When in Rome
Chapitre 69 : Le sol brûlant de nos désirs secrets
3879 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 23/12/2022 17:22
Chapitre 69 Le sol brûlant de nos désirs secrets
.
On l'avait oubliée. Dressée les poings sur les hanches, Thisbé était rouge de colère mal contenue.
— Il faut soigner Dawn ! Elle saigne et elle a mal !
Remerciant la petite empathique d'un coup d'œil, l'intéressée entreprit de se relever seule et de grimper les marches, tout en maintenant la pression sur sa plus vilaine griffure au cou.
— Laisse, ils doivent penser que j'ai mérité ce qui m'arrive et que ça me servira de leçon. Et… ils n'auraient pas tort. Viens, ils sont très occupés…
Tournant la tête alternativement vers les adultes et puis Dawn, la petite finit par reprendre dignement par terre la petite trousse en plastique où elle avait son désinfectant et ses pansements, puis elle retourna soutenir la jeune fille – non sans envoyer aux autres des regards lourds de reproche.
Pietro fut le premier à réagir, marmonnant qu'il allait s'en charger. Inquiète aussi, Tara lui emboita le pas aussitôt et Alexa suivit sa sœur.
Avant de remonter, Willow retint Giles en lui demandant un moment. Intrigué, il acquiesça silencieusement, attendant implicitement qu'ils soient seuls et hors de portée d'oreilles indiscrètes. La sorcière affichait un air très préoccupé.
— C'est à propos de Thisbé. Tara s'est montrée assez alarmée à son sujet en la revoyant tout à l'heure : il y a de gros bouleversements dans son aura qui a changé de couleur pour devenir très sombre. Je ne sais pas ce que ça signifie très précisément, c'est elle la spécialiste, mais la gamine a manifestement l'air à cran… Je ne voudrais pas qu'un nouveau problème nous explose à la figure, il faut s'occuper de ça au plus vite.
— Un problème de quel genre ?
— Du genre qu'il faudrait découvrir. Mais comment faire au milieu de ce capharnaüm permanent ? Mon avis, c'est qu'elle ne doit pas rester ici. Elle n'est pas une cible et autant que ça reste comme ça. Quels que soient ses pouvoirs, si elle en a, il lui faut très vite un environnement plus sécurisant et plus calme pour s'adapter à notre monde.
— Je vais passer des coups de fil immédiatement. Et pour Dawn ? Qu'est-ce qui a bien pu lui passer par la tête ? J'avais oublié qu'elle pouvait être aussi entêtée et téméraire.
— Mhh, d'où ça peut bien lui venir ? Je lui avais promis de l'aider, et je n'ai pas encore pu m'y mettre. Et voilà le résultat.
S'abstenant de proférer le moindre jugement, ni donner le moindre conseil non plus, Giles lui tapota gentiment l'épaule et prit la direction de l'escalier à son tour.
.
Le désinfectant coulant sur la plaie lui fit monter les larmes aux yeux avec un petit gémissement. Dans l'une des salles de bains proche des dortoirs, debout devant un miroir de récupération au cadre vermoulu mais d'origine, Dawn essuyait le sang en enchaînant les compresses stériles. Thisbé en ramassa une qui venait de tomber sur le carrelage lisse aux motifs floraux chargés. Avec une moue dégoutée, elle la reposa avec les autres.
— Ça ne devrait pas s'arrêter au bout d'un moment ? questionna-t-elle en voyant le petit tas de tissus rougis grossir sur le bord de l'enfilade de lavabos.
— Si, mais je ne vois pas comment faire une compresse serrée efficace qui ne m'empêche pas de respirer. J'ai la tête qui recommence à tourner. J'ai peut-être perdu trop de sang ?
— Assieds-toi. Je crois qu'il faut que tu ailles dans un endroit où on soigne au laser ce genre de choses un peu graves. Tes doigts aussi ont besoin…
— A l'hôpital. Mais on n'a pas de laser. Enfin, je ne crois pas. A mon époque, il n'y en avait pas qui servaient à ça… Donne-moi du scotch.
Perplexe, la petite retourna la trousse médicale, lui montrant chaque objet en attendant de tomber enfin sur le bon.
— C'est ça ? demanda Thisbé en tendant une autre compresse plus grande.
— Non, le machin enroulé… ça colle aux doigts...
Un souffle d'air passa par la porte et les deux filles sursautèrent car un Spike à la mine très ombrageuse et tout de noir vêtu, se trouvait soudain à côté d'elles. Ses pupilles s'étaient agrandies et ses narines battaient, annonçant quelque commentaire acide imminent. Il s'agenouilla.
— J'ai senti du sang… Enfin, j'ai senti ton sang. Qu'est-ce qui s'est passé ?
— Oh, répondit Dawn l'œil un peu vitreux et la paupière lourde. On ne t'a jamais dit que c'était très dégueu de sentir les gens ?
— Si et j'ai arrêté de compter. Hey, hey ! Dawn ! Reste avec moi…
— Elle s'est éva-nou-ie, déclara doctement Thisbé en essayant de bien prononcer en anglais.
Spike allait lui rétorquer quelque chose de méchant quand il vit qu'elle avait les larmes aux yeux.
— Est-ce qu'elle va mourir ?
— Non. Enfin, j'espère pas. Qu'est-ce qui s'est passé ? Qui a fait ça ?
— Un monstre.
— Quel genre ?
— Genre qu'il avait des billes bleues sur la tête.
Spike soupira très lentement pour ne pas montrer sa tension. Il avait arrêté d'être calme et cool dès qu'il avait senti comme un frisson lui dresser les cheveux sur la nuque. Le vent du boulet. La seule idée que Dawn puisse mourir là maintenant le rendait fou. Si c'était le cas, jamais elle ne grandirait et il ne la rencontrerait pas devant une synagogue londonienne.
— Tu peux pas la refaire depuis le début ? Pourquoi elle est comme ça ?
— Ah ! Pendant que tout le monde était occupé en haut, nous on est allées aux Enfers. C'est en bas et il fait noir. C'est comme un centre de détention, mais pas moderne, ajouta-t-elle en le voyant hausser un sourcil au mot « Enfers ». Elle a dessiné quelque chose par terre et au plafond d'une pièce vide. Elle a prélevé mon sang dans un bol à poudre, a dit quelque chose que je n'ai pas compris, et puis ça a fait des flammes. Un homme à capuche est venu, et après lui, le monstre. J'ai l'impression que ce n'était pas prévu. Ils se sont battus et elle s'est fait attraper par le cou et les cheveux. C'est celui aux billes bleues qui a fait ça avec ses pattes, pas l'homme à capuche. Alors j'ai couru en vitesse prévenir les autres pour qu'ils l'aident.
— Et le démon, il est où ?
— Parti. Un autre démon femelle l'a taillé avec une drepan et une autre jeune dame qui faisait peur l'a transpercé. Avec une sorte de bâton d'éclairs drus… droits. Quand ça a été fini, tout a disparu. Ils se sont tous bien félicités et ils ont discuté de leurs problèmes mais ils ne se sont pas occupés d'elle, dit-elle en désignant Dawn. Alors on est venues ici.
— Mais toi, t'as rien ?
— Non, elle ne voulait pas que je reste à côté d'elle. J'ai juste eu à soigner mon doigt, dit-elle en le levant pour montrer sa poupée. Mais je ne suis pas bien certaine que ça ne va pas s'infecter. C'est un peu rudimentaire vos moyens ici.
— Rudimentaire ? J'en t'en foutrai moi des rudiments... Comment ça se fait qu'un coup tu parles comme si t'avais six ans et un coup tu me sors des trucs comme ça ?
— C'est parce qu'on a eu nos traducteurs appariés quand tu les as achetés. Ils ont mis un peu de temps à se configurer parce que tu n'étais pas trop là, mais quand on est à portée, ils se reconnectent. Du coup, ce que tu entends est beaucoup plus proche de ce que je veux dire… Quand je parle aux autres qui n'en ont pas, je simplifie au maximum ma pensée pour être plus sûre que la traduction passe. Et quand je réfléchis, j'ai l'impression que mon cerveau est en train d'essayer de faire tout seul des phrases avec les mots qu'il a compris en contournant les traducteurs qui ne réagissent pas. Résultat : j'ai l'air neuneu. Accessoirement, je me sens débile la moitié du temps...
— Merde, merde, merde… l'interrompit-il car il l'écoutait d'une oreille. Dawn, ouvre les yeux. Faut t'emmener à l'hôpital. Dawn, pourquoi t'as fait ça ? Réveille-toi, poussin.
— Elle voulait parler à quelqu'un qui aurait des réponses, intervint la petite. Un mort des enfers. Moi j'étais contre. Les morts, c'est des vicieux.
— Des vicieux ? s'étonna le vampire avec un sourire en coin et un coup d'œil en coulisse. Qu'est-ce que tu sais du vice, toi ?
C'était une question purement rhétorique. N'attendant aucune réponse, il décolla doucement le scotch médical et souleva les deux compresses empilées, grimaçant face au spectacle des lèvres encore suintantes.
— On a mis du désinfectant, l'informa Thisbé. J'imagine que vous avez l'argent qu'il faut pour l'hôpital. Vous êtes riches. Chez moi ça coute un bras. Un vrai bras. Moi, je n'ai pas envie qu'elle meure, c'est la seule qui est gentille avec moi. Et de ce que j'ai pu voir, j'ai aussi l'impression que je suis la seule à être gentille avec elle…
— Pourquoi tu dis ça ? Ça m'étonnerait que les scouts lui fassent du mal. Aide-moi à la relever, je vais la porter pour l'emmener.
— Euh, je ne sais pas trop si je dois te laisser aller tout seul avec elle. Tu ne vas pas la manger en profitant qu'elle est faible, hein ? A cause de ton monstre sous-jacent ?
— Sous-jacent ? Tu devrais la faire breveter celle-là, elle est excellente... Mais non, mon monstre, je l'ai enfermé. Il est privé de sortie et… de presque tout. Il a trop fait le con avec toi. C'était plus possible.
— Ah. Mais… tu l'as mis où ?
— T'occupe pas de ça, moustique. C'est de la cuisine de vampire, tu ne comprendrais pas. Viens ou reste, décide-toi, mais reste pas dans le passage. Bouge.
Elle se rangea mais le talonna de près pendant qu'il marchait à grands pas pour descendre chercher un véhicule quelconque. Thisbé ne le quittait pas du regard. Au bout d'un moment, elle osa un commentaire timide.
— A propos de cuisine, le très vieil homme avec les cheveux blancs, il m'a dit que tu buvais du sang des gens pour te nourrir au lieu de prendre des aliments solides. C'est vrai, non ?
— Et alors ?
— Bah, c'est quand même pas terrible, la soupe au sang... Tu as déjà goûté des gâteaux ? Je ne savais pas trop si c'était comestible au début, mais j'ai essayé et honnêtement, j'ai trouvé ça bon.
Il secoua la tête, pas pour les raisons qu'elle crut, et elle fit la moue, un peu déçue.
— Tu devrais essayer au lieu de faire le bébé et dire que t'aimes pas par principe. Ils mettent je ne sais pas quoi dedans, c'est merveilleux. En tous cas, moi je trouve ça drôlement meilleur que le smintho bouilli.
— Petite, lâcha-t-il en arrivant au rez-de-chaussée, je ne veux pas te vexer, mais tout est meilleur que le smintho bouilli. Même pour moi, ça a un vrai goût de chiottes.
— Mhh. Chez moi, on peut pas faire les difficiles. Soit on mange ce qu'il y a, soit on crève de faim. C'est quoi des scouts ?
.
.
Les petites sorcières Alexa et Tara avaient réussi conjointement à faire en sorte que le sang de Dawn ne coule plus, mais ce n'était pas suffisant, il fallait la recoudre. Après de virulents débats, Pietro avait gagné le droit d'emmener la jeune fille recevoir les soins urgents dont elle avait besoin, déjà parce qu'il pouvait circuler de jour, ensuite parce qu'il parlait la langue des locaux et que ça serait nettement mieux pour leur servir un bobard.
En attendant, il gardait les mâchoires serrées pendant que l'ascenseur privé d'Angel les menait au garage. L'habitacle était trop petit, Thisbé commença à faire la tête à la seconde où elle sentit qu'une nouvelle fois, on lui disait de rester en arrière.
Dans la cabine, les deux hommes se sentaient plutôt soulagés que Dawn soit entre eux deux. Elle l'avait toujours été, en quelque sorte, mais Spike n'avait pas envie de penser à ce qui le rendait jaloux car il était suffisamment énervé comme ça. Pourtant, comme il avait désespérément besoin d'un exutoire, le silence revêche où s'emmurait l'autre lui tapa vite tout autant sur les nerfs.
— Bon, qu'est-ce qui va pas, Bambino ? Crache le morceau.
— Ne m'appelle pas Bambino, dernier avertissement.
Spike leva les yeux au ciel et soupira.
Il savait qu'Angel avait un passage secret pour entrer dans le bâtiment à toute heure du jour, mais à la vérité, il ne savait pas qu'il y en avait deux et ne connaissait que celui qui longeait les égouts. C'était bien son genre de ne jamais lui avoir dit qu'il y avait un autre moyen de venir et d'éviter de puer…
La tête de la jeune fille reposait sur son épaule, son sang délicieux pulsait encore fort dans ses veines, et à ce propos, il était plus qu'heureux d'avoir pu vérifier ses blessures sans avoir la moindre envie de faire quoi que ce soit de très déplacé et très inconvenant comme...
Les portes coulissèrent avec un léger grondement, Pietro passa le premier, bondissant presque comme un diable hors de sa boite. Spike était à deux doigts de penser que l'Italien allait piquer une crise. Sale journée pour tout le monde, semblait-il...
En le suivant nanti de son précieux chargement, le vampire déduisit vite qu'ils se trouvaient sous l'école mais loin de ressembler à un parking de base plein de béton gris, l'endroit tenait plutôt du monastère reconverti, avec ses pierres blondes et son plafond pourvu d'arceaux en clé de voute. Quelques voitures étaient bien alignées entre des piliers.
Le jeune Observateur s'était approché d'une Lamborghini décapotable deux places couleur sable, dont il ouvrait déjà la portière pour faciliter l'installation de la jeune fille. La mâchoire de Spike se décrocha à moitié.
— T'as cette caisse et tu roules tout le temps dans ton pot de yaourt ?
— J'ai plusieurs voitures. Celle-là, je l'ai eue en héritage, je ne l'aurais jamais choisie... Je vais la vendre. Et toi, depuis quand tu aimes le beige ? demanda-t-il avec un faux étonnement un tantinet agressif.
— Euh, j'aime pas mais… Tu pourrais lui faire prendre l'air de temps en temps…
— Je ne la trouve pas pratique pour aller en ville. Viens, mets-la ici. Fais attention ! dit-il en entendant Dawn geindre en battant les paupières.
— Mais je fais attention, protesta le vampire en la posant délicatement sur le cuir du siège passager. Dawn, ça va ?
— Beuh… La super forme. Je suis partie longtemps ? demanda-t-elle en clignant des yeux alors qu'elle revenait à elle.
— Un peu trop. Mais tu vas être contente, c'est ton beau prince Valium qui t'emmène à l'hôpital…
.
Les gestes économes et sûrs de Spike la firent frissonner. Elle était en trop mauvaise condition pour protester de la façon dont il empiétait sur son espace, la tenait pour l'installer le mieux possible, attachant sa ceinture en la passant au milieu de ses seins, soutenant sa nuque en poussant ses cheveux de côté, terminant par une main posée sur son front, exactement comme sa mère faisait lorsqu'elle était malade pour vérifier sa température... Comme si c'était la chose la plus naturelle du monde alors que c'était complètement anti-Spike tout ça…
Pietro aussi se tenait beaucoup plus près qu'elle n'en avait l'habitude, mais quand il le faisait, il se bornait à lui tendre son bras. D'une exquise prévenance tout sauf froide, il l'effleurait à peine en de rarissimes occasions, soucieux de ne pas la mettre mal à l'aise car il savait qu'elle n'était pas habituée au côté un peu plus tactile des gens du cru. Comparé au comportement de Spike, ce détail à lui seul suffisait à enterrer ses espoirs que le bel Italien ait pu être l'amant de vieille-Dawn. Mais au fond de ses yeux, il y avait quand même quelque chose de troublant.
Dans leur dos, le ding des portes de l'ascenseur leur fit tourner la tête et Thisbé galopa jusqu'à eux et avant de rester la bouche ouverte devant la voiture.
— Mais… où je vais me mettre moi, dans ton speeder ? J'ai pas la place pour monter ! T'en as pas un autre ?
— Il faut qu'on y aille ! répondit Pietro d'un ton pressant en saisissant la télécommande sur le tableau de bord pour ouvrir le passage du souterrain secret.
Dawn vit Thisbé qui pinçait les lèvres avec les larmes aux yeux, décochant au conducteur un regard mortel quand elle croisa le sien dans le rétroviseur. Le visage très tendu, le jeune homme l'ignora et accéléra en entrant dans le tunnel qui menait à l'extérieur un peu plus haut sur la route.
Son cœur de grande sœur improvisée se déchira quand elle entendit un éclat de voix qui retentissait derrière eux. Elle ne sut ce qu'elle disait mais c'était clair qu'elle était bouleversée.
.
Pour sa part, le vampire était à côté et il entendit très bien.
— Je vais m'en aller d'ici où on s'en fiche de moi ! Au revoir ! gronda la petite les dents serrées en faisant demi-tour.
— Hein ?
Elle tapa contre sa tempe deux trois coups pour remettre en route le traducteur sous-cutané qui se faisait désespérément poussif.
— … n'ai ma claque, je me casse ! Comprende ?
Épaules rentrées mais la démarche volontaire, elle essuyait ses larmes avec ses petits poings fermés. Elle martyrisa le bouton d'appel de l'ascenseur et donna un coup de pied dans la porte qui ne s'ouvrait pas assez vite.
Il hésita à la suivre s'imaginant qu'elle avait besoin d'être un peu seule pour décharger sa frustration. Mais sa résolution ne tint pas longtemps.
Appuyé contre la rambarde qui faisait le tour du premier étage surplombant l'atrium, les pouces à la ceinture, Spike gardait le visage sombre en attendant que la petite émerge du réduit qui lui servait de chambre individuelle. Maya l'avait qualifié de « placard à balais d'Harry Potter » mais vu ce qu'elle lui avait aussi raconté des dortoirs, le vampire se disait que ce n'était pas une trop mauvaise chose qu'elle dispose d'un tel refuge. La gamine n'avait pas besoin d'être en bute aux poussées hormonales d'ados surpuissantes à qui ça pouvait monter à la tête à tout instant. Leur hargne était bien utile sur le terrain en leur conférant une niaque en béton face aux quelques vilains pas beaux qui persistaient à rôder, mais que la petite crevette en fasse les frais parce qu'elle était bizarre ? Non ! Ses deux dernières semaines ici avaient été suffisamment merdiques comme ça.
L'indice que son baluchon devait être déjà tout prêt, ce fut qu'elle mit moins d'une minute à ressortir. Un coin d'oreiller dépassait un peu vers le haut, comme si elle l'avait tassé à la hâte dans le sac. Sur son dos, il était presque aussi gros qu'elle. C'était toujours une brindille nageant dans un pull de coton gris trop grand, une petite jupe droite au-dessus du genou portée sur un collant opaque noir. Ses cheveux avaient poussé d'un millimètre ce qui parachevait son air de mini-skinhead boudeur.
Elle passa devant lui sans le regarder malgré le regard insistant qu'il faisait peser sur elle. Il sentait bien qu'elle l'ignorait délibérément à présent, après l'avoir dévoré des yeux pendant qu'il emportait Dawn.
— Hey, petite, qu'est-ce que tu fais ? se résigna-t-il à demander.
— Je l'ai déjà dit, je m'en vais. J'en ai marre.
— Et pour aller où, mignonne ? Cette planète n'est pas tellement meilleure que la tienne pour les enfants seuls, tu sais ?
Quand il vit ses prunelles furieuses, il se rappela qu'elle disait à qui voulait l'entendre qu'elle n'était pas une enfant, mais juste « pas très grande ».
— Ok, tu voulais aller voir Dawn et maintenant tu boudes parce qu'on t'a laissée en rade. Mais t'es quand même au courant qu'on n'a pas besoin de Pietro et qu'on peut y aller avec mon vaisseau ?
Interdite, elle pila sur place en le regardant d'une pupille brillante et contrariée qui trahissait assez que non, elle n'avait pas du tout pensé à ça. Baissant la tête, elle marmonna d'un ton acide :
— Ton sale vaisseau où j'aurais pu mourir… je n'y remettrai pas les pieds !
Comprenant malgré tout qu'elle puisse se braquer pour y avoir connu une très mauvaise expérience, il n'eut pas d'autre choix que de toucher son bras maigre pour la retenir. Et, prêt à braver la sensation qui le prenait à chaque fois qu'il osait le faire, il plongea dans ses yeux.
Elle se figea sous l'emprise de cet échange muet, à la fois malcommode, gênant car trop intime et terriblement essentiel pour l'un comme pour l'autre. Souhaitant s'en échapper car elle se sentait prête à se jeter dans ses bras au péril de sa vie, elle ferma les paupières et baissa la tête pour masquer sans grand succès la vive roseur de ses joues.
— Arrête de faire ça !
— Ça quoi ?
Elle fit la moue et agita la main dédaigneusement vers lui.
— D'essayer de m'hypnotiser avec tes yeux là qui... qui m'enveloppent avec des secrets qui brûlent, et de m'appeler "mignonne" avec ta voix pour séduire les femmes, alors que je suis moche. Tout ça pour que je renonce. Je suis sûre que c'est mal de faire ça aux gens. La chef Maya m'a dit de lui rapporter tout ce que tu me fais que je n'aime pas. Alors, laisse-moi tranquille !
— Comme tu veux, dit-il un peu vexé en sortant le petit boitier qui lui permettait d'appeler les pilotes. Je saluerai Dawn pour toi. Du coup, je fais quoi ? Je lui dis que tu t'es enfuie en son absence ou je la laisse découvrir la surprise quand elle rentrera ?
Ouvrant la bouche, elle resta catastrophée trois secondes, sans respirer. Elle ne devait pas avoir réfléchi plus loin que le bout de son petit nez en colère.
Pendant qu'il attendait une réponse, il tenait la boite, le pouce sur le bouton, l'air innocent et détaché. Ou plutôt détaché seulement, parce que pour l'innocence, c'était cuit depuis un bail.
— Toi ! Toi !... Mais tu es… Tu es… ! bégaya-t-elle. Je ne sais même pas pourquoi je t'aime ! Tu es tellement énervant !
Il esquissa un petit sourire heureux en lui tendant la main.
— On me l'a déjà dit.
.
.
.