When in Rome

Chapitre 85 : L'odeur diffuse du sang des Summers

6367 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 03/03/2024 23:20

Chapitre 85 L’odeur diffuse du sang des Summers

 

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L.A., 4 octobre 2003

Dawn recula prudemment d’un pas en considérant ce Spike du passé qui lui faisait face. Deux fois dans la même soirée. Elle avait pourtant fait ce qu’il fallait pour éviter ça et, un problème n’arrivant jamais seul, elle n’avait pas réussi à rencontrer Angel dans les bureaux de Wolfram et Hart. Qu’on soit bien clair, c’était un bonheur pour elle de savoir qu’il était revenu à la vie alors qu’il y avait quelques jours à peine, elle n’en était nullement certaine. Mais si jamais, avec leur rencontre, il se mettait à faire autre chose que ce qu’il aurait dû ?

Dans ses souvenirs des archives du CDO, Los Angeles avait été envahie par des démons d’autres dimensions et Spike avait aidé dans la bataille. Il s’en était fallu de peu qu’une deuxième ville de Californie ait été rayée de la carte si tôt après la première… 

Que faire dans ces conditions ? L’envoyer bouler ne marchait pas, manifestement. Il ne lui restait donc que la bonne vieille méthode… L’attaque.

— Oui, je crois aussi. Parlons donc. Je suis curieuse d’entendre ce que vous avez à dire pour vous justifier, parce que je ne vois aucune raison bien intentionnée qu’un homme poursuive une femme sur la moitié de la ville. Quoi que vous ayez pu penser parce que je vous ai parlé deux minutes, oubliez. Je vous avais pris pour un Bon Samaritain, et le fait que vous soyez là prouve le contraire. Si vous ne partez pas immédiatement, j’appelle la police.

— Je vous fais peur ?

— Oui. Vous avez un drôle de genre, le regard fixe et vous ne semblez pas comprendre quand on vous dit de partir. Qu’est-ce que vous voulez que je pense ?

— Non mais celle-là, c’est la meilleure ! Vous avez vu ce que vous avez fait à ces types à l’instant ? C’est moi qui devrais avoir la trouille…

— Exactement. Qu’est-ce que vous me voulez ? J’ai eu ma dose de psychopathes pour la soirée.

Il soupira, regarda ailleurs en raclant sa semelle sur le sol.

— Ce n’était pas mon intention.

— Qu’est-ce que vous me voulez ?

— Ok, pas la peine de crier… Primo, tout à l’heure, quand je suis parti, je vous ai entendue parler de moi à quelqu’un. J’ai voulu savoir pourquoi vous avez fait semblant de ne pas me connaître alors que vous savez manifestement qui je suis. Ça me suffit à moi pour chercher qui vous êtes au juste et pourquoi vous m’avez menti. Deuzio, et ça c’est un gros argument, je viens de vous voir tuer quatre vampires et je dois dire que je n’avais jamais vu quelqu’un s’y prendre… euh… comme ça. Alors dans ma petite tête, je me dis que vous êtes peut-être une nouvelle Tueuse, même si vous n’avez pas tellement le profil habituel… Est-ce que, par hasard, il y a quelques mois, vous avez réalisé que vous étiez soudain bien plus forte qu’avant ?

— Et vous pensez que je vais vous répondre parce que… ?

— Eh bien, j’imagine bien que vous n’allez pas essayer de me faire croire que vous ne connaissez pas la magie et donc le monde occulte. Vous avez su comment tuer les vampires, vous êtes apparemment très forte, et vous avez entendu parler de moi, alors je me suis dit que si vous étiez une nouvelle Tueuse, je pourrais vous aider. Ou au moins vous indiquer les bonnes personnes qui pourront le faire. C’est tout.

— Eh bien comme ça, c’est réglé. Je ne suis pas ce que vous croyez que je suis et je peux me débrouiller, comme je l’ai déjà dit plusieurs fois. Maintenant, si ça ne vous fait rien, j’ai besoin de me soigner et de dormir car je dois me lever très tôt demain…

— Il y a une pharmacie par là, si vous voulez.

— Oh mon dieu, ce que vous êtes pot de colle ! Fichez le camp ! Je sais qu’il y a une pharmacie, j’ai habité dans le coin. Qu’est-ce que vous ne comprenez pas dans « Allez-vous-en » ?

— Rien. Ce que je ne comprends pas c’est surtout pourquoi « Oh Doyle, il a l’air si sombre et si malheureux ». Expliquez au moins ça, et je partirai.

Elle soupira à son tour, longuement et profondément, se massant la main qui avait écrabouillé le cœur de la vampire directement dans sa poitrine. Elle avait mal calculé son coup en se battant et s’était blessée sur les côtes basses. Ses phalanges à présent tuméfiées avaient été raclées par les os. Si elle avait vraiment été sorcière, elle aurait pu s’auto-guérir. Il fallait qu’elle se désinfecte vite et qu’elle trouve une poche réfrigérée pour désenfler tout ça…

— Bon si vous promettez de dégager, alors ça vaut le coup. Mais vous auriez pu trouver tout seul en additionnant deux et deux. Je vous connais sans vous connaître parce que j’appartiens à cette espèce que vous méprisez : les Observateurs. Qui, parfois, comme vous devez le savoir, empruntent des pouvoirs magiques. Et qui, encore parfois, ont un minimum d'entraînement de terrain. Je suis là car j’ai besoin de voir quelques personnes qui vivent ici, raison pour laquelle je suis en ville. Voilà, vous êtes content ?

— Pour le plaisir ou les affaires ? Parce que si c’est pour le travail, je peux peut-être…

— Un ancien Observateur, improvisa-t-elle.

Il fronça les sourcils, plutôt perplexe.

— Un ancien Observateur ? A Los Angeles ? Il n’y en a plus des masses, des Observateurs... Ce ne serait pas Wyndam-Pryce ? Vous voulez lui demander de rempiler pour prendre en charge des Potentielles ? Il dira non, parce qu’il lui reste malgré tout un peu d’éthique.

— Bon dieu ! Si on m’avait dit qu’un jour, je discuterais d’éthique sur un trottoir avec un vampire pendant que je pisse le sang…

Il sembla enfin réaliser qu’elle avait besoin de soins. Il avait fait son possible pour ne pas regarder sa main qu’elle tenait contre elle, les doigts légèrement repliés, tremblant un peu. Embarrassé, il dit seulement du ton bourru de celui qui se sent coupable :

— C’est moche ce que vous avez à la main. Ça ne vous fait pas mal ?

— Bien sûr que si ! Mais ça fait cinq minutes qu’un vampire très insistant m’empêche de passer. 

Il se rangea brusquement sur le côté, cette fois penaud en marmonnant une excuse. Elle s’échappa vite pour remonter l’accès bitumé conduisant à l’entrée de son hôtel. Encore quelques pas et elle rejoindrait une rue qui s’animait de commerces en direction du nord. Le logo lumineux d’une pharmacie était visible à une centaine de mètres. Elle ne voulut pas regarder en arrière de peur de découvrir qu’il était toujours là.

Pour l’instant, il ne semblait toujours pas avoir compris ce qui le scotchait sur place.

L’odeur diffuse du sang des Summers.

Un « détail » qu’elle avait relégué, ce qui était regrettable. A chaque instant, elle aurait dû garder en tête que Spike avait des capacités sensorielles différentes. Elle le savait, mais dix ans d’intimité avec lui, à ne pas s’en préoccuper, ne s’effaçaient pas si vite.

Elle pensait bien que, lors de cette nuit dramatique à Ostia qui avait changé leurs vies, c’était très certainement ça qui avait fait sortir Parmakaï du bois : la part plus ou moins importante du sang de Buffy qui était en elle.

À certains égards, Dawn pouvait être tout aussi bien considérée comme la fille et non la sœur de Buffy. Pour parvenir à créer une enveloppe physique humaine propice à accueillir celle que Gloria désignait possessivement comme « sa clé », les moines avaient eu besoin d’accéder au patrimoine génétique de Buffy. Leur but était de créer un lien « viscéral » qui la pousserait à protéger la Clé au péril de sa vie. A cette fin, ils avaient passé un accord avec Dracula, le seul vampire capable d’influer hypnotiquement sur quelqu’un d’aussi puissant que la Tueuse et de lui soutirer du sang sans qu’elle s’en rende compte. Quel était le paiement de cette transaction ? Nul ne le savait. Il n’était pas revenu s’en vanter.

Au regard de leur faible différence d’âge apparente, et grâce aux faux souvenirs implantés, Dawn ne s’envisageait pas autrement qu’une sœur. Si on pouvait s’imaginer que Dawn était capable d’ouvrir un trou dissolvant les barrières entre les mondes parce que son sang avait été infusé de sa nature spirituelle antérieure, comment expliquer que celui de Buffy, même génétiquement identique, ait pu refermer la brèche béante, alors qu’elle n’avait pas les pouvoirs inhérents pour le faire ?

Dawn avait cherché et cherché pour résoudre ce mystère, sans trouver d’explication scientifique satisfaisante. La piste la plus logique (si on mettait de côté quoi que ce soit de scientifique) lui semblait être que s’il fallait une combinaison de sang infusé par une énergie spirituelle spéciale, Buffy n’invalidait pas cette règle… si elle-même possédait une caractéristique similaire.

Et maintenant, privé de ce qui pouvait lui permettre de la reconnaître comme la petite Dawn « intouchable », Spike lui collait aux basques, en réagissant instinctivement à cette fragrance, suffisamment familière pour l’attirer comme un aimant, suffisamment différente pour instiller le doute.

Avec un peu de dépit, elle songea qu’en fin de compte, elle aurait bien aimé poser des questions précises à Parmakaï-le-bavard qui connaissait tout sur l’essence des Tueuses. Dormait-il dans les tréfonds de l’inconscient de Spike ? Était-il arrivé plus tard ? Spike l’avait-il chopé comme un virus à force d’errer dans des caveaux ?

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Elle grimaça et pénétra dans l’officine bien éclairée, ce qui la mit aussitôt en confiance. A la vérité, elle était épuisée et avait hâte de pouvoir enfin déposer le fardeau de ces quelques jours, de rentrer en Italie et d’y attendre Willow.

Elle fit patiemment la queue, priant pour que les fournitures médicales rentrent dans son budget. Alex lui avait donné un peu d’argent, avec lequel elle avait remboursé sa jeune version des dépenses qu’elle avait dû faire. Sur ce qu’il restait, elle s'était payé un trajet en bus vers Los Angeles et une nuit d’hôtel. En poche, elle n’avait plus que dix dollars. Elle espérait que ce serait suffisant pour une boîte d’anti-douleurs, de quoi désinfecter et faire un bandage. Et peut-être pouvoir s’acheter quelque chose à manger. Avec un certain optimisme, elle comptait sur le fait qu’Angel veuille bien la dépanner de quelques billets pour s’en sortir quand elle serait arrivée à Rome.

Le pharmacien lui rendit trois dollars et demi. Elle sortit son plus beau sourire pour lui demander s’il avait des boîtes ou des flacons plus petits. Il eut l’air de comprendre qu’elle était fauchée. Son apparence un peu négligée en raison de la “petite bagarre” faisait le reste. Elle le remercia quand elle réussit à récupérer quelques dizaines de cents.

En sortant avec son sac tenu de sa main valide, elle s’attendait à moitié à voir Spike toujours en train de l’épier. En constatant que ce n’était pas le cas, elle en fut soulagée autant qu’attristée.

Pas loin, il y avait un Double Meat Palace et elle s’y rendit pour y prendre ce qu’ils auraient de plus sucré pour lui tenir au corps. Avant d’entrer, elle se recoiffa de son mieux, se frotta la figure, et tenta d’effacer les traces et les salissures sur sa veste.

Sachant que Buffy avait été à cette place un jour, elle sourit à la caissière qui prit sa commande puis alla s’installer à une table pour s’occuper de sa main, ce qui n’était pas facile.

Elle bataillait pour essayer de faire tenir son bandage quand quelqu’un s’assit en face d’elle. Quelqu’un habillé en noir avec les cheveux très blonds et qui sentait le tabac et l’alcool.

Elle n’eut pas la force de lui dire une nouvelle fois de s’en aller. Sans qu’ils ne prononcent un seul mot, il la consulta silencieusement et elle lui tendit sa main. Il travailla vite et bien pour l’enrubanner en serrant mieux les bandelettes. Quand il découpa le scotch d’un coup de dents non humaines, elle tressaillit. Et plus encore en sachant qu’il sentait certainement son pouls s’accélérer sous la peau fine de son poignet.

Quand ce fut fini, elle le remercia d’un regard et elle sirota le thé où elle avait mis trois sucres. Elle se dit que si elle ne pipait pas, il partirait peut-être. Cela n’aurait pas fonctionné pour celui qui était amoureux d’elle, celui du futur, qui savait la comprendre par expérience, mais sur celui d’autrefois ? Toujours sans rien dire, elle s’attaqua au brownie tentant qu’elle avait pris avec le thé et qui reposait sur une serviette en papier rose flashy. Si elle le picorait, il durerait plus longtemps. C’était sans aucun malaise qu’elle était capable de rester comme ça près de lui dans un silence paisible.

Le hic, c’était qu’en réalité elle n’aurait jamais dû être aussi tranquille en compagnie d’un vampire. Et ça Spike devait au moins s’en étonner, ou peut-être s’en vexer.

— Pourquoi vous avez engueulé Doyle comme si vous le teniez pour responsable de mon soi-disant « air malheureux » ?

— Vous n’êtes pas le seul à connaître un Doyle dans cette ville. Pourquoi vous êtes-vous imaginé que je parlais de vous ?

— Un Doyle et une Harmony, dans la même phrase, je me sens concerné.

Elle acquiesça et reprit une gorgée de thé. Il appuya son regard, attendant manifestement une réponse. Les réponses, ce n’était pas difficile à faire, lui avait dit Maya…

— Ceux que vous connaissez, ce sont des proches, c’est pour ça ? demanda-t-elle poliment sur un ton conversationnel.

Il leva les yeux au ciel et dit d’un ton mi-plaintif, mi-excédé en se passant une main sur la figure :

— Oh vous allez me rendre dingue ! Allez quoi, faites un effort ! Vous êtes une Observatrice, vous avez devant vous un maître vampire de plus de cent ans, de la lignée d’Aurelius par-dessus le marché, et vous n’avez aucune question meilleure que celle-là ? Vous n’êtes même pas curieuse ?

— Cent trente-huit ans, dit-elle. Je n’ai pas besoin de vous poser des questions, les Observateurs ont un dossier complet sur vous.

Avaient. Leurs archives ont été détruites. Votre dossier, il ne doit pas être bien épais. C’est certainement l’occasion de prendre des notes, ma belle.

— Les archives n'étaient pas centralisées. Sans parler du coffre-fort bunker enterré sous le quartier général. En passant, la thèse réalisée par votre groupie s’y trouve toujours…

— Ma groupie… ? Oh non, c’est injuste ! Vous connaissez tous mes vilains petits secrets d’autrefois et moi je ne sais rien de vous. Même pas votre nom. Vous êtes là à déguster tranquillement votre goûter, et vous n’avez même pas un petit peu peur.

— Et ça vous vexe. Pourtant, j’ai cru lire que vous aviez une âme et que vous ne mangiez plus les gens. Un gentil vampire.

— Hey ! Retirez ça tout de suite !

Elle afficha un bref sourire très doux qui le désempara.

— Oui, un gentil vampire, mais avec un orgueil en béton armé et des insécurités permanentes à l’idée qu’on pourrait le trouver faible et peu viril…

Les sourcils haussés, il siffla longuement d’un air amusé ou narquois. En général, il faisait ça pour cacher qu’il avait été surpris par un coup un peu bas qu’il n’avait pas vu venir.

— Eh bien ! Voyez-vous ça ! Hot Mommy pulvérise du vampire à coups de talons mortels, en transperce à mains nues, et pour finir les mord à la jugulaire pour s’introduire vicieusement dans leur crâne… Enlevez-vous ça de votre jolie tête naïve. Je ne suis pas un gentil vampire parce que j’ai une âme. Plein de serial killers ont une âme. Vous pensez que ça les retient ? N’importe qui avec deux ronds de jugeote aurait compris que ce n’était donc évidemment pas un critère de “gentillesse”. N’importe qui mais toujours pas ces peigne-culs binaires et moralistes pétochards du Conseil des O…

Il tomba sur son expression, pendant qu’elle pinçait les lèvres en hochant la tête, les yeux grands ouverts avant de croquer un autre bout de gâteau.

— Sans offense ! ajouta-t-il précipitamment, conscient d’avoir bien perdu une occasion de se taire.

— Oui, bien entendu.

Elle regroupa rapidement ce qui restait de son brownie dans la serviette en papier, avant de le faire disparaître dans la poche de sa veste, vida d'un trait son fond de thé, claqua la langue et soupira en se levant.

— Bien. Merci pour le bandage et cette fascinante conversation. Je vais aller dormir, si vous n’y voyez pas trop d’inconvénients. Certains d’entre nous ont besoin de sommeil.

Il se leva d’un coup lui aussi, l’air embarrassé et un peu déçu.

— Je suis désolé, j’aurais pas dû dire ça. J’ai ruiné toutes mes chances ?

Elle le considéra d’un air étonné.

— Vos chances pour… ?

— Pour ce que vous savez très bien, murmura-t-il en baissant les yeux.

Elle les lui fit relever en parlant plus fort, à dessein, les bras croisés.

— Vous pensiez que j’allais coucher avec vous alors qu’on ne se connait pas ?

— Eh bien, c'est-à-dire que… Bah… Oui. Quand on est comme moi, Il y a des trucs qui ne trompent pas.

— Tiens donc. C’est bien les hommes, ça ! Présomptueux comme c’est pas permis. Vous imaginez que parce que je suis vieille, je suis forcément aux abois ?

— Euh, non… fit-il en reculant d’un demi pas. Pas du tout. C’est juste que… Écoutez, reprit-il d’un ton délibérément plus bas, sans doute pour être plus délicat qu’à l’ordinaire ou inquiet de la façon dont les rares clients les regardaient. Je sais que je vous plais… plutôt beaucoup. Alors, j’ai pensé que…

— Spike, je vais vous décevoir, l’arrêta-t-elle en essayant de rester impassible, s’efforçant de regarder partout ailleurs que ses yeux bleus incrédules. Je ne peux pas. Je suis mariée, j’aime mon mari. Nous en avons bavé pour pouvoir être ensemble, plusieurs années. Et vous, vous arrivez avec votre belle gueule et vous croyez qu’il suffit de me renifler et de claquer des doigts ? Non !

Elle le planta là et gagna la sortie en vitesse, ravie de pouvoir respirer de l’air frais qui lui remettrait les idées en place. Il restait derrière la vitrine du Double Meat, mâchoires serrées mais semblant abattu. Elle décida de filer avant de changer d'avis et surtout avant de commencer à pleurer ; allongeant le pas, elle réussit à se retenir de courir, par dignité. Et elle l’entendit appeler.

— Madame ! Mad… Oh bordel ! Hey, l’Observatrice ! Attendez !

Elle continua à marcher vite, mais il la rejoignit sans grande difficulté et lui toucha prudemment le bras pour qu’elle se tourne vers lui.

— Vous n’êtes pas honnête avec vous-même. Vous ne voyez pas l’air que vous avez quand vous posez vos yeux incroyables sur moi. Et en ce qui me concerne, cela fait longtemps que je n’ai pas fait cet effet à quelqu’un… Vous savez, je ne vais pas vous juger si vous vouliez penser à lui pendant que nous...

Il ne finit pas sa phrase. Quand elle se retourna pour le regarder, ses yeux humides, accusateurs et pleins d’une souffrance indicible lui transpercèrent l’âme. Il la lâcha comme s’il s’était brûlé.

— Okay, j’ai compris. Vous me trouvez trop insistant.

Il leva les mains en signe de reddition et recula un peu, avant de les remettre dans ses poches.

— Pourtant, j’ai une impression bizarre. Je ne sais pas trop pourquoi. L’impression que je ne dois pas vous laisser partir seule maintenant, ce soir. Que ce serait mal. Je crois que ce serait mieux si je vous raccompagnais.

— Oh ? Et elle marche, celle-là, d’habitude ?

Il s’arrêta deux secondes, interloqué. Il essayait d’être sincère et elle ne le croyait pas.

— Hum. J’ai pas l’impression… Mais souvenez-vous que vous avez le pouvoir de me flanquer dans un trou bizarre !

La main sur la bouche, elle étouffa un bref hoquet de rire dans un sanglot étranglé.

— C’est vrai, reconnut-elle. Mais je préfèrerais beaucoup ne pas avoir à le faire. Il y a des gens qui tiennent à vous. Et à qui vous manqueriez.

Il renifla par dérision.

— Non, il n’y a personne qui tienne à moi… Venez, revenons à votre hôtel, c’est mieux. Je vous enquiquine depuis une plombe alors que vous avez eu une soirée pourrie. Après je vous jure sur la tête du petit Jésus et de l’amour des petits chiens que je vous laisse tranquille… pour de bon.

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Ils cheminèrent sans qu’il ne cherche plus à s’imposer comme un gros lourd, et comme il n’avait pas arrêté de le faire. Elle pouvait presque sentir ses pensées qui bouillonnaient sous son crâne. Et ainsi ils revinrent sur leurs pas pour atteindre la rue qui conduisait à son hôtel. Le bâtiment était en vue. Il était tout proche mais le temps semblait ralentir au fur et à mesure qu’ils s’en approchaient.

Quand ils furent à quelques pas de l’allée menant à l’entrée, il désigna la porte d’un coup de menton avec un sourire bref :

— Voilà, je vous quitte ici. Rentrez vite.

Elle le remercia quand même d’un hochement de tête et d’un battement de paupières, ce qui lui évitait de faire savoir qu’elle avait la gorge nouée.

— Au revoir, l’Observatrice, dit-il en reculant à contrecœur.

Elle resta debout, hésitante, en proie à des conflits intérieurs qu’il ne pouvait pas imaginer.

— Je voulais vous dire, bredouilla-t-elle. C’est ridicule certainement… Mais j’ai l’impression que je vous dois une explication sur…

Elle fit un mouvement rotatif de la main, levant les yeux au ciel avec un petit dodelinement embarrassé.

— …ce qui vous fait dire que je ne suis pas honnête…

— Non, vous ne me devez rien du tout, conclut-il en pivotant sur lui-même pour repartir.

Il s’en alla à pas lents.

— C’est parce que vous lui ressemblez un peu…

Tournant la tête de profil, il laissa voir son sourire en coin. Qu’elle le prenne pour quelqu’un d’autre, quelques minutes, dans le noir, ça lui aurait très bien convenu. Combien de femmes avait-il étreintes en se figurant que c’était à Buffy qu’il faisait l’amour ? Clairement pas assez !

— Eh bien, ça me fait mal où je pense d’imaginer qu’il y a quelque part un crétin pompeux d’Observateur qui me ressemble vaguement. Mais c’est quand même un petit veinard. Rentrez maintenant. Je ne plaisante pas. Il y a des mecs louches qui nous ont suivis.

— Ah bon ? Pourquoi vous ne l’avez pas dit ? Depuis quand ?

— Tout à l’heure à la pharmacie, j’ai eu l’impression qu’on était observés. Après, vous savez, il y a des tas de raisons pour lesquels des mecs lambda pourraient vouloir vous reluquer, hein ? En me retournant à l’instant, je viens de les reconnaître. Je les ai aperçus plus tôt dans la soirée.

Sans qu’il ait besoin de le lui spécifier, elle jeta un coup d’œil très discret.

— Ces jeunes en baskets fluo ?

— Ouais. Et je peux vous dire que ce ne sont pas du tout des jeunes et qu’ils sont vraiment flippants.

— Ah ? Dans quel genre ?

— Je ne sais pas ce qu’ils sont. Ils fusionnent ensemble pour devenir un truc assez grand et hideux. Je ne suis pas resté pour taper la causette, parce que sous cette forme, je les ai vus découper et bouffer vivants trois vampires en un temps record.

— Bah moi j’en ai eu quatre, dit-elle avec un petit sourire puéril… Bon, fusionner … Est-ce que vous avez vu si les pattes sont spéciales ? Est-ce qu’elles sont aiguisées ?

— Deux d’entre elles, les autres ressemblaient à des mains mais plus grandes. Et la peau aussi… c’est un genre de caméléon.

— Ah, je vois. C’est sûrement un Eucaryote, laissa-t-elle tomber d’un ton lugubre avec un pic anxieux notable.

C’était un de ces trucs étranges pour lesquelles il n’aurait pas d’explications. Une autre impression diffuse que – quand elle ne passait pas son temps à lui faire des promesses électrisantes avec ses yeux et à l’envoyer bouler la minute d’après – elle s’en faisait pour lui…

— Et si c’est le cas, poursuivit-elle, vous n’êtes pas non plus en sécurité ! Si vous l’avez déjà croisé quand il était assemblé, c’est même plutôt probable que c’était vous qu’il était en train de pister en réalité...

— Ok, bah dans ces conditions, je vais les attirer le plus loin possible et vous, vous rentrez.

— Non, vous ne comprenez pas. Ça ne sert à rien. Ils ont un système qui leur permet d’écholocaliser au niveau olfactif. Ils vous ont sûrement senti quand ils se sont nourris. Et plus tard, ils nous ont vu ensemble… Alors, ça fait quoi d’être une victime du flair de compétition d’un autre ?

— J’aime pas... Mais je ne pige pas. Qu’est-ce que ça fait qu’ils nous aient vus ?

Elle se mit à chercher frénétiquement du regard quelque chose autour d’elle, tout en répondant distraitement :

— D’après ce que je crois me souvenir parce qu’on n’en croise pas beaucoup, ils fonctionnent en séquence. Ils ne sont capables de se focaliser que sur une seule proie, l’une après l’autre. Le hic, c’est que pour eux, vu leur constitution, un groupe, ça peut être « une » proie. Vous avez touché plusieurs fois mon bras. Si celui-là ne vous attrape pas, il se rabattra sur moi de la même manière parce que dans sa logique, je suis une partie de vous. La seule chose qui peut en arrêter un, c’est quand il s’est déjà goinfré et qu’il n’a plus faim. Comme les nouveaux-nés vampires…

— Mhh. Il y a d’autres manières ?

— A part le fourrer dans une très grosse déchiqueteuse à bois, ou le bourrer d’explosifs, pour le moment, on n’a rien trouvé. Le poison ne marche pas trop, ça le ralentit un peu, c’est tout. Lui trancher un membre non plus… Et pour info, il peut grossir, la peau est élastique.

— Ah ça pas de doute, vous êtes du Conseil des Observateurs. J’ai toujours quelques explosifs sur moi mais je ne suis pas sûr que ça suffise… Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

— Je ne sais pas encore… Il faudrait aller quelque part où ils n’auraient pas envie de se retrouver. Laissez-moi réfléchir deux minutes.

— Je ne suis pas sûr qu’on les ait. Réfléchissez vite.

En retour, il se gagna un regard impatienté qui ne s’améliora pas quand elle vit la tête roublarde qu’il faisait. Les sourcils haussés et la voix suave, il se rapprochait d’elle pour pouvoir parler moins fort :

— Bon. On dirait bien qu’on est coincés tous les deux dans cette galère et qu’on sera morts d’ici la fin de la soirée. Des idées pour occuper le temps qu’il nous reste ? plaisanta-t-il.

Elle se retourna vivement pour faire face au petit malin, en le menaçant d’un doigt levé.

— Ne vous avisez surtout pas de trouver ça terriblement excitant.

Spike se tut parce qu’elle venait très exactement d’énoncer ce qu’il ressentait et il avait l’impression qu’elle le savait.

— Vous avez un plan ?

— Oui. Appeler la cavalerie. Vous garder en vie. Ne pas mourir.

— J’adhère à cent pour cent. Surtout les deux derniers points. Mais comment ? Vous les poussez dans un trou de Bip-Bip et le Coyote ?

— Non, ils se méfieront. Pas le choix, c’est nous qui allons sauter. Je cherche un recoin discret pour qu’on le fasse. Ne souriez pas bêtement. Dès qu’on sera hors de vue, on dégage. Vous me donnerez la main et ne me lâcherez pas quand on traversera. Même si l’Eucaryote parvient à nous pister, je compte le laisser à des gens qui sauront le gérer. Vous préférez quoi : le parking souterrain de Wolfram et Hart ou la prison des freaks de l’Armée américaine ?

— La peste ou le choléra… Disons Wolfram. C’est à côté et ça leur fera les pieds. 

— Il n’y a pas des gens que vous appréciez là-bas ? demanda-t-elle en pensant à cette fameuse « Fred » qu’il évoquait de temps à autre. Parce que ça pourrait très mal tourner…

— Je préviendrai qui j’ai besoin de prévenir. Et une fois qu’on y sera ?

— Un deuxième saut qui nous emmène très loin, en sécurité.

Un coup d’œil derrière eux leur confirma que les trois jeunes avaient cessé de faire semblant de se promener tranquillement en haut de la rue et couraient à toute vitesse dans leur direction.

— Ok, chuchota-t-elle, on ne rentre pas dans l’hôtel, c’est trop dangereux pour les gens. On va derrière, après le parking, et on croise les doigts pour que personne ne nous voie. Foncez !

Fort heureusement, les vérins de l’exosquelette n’avaient pas trop morflé contre les vampires et Dawn put suivre la foulée de Spike sans trop de difficultés.

Sur leurs talons, l’Eucaryote serait là dans une minute à peine. En débouchant dans une courette de service, sans même reprendre son souffle, elle exécuta un mouvement de la main mais les choses n’eurent pas l’air de se dérouler comme prévu. Elle stoppa pour s’appuyer contre un mur, grimaça et recommença.

— Ils arrivent, alerta Spike. Quoi que vous fassiez, c’est le moment ou jamais.

Le geste lui faisait mal. Elle pouvait y pallier en se concentrant davantage mais elle était fatiguée et apeurée. Elle plissa les yeux en essayant de visualiser un emporte-pièce acéré qui coupait la matière. Elle força le trou à s’agrandir suffisamment et attrapa Spike sans ménagement pour le chasser devant elle, l’incitant à se glisser dedans comme s’il franchissait une lucarne, une jambe après l’autre. Dès qu’il fut à moitié passé, elle poussa un cri de frayeur en voyant une grosse main au bout d’un tentacule musculeux lui arriver droit au visage. En bousculant son compagnon d’infortune, elle se jeta désespérément dans l’espace circulaire.

Elle atterrit à peu près sur lui, l’envoyant au tapis en même temps qu’elle mais le diaphragme du petit passage se colmata aussitôt, sans laisser la place à l’Eucaryote de glisser un bras.

A même le béton dur, tout près d’une grande voiture noire, ils restèrent un instant sans bouger. Il sentait qu’elle avait eu très peur.

Elle gardait les yeux fermés, inspirait et expirait rapidement. Puis, tentant de rouler sur le côté pour arrêter d’être à moitié étalée sur lui, elle émit un petit gémissement de douleur quand elle essaya de s’appuyer au sol pour se dresser contre le pneu de la voiture. Elle retomba lourdement sur l’épaule de Spike, et se mit à chuchoter quelque chose proche d’une litanie inaudible, entrecoupée de longues inspirations et expirations tremblantes.

— Ok, ce n’est pas ce que vous avez envie d’entendre mais je trouve ça… carrément excitant quand même.

— La ferme. J’essaie de ne pas m’évanouir, je suis tombée sur ma main.

— Ouais… Entre autres…

— Vous croyez que je vous ai cassé quelque chose ?

— Non. Je reste en état même après qu’une maison me soit tombée dessus.

— Mhh, on ne peut pas en dire autant des orgues. Si vous allez bien, aidez-moi à me relever. Le comité d’accueil sera là dans une minute.

Il tendit le bras pour se saisir de celui qui ne la faisait pas souffrir, et fut étonné de voir qu’elle pesait son poids. En se penchant, il vit quelque chose briller sur le côté d’un mollet qui avait peut-être amorti le choc – là où il ne s’en était pas galamment chargé lui-même…

— Vous avez un truc à la jambe… On dirait que vous avez pris un bout de je sais pas quoi. C’est épais, du métal… d’où ça vient ?

Elle regarda et vit son pantalon déchiré sur une dizaine de centimètres. L’ossature de l’appareillage qui l’aidait à marcher était apparente. Elle écarta un peu la déchirure pour regarder et marmonna que ça avait l’air d’aller. Puis elle accepta le bras de Spike pour se remettre debout, mais la même jambe sembla fléchir, et elle poussa un juron. Avec surprise, il la vit se taper trois fois de la paume valide, au creux de l’os iliaque. Un petit cliquetis et un bourdonnement léger plus tard, elle tendit et détendit la jambe en pliant le genou.

— Voilà, c’est réparé.

Il la regarda avec curiosité et intérêt.

— Ah bon… Je ne savais pas que je sortais en virée avec Super Jaimie. Mais du coup, ça explique des trucs… Est-ce que vous avez toutes vos jambes là-dessous ou…

— Super Jaimie… n’importe quoi ! Chut. Les gros bras vont arriver. Baratinez-leur quelque chose. Il faut que je voie Angel.

— Tout à l’heure, vous aviez dit Wesley…

— Bah, les deux. Débrouillez-vous pour qu’on aille voir l’un ou l’autre. Techniquement, vous bossez bien ici, ou vous y venez juste pour casser les pieds du patron ?

Il afficha un vrai sourire pour la première fois et ses yeux brillèrent, ce qui le rendit sexy en diable.

— Epousez-moi, Hot Mommy.

Elle rosit et se retint de dire « Un jour peut-être » parce qu’elle savait que si elle devait faire quelque chose d’utile pour sauver le futur, c’était plus sûrement de lui rappeler que c’était une autre qu’il désirait follement, et qui occupait tous ses rêves.

Il avait bien repéré son changement de couleur et qu’elle s’apprêtait à dire quelque chose de bien plus intéressant que ce qui sortit finalement :

— Allons, un démon comme vous n’est pas fait pour le mariage. Ça casserait votre image et vous y tenez tellement ! Sérieusement, vous vous voyez avec une maison, une barrière blanche, le crédit et le chien qui vont avec ? Avec une petite femme qui vous réchauffe le sang au bain-marie, en attendant pieusement que vous reveniez couvert de crasse de démon et des esquilles émiettées dans les cheveux ? décrivit-elle moqueusement. Et qui plus est, monsieur le vampire, tout votre être, jusqu’à la moelle, porte la signature d’une autre. Nous le savons très bien tous les deux.

Il baissa la tête et ses narines papillonnèrent quelques secondes, et puis il demanda, l’air contemplatif tandis que la sécurité de Wolfram venait les « escorter ».

— Est-ce qu’on ne pourrait pas foutre le feu à mon putain de dossier d’archives qui me casse la baraque à chaque fois ? Juste, je demande…

 


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