When in Rome

Chapitre 82 : Le sang de l'innocent

4562 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 23/12/2023 15:00

Chapitre 82 Le sang de l’innocent

 


« Il y a six choses que hait l’Éternel, et même sept qu’il a en horreur : les yeux hautains, la langue menteuse, les mains qui répandent le sang innocent, le cœur qui médite des projets iniques, les pieds qui se hâtent de courir au mal, le faux témoin qui dit des mensonges, et celui qui excite des querelles entre frères. » Proverbes 6:16-19 LSG

 


FiveByFive

Giles, ça y est ! Black Friday. Le magasin est vide

Rupert Giles

Tout s’est bien passé ?

FiveByFive

Quelques clients auraient aimé éviter la cohue. S’ils reviennent, je leur offre une carte cadeau

Rupert Giles

Ne plaisante pas avec ça. Je passe au Coven pour activer le dispositif et j’appelle Willow.

FiveByFive

Oki doki.

Rupert Giles

Et Thisbé ?

FiveByFive

Pas blessée gravement, des bleus.

Rupert Giles

Tant mieux. On se reparle dès qu’on a une localisation. Toi ça va ?

FiveByFive

Réanimée par Angel à temps

Rupert Giles

 ????? :-O Je t’appelle !

FiveByFive

Non c’est bon, j’ai rien. Faites votre truc d’abord.

Rupert Giles

Pas sûr que tu doives participer à la traque

FiveByFive

Ha ha. Je vous laisse. Thisbé n’arrête pas de bigler sur les pecs d’Angel… Bye

.

La brune Tueuse releva les casiers qui faisaient office de vestiaires pour les clients. Pas sûr qu’il lui en resterait le lendemain toutefois. Elle jeta un coup d’œil vers Angel qui avait recouvert d’une grande serviette les trois habitués qui n'avaient pas survécu à cette descente. Elle les connaissait peu mais ils n’avaient ni hésité ni fui. Ou bien était-ce seulement parce qu’ils étaient tous bloqués dans cette souricière où ils n’auraient jamais dû se trouver ? A voix basse, il parlait aux deux habitués de la salle qui s’accrochaient encore à la vie, en essayant de leur donner du courage.

La police allait arriver, ça allait grouiller d’ambulanciers ou de médecins. Ou les deux. Il allait falloir donner des réponses patientes. Mais hey, n’était-elle pas une excellente actrice ? Elle lui adressa un clin d’œil en souvenir du bon vieux temps, sans qu’il sût pourquoi. Elle n’avait jamais oublié le moment où il lui avait fait croire qu’il était redevenu Angelus, la plus noire version de lui-même.

Plus que le mal qu’elle voulait faire à Buffy en lui volant son petit ami, il lui restait la sensation grisante d’avoir eu – trop peu de temps – à ses côtés un être puissant, retors et beau auprès duquel elle s’était sentie digne d’être désirée pour ce qu’elle était. Le souvenir de ses mains sur elle, fébriles et avides, pétrissant fougueusement sa chair sans retenue mais sans lui faire trop de mal. C’était délicieux, c’était excitant, c’était très vieux tout ça… Combien de temps maintenant ? Avant-hier ?

Elle secoua la tête en mordant un sourire, ce n’était pas exactement le moment de penser à ça. Mais (n’en déplaise à toutes ces petites jeunesses qui s’imaginaient qu’à son âge, c’était dégoûtant) danser avec la mort lui faisait toujours le même effet. Si on leur en laissait le temps, elles verraient bien par elles-même.

— Laisse ça, l’interrompit-elle, je vais m’en occuper, tu as dit que les ambulances seraient là dans dix minutes maximum. Il faut que tu raccompagnes Thisbé, elle est sûrement très choquée.

— Non, non, démentit l’intéressée. J’ai juste eu peur. Et en plus, contrairement à d’autres, je ne suis pas morte et à peine évanouie trois secondes… souligna-t-elle avec un petit air fier qui aurait pu être agaçant.

Angel se retourna pour éviter qu’on voie qu’il appréciait sa répartie, et alla chercher sa veste en cuir – vestige d’une autre vie. Il avait beau faire, il n’arrivait pas à la jeter ou la donner.

— J’attends dehors, je crois que j’entends des sirènes.

Faith regarda Thisbé avec circonspection dès qu’il se fut assez éloigné.

— Si je te dis quelque chose d’important, est-ce que tu vas m’écouter ?

L’enfant changea aussitôt d’attitude et opina vigoureusement, les yeux pleins d’espoir. Rien que ce fait serrait le cœur de Faith. Elle était si désespérément en manque de tout, cette petite ! D’attention, déjà. D’amour, sûrement.

— En fait, j’ai dit ça pour Angel. J’ai envie qu’il se sente… valorisé. Ce n’est pas facile pour lui, avec le genre de femme que je suis. Quand il était un vampire, nous étions égaux en force et en résistance. Je me doute que devenir jeune fille au pair, ce n’était pas son objectif de retraite.

— Jeune fille ?

— Euh, nounou, garde d’enfant, ça tu connais ?

— Je vous ai dit cinquante fois que je n’ai pas besoin d’être gardée…

Faith inclina la tête de côté, pour faire semblant de réfléchir.

— Je crois l’avoir entendu une fois ou deux. Ce dont j’ai besoin, en vrai, c’est que ce soit toi qui raccompagnes Angel, parce que, lui, il est choqué.

— Ah bon ?

— Ouais.

La Tueuse étira ses épaules et la ligne de son cou en grimaçant, se demandant si elle avait quelque chose de déboîté ou un os en train de se ressouder… Thisbé restait plantée là, comme si la consigne ne lui suffisait pas. Bon, il allait falloir lui expliquer tout mieux que ça.

— Tu n’as pas vu tout à l’heure ?

Elle fit un geste ouvert dans la direction qu’il avait prise.

— Bah, il était tout pâle… insista-t-elle.

Elle hocha la tête dans l’espoir de déclencher une réaction, mais en vain. Thisbé continuait à cligner des yeux, comme si elle n’y voyait strictement aucun rapport. Peut-être que c’était le cas. Ou pas. La Tueuse vivait depuis suffisamment de temps avec son vampire-plus vampire pour savoir décrypter ses silences et jusqu’à son inexpressivité étudiée.

— Bon, voilà. Il ne va pas le dire. Il refusera absolument de le dire qu’il regrette à moitié son choix. Mais si tu es avec lui, en fait il ne cogite pas trop. Il t’aime bien et il se sent utile quand tu es dans le coin, parce que tu lui rappelles les choses qu’il peut faire plutôt que celles qu’il ne peut plus, tu comprends ?

— Alors… c’est moi la « nounou » ?

— Gagné ! Ne lui fais pas sentir que tu n’as pas besoin de lui. En tous cas, pas en ce moment pendant qu’il lutte pour se réadapter. C’est bon ? Je peux compter sur toi ?

— Oui. Je crois.

Faith souffla par le nez avec un petit rire en répétant « Je crois » comme si c’était la chose la plus drôle qui soit, puis elle lui dit de la suivre et de faire attention de ne pas se « ramasser » sur tout ce qui trainait par terre. Tout ce qu’il allait falloir racheter, peut-être, une fois le calme revenu. Thisbé ne se fit pas prier pour obtempérer.

— J’aime bien marcher à côté des gens ! déclara-t-elle, absolument hors de propos.

Pensif, les mains dans les poches, Angel était bien en train d’attendre sous un réverbère. Il quitta vite sa mine austère en réalisant qu’il était observé et fit plutôt signe aux ambulances. Les estafettes approchèrent à vive allure toutes sirènes hurlantes et les équipes médicales jaillirent par les portes, s’engouffrant au pas de course, en poussant des brancards brinquebalants.

Après un coup d’œil à Angel et Thisbé qui semblait désemparée, Faith leur indiqua d’un petit mouvement de tête concis qu’ils pouvaient y aller et qu’elle allait gérer.

.

Se sentant un peu tous deux congédiés, ils tournèrent les talons et remontèrent la rue passante jusqu’au prochain arrêt de bus. Ils n’avaient pas besoin de parler, car l’un comme l’autre avaient besoin d’encaisser ce qui s’était passé.

Puis au bout d’un moment, Angel tourna les yeux vers elle, peut-être rattrapé par la curiosité, et tira gentiment la manche de son sweat gris. Cette petite choisissait toujours les mêmes vêtements, les plus ternes possibles, mais cela aurait été malvenu de le lui faire remarquer. Il avait porté du noir pendant la majeure partie de son existence.

— Alors ? Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?

— Si j’ai bien compris, elle s’inquiète pour toi. C’est beau.

— C’est beau ?

— Oui, vous vous inquiétez l’un pour l’autre… Et tu lui as sauvé la vie. Tu vois bien que sans toi, elle serait morte alors que c’est la femme la plus forte du monde !

Rien qu’il ne sût déjà depuis longtemps…

— Ah oui, le massage cardiaque et la respiration artificielle… Comment oublier ce moment glorieux où je me suis fait traiter de « grande andouille » ?

Avec l’air d’être prise sur le fait, Thisbé regarda ailleurs, feignant d’être absorbée par le trafic routier. Peut-être avait-elle espéré qu’il n’y ait pas fait pas attention, dans le feu de l’action ?

— Je ne suis pas responsable des erreurs de traduction des petites machines qui travaillent dans ma tête… esquiva-t-elle avec une mauvaise foi boudeuse.

Comme par réflexe, le cœur d’Angel se dilata soudain et il laissa échapper un rire. Incertaine de l’attitude à adopter, elle le regardait par en-dessous. Peut-être pensait-elle qu’il se moquait alors qu’il était simplement inexplicablement heureux d’être en vie, au milieu d’une soirée catastrophique.

Elle se mordilla la lèvre inférieure en hésitant manifestement à poser une question qui avait l’air de la tarauder.

— Angel, est-ce que c’est grave que le méchant ait pris le hachoir pointu ?

— Probablement, probablement, acquiesça-t-il lentement.

Le bus ralentit et donna un coup de frein. Monsieur-le-choqué se leva avant d’ajouter avec un drôle de sourire mystérieux :

— Mais ce qu’on ne sait pas, c’est… grave pour qui, du coup, vu qu’ils n’ont pas la bonne ? Viens, c’est notre arrêt. On descend.

Une fois sur le trottoir, il scruta les alentours. La rue résidentielle semblait calme mais… ou il était parano ou ils étaient surveillés. Et l’un n’excluait pas l’autre. Avec l’attaque de ce soir, rien n’était à négliger. La maison de Giles était protégée par un sort de distorsion de la lumière, mais comme la nuit était tombée, certaines créatures nyctalopes pouvaient les apercevoir franchir un mur où ne figurait aucune porte.

— On fait le tour du pâté de maisons, j’ai besoin de vérifier un truc. Reste bien du côté éclairé, donne ta main et ne me lâche pas…

Elle fit la moue mais s’exécuta docilement. Ils marchèrent un peu en silence, le temps de faire deux fois le tour, puis voyant qu’il n’y avait rien d’autre qu’un peu de vent dans les branches, il l’avertit qu’ils rentraient.

Il ne lui lâcha la main que le temps de sortir la clé pour ouvrir la porte. Derrière lui, une sorte de petit soupir se fit entendre, suivi d’un « mmm… mmmmmmmm » étouffé. Quand il se retourna, ce fut pour voir un homme furtif ayant plaqué sa main sur la bouche et le nez de Thisbé. L’individu la jeta sur son épaule pour l’emporter à toutes jambes. Au vu de sa foulée, il subodorait que c’était un vampire.

— Thisbé !

Deux fois il avait vu son petit visage aux yeux agrandis par la terreur, dans la même nuit ! C’était deux fois de trop. Les traits déformés par une grimace rageuse, il se lança à sa poursuite, courant comme un dératé après celui qui venait de l’escamoter dans les ténèbres. Mais cette nuit, il était un vainqueur. Il était en vie, il avait sauvé Faith, il ne pouvait pas laisser tuer cette pauvre enfant.

Au désespoir, elle avait prié Spike, il l’avait entendue faire. Spike ! Que jamais cet abruti ne l’apprenne ou son ego partirait directement dans la stratosphère ! Mais Spike n’était pas là. A Rome, ils avaient leurs propres problèmes. Ne restait que lui, et c’était très bien comme ça.

La chaussée sentait encore le goudron frais, l’odeur âpre s’engouffrait dans ses poumons encore un peu novices. Il courait soutenu par la seule et fixe certitude que quand il mettrait la main sur celui qui avait cru pouvoir enlever Thisbé, il lui ferait passer un sale quart de seconde.

Et il priait aussi pour ne pas s’effondrer à bout de forces, en moins de deux minutes.

— Angel !

Le cri étranglé était long, il venait de la droite. Un grondement et un grognement retentirent. Angel s'élança, poussa encore ses forces jusqu’à la limite et puis s’arrêta tout d’un coup en reconnaissant le parc familier où il se trouvait. Haletant, il observa quelques secondes la petite jeune fille courir autour des massifs et se cacher, sans se laisser attraper. Avisant les parterres de fleurs et d’arbustes, il marcha droit sur eux et en arracha tous les piquets qui portaient le nom des fleurs et des arbustes, jusqu’à en trouver un en métal solide.

Levant la tête pour chercher où le voleur d’enfant était, il eut juste le temps de le voir à moitié tourné refermer ses crocs sur le bras de la petite qui cria. Le bruit d’aspiration et de succion le mit en fureur. Angel fonça, le piquet levé pour le transpercer dans le dos. Le croque-mitaine exécuta un mouvement tournant fluide, Thisbé lui donna un coup de coude qui le plia un peu et de ce fait, il reçut le pic d'Angel plus bas que le cœur. Pas bavard, il se contenta de grogner encore. Thisbé se saisit du piquet et ne réussit pas à le retirer du ventre de son assaillant. Elle ne put que remuer le couteau dans la plaie, pour ainsi dire, ce qui conduisit le vampire à la repousser brutalement pour faire cesser cette douleur. L’enfant fut vite rejointe par Angel qui brandissait deux autres piquets brillants sous la lune.

— Essaie encore une seule fois…

Sans lui laisser le temps de répliquer quoi que ce soit, Angel fit ce qu'il s’était promis et expédia les piquets sur le vampire qui dévia les pointes avec d'épais bracelets de métal comme ceux qu’en portaient les forçats. Avec une grimace ravie dévoilant ses dents ensanglantées, le vampire se permit de rire avant de reculer à pas lents comme pour les narguer. Effrayée et furieuse à la fois, Thisbé prit un piquet dans un massif et le lui lança à la tête pour le faire reculer encore plus loin. L’autre gloussa davantage.

— Trop mignon, commenta-t-il avant d’ajouter avec jubilation. Et dire que vous n’avez rien compris !

Et il tourna les talons jusqu’à un gros arbre pour partir tout tranquillement, jetant un dernier regard à Thisbé qui le menaçait le plus pitoyablement qui soit, avec un bout de plastique jaune annonçant « Hydrangea arborescens ».

— Laisse tomber l’affaire, chérie. J’ai obtenu de toi tout ce que je voulais !

Mal à l’aise, elle le regarda s’évanouir dans l’obscurité du couvert des arbres. Elle le fixait sans ciller, sans pouvoir détacher les yeux de lui. La voix d’Angel dut insister pour qu’elle revienne à la réalité.

— Thisbé, ça va ?

Elle parut revenir à elle et s’échauffer un peu.

— Il m’a croquée au bras ! s’indigna-t-elle en le levant pour lui montrer. Regarde ! Comment on va soigner ça sans la modernité médicale ?

Elle regarda la marque faite par les dents avec une grimace floue et le nez plissé.

— Oh, non, je ne me sens pas très bien. Je te préviens, je vais peut-être m’évanouir. Mais avant tu peux me dire si je vais devenir un brucolaque moi aussi ?

Il sourit gentiment.

— Non, non, ne t’inquiète pas. Mais je te préviens aussi, si tu t’évanouis, je vais peut-être te porter dans mes bras.

Elle pinça les lèvres mais ce fut pour cacher une petite risette amusée. Dans le fond de ses yeux, il eut la surprise de lire qu’elle aurait bien aimé s’évanouir, peut-être un tout petit peu, mais elle cligna des paupières et tout cela disparut.

Il avait déjà vu un tel regard.

 

.°.


Cleveland, 23 juillet 2046

L’Oryx s’avança majestueusement en faisant claquer ses sabots sur le parquet de la vieille maison que Warren squattait. Ce dernier n’était pas beau à voir, songeait Amy, en tous cas encore moins que d’habitude depuis qu’Eyghon avait pris possession de lui. Malgré les potions qu’il lui réclamait, sa peau tendue sur les os saillants avait très mauvaise allure.

Dans le poing de l’hybride cervidé qui venait d’entrer sans hâte, elle pouvait voir la fameuse Hache des Tueuses dont la tranche argentée jetait des éclats fascinants. Il la tenait serrée par pure vantardise car il y faisait manifestement une mauvaise réaction. Elle tenta de masquer sa convoitise tandis qu’il avançait vers Warren pour la remettre en offrande, posée à plat sur ses deux paumes. La seconde paume se mit à fumer avec un bruit de viande posée sur le barbecue.

En voyant cela, Eyghon changea d’avis et retint prudemment son élan alors qu’il comptait s’en saisir.

— Tu m’as bien servi, déclara-t-il avec un coup d’œil sur les cloques pustuleuses calcinées. Tu seras largement récompensé à la hauteur de ton sacrifice. Amy ? Voici ce que tu as réclamé.

Amy avait sorti des gants blancs pour prendre l’objet avec précaution et l’inspecter sous toutes les coutures. Elle opina et inclina la tête avec un bref sourire satisfait. Puis elle regarda autour d’elle avec étonnement.

— Où est la fille ? Est-ce qu’elle n’était pas là-bas ?

— Si, je l’ai vue, répondit calmement l’Oryx. J’ai préféré sécuriser la récupération de la hache.

Eyghon tapa du poing sur l’accoudoir de sa chaise qui craqua légèrement.

— Quoi ?! Je retire ce que j’ai dit… commença-t-il avec un air mauvais dans ses yeux globuleux. Si elle t’a échappé, elle sera bien plus difficile à capturer car ils vont la mettre sous une plus étroite protection. Et alors…

— Qui t’a dit que je ne l’avais pas et que cette mission était un échec ? l’interrompit le cervidé qui tempérait son humeur. J’ai envoyé un homme à moi la chercher. Il devrait déjà être là avec ce que vous avez requis.

— Pour l’instant, il n’est pas là…

On cogna à la porte et un vampire s’introduisit. Silencieux il s’empressa de saluer d’un bref signe de tête et empoigna le premier verre qu’il trouva, sous les yeux interloqués et indignés de tous. Ce n’était pas des manières.

— … et il arrive sans la fille ! soupira Amy. Sans elle, ça n’a aucune chance de fonctionner.

Le vampire cracha dans le verre à whisky heureusement vide et le leva triomphalement vers eux tous. Tout à fait content de lui et sûr de son effet, il déclara d’un ton arrogant :

— Pas besoin de l’avoir en entier. J’ai exactement ce qu’il vous faut !

Il inclina le récipient à la lumière, faisant tournoyer au fond cinq centilitres de sang d’un rouge vif.

— Est-ce que c’est une plaisanterie ? s’échauffa Warren qui sentait monter la colère d’Eyghon.

— Non, monseigneur. D’après ce que vous avez dit, il y avait deux filles quand vous avez été invoqué dans un donjon. Une dedans et une dehors. Le sang prélevé sur vos griffes n’a rien donné de bien concluant. Donc… dit-il en faisant une pause avec un air entendu en attendant qu'ils percutent. Ça, ça vient forcément de la mioche qui a permis de vous ouvrir un portail à Rome… J’en ai prélevé plus qu’assez pour faire plusieurs essais. Etes-vous satisfaits ? demanda-t-il en se tournant plutôt vers Amy.

— Très, répondit-elle avec un mince sourire. Vous m’excuserez maintenant, je dois le filtrer et le congeler au plus vite, avant de m’occuper de la première partie de votre plan.

Elle s’inclina à peine et sortit de la pièce pour gagner la cuisine. L’oryx regarda longtemps l’endroit où elle s’était tenue. Puis il rappela son homme de main à ses côtés.

— Si je puis me permettre, monseigneur… Ne lui faites pas confiance.

Eyghon ricana en se relevant de sa chaise, avant de venir lui taper dans le dos.

— Pas un seul instant.

.°.


Mâchoires serrées, Amy s’était exécutée le plus vite possible pour tenter de filtrer le sang de la salive. Elle referma la porte du congélateur sur la petite boîte à bijoux qui contenait le flacon de ce qu’elle avait pu sauver du sang apporté par Rutgir. Pour une fois, il y en avait un qui avait deux ronds de jugeote. Grâce à cela, ils n’auraient même pas à gérer une otage, ni essuyer une lourde opération de représailles de la part de ses amis. Trop contents d’avoir pu sauver la gamine, ils ne tenteraient pas le diable… Enfin, peut-être pas immédiatement.

Elle s’approcha de la deuxième prise de la soirée, non sans appréhension. Elle avait lu tout ce qu’elle avait pu trouver sur les Tueuses. Même une copie d’un manuel de formation guère à jour, mais tout de même précieux. C’était une surprise que l’objet cause de tels dommages aux démons qui la touchaient, mais cela n’avait pourtant rien d’absurde. Ceux qui l’avaient forgée avaient dû prévoir qu’elle pouvait tomber entre de mauvaises mains. Une telle arme à disposition de démons, cela aurait été stupide de ne pas y adjoindre quelques protections.

Maintenant la question à mille dollars c’était : est-ce qu’une sorcière pas vraiment dans le camp des gentils pouvait la manipuler sans y perdre les mains ?

On racontait que sans appartenir à la lignée des Tueuses, Willow en avait été capable alors qu’elle n’était pas vraiment clean. Manquer de détruire le monde, peler Warren vivant… si tout ça passait, ça plaidait pour une certaine innocuité de l’objet. Ce que l’histoire ne disait pas, c’était pourquoi Willow avait eu besoin de cacher cette hache…

Propagée par des fantômes, une rumeur soutenait qu’avant la chute, c’était les pouvoirs mystiques croissants de deux Tueuses avaient qui avaient attiré des Élues en puissance jusqu'à elles, à Sunnydale. Amy s’imaginait que l’opération consistait à leur donner autant de chances de triompher de l’apocalypse qu’il y aurait d’agnelles du sacrifice, prêtes à tomber l’une après l’autre. Pourtant, par d’autres indiscrétions dans le monde occulte, on savait que ce n’était pas ce qui s’était passé, apparemment. Plusieurs Tueuses avaient été activées en même temps.

Quand on connaissait les règles de transmission du pouvoir des Élues, la conclusion la plus plausible, c’était que face à une situation désespérée, Buffy avait demandé à Willow de la tuer et de la ressusciter autant de fois que nécessaire pour investir toutes les filles présentes sur la Bouche de l’Enfer de ses pouvoirs d'Élue. Séduisante sur le papier, pour des gens qui n’y connaissaient pas grand-chose, la théorie présentait une faille de taille. Il y avait des centaines de Tueuses aujourd’hui. Buffy ne pouvait décemment pas avoir été tuée à répétition et en plus, certainement pas par Willow étant donné leur « passif » à ce sujet…

Non, pour créer toute cette armée de Tueuses, il avait dû falloir une énergie absolument démente. Et l'intuition d'Amy lui soufflait confusément que ça avait un rapport avec la faux. Une arme ancestrale chargée d’une magie si ancienne qu’elle remontait à l’aube de la préhistoire. Ce ne pouvait être que ça. Un puissant artefact, une puissante sorcière, un puissant résultat, bouleversant probablement l’équilibre du monde… Mais si cette intuition était avérée, qu’est-ce que Willow avait bien pu faire ?

La sorcière passa un doigt ganté le long du manche. Ce qui était très évident quand on y était sensible, c’était la ganse piquante et impalpable qui l’entourait complètement. Simplement posée sur la table, la hache émettait une très faible luminescence qui ne se distinguait que dans le noir complet. « Car c’est dans les plus noires ténèbres que l’on voit mieux la lumière » récita-t-elle, en s’amusant de cette platitude.

Amy ôta le gant de sa main gauche, doigt par doigt puis approcha son auriculaire pour effleurer à peine le manche. Rien ne se passa. Alors lentement, elle s’en saisit et la soupesa, s’étonnant de son poids malgré une apparence fine. Au contact direct de la peau, la magie vibrait davantage, et émettait comme un bourdonnement dans des fréquences très basses.

Maintenant Amy avait besoin d’évaluer le potentiel de l’objet et pour ce faire, elle eut une riche idée. Avec la magie, c’était simple, si on voulait recevoir il fallait donner. Il était hors de question qu'elle sacrifie sa propre intégrité physique, mais quelque chose de très précieux ferait l’affaire. Elle balaya du regard l’espace encombré d’ustensiles et de vaisselle, insignifiants et miteux, et puis ses yeux finirent par s’arrêter sur la porte du congélateur.

 

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