When in Rome

Chapitre 77 : Arcana Dei, dans le secret des dieux

5307 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 29/07/2023 13:49

Chapitre 77 Arcana dei, dans le secret des dieux

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Dawn regarda Doyle, son énigmatique visiteur du soir. Il avait l'air vraiment navré d'avoir lâché sa petite bombe.

— J'ai créé une boucle. Et… en quoi c'est réellement grave ? s'impatienta-t-elle. On n'a qu'à la déboucler ! Si j'ai pu la créer, je dois pouvoir la défaire. Moi, je ne veux pas rester ici. Ce n'est pas ma place.

— C'est « grave » parce que ça amène à fixer des situations qui restaient virtuelles et qui ne pourront plus être changées. En désirant écarter Amy et Warren, en l'évoquant devant Riley Finn et en lui demandant son aide, tu n'as fait que les maintenir dans le giron des sections spéciales de l'Armée américaine. Juste parce ton ami a posé une question ou demandé à les voir, leur transfert ailleurs n'a pas eu lieu – ce qui était le plus plausible en l'absence de la moindre amélioration dans l'état d'Amy. Les militaires sont devenus plus curieux et ont cherché à savoir le pourquoi de son intérêt en pratiquant diverses injections pour tenter de la réveiller et en apprendre plus. Ça n'a pas marché mais ça n'a pas été sans effets sur ses petits neurones. Et ça s'est vu sur les IRM. Alors au lieu d'être transférée, elle est restée dans un périmètre bourré de divers démons et médiums aux pouvoirs psychiques. C'est ça qui a créé les bonnes conditions pour qu'elle devienne, avec le temps, une sorcière de gros calibre et à l'insu de tous… Evidemment, personne n'aurait pu imaginer qu'elle possédait une conscience suffisante pour emmagasiner des connaissances. C'est de Warren qu'elle a appris à se mouvoir avec son corps astral et passer sans difficulté de pièce en pièce...

Se sentant prise en faute et sermonnée, Dawn profondément mécontente serra les dents tandis qu'il continuait sur sa lancée.

— ...et autre conséquence, c'est qu'en prenant la décision d'appeler Alex et de le mêler à ce plan, tu l'as aussi obligé à conserver un secret pendant plusieurs années. Il n'était pas censé faire ça. Sa force et son bon sens vous ont fait défaut dans certaines situations critiques… Est-ce que tu comprends ?

Elle réagit au lieu de se demander comment il pouvait savoir ce qui "aurait dû" se passer.

— Et donc je devais rester ici à me morfondre les bras croisés ? J'ai déjà essayé cette tactique, à vivre des mois en ermite. Je voulais panser mes plaies avec du temps et de la paix et je n'ai fait que repousser le problème !

Doyle lui adressa un sourire patient.

— Soigner son âme n'est jamais une perte de temps... Limite les dégâts. Retourne voir Riley Finn et dis-lui que tu as changé d'avis. Dis-lui que tu as reçu un aperçu de ce que le futur a donné et que finalement, il vaut mieux juste laisser Amy dans une unité classique pour les comateux et Warren dans une morgue.

Dawn fit la moue, absolument pas convaincue que l'Armée les lâcherait si tôt, pas après les « aptitudes spéciales » mentionnées par Riley, affichées pendant leur extraction de « Sunnyhole ».* Elle avait davantage tendance à croire l'ancien petit ami de Buffy qui avait l'expérience des institutions militaires.

Et puis, Warren ne renoncerait pas non plus à son acolyte comme ça. Pourtant, si ce que Doyle disait à propos des sentiments de la sorcière était avéré, il y avait une piste à creuser ! Amy n'attendait qu'une opportunité pour l'envoyer paître ? Mais très bien ! Il fallait y travailler ! Si ensemble, leur pouvoir de nuire était aussi considérable, alors pourquoi ne pas les séparer ? Ça aurait été une bien meilleure façon pour elle de « limiter les dégâts »...

Doyle ne lui proposait aucune garantie. Rien que des hypothèses attentistes où elle aurait peut-être la chance de ne pas empirer la situation des autres, sans la régler pour autant par-dessus le marché.

— Ça ne me plaît pas, ce n'est pas suffisant et trop hasardeux. En plus, vous n'avez rien dit de ce que complote cet Eyghon ? Est-ce qu'il est si dangereux ?

— Oui. Il a tué un par un tous les amis de Giles dans sa jeunesse. Il s'est occupé de lui en Enfer mais le jeu l'a vite ennuyé. Giles a fait miroiter qu'il pourrait être son vaisseau s'il était renvoyé sur Terre au même âge. On peut dire ce qu'on veut de lui, Eyghon n'est pas si idiot puisqu'il s'est douté de quelque chose et l'a ramené en tant qu'enfant... Il est devenu plus dangereux en apprenant l'existence du Maître et de la Force. Giles mentionné leur nom une fois, et malheureusement Andrew aussi. Eyghon a fait son enquête. Quand il a découvert quel était le projet du Maître, il l'a trouvé formidable et maintenant, il veut le reprendre à son compte.

— Hein ? Eh bah, je lui souhaite bon courage ! Mais qu'est-ce qu'il croit, lui ? Un melon pareil...

— Va lui dire. Eyghon envisage donc de restaurer la Terre comme possession exclusive des êtres démoniques, comme à l'origine de la Création. Tiens-toi bien : il veut rouvrir toutes les Bouches de l'Enfer d'un coup et nettoyer la « vermine humaine ». Et pour ça, il a bien compris qu'il faut commencer par éliminer toutes les Tueuses.

— Ha ha ha ! Même la Force, on l'a dégommée… Il rêve.

— Non, pas du tout. Tel que c'est parti, il peut y arriver !

— Comment ? Les Tueuses sont des centaines et rien qu'avec une dizaine, la Bouche de Sunnydale a été refermée ! débouta-t-elle d'un ton ferme.

Beaucoup de tristesse passa dans les yeux compréhensifs du jeune homme. Depuis tout à l'heure, Dawn était sans arrêt déçue dans ses certitudes et ses espoirs. Il hésita un peu avant de répondre, en sachant qu'il allait lui faire du mal :

— Mais tu sais bien qui a réellement scellé à jamais Sunnydale, n'est-ce pas ?

Il y eut un silence. Il avait un regard si intense que c'était comme s'il avait parlé directement dans son esprit. Dawn se figea, la respiration coupée. A la seconde où elle comprit ce qu'il voulait dire, son sang commença à pulser plus fort à ses tempes, son cœur s'emballa et ses yeux s'embuèrent. Oh, bien sûr qu'elle savait qui…

— C'est… Spike, par son sacrifice, n'est-ce pas ?

Il acquiesça.

— ...et avec Angel redevenu humain, il n'y aurait plus qu'un seul Champion, avec beaucoup trop de Bouches de l'Enfer, compléta-t-elle en se massant le front des deux mains.

Elle recevait un double coup de poignard au cœur. D'abord le souvenir de la mort atroce de Spike (même si, comme il disait lui-même, « Ça avait fini par s'arranger ») avec la crainte irraisonnée qu'il doive peut-être recommencer, et puis la quasi-certitude qu'elle lutterait de toutes ses forces contre ça. Elle n'était pas Buffy, elle n'était pas une héroïne. Elle ne le laisserait pas mourir encore. Même si ça pouvait sauver des gens, même si ça pouvait sauver l'humanité toute entière…

Éperdue, à la recherche de n'importe quelle miette d'espoir, Dawn songea brièvement que Buffy avait voulu porter le médaillon dont l'énergie terrible avait mis un terme à l'invasion des Anciens vampires en les cramant tous. Une Tueuse serait théoriquement capable de porter l'objet suffisamment longtemps pour l'activer et lui faire remplir son office… mais y succomberait-elle aussi ?

C'était une possible voie qui aurait encore une fois exigé le choix pénible et déchirant de perdre des vies précieuses parmi les protectrices. Mais alors quoi ? Préférer que d'autres meurent pourvu qu'il ne s'agisse pas de ceux qu'elle aimait ? Voilà donc à quoi elle pensait ? Elle n'eut pas le temps de se flageller pour cette pensée horrible. Parce qu'elle réalisa que le nombre d'éventuels Champions était un faux problème. Le véritable écueil, c'était en réalité… le nombre de médaillons. Même en admettant qu'une demi-douzaine de Tueuses fussent prêtes à accepter de faire un tel choix, sans compter celles qui mourraient en première ligne, où étaient – s'ils existaient – les autres artéfacts pouvant canaliser la source pure de la lumière ?

— De plus… Il y a une chose que personne n'imagine pour l'instant au Conseil. Sunnydale a été fermée mais ça ne veut pas dire que Spike a éliminé tous les Anciens, les Turok-Han. Seuls ceux qui étaient prêts à sortir dans un rayon de plusieurs dizaines de mètres se sont trouvés vaporisés et leur accès définitivement désagrégé.

— Quoi ? sursauta-t-elle en redécouvrant relevant la tête vers lui pour s'assurer qu'il était sérieux. Vous êtes en train de dire qu'il y en a d'autres qui attendent ?

Il confirma d'un battement de paupière et elle se sentit complètement assommée par la nouvelle qui la ramenait subitement à sa panique juvénile. Quand elle avait compris que tout allait finir ici et maintenant. En lisant dans les yeux épuisés de sa sœur qu'elle se battrait jusqu'à la fin, tout en doutant légitimement de leur succès. Buffy les contemplait tous avec une culpabilité qu'elle essayait de cacher sous une grande dureté. Elle savait qu'à chaque seconde, elle croisait des morts en sursis et vers quoi elle les emmenait.

Dawn se souvenait de ce jour-là. Si Alex ne l'avait pas défendue en s'interposant au péril de sa vie, elle aurait fait partie des "pertes humaines". L'épreuve restait gravée en elle. Et aujourd'hui, alors que tout était en train de recommencer, elle était reléguée ici. Pourquoi aurait-elle dû être épargnée ? Quid de ses vieux amis ? Ne le méritaient-ils pas ? N'avaient-ils pas déjà assez donné ?

— Mais qu'est-ce qu'il faut faire alors ? Si vous êtes là, c'est bien parce que tout n'est pas encore complètement fichu ? Tout le monde ne s'est pas volatilisé. Il doit y avoir encore quelqu'un au CDO qui a analysé l'enchaînement des événements ? Moi, je suis incapable d'imaginer que cet Eyghon puisse éliminer toutes les Tueuses ; c'est invraisemblable, elles sont trop fortes et trop nombreuses.

— C'est juste. Elles sont fortes et nombreuses. Mais tu sous-estimes combien ces trois-là sont nocifs en s'associant. Warren est un scientifique, il a l'habitude de regarder les problèmes sous différents angles et de trouver des solutions que d'autres n'imagineraient pas. Quant à Amy, elle n'aura pas d'autre choix que d'exécuter les ordres, dans le meilleur des cas. L'autre possibilité, c'est que si Eyghon parvient à la corrompre, elle pourrait lui donner les moyens de réaliser en partie son grand plan ; par envie, par jalousie, par défi, et encore pour dépasser Willow et détruire son œuvre…

— Son œuvre ?... J'ai encore l'impression que vous en savez plus que vous ne voulez bien le dire ! Et avec tout ça, vous continuez à dire qu'il ne faut pas les éliminer tout de suite ?

— Oui…

Elle ne s'y attendait pas. L'expression de son visage implorant était totalement hors de propos, ce qui la laissa perplexe et troublée. Il n'était pas clair, ce type, ce qui se vérifia immédiatement :

— Je sais que tu ne vas pas comprendre… mais je suis là pour les sauver tous les deux.

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En entendant cela, Dawn s'arrêta sous le coup d'une stupéfaction horrifiée, laquelle fut bien vite remplacée par une colère et une révolte instantanées. Elles lui communiquèrent l'énergie suffisante pour s'arracher à la gravité et outrepasser la douleur quand elle quitta son lit pour se mettre debout d'un bond. En équilibre précaire mais les poings serrés, elle lui cria au visage :

— Quoi ? Les sauver ? Sortez d'ici immédiatement ! Dégagez !

— Dawn, écoute-moi...

— Je n'écouterai rien du tout ! Depuis le début, vous m'endormez avec de belles paroles ! Je vais vous dire ce qui se passe, en vrai. Si vous venez me voir moi plutôt que d'aller les aider eux, c'est parce qu'on va gagner et que vous essayez de m'affaiblir et de me faire douter ! Dehors ! Et ne revenez jamais !

Doyle baissa la tête, manifestement contrit par sa réaction. Il demeura silencieux et abattu, mais sans obtempérer pour autant.

— Mais je suis pourtant en mesure de te dire comment arranger ce qui se passe en 2046. Ça ne t'intéresse donc pas ?

— Vous me prenez vraiment pour une imbécile, hein ? Vous mentez ! Vous m'avez bien fait comprendre qu'il y aurait des conséquences. Votre propre futur et votre existence pourraient être éradiqués si nous évitons cette apocalypse. Quel serait votre intérêt ?

— Dawn, dit-il en tendant les mains ouvertes vers elle. Il ne s'agit pas d'éviter l'apocalypse. Elle doit bien avoir lieu mais… pas de la façon dont elle se déroule. C'est Buffy qui aurait dû pouvoir en triompher, mature et avisée, en paix avec elle-même... C'était l'aboutissement de sa destinée. La dernière apocalypse pour elle, la douzième. Or, elle n'est pas là... Tout le monde fait de son mieux et c'est absolument formidable de voir l'engagement, le dépassement et l'abnégation de chacun, mais Buffy est unique. Tu te moques des petites choses insignifiantes. Il va s'en produire une première d'ici quelques semaines. Et ce petit rien du tout va conduire par effet boule de neige à ce que Buffy meure beaucoup trop tôt. C'est un fait, c'est arrivé. Le destin de ce monde a bifurqué. Morte, elle n'a pas pu entraîner les nouvelles Tueuses, ni étouffer constamment dans l'œuf les rébellions qui se fomentaient chez les démons, par la seule crainte que suscitait son nom… Sans elle pour les impressionner, les démons se sont peu à peu figuré qu'il n'y avait personne qui soit vraiment de taille à les arrêter et se sont demandé pourquoi continuer à faire profil bas. Et ça, depuis qu'il est de retour, Warren l'a parfaitement compris. Dès qu'il a su qu'elle était morte et pas simplement ailleurs, il le répète à qui veut l'entendre. Il affirme à tous ceux que ça intéresse qu'il assiège les nouvelles Tueuses et qu'elles ne peuvent pas sortir pour les arrêter. C'est entièrement faux mais les créatures les moins futées y croient. C'est pour ça qu'il attaque l'école. Pour faire marcher le bouche-à-oreille, il n'a pas besoin d'être très efficace, juste démonstratif. Des témoins vont le rapporter à leurs chefs, et eux commencent à réfléchir se frotter les mains…

Les yeux de Dawn étincelaient littéralement de fureur, d'une rage ancienne, teintée d'un profond désespoir.

— Vous savez tout ça et vous ne faites RIEN pour aider ? Pire, vous soutenez ceux qui veulent notre perte à tous en vous lamentant sur une autre apocalypse qui n'aura jamais lieu ? Mais quelle espèce de bâtard cruel êtes-vous ?

Il ne put s'empêcher de reculer d'un pas, en dépit du fait qu'elle ne pouvait pas réellement lui faire de mal. C'était toutefois très éprouvant de ressentir cette charge de hargne, bien qu'il sache parfaitement d'où elle provenait en réalité. Du drame d'avoir assisté à la fin de son monde, le massacre des siens, l'errance solitaire ensuite...

— Dawn, ici et maintenant, il y a quelque chose que tu peux faire. Il est encore temps de semer les quelques graines qui feront germer un autre futur, possible et stable, où la Terre existera au lieu de disparaître complètement… Il est encore temps de sauver Buffy.

— Je n'écoute plus un mot de votre baratin ! Ma sœur est morte du même problème génétique qui a déjà emporté Maman. Que voulez-vous faire contre la génétique ? Et puis, vos informations sont incomplètes. Il n'y a rien à semer du tout. Juste avant que je-ne-sais-qui ne m'arrache à ma famille, j'ai vu Buffy. Je l'ai reconnue dans la petite Thisbé que Spike a ramenée et ça, dès que j'ai posé les yeux sur elle. Il n'y a aucun doute possible même si je ne sais pas pourquoi j'en suis si sûre. Buffy est bien là, contrairement à ce que vous dites. Et d'autres de mes amis le verront certainement à commencer par Tara. C'est en agissant maintenant que je lui laisse une chance de vivre.

Semblant désespéré à son tour, Doyle secoua la tête en fermant les yeux :

— Je… je suis sûrement venu te parler trop tôt. Tu n'es pas prête.

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Les yeux fulminant toujours, elle tremblait de colère, ou d'avoir trop longtemps contracté les muscles de ses jambes.

— Alors ça, c'est le comble ! Prête à quoi ? Trahir mes amis en les laissant sous le feu d'une catastrophe horrible que je pourrais leur épargner ? s'enragea-t-elle.

Il se frotta le front d'un air las.

— Non, pas du tout… Prête à comprendre vraiment ce qui se passe ! Prête à connaître l'envers de la tapisserie, à comprendre qui tu étais avant d'être Dawn et pourquoi tu es là. Je n'ai plus la notion correcte du temps, je ne suis pas intervenu au bon moment. J'ai senti… J'ai senti que tu essayais de te reconnecter aux souvenirs que tu as refoulés, alors j'ai cru que c'était le signal…

— Ha ! Qu'est-ce que vous allez encore me sortir de votre chapeau comme histoire à dormir debout ?

— Ce ne sont pas des histoires. Dawn, il y a des choses que tu refuses de voir, tu as toujours fait ça. Tu tires le rideau dessus et tu arrives à te dire que ça n'existe pas, que ce n'est pas là. Je vais te donner un exemple. Quand tu as essayé de te reconnecter à tes souvenirs, tu n'as pas ressenti une diminution de la douleur dans tes jambes ? Un mieux en essayant de marcher ?

— Non. A peine, répondit-elle avec mauvaise foi en confirmant ce qu'il venait de dire. Et je ne cherche pas à les retrouver, ils viennent tout seuls ! J'ai rien demandé.

Il acquiesça d'un coup de tête encourageant.

— Et quand tu es sortie de l'abîme, c'était pareil. Tu as d'abord refusé de penser qu'Andrew était mort. Tu lui tenais la main, alors il était en vie. Mais comment pouvais-tu le voir en face de toi et lui tenir la main en même temps ? D'accord, tu étais choquée et secouée. Très bien. Ensuite, tu as dû l'accepter parce que tu as bien été obligée de voir le corps et de l'identifier. Mais ensuite… ? Ensuite, tu as refusé de voir que tu avais fait tout ton possible. Tu t'es accusée de l'avoir tué et tu ne pouvais pas le supporter. Je te concède que c'est effectivement toi qui as coupé son fil de vie, mais tu n'as pas à en porter la responsabilité. Tu as vu dans tes rêves ce qu'il en était vraiment, ce qui s'est passé avec le camion qui vous a poussés. Mais devine quoi ? Même après avoir fait remonter ces souvenirs, tu continues à t'accuser…

Comme à chaque fois qu'il était question d'Andrew, Dawn se sentit instantanément mal, les oreilles bourdonnantes, au bord de l'évanouissement. Elle se pinça fort et sentit ses larmes monter. La tête tournée, elle les essuya avec ses paumes fébriles, espérant pouvoir les contenir.

— Ecoute-moi… Tu sais que ce que je vais dire est vrai. Andrew était déjà gravement blessé à la tête. Le deuxième choc lui a brisé la colonne vertébrale. Il était condamné et n'en avait plus pour longtemps. Il le savait car il voyait ceux dont il regrettait la mort plus que tout. Jonathan et Katrina.

— Mais à ce compte-là, je les ai vus aussi et je ne les connaissais pas !

Le jeune homme lui adressa un regard peiné et il reprit, se faisant un peu plus insistant.

— Oui, tu les as vus, et il s'est rendu compte tout seul de ce que cela signifiait : tu allais partager son destin. C'est là qu'il a pris sa décision. Il n'a pas voulu que vous mouriez tous les deux et t'a supplié de te sortir de là… L'écoutais-tu ?

Elle plaqua une main sur son visage, en lui faisant signe de partir, honteuse de la giclée de larmes qui menaçait d'en jaillir.

— Non, hein ? Alors est-ce que tu comprends ce que tu t'es infligée ensuite ? Tu as pris dans ton corps les stigmates qui l'ont brisé parce que tu te sentais coupable de l'avoir tué. Ce n'est pas toi qui l'as fait, c'est Warren quand il a téléguidé le conducteur de l'autre véhicule. Et Andrew voulait juste que tu sauves ta vie, pour votre famille.

— Taisez-vous ! Mais taisez-vous ! supplia-t-elle, la poitrine étouffée de sanglots qui montaient.

Doyle vint s'agenouiller près d'elle, touchant délicatement son avant-bras. Elle le ramena serré contre sa poitrine comme si le contact la révulsait et se détourna pour pleurer dans le couvre-pied du lit.

— Dawn, je suis désolé, je sais que c'est très difficile. Tu as choisi un chemin très courageux, tu n'es pas venue dans cette famille pour rien... Je vais te dire très clairement ce qui s'est passé il y a deux ans pour que tu sortes de cette confusion. Pour le débusquer, Amy et Warren l'ont attiré dans un piège en faisant miroiter un accord. Andrew se doutait qu'il ne pouvait avoir aucune confiance en eux, il a donc fixé un point de rendez-vous loin de votre maison, et tu as insisté pour l'accompagner pour l'aider à se défendre. Grâce à la nature particulière de ta magie, Amy avait été capable de te repérer et vous a trouvés grâce à un simple sort de localisation, accordé sur ta fréquence... Elle a transmis vos coordonnées GPS et Warren a pris le relais. Il était venu uniquement pour éliminer celui qu'il considérait comme un traître à la solde de la Tueuse. Tu ne comptais pas pour lui. Il ne t'avait pas reconnue. Tu n'étais qu'un dommage collatéral. Mais quand Amy t'a désignée comme « Dawn », il a deviné que tu étais probablement la sœur de la Tueuse. Et comme Buffy était sur sa liste, il a trouvé parfait d'avoir l'occasion de la faire souffrir de cette façon. Pour l'embuscade, il n'était pas venu seul. Il s'est arrangé pour qu'un démon lui ouvre une crevasse temporaire sur plusieurs kilomètres dans la croûte terrestre, a pris possession du conducteur d'un camion qui roulait en face, et vous a foncé dedans une première fois à pleine vitesse. Le conducteur du camion était blessé à mort, mais lui a réussi à l'utiliser comme une marionnette jusqu'à vous cogner plusieurs fois pour vous faire basculer…

Comme une enfant, elle se bouchait les oreilles en faisant non de la tête.

— La suite, tu la connais. Andrew ne pouvait pas s'en sortir, mais toi si… Quand tu as quitté l'hôpital après avoir été trois jours dans le coma, tu as fait un violent syndrome du survivant. En comprenant bien vite que Warren était toujours à tes trousses, tu as pris ta décision. Une semaine plus tard, tu as utilisé le souterrain d'Angel pour aller dans ton école, tu as rassemblé toutes tes notes et celles d'Andrew pour les enfermer dans ton coffre, mis tes affaires en ordre et transféré tes accréditations à Pietro. Durant le restant de la journée, tu as légèrement altéré les perceptions de tous ceux que tu as croisés pour qu'ils ne se posent pas de questions, et qu'on en reste à un horrible accident routier… Tu es rentrée par le même souterrain, et une fois chez toi, tu as brouillé tes propres perceptions du réel et l'accès à tes souvenirs en utilisant l'hypnose. Avec ça, tu faisais d'une pierre deux coups. Non seulement tu pouvais oublier ce cauchemar, mais en détachant ta conscience de ton corps et de ton cœur meurtris, tu empêchais Amy de te retrouver et de permettre à Warren de s'en prendre au reste de ta famille. Dawn, tu as réussi à retarder la confrontation pendant presque deux ans… mais à quel prix !

— Soyez maudit ! Allez-vous-en ! gronda-t-elle. Allez-vous-en ou c'est moi qui vous mettrai dehors !

D'un mouvement rotatif des doigts, elle ouvrit une faille noire qui déchira le tissu de cette réalité. Au son de feulement et de cris glaçant, il y miroitait des lueurs inquiétantes et des éclairs fuligineux dévoilant des ombres grouillantes, tordues et avides.

— Je ne veux plus jamais vous revoir de ma vie. Si vous revenez, vous finirez dans ce trou abominable où j'aurai dû tomber sans fin et mourir. Partout où je suis déjà allée, je peux rouvrir un accès, vous savez. Et il me suffit parfois d'imaginer un endroit sans y avoir jamais mis les pieds du tout…

Il se releva avec précaution un peu chancelant car il était au bout de sa capacité à rester matérialisé. Tout piteux dans sa toge courte ridicule, il renchérit la gorge nouée, avec des accents de sincérité qui la dévastèrent :

— Et tu ne comprends donc pas le danger que serait ton pouvoir dans de mauvaises mains ? Dawn, tu ne le veux pas mais il faudra que je revienne. Je promets de ne le faire que quand tu m'appelleras. Sois consciente qu'il te manque encore beaucoup d'informations, mais je vois bien que tu ne peux pas en encaisser plus pour l'instant. Je comprends. J'espère juste qu'il sera encore temps d'agir quand tu seras prête pour ça.

Il recula et, sans la moindre transition, disparut en un clin d'œil, la laissant un moment hébétée à fixer l'ouverture de la porte de sa chambre.

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Dans l'embrasure, elle voyait Alex qui remua sur les coussins du sofa. Sa cage thoracique se soulevait et se baissait lentement, très normalement, il semblait aller bien.

Pour sa part, elle n'arriva plus à se rendormir, ressassant indéfiniment dans le noir, tout ce qui venait de lui être dit... « Est-ce que tu comprends ce que tu t'es infligée ? Tu as pris dans ton corps les stigmates qui l'ont brisé ». Tous les psys lui avaient répété qu'elle somatisait. Andrew avait été gravement commotionné. L'autopsie avait révélé une fracture du crâne, un hématome sous-dural et il avait eu moelle épinière sectionnée… La tête et les jambes : tout ce à quoi elle avait renoncé par la suite.

La pelote devenait facile à dévider à présent. Sachant confusément qu'elle y serait protégée, elle s'était donc arrangée pour ne pas avoir à quitter la maison, ou alors très peu, et avait rendu ses pensées flottantes et très difficiles à déchiffrer. Avec une magie complètement enveloppée dans une coque de pensées décousues illisibles, elle était partie à la dérive avec la seule certitude qu'elle sauverait les siens. Mais que leur avait-elle fait subir à tous en contrepartie ?

Elle pleura, et pleura.

Pourtant, lorsqu'elle eut fini et se retrouva les yeux secs, elle se sentit étrangement vide et la tête dolente. Pendant de longues minutes, elle garda les yeux grands ouverts, sans cligner, sans rien regarder de précis, en se concentrant uniquement sur sa respiration.

Et c'est à ce moment qu'elle réalisa, que malgré son cœur en miettes et son estomac serré, un poids immense commençait à glisser de sa poitrine et de ses épaules.

Lorsqu'elle sombra enfin dans le sommeil, elle rêva qu'elle tourbillonnait en hauteur sous une immense voûte éclairée par des lucioles.

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.°.

Tiphereth, plan angélique des Puissances, hors du temps terrestre

Cordelia s'approcha de lui à pas gracieux, ce qui faisait onduler le bas de sa toge. Le jardin était discipliné, apaisé comme elle l'était peut-être elle-même. Elle le fixait avec bonté et même presque de la compassion. Bien sûr qu'elle en avait ! Elle en avait toujours eu au fond. Bien au fond. Et elle cherchait à le cacher alors que ça ne servait plus à rien.

Elle lui toucha gentiment le bras, pas très différemment de ce qu'il venait de faire pour Dawn.

— Alors ? Comment ç'a été ? demanda-t-elle en s'asseyant sur les marches les plus hautes de leur quartier général.

La question était de pur principe. Elle devait bien ressentir que c'était atroce d'avoir été à bout portant de quelqu'un qui souffrait à ce point. Quand il la rejoignit, s'asseyant près d'elle avec lassitude, elle le prit un bref instant dans ses bras, pour partager le poids de ce fardeau.

Il montra un pauvre sourire et répondit par jeu, comme Buffy l'avait déjà fait :

— Ça s'est bien passé finalement…

La belle Puissance s'en amusa un peu, tous deux sachant que c'était le code implicite pour un ratage presque complet et une situation dont l'aboutissement serait peut-être encore pire que ce qu'ils voulaient éviter.

— Justement, dit-il pour changer de sujet en s'éclaircissant la gorge. Comment ça va avec Buffy ?

— Eh bien… pas mal.

— Oui ?

— Tout ne peut pas foirer, tout le temps, et en permanence non plus…

Il sembla dubitatif face à cette affirmation et cela les fit encore sourire. Ils se sentaient si seuls pour cette mission qu'ils s'étaient fixés. C'était dur pour eux de lutter avec des contraintes terrestres qu'ils ne ressentaient plus dans leur chair mais dont ils constataient la pénibilité, au vu du rythme de fourmi auquel avançaient les autres.

— Alors, tu vas renvoyer la jeune Dawn chez elle ?

Cordelia acquiesça lentement.

— Oui. Ce qui était important, c'était de mettre la « vieille Dawn » hors-jeu temporairement, loin de la pression. Inaccessible avec la distance, elle s'est aussitôt renforcée. Pendant qu'elle est avec Alex et Riley, elle se maintient stable, et ce que tu lui as dit va l'aider malgré ce qu'elle en pense. Elle peut encore redresser la situation.

— J'ai peur de sa réaction quand elle verra la jeune Dawn reprendre sa vie. Quand je l'ai rencontrée, ses premiers mots ont été pour sa famille.

— Laisse-la nous surprendre.

— Mais elle ne sait toujours pas ce qu'elle doit faire en 2003. Si elle se replie illico dans sa coquille et s'installe ailleurs, elle peut rater sa fenêtre de tir.

— Je n'y crois pas. Pas un seul instant. Mon cher Doyle, tu ne connais rien au cœur des femmes.

Et comme il ne réagit pas – par diplomatie – elle ajouta avec un sourire entendu :

— Elle va vouloir le revoir avant de partir, ce sera plus fort qu'elle. Allez viens, on va regarder dans le Puits ce qui se passe pour Buffy, ça va te remonter le moral.

Doyle soupira parce que ce n'était pas de sa faute si le cœur des femmes ne s'ouvrait pas pour lui. En tous cas, il l'espérait. Il se laissa entraîner par la main et sourit parce qu'elle souriait.

Par contre, ce qu'il vit dans l'ouverture le glaça d'effroi.

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* Nom donné par Maya pour désigner le "trou paumé" qu'était devenu Sunnydale.

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