirà. Verrà qui. Prego, dicami che sa come fermarlo… [3]
Elle remplit ses yeux de suppliques dans l'espoir qu'il se souvienne que, naguère, il aidait les désespérés.
— Je vais voir ce que je peux faire, mais pas avant que vous me disiez comment vous êtes entrés !
— Si ! Ho attraversato un quantico. [4]
— Un cantique ? Une incantation ?
Elle secoua la tête, puis regarda sur le bureau et prit une feuille et un crayon pour dessiner quelque chose avant de lui montrer, un premier cercle, un tunnel souple et un second cercle. Elle mima l'ouverture du premier cercle avec sa main valide, puis avec l'index un trait pour traverser le tunnel et un signe de la main pour effacer le premier cercle avant de conclure :
— Quantico !
— Un tunnel… quantique ?
— Sì ! Ma… piccolo. [5]
— Mais… depuis quand les Observateurs maîtrisent ça ?!
Elle montra un petit sourire prudent.
— Non ho detto "gli Osservatori". Io posso. [6]
Angel la considéra avec attention, cachant sa suspicion naissante, peut-être en raison de la façon dont elle semblait se placer dans une catégorie à part des Observateurs.
— Je reviens, attendez-moi là. Vous êtes humaine ? Ma secrétaire peut vous apporter un café ou un thé, si vous voulez. Et je vais essayer de vous trouver un guérisseur. Vous ne devriez pas vous promener ici avec une plaie qui saigne.
— Lo so, ma sono caduta e i suoi uomini sono arrivati subito. [7]
Angel hocha la tête et au moment de sortir, il héla Spike en demandant à lui parler une minute. Le vampire blond obtempéra sans broncher mais sitôt qu'il fut dehors et la porte refermée, il siffla tout bas, l'air narquois.
— Alors, c'est quoi le problème ? C'est tes petits copains qui ont relâché cette bestiole dans la nature ?
— Ouais, répondit-il sombrement. Pour remplir un contrat.
— Bah, t'es dans la merde.
— Ouais mais sans doute moins que toi. J'ai… j'ai l'impression que je l'ai déjà vue quelque part et je ne sais pas où.
Spike ricana en le voyant tourner irrésistiblement la tête vers le bureau fermé.
— Tout le monde a envie de l'avoir déjà vue quelque part, mon pote…
— Arrête. Je suis sérieux... D'ailleurs, comment vous avez communiqué ? A part "Ciao" tu ne sais rien dire.
— En anglais.
— En anglais ? Pourquoi elle m'a parlé en italien ?
— Peut-être parce qu'elle savait que tu comprendrais ?
— Ou… parce qu'elle voulait que je vérifie son histoire !
— Sais pas. Il y a des choses qui sonnent vrai dans ce qu'elle dit, et d'autres pas du tout.
— Lesquelles ?
— Plus tard ! Va d'abord chercher un guérisseur. Je me contrôle de mon mieux depuis une bonne heure mais je commence à avoir du mal, dit-il en appuyant sur ses joues pour faire remonter son autre jeu de dents. C'est bizarre, j'ai l'impression de redevenir un nouveau-né, et pour tout dire ça me fout un peu les boules. C'est humiliant.
— Ce n'est pas toi, marmonna Angel entre ses crocs descendus.
Dans ses iris jaunes, flottait un trouble et une inquiétude que Spike ne lui avait jamais vus.
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Notes
[1] Tout ce qui a trait à l'Écosse, fait référence à la 8e saison de Buffy en comics, qui se tient chronologiquement en parallèle avec la dernière saison d'Angel (TV). J'ai déjà utilisé nombre d'informations des comics pour parler de Dawn. Est parfaitement « canon » ce qui suit :
- le QG en Écosse où on entraîne des Tueuses et les responsabilités d'Alex
- Giles qui a choisi de tendre la main à Faith car elle n'a finalement jamais connu d'Observateur correct et qu'il lui manque certains repères (il veut réparer les manquements de ses collègues) et Buffy qui se sent abandonnée
- Willow qui a disparu peut-être pour se remettre de la « mort mystique » de Kennedy (les comics sont très peu clairs et vagues). Quand les choses reviennent en ordre (les morts ne restant jamais morts), elle quitte tout de même Kennedy se sentant coupable d'avoir fait défaut à sa meilleure amie (Buffy) pour vivre cette relation ? (désolée, je n'ai pas mieux compris). Sera vrai un peu plus tard dans les volumes des comics de la s8 : Willow enlevée par vengeance et pour être torturée par Warren et Amy ;
- Buffy généralement à côté de la plaque (mais parce qu'elle cherche un nouveau sens à sa vie et n'en trouve pas) et impatientée par sa sœur (mais sans que des vraies raisons soient évoquées) et en froid avec Angel parce qu'il a « mal tourné ».
Totalement inventé : Buffy qui ne fait pas le deuil de Spike.
Traduction des paroles de Dawn
[2] Bonjour Monsieur Angel, je m'appelle Donatella Galardi. Je travaille avec les Observateus du Bureau de Florence. Je suis venue rencontrer M. Windham-Pryce (je lui fais prononcer à l'italienne, càd mal…).
[3] Deux semaines ! Ce vampire Spike a rencontré un Eucaryote. Très dangereux. Il m'a dit que vous aviez des sortilèges puissants pour le neutraliser facilement. C'est totalement impossible de le laisser libre en ville, pour la population comme pour beaucoup d'autres créatures. Spike et moi nous portons déjà la trace qu'il va suivre. Il va venir ici. Je vous en prie, dites-moi que vous savez comment l'arrêter.
[4] J'ai traversé un quantique.
[5] Oui mais un petit.
[6] Je n'ai pas dit « les Observateurs ». C'est moi qui peux (le faire).
[7] Je sais, mais je suis tombée vos hommes sont arrivés très vite.