When in Rome

Chapitre 39 : Alpha et oméga

4861 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 22/02/2021 19:45

Chapitre 39 Alpha et Oméga

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Le salon aux murs encore exempts de tout cadre s'était réduit aux seules dimensions du canapé où Dawn restait prostrée. Cachée sous un plaid doux et pelucheux, le nez rouge, entourée d'un chapelet de mouchoirs en papier, elle était incapable de rien voir alentours – notamment les améliorations discrètes qu'Andrew avait déjà apportées en termes de tapis et de petits objets de décoration. D'autres meubles arriveraient plus tard et elle se fit la réflexion qu'elle ne les verrait pas…

C'était bien étonnant d'avoir les entrailles en feu et le cœur si comprimé. Andrew était revenu séance tenante quand Willow l'avait prévenu… Clés, mallette, manteau… Il avait tout lâché dans l'entrée, et avait couru rejoindre sa femme. Elle l'avait arrêté d'un signe de tête quand il avait voulu s'asseoir près d'elle. Par courtoisie, elle avait clos les paupières sur ses pupilles dilatées, frissonnante des pieds à la tête. Elle avait peur qu'il ne serve d'exutoire au désir physique impérieux qui l'accablait.

— Je suis désolée, murmura-t-elle en agrippant convulsivement un pauvre coussin. Giles est en train d'arriver par hélicoptère. Je n'ai tellement pas envie qu'il me voie comme ça… Donne-moi un somnifère, je préfère ne pas être consciente pendant qu'ils exécuteront je-ne-sais-quel rituel. Ils ne vont rien pouvoir faire, ça va mal tourner, je le sens. Est-ce que tu prendras bien soin de Maya ?

Andrew retira le coussin pour lui serrer les mains, sans chercher à cacher ses larmes. Il secoua la tête.

— Ne parle pas comme ça…

— Écoute, ma mère m'est apparue dans mon sommeil il n'y a pas très longtemps. Buffy avait des rêves prémonitoires qui l'ont avertie un peu avant… Je crois que c'est ça que Maman essayait de me dire. Je ne vais pas m'en sortir. Elle est venue me chercher.

— Dawn, je t'en prie… Il doit y avoir une autre solution. Il faut juste du temps pour trouver laquelle. Pourquoi Giles veut-il précipiter les choses ? Il suffirait que tu sois près de Spike un petit moment… Moi aussi je suis sur les nerfs quand Pietro me manque, essaya-t-il de plaisanter faiblement.

— Giles pense faire ce qui est bien. Il pense toujours faire ce qui est bien, coûte que coûte. Et c'est aussi parce qu'il doit se figurer que tant que Spike et moi n'avons pas recouché ensemble, il y a une meilleure chance d'arriver à casser ce pacte.

Andrew parut étonné. Elle récupéra ses mains et croisa les bras autour d'elle pour s'empêcher de trembler ou de faire des choses très inconvenantes avec.

— Ah… bon ? Ce n'était pas… déjà fait ?

Dawn hoqueta de rire entre ses larmes.

— Presque mais… non. Spike a dit qu'il ne voulait pas que ça se passe vite et mal « sur un coin de table », si tu vois ce que je veux dire. Ce qui s'est passé à Ostia l'a rendu anxieux.

Andrew voyait très bien ce qu'elle voulait dire par « sur un coin de table », raison pour laquelle il affichait une roseur coupable. Anya, Spike, table, une vision érotique qui aurait brûlé les rétines de n'importe qui. Il estima toutefois inconvenant poser des questions sur « ce qui s'était passé à Ostia ».

— Va me chercher un peu d'eau et la boîte, s'il te plaît… Ils vont arriver dans une demi-heure environ.

Il inspira profondément et se leva pour se diriger vers la cuisine, mais ses pieds refusaient d'obéir. Il se mordit la lèvre d'anxiété et se retourna.

— Non ! Ne te laisse pas faire ! Tu es la Clé. Ouvre l'un de tes fichus portails et cache-toi quelque part où ils ne te trouveront pas… Je pourrai dire sans mentir que je ne sais pas où tu es allée…

Elle inclina la tête en acquiesçant avant de repousser ses cheveux avec un soupir las.

— En fait… ce n'était pas une si mauvaise idée.

— Ok, fais ça. Je t'apporte tout ce dont tu aurais besoin, dis-moi quoi. Ton sac fourre-tout ?

Elle sourit de voir qu'il semblait réanimé par l'énergie du désespoir. Elle se leva avec difficulté, prenant garde à ne pas trébucher sur le tapis à poils longs et ils se prirent dans les bras l'un l'autre, la tête posée à l'épaule, en pleurant au milieu du salon.

— Oh, Andrew, je ne méritais tellement pas un homme aussi gentil que toi… regretta-t-elle en caressant les cheveux de sa nuque.

Il baissa les yeux, s'écarta et ramassa les affaires de Dawn le plus vite qu'il put pendant qu'elle commençait à ouvrir une brèche. Il lui tendait son sac alors que son téléphone posé sur la table basse à roulettes se mit à sonner en signalant un message.

— Oui ! Ton téléphone ! Prends-le !

Elle secoua la tête d'un air triste avec un pauvre sourire qui montrait toute l'étendue de sa résignation.

— Je ne suis pas sûre qu'il y aura du réseau là où je vais aller… Oh, je ne sais même pas où je vais arriver…

— Prends-le quand même, il y aura des photos dedans, des souvenirs… il y aura… nous.

Déterminé à le mettre d'office dans le sac, Andrew attrapa l'objet précipitamment et resta figé face à l'écran. Il releva la tête avant de le tourner vers elle.

— C'est Spike !

Elle fit un geste de dénégation, alors que des larmes se mirent à ruisseler de plus belle sur ses joues.

— Oh, non, je n'ai pas la force... Tu lui expliqueras ce que j'ai fait…

Andrew la retint fermement par le bras et lui mit le message sous le nez :

— Est-ce que tu comprends ce que ça veut dire « Retourne où tout a commencé » ?

Elle pausa, ferma le poing, ce qui colmata la brèche en une seconde. Andrew nota qu'elle avait cessé de trembler et qu'elle paraissait aller mieux, comme ragaillardie. Elle regarda l'horloge, les sourcils plissés. Giles et le conclave allaient arriver. Ils allaient arriver… Mais où est-ce que tout avait commencé ? Et quand ? A Sunnydale quand elle était apparue dans sa chambre de Revello Drive ? Est-ce qu'il pouvait être occulté là, au-dessus des interférences épaisses de la Bouche de l'Enfer scellée ?

— Je ne suis pas sûre, dit-elle.

— Il a peut-être peur que ton téléphone soit déjà entre les mains de Giles… Envoie une sorte de code de reconnaissance que vous êtes seuls à connaître.

Elle écarquilla les yeux, un peu perdue, cherchant en panique durant de trop longues secondes ce qui serait impossible à déduire par toute autre personne intelligente… Elle prit l'objet à Andrew et de ses doigts tremblants n'inscrivit que quatre mots : « Plus précis, cornichon anglais ».

Un smiley hilare arriva en éclaireur suivi du message : « Plus vite, petit leurre ».

Elle sourit et regarda Andrew dont les traits étaient tirés. Elle entoura encore un bras autour de ses épaules avant de l'embrasser et il la serra contre lui.

— Je sais où il me donne rendez-vous.

Elle ouvrit une brèche aux bords effilochés lumineux comme du phosphore et courut à travers sans regarder en arrière. Sous les yeux de M. Wells qui ne savait s'il devait être atterré ou soulagé, la brèche se scella en un instant. Il inspira, la poitrine oppressée… Et puis se précipita vers la salle de bain pour laver son visage. Il ne savait pas s'il lui restait une minute encore, ou rien du tout. Il retira sa cravate et son gilet humides pour les déposer sur le panier à linge.

Il avait l'intention d'accueillir les autres calmement, avec un livre dans une main et un verre de l'alcool le plus fort qu'il trouverait dans l'autre.



.°.

Numéro inconnu

Vieni a la fontana di Trevi. Adesso. E da solo [1]

Pietro considéra le message émis d'un numéro d'identification qu'il ne connaissait pas. La fenêtre ouverte baignait la pièce de l'air encore indécemment doux pour un mois d'octobre, et les exhalaisons du jardin recuit par le soleil de fin d'après-midi embaumaient. Il était en train de travailler comme tous les jours dans son bureau de l'École de Rome. Le directeur étant parti en hâte, c'était à lui que revenait la charge d'expédier les affaires courantes, jusqu'à son retour dont la date n'était pas connue.

« Je sais que vous ferez pour le mieux » l'avait assuré le nouveau directeur avec une tape à l'épaule.

Le col ouvert, le jeune homme se passa une main nerveuse dans les cheveux, peu sûr que quitter l'École inopinément sans donner de raison valable soit une bonne façon de « faire pour le mieux »… Ce message plein de mystère pouvait être un guet-apens. La plus élémentaire prudence commandait justement de ne pas du tout y aller seul.

Numéro inconnu

Prego

Le bibliothécaire laissa échapper un demi-sourire. C'était un kidnappeur poli, au moins. Il décida qu'il ne servait à rien d'être pusillanime. Jamais sa vie n'avait été plus intéressante que quand il avait pris ce poste. Il se rendit en salle des professeurs dans l'espoir d'en trouver quelques-uns qui soient libres pour servir de renfort discret : personne. Tous étaient à faire la classe. Alors en désespoir de cause, il prévint le Gardien dans le mur et le gros baraqué de la porte.

— Je vais faire une course en ville. J'ai rendez-vous avec un bibliothécaire qui a un ouvrage pour moi sur les tritons… Il veut me faire une offre. C'est peut-être intéressant, on n'a pas grand-chose là-dessus.

Les deux gardiens n'avaient pas bronché, sans doute consternés à des degrés divers par le manque d'intérêt cruel de son existence de gratte-papier.

Il s'empressa de grimper dans une antédiluvienne Fiat 500 parfaitement vintage dont seuls les connaisseurs étaient en mesure d'apprécier la suspension ferme, la direction raide, les sièges inconfortables… et la vitesse ridicule.


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Le soleil commençait à projeter des ombres tout en dorant le monument. The golden hour. Il ne savait pas à quoi s'attendre en marchant vers le grand bassin. L'eau était à peine troublée par le friselis des petites cascades fines tombant des rochers factices.

Sa veste en lin blanc sur l'épaule, il resta debout en scrutant la place à trois cent soixante degrés, esquivant de son mieux le flot des touristes négligents qui le frôlaient de près. Avec la magnifique arrière-saison, beaucoup d'étrangers, moins chanceux chez eux, trouvaient les températures extrêmement agréables et ils se pressaient encore dans les rues pour un second service de vacances…

Une femme, vêtue d'un tailleur jupe au genou et d'une blouse fine pas tout à fait sage, capta son regard tandis qu'elle se frayait un chemin parmi la foule. Son visage était masqué par une capeline révélant ses lèvres rouges. Quand elle entra directement dans son périmètre en le prenant par le bras, elle lui planta un baiser fougueux sur la joue. Il allait avoir une trace, et ce serait doublement suspect. Malgré ses yeux inhabituellement foncés, il la reconnut et son visage s'éclaira.

« Shhh » fit-elle en lui posant un doigt sur la bouche. Puis, elle murmura :

— Dammi la chiave del tuo appartamento. Ho bisogno di un rifugio. Non molto lungo. [2]

Il attrapa sa main dans les deux siennes pour déposer un baiser dessus, comme il faisait toujours.

— Donna, cosa sta succedendo ?

— Sono scappata ! répondit-elle avec un sourire enfantin. Per favore aiutami [3]

Il sortit la clé de son trousseau en bougonnant. Et au moment de la lui tendre, il la retint.

— C'est pour le vampire ?

— Non, c'est pour moi. J'ai besoin d'une heure ou deux et après je pars. Je donnerai la clé à ton logeur, promis.

— Où tu vas aller ?

— Là où tout a commencé, répondit-elle avait un sourire sibyllin. Grazie mille.

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Le flux et le reflux de la mer la berçaient, en amplifiant un bonheur sans mélange. Les lumières du front de mer scintillaient, l'air marin était plus vif et lui donnait la chair de poule. Téléphone à la main, elle attendait avec une impatience croissante, scrutant le moindre touriste blond, même ceux des couples grondant leurs enfants pour leurs sandales défaites ou leur doudou tombé par terre.

Des pans de parasols flottaient doucement dans le vent venu du large. Une mouette entêtée s'obstinait toujours à réclamer sa mainmise sur le territoire… Elle se sentait revenue chez elle. Elle qui pensait être de nulle part, avait découvert que c'était faux, elle était d'ici maintenant.

Le téléphone vibra et le petit message tomba :

Spike

Trouve vite le repère au pied de la cabane des garde-côtes

Elle serait allée n'importe où. Même à la nage.

Elle sut exactement de quelle cabane perchée il s'agissait. C'était l'endroit où Spike l'avait attendue, deux ans plus tôt ? Deux ans ? Un an ? Le temps lui avait paru si long sans lui… Devant le poteau où il était appuyé autrefois, il y avait dessiné sur le sable mouillé la forme d'une clé. Elle sourit et se posta là en regardant alentours… Pourquoi ne le voyait-elle pas déjà ? La plage restait vide de lui, vide de ses bras, vide de…



.°.

En un clin d'œil, elle se trouva aussitôt dans un autre environnement très différent : celui d'une grande salle pleine de métal et de branchements qui avaient l'air d'être le fruit de nombreux rafistolages hasardeux. Elle ne vit presque rien d'autre que Spike debout devant elle qui, avec un léger soupir étranglé, l'amena vers lui pour le bonheur de la toucher. Puis, quand il se recula un peu pour la prendre par la main, il vit ses pupilles dilatés de désir et ne sut résister à cet appel. Il captura sa bouche pour un long baiser qui les faisait revivre l'un et l'autre.

— Je ne devrais pas faire ça… se morigéna-t-il.

Se retournant vers le poste de pilotage, il s'éclaircit la voix :

— Votre attention : les petits gars, voici Dawn. Dawn, les petits gars. Maintenant que les présentations sont faites, tirons-nous vite d'ici !

« Les petits gars », qui n'avaient l'air de… rien de connu, agitèrent leurs antennes pour dire bonjour et le vaisseau fut animé d'un léger vrombissement. Dawn en ressentit un petit vertige mais se stabilisa.

Il la prit par la taille pour la conduire jusqu'à ce qui avait l'air d'être… une chambre parfaitement anachronique, vu le lieu.

Elle resta sans voix face au lit à baldaquin monumental qui devait faire deux fois la taille d'un king size. Ses quatre piliers torsadés étaient sculptés dans un bois sombre, il avait des rideaux ramassés et noués du côté de la tête de lit.

Tous les meubles et objets qui remplissaient la pièce étaient anciens et elle soupçonna qu'ils devaient être à la mode au XIXe siècle… A côté d'un guéridon, deux petites bergères et une causeuse au tissu vert entouraient une table basse aux pieds incurvés. Contre un mur, un miroir piqueté surmontait une grosse commode vernissée à tiroirs. Sur son plateau, se dressaient deux chandeliers jumeaux, probablement des porte-cierges chouravés dans une chapelle. Et enfin deux armoires, une grande et une autre plus petite, complétaient l'ameublement le moins attendu chez « un tueur de démons à gages féroce(s) », selon l'expression de Maya. La tournure empêchait d'identifier à quel nom se raccordait « féroce ».

— J'ai eu la flemme de faire le papier-peint… dit-il pour rompre le silence qui s'éternisait.

— C'est ça, ta chambre ? se troubla-t-elle en jetant un regard sur l'énorme lit aux draps gris.

— Oui. Mais nous ne sommes pas là pour ce que tu penses.

— Ah… non ?

Elle inspira avec peine et serra discrètement les poings.

— J'ai l'intention de la tenir, cette promesse !

Il la reprit dans ses bras avec des « chut » apaisants. Dieu que c'était bon de l'avoir juste ainsi contre lui… Et qu'elle était jolie à le regarder ainsi comme s'il était tout pour elle… Il sentit un instant sa résolution vaciller comme à chaque fois, lorsqu'il était au bord d'un précipice. Il la conduisit au milieu du tapis ancien qu'il avait disposé pour réchauffer un peu le sol métallique.

— Enlève tes chaussures et assieds-toi en tailleur… Euh, clairement, c'était pas la jupe idéale pour faire ça… commenta-t-il en considérant l'étroit vêtement de couleur crème.

Elle la retira sans se formaliser. Les pans de sa chemise en crêpe descendaient sur le haut de ses cuisses et il remercia ardemment le dieu des fabricants de vêtements de l'avoir prévue assez longue. Par le col entrouvert, il vit briller le pendentif qu'il lui avait offert.

— Le collier, tu l'as mis… s'étrangla-t-il.

Elle opina, écartant légèrement son col pour le montrer, dessinant son contour du doigt avec un rayonnant sourire.

— Je ne savais pas que je te reverrais mais je l'avais dans mon sac. Il m'a semblé que c'était le moment opportun pour le porter enfin…

Il se retourna prestement pour cacher son émotion et alla prendre trois épaisses bougies de cire rouge qu'il alluma au briquet avant de les poser sur une petite table. Puis il se mit à l'aise aussi en retirant ses chaussures et s'assit également en tailleur face à elle. Il lui prit les mains dans les siennes, sans pouvoir s'empêcher de les masser du pouce. La douceur de sa peau le rendait bien trop faible.

Il s'éclaircit la voix.

— Ma chère Dawn, je sais que tu ne vas pas comprendre ce que je m'apprête à te dire.

Il n'y avait en effet dans ses yeux rien d'autre que de la confusion, une poignante nostalgie de leur retrouvailles et, par-dessus tout ça, du désir intriqué à son parfum.

De quoi se composait précisément cette fragrance ? Rose, camélia, jasmin, ambre, fleur d'oranger, citron ? Il avait bien sûr un flair incomparable, mais là c'était nouveau pour lui.

Buffy sentait la sueur après les combats et il avait toujours trouvé ça excitant et plein de promesses. La plupart du temps, elle empestait le shampooing à la vanille bon marché, le soleil au zénith, la toute-puissance et son ichor au goût de friandise. Sa blonde pilule de Viagra au résultat garanti.

— Au cours de ma vie de mortel et de celle-ci, j'ai peaufiné deux talents particuliers : l'imagination et la dévotion.

Son incompréhension plus marquée encore par le pli de son front le fit sourire.

— Mais si. Je suis resté avec ma mère parce que j'étais un bon garçon. Et parce que je ne connaissais rien de rien à la vie. C'est plutôt ironique que j'en aie plus appris mort que quand j'étais vivant.

— Spike, je ne…

— S'il te plaît, mon cœur, l'interrompit-il. Laisse-moi finir... Je suis donc resté avec ma mère, sans vraiment réaliser les dures réalités qu'elle m'avait épargnées et auxquelles je n'aurais pas su faire face. Elle était malade, je sais maintenant que c'était une pneumonie. J'ai fait une connerie monumentale quand je l'ai transformée en vampire. J'étais si naïf encore. J'ai seulement cru qu'elle vivrait éternellement et que je pourrais rester son bon petit garçon pour toujours. Eh bien, devine quoi ? Le démon qui a pris possession d'elle m'a tout simplement crucifié. Elle avait senti que le lien brut qui unit un vampire à son « enfant » était principalement sexuel. Comment est-ce que j'ai pu être aussi con ? En la convertissant, je devenais son maître et… tout ce qui va avec. Tu sais que je ne suis pas un grand fan de Freud mais là, j'ai été horrifié par tout ce qu'elle m'a balancé… J'aurais fait preuve de plus de miséricorde en la tuant vite et bien, sachant qu'elle irait immédiatement au Paradis...

Toujours perdue, Dawn déglutit mais dans son regard, il y avait maintenant de l'anxiété.

— Ok, c'est... Bon, ce que j'essaie de dire, c'est que j'ai pris ensuite soin de Drusilla, à la fois comme ma mère, ma reine et mon amante. J'étais là pour la servir, pour l'accompagner et l'aider à traverser le temps, qui passait pour tous sauf pour nous. Et en le faisant, j'ai mieux compris le dévouement de ma mère. Elle pensait que le véritable amour résidait dans le sacrifice.

Les sourcils toujours froncés, Dawn frissonna et il se persuada qu'au fond d'elle-même, elle commençait à voir où il voulait en venir. Sauf qu'elle ne l'entendait pas de cette oreille. Ses regards obliques et intenses dardaient vers le grand lit, trahissant qu'elle ne voulait rien d'autre que se donner à lui et puis le prendre aussi.

— Et ?

Sous ses doigts, il sentait son pouls qui battait fort et rien que cette chamade lui donnait des regrets.

— Et... pour continuer à te la faire longue… quand j'ai rencontré ta sœur, au bout d'un moment, ça a déclenché un truc en moi. Je croyais tout savoir de l'amour et de la dévotion parce que je m'étais entièrement consacré à Dru jusque-là. Et puis, j'ai rencontré une guerrière qui avait sacrifié sa vie à des inconnus, et ses espoirs, et ses désirs, et sans rien recevoir en échange. Elle m'a donné un cours magistral sur l'amour et sur le sacrifice. Sa mission… rien d'autre ne comptait plus pour elle à certains moments, même pas sa famille. Mais la fois où tu l'as mise à la porte de chez vous, je sais que ça lui a broyé le cœur. Elle n'a rien dit du tout, parce qu'elle savait qu'elle payait le prix de…

— Et tu es vraiment sûr que tu veux continuer à énumérer toutes tes conquêtes ? Parce que ça pourrait peut-être me refroidir un peu, tu sais ?

Il voulut porter ses phalanges à sa bouche pour les embrasser, mais elle se libéra avec impatience et se releva. Il n'eut pas d'autre choix que de l'imiter.

— Dawn, je crève d'envie de te porter dans mes bras, te poser sur mon lit, arracher tous tes vêtements et te faire l'amour pendant trois jours…

— C'est pas les idées qui te manquent mais la conviction de les réaliser...

Avec un petit rire, il inclina la tête. Elle sentait tellement bon !

— Tu n'as pas la moindre intention de me rendre les choses faciles, hein ? demanda-t-il tendrement.

— Ah mais si ! Je veux faciliter à fond. Pourquoi est-ce qu'on est encore en train de parler au lieu d'être ensemble sur cette estrade de théâtre que tu appelles un lit ?

— Et ça ne te fait rien du tout de savoir que c'est la Revendication qui parle en ce moment ? Est-ce que tu n'aurais pas envie de savoir si tu prendrais la même décision sans ce foutu Pacte ?

Elle baissa ses beaux yeux.

— Là maintenant, je m'en fous complètement.

Il éclaircit sa gorge nouée et vint l'enlacer pour la réconforter et tâcher de se donner du courage.

— Eh bien moi, je ne m'en fiche pas. C'est moi qui vais me sacrifier pour que tu puisses vivre à nouveau libre. J'y ai réfléchi, et ça devrait aller. Ma nature m'y a préparé après tout. C'est mieux que de te savoir souffrante dès qu'on sera séparés, mieux que t'obliger à vivre ma vie de mercenaire qui casse du démon toute la journée...

Il la sentit se raidir aussitôt et elle s'écarta, bouleversée et sans doute plus angoissée encore.

— Est-ce que tu es en train de dire que tu ne veux plus de moi parce que c'est trop exigeant ?

Un bref sourire incrédule détendit son expression et il fit non de la tête, en s'attardant à détailler son corps d'un air affamé fort peu équivoque.

— Chaton, en tant qu'homme, je n'imagine même pas ne plus vouloir de toi ! Tenir une telle beauté entre mes mains... si lascive que j'en perds à moitié la boule. Et puis, une qui aurait toujours envie de faire l'amour avec moi, même si je suis un crétin ? Nan ! C'est probablement la faute d'Andrew si tu connais aussi mal les hommes. Comment tu peux imaginer un seul instant que ça fonctionne comme ça ?!

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Alors l'assertivité et la force de conviction changèrent soudain de camp.

— Tu ne m'avais jamais dit que c'était ce que tu pensais de moi, dit-elle d'une voix ravie qui le prit de court.

Poussant son avantage, elle posa ses mains à ses épaules et entreprit de mignoter la ligne de son cou et de ses mâchoires. Elle dit tout bas :

— Allez, arrête de dire n'importe quoi, stupide vampire plein de remords. Et si on essayait de faire simple, pour une fois ? Serre-moi encore, câline-moi ou prends-moi à la hussarde comme ton démon mal élevé…

— C'est ça, remettons sur le tapis cette sordide affaire ! grinça-t-il en soupirant. Je ne suis pas comme lui ! Pas du tout ! Et je pensais que je t'avais donné assez de preuves de…

Pour l'empêcher de continuer à parler sans fin, elle fit glisser ses mains pour l'attirer par la taille et vint l'embrasser lentement à pleine bouche. Sa langue délicieuse avait le goût du fruit défendu et pourtant consenti. Étourdi, enivré, il se laissa aller à ce baiser. Une de ses mains vagabonda jusqu'à ses fesses rondes qu'il flatta de la paume. Le prenant naturellement comme une invite, elle lui bloqua toute retraite, en calant une jambe entre les siennes. Elle ondula des hanches contre lui comme au son d'une mélopée inaudible.

— Qu'est-ce que tu fais ? questionna-t-il, sachant que la question était bête et la réponse évidente.

— C'est l'un des pas les plus controversés de la Bachata sensual, une danse latine. Et sinon juste une excuse pour te détourner le sang du cerveau…

— C'est… pas trop mon style de musique, dit-il en se raclant la gorge. Mais je sens que je pourrais aimer ça très vite.

Oui, vraiment vite. Pendant une petite seconde, il pensa que tout ça n'était qu'une vaste connerie. Qu'elle avait raison et lui bien tort. Ses yeux brillaient à présent d'une incroyable phosphorescence. Mais qu'est-ce qu'elle avait encore aux yeux ?

L'aura sexuelle qui se dégageait d'elle crevait le plafond et la vibration qui en résultait ne lui ramenait en tête que le dicton bien connu… All is fair in love and war. [4] Ce qui ne tarda pas à se vérifier quand elle recula jusqu'au guéridon et prit un livre pour l'ouvrir.

— Je peux t'avoir quand je veux, annonça-t-elle suavement. D'une simple petite coupure de papier, tu sais ça, n'est-ce pas ?

Puis elle leva comiquement son index qu'elle plia deux fois, avant de reporter le regard vers une page.

— Si je feuilletais un peu trop rapidement ce « Recueil d'œuvres choisies de Renée Vivien », se pourrait-il que je me fasse une estafilade sur le bout du doigt… Mhh ? D'après toi ?…

Oh Seigneur tout puissant ! Par pitié ! Avec juste une page, elle pouvait le mettre à genoux...

— Oh, Dawn, tu sais que j'aime ce trait de ton caractère, mais je ne plaisante pas, là. Ce serait vraiment une très très mauvaise idée.

Elle ferma le livre en le faisant claquer d'un coup sec et le reposa sur la table avec un coup d'œil qui rétorquait « rabat-joie ». Main sur la hanche, elle le scanna des pieds à la tête et déclara d'un ton faussement dédaigneux et une étincelle malicieuse au fond des yeux :

— Alors assez parlé, Cornichon Anglais ! Toi retire tout de suite ton affreux « tout qui cache » !

Il gloussa face à la référence.

Mais si elle voulait imiter Parmakai, il ne lui restait plus qu'à jouer la provocation à son tour. Il redressa les épaules pour adopter sa posture signature : pieds écartés, pouces à la ceinture, tête inclinée sur le côté, paupières étrécies, menton arrogant…

— Eh bien, puisque tu as l'air d'aimer pactiser avec les démons, voilà le deal : tu me répètes ça juste après la Séparation, et je suis ton homme. Immédiatement.

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Notes de traduction

Merci à Manuemarie

[1] Viens à la fontaine de Trévi. Maintenant. Et seul. / Je t'en prie.

[2] Donne-moi la clé de ton appartement. J'ai besoin d'un refuge, pas très longtemps.

[3] Dawn, qu'est-ce qui se passe ? / Je suis en fuite. S'il te plait, aide-moi.

[4] A la guerre comme en amour, la fin justifie les moyens.

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