When in Rome

Chapitre 78 : Le troll et la poupée

3995 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 19/08/2023 13:30

Chapitre 78 Le troll et la poupée



Pendant que Pietro cuisinait pour les enfants, Dawn se contenta de l'observer dans ce qui semblait être son élément. Elle n'avait que peu de souvenirs de son père, elle ne l'avait jamais vu faire cela pour Buffy et elle. Mais le jeune homme, lui, avait son style. Notamment pour déléguer à Idji une partie de la préparation de ce qu'il comptait manger, au lieu de le laisser attendre les pieds sous la table. À un moment, il dit quelque chose en italien, glissant une œillade à leur scrutatrice silencieuse, et elle eut la surprise de voir le jeune garçon lui apporter une petite assiette à dessert dont il s'était occupé lui-même. Il s'y trouvait deux tranches de pain imbibées d'huile d'olive et d'une sorte de petite salade de tomates coupées en cubes posée sur le dessus.

Au bout de l'opération, Pietro avait réussi l'exploit de rester presque immaculé (enfin pas trop taché). Il avait du mérite, après avoir assisté la fillette obstinée dans sa poursuite malhabile des petites boulettes de viande hachée avec sa fourchette miniature. Elle insistait pour le faire seule. Et quand elle n'y arrivait pas, elle en prenait dans sa menotte impatiente, engloutissait un gros morceau, s'étouffait à moitié et recrachait tout avec une mine dégoûtée.


Lorsqu'elle fut emportée vers la salle de bains dans les bras du plus patient de tous, l'aîné soupira en la voyant faire grand étalage de son affection, avec force minauderies et petits nez frottés. Il repoussa de ses yeux une mèche des cheveux épais qu'il tenait de son père et commenta placidement :

— Maman n'a pas le truc avec elle. A la fin, c'est pas beau à voir, elle a de la bouffe partout… Mais Pietro, il est malin. Il lui dit qu'il faut bien s'appliquer, comme quand elle « fait les couleurs » avec Mamie. Là au moins, elle était sage, quand elle restait à barbouiller des « fleurs » pendant que Mamie peignait, indiqua-t-il en faisant les guillemets avec les doigts.

Dawn resta songeuse un petit instant. Lui avait-on seulement expliqué quoi que ce soit à propos d'elle et de la disparition de sa grand-mère ?

— Moi je n'ai pas connu la mienne. Tu l'aimes beaucoup, ta mamie ?

— Oui. Elle me manque. Depuis le bunker, Joy est encore plus crampon avec Maman et, en plus, elle m'a carrément piqué Pietro. La seule bonne chose, c'est que ça l'a calmée. Elle est moins tyrannique et ne crie plus. C'est toujours ça de gagné.

— Le bunker ?

— C'est une pièce anti-démons, anti-méchants, et tout ce qui peut attaquer la maison. On avait déjà visité pour jouer mais c'est la première fois qu'on a dû y aller pour de vrai.

— Vous avez eu peur ?

— Ouais ! Surtout Joy. Elle n'arrêtait pas de brailler qu'elle voulait sa Maman. Pietro, il n'ose pas trop la gronder. Je sais pas comment il supporte. Alors pendant qu'il sortait jeter le pot de chambre de Mademoiselle le Troll, j'en ai profité pour lui dire que si elle continuait à hurler, c'était sûr que les démons l'entendraient, défonceraient la porte et viendraient la manger.

Dawn écarquilla les yeux, étonnée de la dureté du gamin.

— Ce n'était pas très gentil. Ce n'est qu'une petite fille, c'est normal qu'elle soit perturbée par tout ça.

— Ouais, ouais. Une toute petite fille bien mignonne à l'extérieur, et tout le monde se fait avoir, avec son petit nez, ses petites bouclettes, ses petits doigts, et sa petite voix de bébé. Mais à l'intérieur, c'est un Troll. D'ailleurs, elle mange pareil.

La jeune fille ne put s'empêcher de glousser, parce qu'elle en avait déjà vu un vrai, ce qui amena un sourire sur le visage du garçonnet, apparemment fier d'avoir pu déclencher le phénomène.

— Ah, c'est des problèmes de grand frère. Tu trouves que ta mère te délaisse un peu ?

Il hocha la tête avec une moue de travers puis regarda vers le linteau de la cheminée où trônaient les photos d'un temps où tout le monde était plus heureux.

— Pas que elle. Spike ne s'occupe plus de moi non plus. J'espère que Mamie va revenir car c'est horrible depuis qu'elle n'est plus là.

Spike s'occupe de toi ?

— Quand il est là, oui. Mais des fois, il part super longtemps et il ne dit jamais où il va. Il fait souvent la tête mais il est plutôt sympa avec moi, en général. On parle. En tous cas, il ne m'ignore pas et me refile des conseils.

— Oh, je crains le pire. Quel genre de conseils ?

— Eh bah, par exemple, c'est lui qui m'a dit de ne pas me laisser faire quand Joy me traite mal. Pas de la taper, hein ? Mais de ne pas me laisser marcher sur les pieds. Il a dit : « Les petites mignonnes qui se prennent pas pour de la merde et veulent toujours avoir le dernier mot, c'est les pires. Si tu les laisses faire, elles commencent par te casser les bonbons, puis elles clignent leurs grands yeux de poupée, et en moins de temps qu'il en faut pour dire « pathétique », elles te flanquent à genoux et tu te retrouves à faire leurs quatre volontés. Fais pas comme moi, développe un peu d'amour-propre, mon gars ». Pourquoi tu fais cette tête, il n'a pas raison ?

— C'est que ça m'étonne un peu qu'il le dise toujours. Je pensais qu'il était heureux maintenant et qu'il avait trouvé quelqu'un qui l'aime vraiment.

— Mamie ?

— Oui… je crois ?

— T'inquiète. Mamie, il dit qu'elle est une somptueuse beauté au cœur magnifique. Ou magnanime, ou un truc dans ce goût-là. Et que j'aurai de la chance si j'arrive à en dégoter un jour une aussi bonne.

— Euh, il ne devrait pas te dire des choses comme ça…

— Ah bon ? Moi je trouve qu'il a raison, Mamie nous aime tous même si l'accident l'a rendue à moitié légume. Mamie, elle est le soleil de cette maison, quand elle n'est pas là, tout est gris… Ah attends, c'est beau ça, je vais chercher de quoi le noter pour le mettre dans une chanson...

— Comment ça ? Tu écris des chansons ? A dix ans ?

— Bah ouais ! J'ai un groupe et on fait de la musique. On s'appelle Les Dingos. Si tu veux, je te fais écouter une démo. Viens, c'est là-haut.

Dawn écarquilla les yeux à nouveau, un peu abasourdie, ce qui le laissa perplexe.

— Bah quoi ? C'est pas extraordinaire… Il y en a qui font des trucs comme « escalade » ou « trekking au milieu de rien dans la brousse » … Je te fais écouter ou pas ?

Elle acquiesça et le suivit silencieusement. Les Dingos ? C'était une bien curieuse coïncidence.[1] L'enfant sautillait de joie en regardant toutes cinq secondes si elle le suivait toujours.

Elle n'eut pas le temps de se poser plus de questions. Ils venaient d'arriver à l'étage quand Pietro sortit de la salle de bains en portant contre lui une Joy revêtue de son petit pyjama favori, celui qui avait des bananes jaunes rieuses sur le devant. Idji semblait avoir raison pour la dimension « crampon ». Elle était nichée contre son torse et jouait à appuyer sur les boutons du col tunisien ouvert. Magnétisée, Dawn dévia de sa course et le suivit automatiquement où il allait – sous le regard réprobateur de l'aîné.

Avec délicatesse, Pietro déposa la fillette réticente dans son lit. Il embrassa son front et puis tira bien le drap pour le remonter sous les aisselles. Cela fait, il installa la poupée-rat « ultramochissime » tout près d'elle sur l'oreiller.

Quale storia stasera ? [2]

Puis se sentant observé, il tourna la tête vers Idji et Dawn.

— Je descends bientôt m'occuper du dîner. Et toi, dit-il à l'intention d'Evan, tu vas dans ta chambre. Et tu ne mets pas la musique à fond…

— Mais je dois la faire écouter à Dawn…

— Eh bien, au casque ! Et puis, dis donc, le guitariste, t'es pas un peu petit pour emmener une fille dans ta chambre pour lui faire écouter tes compositions ?

— Si. Et c'est pour ça qu'elle veut bien venir ! répondit espièglement l'enfant.

— Ne vous inquiétez pas Pietro, ceux de cette espèce, je les vois bien venir de loin maintenant, dit-elle pour plaisanter avec un demi-sourire.

À ce moment, la façon dont il la regarda lui transperça le cœur. Comme s'il savait, ce qui lui était arrivé le mois dernier. Se pouvait-il que Vieille-Dawn lui ait osé lui dire un truc pareil ? Si oui, il n'avait pas exagéré en disant qu'il était un « ami et confident »… C'était peut-être la première fois, depuis qu'elle avait débarqué ici qu'elle se sentait une connexion avec son moi futur. Jusqu'alors, elle aurait pu tout aussi bien être une autre personne, appelée comme elle.

.


Une demi-heure plus tard, le papa dévoué passa la prendre chez Evan en disant qu'ils allaient dîner. Il trouva Dawn en train de pincer maladroitement les cordes pour une petite mélodie aigrelette. L'enfant était ravi.

— Elle joue mieux que toi, le taquina Pietro. Dawn, tu devrais lui donner des leçons.

Idji reprit la guitare en lui tirant la langue et, en regardant Dawn, il conclut en chuchotant :

— Ignore-le, il n'y connait rien.

Après un petit signe de la main, elle laissa Evan fermer sa porte ornée d'un panneau « Enregistrement en cours », puis elle descendit à la cuisine où elle trouva Pietro affairé à finir de débarrasser la table des reliefs laissés par les enfants. Il souleva le couvercle d'un cuiseur, il goûta et hocha la tête avec une moue de satisfaction. En un tour de main, il dressa la table, en faisant tinter les couverts pendant qu'elle le regardait avec des yeux ronds.

— Vous avez cuisiné un repas ?

— Si on peut appeler cuisiner mettre tous les ingrédients dans le bol et programmer le temps de cuisson… J'espère que tu aimes le veau à la tomate et aux herbes. Il y a du risotto aussi.

— Vous avez cuisiné un repas ? répéta-t-elle.

— Absolument. Tout le monde ne peut pas se contenter d'une poche de sang pour garder la ligne… Et puis, ça mange une Tueuse ! Maya a besoin de ses trois mille calories par jour. Assieds-toi, je te sers.

Elle s'exécuta. Bébé, cuisine, probablement repassage… S'il faisait la vaisselle et le ménage, elle se jura de passer outre la différence d'âge et de le demander en mariage !

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Après une dernière bouchée de pain utilisée tout à fait sans façons pour saucer, Pietro se rinça la bouche avec une gorgée de vin et se choisit une poire dans la corbeille à fruits. Il en pela une partie, coupa un morceau et le lui tendit d'un geste parfaitement naturel. Avec précaution, Dawn croqua dans le morceau de fruit, ignominieusement juteux et sucré. A dire vrai, elle ne croyait pas avoir mangé quoi que ce soit qui ressemble à leur dîner de toute sa vie.

— Bon, on en était où ? Ah oui. La bagarre... Après les points de suture, le père de Maurizio a convoqué les parents pour leur poser des questions. Il voulait qu'ils racontent que son fils était un pauvre innocent et que je m'étais jeté sur lui sans raison. Je n'étais pas majeur, il n'y aurait pas eu de procès public, mais il a incité plusieurs personnes présentes à faire quand même une déposition. Il leur a promis mille crédits s'ils allaient dans son sens... A ceux qui n'accepteraient pas la somme ni ses conditions, il a promis des tracasseries administratives de la part du maire dont il était le grand ami.

Les coudes sur la table, il enveloppait un poing de la paume, en caressant pensivement les jointures de ses doigts, et elle essaya de ne pas regarder car elle trouvait ses mains très belles et très troublantes. Elle décida aussi que plus jamais elle ne se moquerait des garçons « obsédés » de sa classe, vu qu'elle ne faisait pas mieux…

— Quand il a appris ça, mon père a fait parvenir un message aux parents, au personnel de l'école et aux enfants qui avaient tout vu. Il a doublé la somme. Soit mille aux parents et mille aux enfants pour dire la vérité, et expliquer l'attitude de Maurizio parce que j'étais loin d'être le premier. Depuis plusieurs années, il visait aussi d'autres élèves. Dans sa lettre, mon père a aussi ajouté que, s'il avait été au bureau du maire, il n'aurait pas laissé la corruption continuer à se répandre impunément et fait en sorte que les écoliers soient protégés des brutes… et des mauvais exemples.

— Les « mauvais exemples » ? Les parents ont bien dû apprécier la pique… J'imagine que les gens sont quand même allés au plus offrant ?

— Pas tous, mais plus que prévu ! La rançon du succès… Après, on a compté l'argent pendant un an parce que mon père avait sacrifié toutes ses économies sur ce coup de poker. On a vendu la maison et les choses de valeur, j'ai habité quelques temps chez ma sœur et son mari. Mais ce qu'il y avait de bien, c'est que j'ai changé d'école et qu'on m'y a laissé tranquille.

— Ça a duré longtemps ?

— Environ deux ans et demi. Mon père est un homme très ambitieux. Il a profité de ces quelques mois pour observer les quartiers et, quand il s'est présenté pour faire campagne pour un arrondissement défavorisé de la ville, il a été élu parce qu'il parlait bien et savait précisément quoi dire. En plus, tout le monde savait bien pourquoi il était sur la paille en réalité. Il s'est fait voir comme un homme intègre qui allait jusqu'au bout pour ses idées et qui écoutait les plus démunis car il vivait près d'eux.

— Mais c'était vrai, non ?

— Oui, c'était vrai… Une fois qu'il avait mis le pied au conseil municipal, il s'est vite arrangé pour avoir de plus en plus de responsabilités. Mais que crois-tu qu'il se soit passé quand il a fait campagne pour devenir maire, le champion anti-corruption ?

— Quoi ? Il s'est mis à avoir l'attitude qu'il dénonçait ?!

— En plus subtil ! Il n'a rien demandé du tout mais il espérait bien que son « investissement risqué » comme il disait, allait enfin rapporter. Tous ceux qu'il avait payés pour me sauver la mise se sont sentis obligés de faire quelque chose pour lui, et même quelques-uns de ceux qui avaient pris l'argent du syndicat de la police. Ils ont déclaré le soutenir pour l'élection. Ça a fait une cascade d'intentions de vote. Il ne pensait pas gagner mais se placer en vue de l'élection suivante. Mais au décompte des bulletins, il a écrasé l'équipe en place...

— Mais personne n'a vu ça comme un genre de pot-de-vin à retardement ?

— Pas vraiment. Il s'arrange toujours pour être inattaquable. Son compte en banque était cohérent avec son salaire, l'enquête de moralité n'a rien donné. Le camp adverse a essayé de dire qu'il voyait « des femmes », il a répondu qu'il n'en voyait qu'une, qu'ils étaient fiancés et qu'il attendait d'avoir assez pour lui offrir un beau mariage...

— Et tout ça était vrai ?

— Oui, c'était vrai. Et il l'a épousée, comme il l'a dit, trois mois plus tard. Je n'aime pas ma belle-mère, ajouta-t-il.

Il fit claquer sa langue, se leva et commença à débarrasser la table. Puis il remit le couvercle sur son cuiseur en le laissant à faible température pour le maintenir au chaud.

— Je peux faire quelque chose ? s'enquit-elle, embarrassée. La vaisselle ?

Il secoua la tête.

— Je m'en occupe. Par contre, je veux bien que tu ailles voir si tout va bien pour Joy, et si Idji a au moins commencé ses devoirs.

Elle se tint les bras ballants, déçue de se sentir congédiée alors qu'elle avait l'occasion de l'aider dans son rôle de super papa. Il remplit l'évier d'eau chaude, et la regarda partir du coin de l'œil.

— Hey, carina ! la rappela-t-il.

Ce n'était pas son prénom mais elle se retourna quand même, au cas où il se serait adressé à elle.

Dopo, promit-il avec un chaleureux sourire un tantinet amusé. [3]

Elle ne savait pas trop ce que ça voulait dire, mais elle partit aussitôt, le cœur en déroute et les joues roses.


.°.


C'était prévisible, Idji était toujours en train de discuter avec ses amis. Mais il avait l'air de bien connaître la routine car il leva ostensiblement son cahier et l'agita en disant qu'il avait fini ses exercices et qu'il avait le droit de rester debout jusqu'à huit heures et demi.

Elle n'eut pas le cœur de vérifier et s'approcha de la chambre de la fillette plongée dans l'obscurité. Elle semblait parler avec quelqu'un. A priori, il aurait dû n'y avoir personne mais peut-être l'enfant gazouillait-elle – pour chercher le sommeil.

J'essaie d'être sage, Monsieur Aki, c'est vrai. Mais je n'y arrive pas. J'ai envie d'être grande pour… faire les choses toute seule, tu comprends ? Mais faut attendre… et c'est trop long, j'en peux plus moi. Et quand je crie parce que ça m'énerve, ils disent que c'est pas bien… Je sais pas quoi faire.

Derrière la porte, Dawn sourit parce que c'était touchant de l'entendre chuchoter pour ce qui ressemblait à une conversation très sérieuse avec sa peluche.

— Dis, tu sais c'est quand que je vais avec les Grands, toi ? Y a longtemps que je suis avec les Moyens… J'aimerais bien que Mamma dise que mes pieds ont grandi mais ils bougent pas de taille…

Dawn se sentit à la fois triste et attendrie. Les deux enfants semblaient très éveillés et, si on excluait le vocabulaire typiquement Spike qui contaminait certains de leurs propos, ils parlaient très bien et en deux langues, en plus. Elle avait remarqué que Joy s'exprimait en italien avec Pietro et en anglais avec les autres.

Non ti preoccupare, répondit une voix inconnue un peu grave.

Dawn sursauta. Quelqu'un avait réussi à entrer dans la chambre de la petite ? Avec les protections magiques ?

Elle tourna la tête de tous côtés pour chercher un objet contondant pour se défendre mais, chose incroyable dans une maison de Tueuse, il n'y avait aucun coffre où des armes auraient pu être rangées ! Ou… peut-être que c'était un peu normal, dans une maison de Tueuse avec des enfants ? se dit-elle avec un temps de retard.

Elle s'approcha encore plus près. La porte était entrebâillée, il suffirait de la pousser pour voir qui était là…

— Idji, il dit qu'il y a des méchants monstres qui vont venir me manger ! Comment je vais faire si Mamma n'est pas là et que je suis encore petite ?

— Shh, piccolina. Io saró qui con ti. Se te fanno di male, mi cambio i vestiti et divoro i loro cervelli. [4]

N'y tenant plus, Dawn poussa témérairement le battant et activa l'interrupteur.

— Joy ? Est-ce que tout va bien ? A qui tu parles ? Il y a quelqu'un avec toi ?

Elle balaya rapidement des yeux la charmante pièce aux tons pastels… qui était vide. La petite se redressa un peu sur le côté pour la regarder avec de grands yeux étonnés.

— Non, il y a personne. Sauf moi et Monsieur Aki, dit-elle en levant son vilain rat chiffonné qu'elle tenait par la jambe en le secouant irrespectueusement comme un prunier.

— Mais j'ai entendu quelqu'un parler en italien !

— Bon d'accord, on arrête. Chut maintenant, Monsieur Aki ! intima-t-elle en tassant son doudou immonde à moitié en dessous de son oreiller.

Dawn sentit une présence derrière elle et qu'on lui touchait le bras. Elle sursauta avec un petit cri d'effroi. Ce n'était que Pietro.

— Qu'est-ce qui se passe ici ? Gioia, perché non dormi ?

L'enfant afficha une mine déconfite sous son regard sévère pendant qu'il la rebordait. Puis il lui murmura quelque chose à l'oreille à quoi la bambine répondit par la négative. En partant, il lui envoya un baiser avant d'éteindre la lumière et de repousser la porte comme elle l'était.

— Pietro, j'ai bien entendu, il y avait quelqu'un qui parlait avec Joy ! Est-ce qu'il y a… des fantômes dans cette maison ?

L'idée lui sembla amusante et il secoua la tête, poursuivant le long du couloir pour aller droit chez Evan.

— Idji, j'espère que tu es en train de dormir ! dit-il en toquant sans entrer.

— A poings fermés ! répondit la voix étouffée de l'enfant.[5]

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Ils étaient revenus sur la terrasse, restée toutes fenêtres ouvertes, histoire de bien laisser passer les moustiques qui lui dévoraient la peau depuis qu'elle était là. Le bel Italien consulta sa montre d'un air soucieux.

— Maya devrait être rentrée.

— Elle va arriver. Et ça vous laisse le temps de finir votre histoire. Vous me l'aviez promis. Qu'êtes-vous devenu alors, après tout ça ?

— Pas grand-chose. Mon père a accepté de me payer des études supérieures si : un, je voulais bien éviter de m'afficher avec trop de filles différentes, et deux, plus généralement si je restais tranquille en ne faisant rien qui puisse compromettre sa position… Il avait l'intention de briguer un ministère. J'avais le droit de me fiancer à une héritière, par contre. J'avais ton âge, le projet ne m'intéressait pas du tout.

— Alors vous n'étiez rien d'autre qu'un outil pour sa carrière ? s'indigna-t-elle.

— A peu près, mais quand il m'embêtait trop, j'aimais lui rappeler qu'il me la devait un peu et que finalement sans moi, il n'aurait pas eu cette occasion de mettre si vite un pied dans la porte.

Elle baissa les yeux pour demander, l'air de rien :

— Mais vous n'étiez pas… trop seul ?

— Non, pas du tout. Je suis allé étudier à l'étranger. J'avais des amis à l'université de Cologne avec lesquels je faisais plein de bêtises… Bêtises que j'ai bien sûr totalement arrêtées quand j'ai commencé à travailler ici.

— Naturellement, dit-elle d'un air complice et entendu.

Il resta un moment à sourire, en la contemplant, avant de tourner légèrement la tête en direction de la rue. L'atmosphère légère sembla se refluer d'un coup lorsqu'il poursuivit d'un ton plus grave où pointait de la nervosité.

— Écoute, Dawn, j'ai… quelque chose à te dire. Et je pense que ça va te faire de la peine et puis te perturber. Alors, je ne sais pas très bien comment m'en sortir.

.

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.


Notes de l'auteur

[1] Au cas où il faut le souligner, « Dingoes ate my baby » était le nom du groupe de rock dans lequel jouait Oz. Et pour info, les dingos sont des canidés au pelage roux faisant partie de la famille des loups

[2] Quelle histoire ce soir ?

[3] Hey, mignonne. Plus tard.

[4] Non ti preoccupare : ne t'inquiète pas. / Piccolina : toute petite. / Je serai là avec toi. S'ils te font du mal, je change de vêtements et je leur dévore le cerveau.

[5] Une blague qui se refile de mère en fils, apparemment (déjà utilisée par Maya adolescente)

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