When in Rome
Chapitre 28 La bocca della verità
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L'école des Tueuses lui semblait moins charmante à présent. Elle n'était plus qu'un palais ancien où il avait ratatiné des mini-Tueuses présomptueuses, où il était allé chercher Maya pour rôder sa nouvelle moto (une folie), et où il avait « embrasé » Dawn avec peut-être un peu trop d'enthousiasme pour ne pas lui faire peur… Rien de qui mérite d'y revenir, en somme...
Par contre, l'armoire à glaces qui faisait toujours office de portier n'était pas devenue plus loquace dans l'intervalle. Dans son œil torve, Spike pouvait lire clairement « Ah merde, encore ce foutu blaireau casse-couilles » ou quelque chose d'approchant. Ce qui n'était pas forcément faux. Sans même prendre le temps de le saluer, le bibendum s'éclipsa tout de suite, avant que la moindre question ne puisse être posée.
En soupirant, Spike se retourna donc vers sa dernière option : le mur du vestibule lissé à la chaux colorée, et où il savait que la gargouille se trouvait embusquée.
— Hep, toi le Gardien, sors j'ai à te parler.
La paroi se gondola à la façon d'une onde réagissant à un caillou lancé, pour laisser passer la demi-tête d'un truc disgracieux, qui semblait différent de la dernière fois. Encore que ce n'était pas si facile à savoir. Rien ne ressemblait plus à une gargouille moche qu'une autre gargouille moche.
— Salutations, vampire. Désolé, les vampires ne sont pas admis au sein de l'établissement.
— Oh non. Mais on l'a déjà eue cette conversation… C'est bon, tu me connais, on est potes maintenant…
Les zygomatiques de la Chose se tendirent, causant quelques fissures légères qui effritèrent un peu de placo autour de ses commissures. Avec ses yeux globuleux percés d'un trou sans pupille, c'était pour le moins spécial.
— Non.
— Non ? Je suis blessé que tu fasses comme si on ne se connaissait pas. Je ne suis pas le gars facile à oublier, en général…
— Adieu, vampire. Les vampires ne sont pas admis au sein de l'établissement. La porte est derrière toi.
Spike soupira une main sur la hanche et l'autre qui s'agitait pour souligner ses paroles. La gestuelle locale menaçait de le gagner s'il restait trop longtemps.
— Non mais je sais ça. Mon sens de l'orientation est encore un petit peu fonctionnel… Qu'est-ce qui t'arrive ? On t'a collé un blâme pour la dernière fois, alors tu te la joues service-service ?
— Non.
— On t'a circoncis le bout de cerveau qui servait à faire des phrases ?
— Non.
— Bah pourtant… Bon, allez, j'aime bien discuter avec toi mais j'ai pas le temps. Je venais voir Pietro.
La gargouille leva une grosse arcade sourcilière pierreuse avec un petit sourire qui aurait pu passer pour de la satisfaction.
— Au cas où ce n'était pas clair : les vampires ne sont pas admis au sein de l'établissement.
— Oh, la technique du disque rayé, ça va bien maintenant. Si les vampires ne peuvent pas entrer, peut-être que les Pietro peuvent sortir, là devant, dans la cour. Ou bien ils sont prisonniers et à la merci d'une meute de filles enragées ?
— Les vampires ne sont pas autorisés à faire perdre leur temps au personnel de l'établissement non plus…
— Tu sais, les vampires ne sont pas autorisés à cogner les Gardiens chieurs et pourtant ça peut arriver n'importe quand maintenant… Je connais du monde chez les Observateurs. Je pourrais te faire perdre ta place. Tu retournerais dans le 7e cercle des Enfers, à aligner des trombones sur le bureau d'un comptable maniaque...
— Je fais mon job et je le fais mieux que mon prédécesseur qui a été sacqué à cause de toi. C'était mon cousin. Donc, les vampires sont invités à prendre cette foutue porte tout de suite ou le panneau du plafond s'ouvrira dans dix secondes pour laisser passer douze kilowatts de rayons ultraviolets qui leur gâteront franchement leur teint de charogne cannée. Capisci ?
Ledit vampire éclata d'un rire sincère face à cette tirade.
— Laisse-moi te dire que t'es bien plus marrant que ton cousin. Sinon, pour Pietro, ça y est, tu l'as appelé ?
Piertotum Locomotor plissa les paupières avec un mince sourire montrant qu'il cherchait vraiment les ennuis.
— « Oh la technique du disque rayé, ça va bien maintenant », récita-t-il d'une voix mécanique. Compte à rebours, ouverture du panneau. Dix, neuf, huit…
— Rho la la. Mais je ne vais rien lui faire… Je veux juste lui parler avant de quitter le pays (je souligne) parce que je crois qu'il n'a pas le moral…
—… sept, six, cinq…
— Après tout, on s'est fait larguer tous les deux par les Wells, ça rapproche…
—… quatre, trois… (il s'arrêta de compter et toussa) Shhhhhh, silence !
— Quoi, silence ?... Tu crois que ça va marcher pour me faire taire ? Des plus coriaces que toi s'y sont pété les dents…
— Shhhhh… Cette information est classifiée top secret par ordre du Directeur Wells. Le protocole de mise au secret est enclenché. Recule d'un pas.
— Et si je ne veux pas ?
— Les vampires sont autorisés à être stupides et à avoir envie de mourir…
Un cliquetis se fit entendre au sol et des ouvertures dessinant un carré coulissèrent pour ouvrir une fine trappe. Par réflexe, Spike recula d'un pas, juste à temps pour éviter de faire embrocher par des parois de cage qui montèrent d'un coup. Le toit en plomb coiffait déjà le tout.
S'il avait sauté juste dans l'autre sens, il n'aurait pas été pris au piège. Mais à ce compte-là, s'il n'était pas venu du tout, il ne se serait pas non plus fourré dans le pétrin…
— Ah bah au moins le plomb ne laisse pas passer l'ultraviolet…
Il leva la main pour tâter la solidité des barreaux.
— L'équipe de Sécurité est en chemin. Ne bouge pas, vampire, la cage est électrifiée. Tu resteras au cachot jusqu'à la prise de fonction du nouveau directeur…
— Non mais tu rigoles… Je venais juste prendre un pot avec Pietro moi… C'est toi qui fais des histoires pour rien… On en aurait déjà terminé si tu l'avais prévenu tout de suite…
— Demande incorrecte rejetée. Plusieurs membres du personnel répondent à cette désignation sommaire.
Grandiloquent, Spike leva les yeux au ciel et esquissa le geste de se tirer une balle dans la bouche. Au comble de l'amusement, la gargouille gardienne sourit franchement cette fois, en le regardant bien dans les yeux pour articuler :
— Requête d'autodestruction du nuisible A-182B volontiers accordée…
— C'est dommage que tu le prennes comme ça. Je t'aimais bien… Eh, mais au fait, c'est qui les 181 autres pécores qui passent avant moi ? Depuis quand je ne suis pas le premier nuisible ?
— Charogne sur pattes, compte sur moi pour soutenir la réévaluation de ton dossier, répondit l'esprit gardien en s'effaçant dans le décor.
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La tête appuyée contre le mur de sa cellule plongée dans l'obscurité, Spike était assis sur un lit de camp étroit. Pléonasme, soit dit en passant, car il n'avait jamais vu de lit de camp moelleux, à deux places – et Dieu sait qu'il aurait aimé quand il vivait dans la cave des Summers ! Il n'y avait ici ni éclairage, ni aucune fenêtre. Dans son cas précis, c'était plutôt charitable.
Le bras posé sur un genou relevé, il s'absorbait dans ses souvenirs et ses regrets. Quand apprendrait-il à savoir s'arrêter ? Qui savait si le nouveau directeur n'allait pas arriver dans dix jours ? Ou un mois ? Pourquoi n'auraient-ils donc pas l'envie de l'affaiblir en refusant de le nourrir ?
On lui avait retiré ses effets personnels, dont le communicateur. Pas moyen de prévenir Dawn, ou Maya qui aurait pu prévenir Dawn… Par association d'idées, il en vint vite à repenser à la dernière fois où il s'était retrouvé dans une salle obscure et fit claquer sa langue de dépit. Sa vie de non-mort était une longue suite de déconvenues, il aurait dû avoir l'habitude. Tout ce qui lui arrivait de bien ne servait à rien d'autre qu'à l'enfoncer davantage par la suite…
Il n'était absolument pas certain qu'un nouveau directeur fasse preuve de la même tolérance qu'Andrew à son égard. Peut-être qu'il trouverait même plutôt sensé que quelqu'un accomplisse enfin la mission de cette organisation, consistant à se débarrasser des vampires, et pour de bon. Et puis cette fois, pour lui, pas de fin glorieuse. Il n'y aurait plus de breloque kitsch pour le tirer des Enfers par la peau du cul. Sans rire, s'il connaissait aussi bien le 7e cercle des Enfers, c'est qu'il y avait une raison…
Un bruit de pas se fit entendre au bout du couloir. En venant, il avait vu les portes épaisses des quelques cellules en soubassement qu'il avait l'honneur d'étrenner. Ça se comprenait. Ce n'était pas l'Initiative ici. Les monstres, on n'en faisait pas l'élevage ou la dissection… Les lieux devaient juste être conçus par précaution.
Il réalisa qu'une forme claire était appuyée contre le mur à sa droite, la tête en arrière, les bras croisés, les yeux fermés. Depuis combien de temps était-elle ici, complètement silencieuse pendant qu'il rêvassait ? Son cœur s'emplit de gratitude un instant. Il lui semblait qu'elle choisissait toujours un moment où il se sentait plus seul et plus désemparé qu'un grand méchant vampire n'aurait dû l'être.
Buffy était de nouveau là. Il n'osa pas lui en faire la remarque parce qu'il savait comment ça finirait. Il aurait à peine le temps de lui dire quelques mots qu'elle disparaîtrait en le laissant ramasser les morceaux. Peut-être resterait-elle plus longtemps s'il ne disait rien du tout ? Ce qui l'étonnait, c'était qu'elle était partie il y avait des années, alors pourquoi se montrait-elle maintenant ? Parce qu'elle voulait protéger Dawn de ses divers appétits ?
En voyant son visage quand elle tourna la tête vers lui, il comprit instantanément.
Elle avait ce même regard qu'autrefois, exactement le même. Elle disait à la cantonade qu'elle sortait patrouiller. Et puis elle croisait ses yeux. Hantée tant par la honte que par l'espoir qu'il accepte, la question muette était toujours la même. Voudrais-tu venir avec moi ? Comment pouvait-elle en douter ? Il voulait toujours l'accompagner. Rien d'autre dans sa vie ne comptait plus que cela. Ces moments où ils marchaient tous les deux, côte à côte en silence… Pendant un temps, il n'avait vécu que pour eux. Le bruit feutré de leurs foulées dans l'herbe des cimetières suffisait à couvrir son indiscernable soupir. Alors il pensait qu'elle allait parler et puis… rien. Il était pourtant clair qu'elle recherchait délibérément sa compagnie. Elle ne s'en expliquait jamais, n'en parlait surtout pas, avide et reconnaissante de leur apaisante « non-conversation ».
Même quand la patrouille n'avait rien donné, qu'ils n'avaient rien tué, ni croisé aucune menace, elle levait très brièvement les yeux vers lui, le remerciait et lui souhaitait bonne nuit. Et il avait pourtant l'impression que pendant une heure ou deux, malgré leurs corps distants, malgré leurs mots absents, leurs âmes s'étaient donné la main.
Il savait donc pourquoi elle venait ici et maintenant. Ce fut plus fort que lui, il se mit à fredonner malicieusement :
— But why you come to be with me, I think I finally know… C'est qu'il y a quelque chose qui te tracasse, hein, amour ?
Il fut heureux quand ses yeux verts dardèrent vers lui et qu'elle tenta d'effacer un petit sourire, celui qu'elle avait quand elle se sentait démasquée, mais pas furieuse de l'être. Celui qu'elle avait quand elle le trouvait un peu plus subtil que sa moyenne…
— Je crois bien.
La porte qui se déverrouilla le prit par surprise. Déjà ? Il ne devait pas y avoir plus d'une heure qu'il avait été enfermé. Sa visiteuse avait fui, et l'Italien choupinet apparut sur le seuil où il resta sans bouger. Son col de chemise ouvert laissait voir son bronzage enviable et la croix à son cou – ce qui était très mignon. Le pauvre devait ignorer que Spike avait survécu à un bunker qui en était rempli, aimablement disposées par Robin Wood quand il avait voulu en finir avec lui. Le vampire avait même survécu après avoir étreint une large croix qui le brûlait bien moins que la culpabilité, revenue après la restitution de son âme. Il y avait très longtemps. Du temps de Sunnydale. Maya pouvait bouder, mais c'était vrai. Il avait vécu toutes ces dernières années comme dans un rêve insipide. Ce n'était plus le cas.
Pour le rassurer, Spike s'autorisa un sourire en coin et agita les chaînes à ses poignets et ses chevilles, semblant vouloir dire que c'était une protection suffisante en soi. Peut-être même meilleure que son rempart dérisoire et minuscule. Comme s'il avait deviné ses pensées, le jeune homme sortit de la poche arrière de son pantalon sombre une petite bouteille plate où il était écrit « Aqua santa » et l'avala entièrement.
Le geste fit sourire Spike. Quel petit vicieux ! Autrefois, il aurait aimé jouer avec une proie comme lui. C'est toujours plus amusant quand le gibier est intelligent. Et… c'est une catastrophe quand on en tombe amoureux. Bon le gamin n'avait pas de souci à se faire de ce côté, mais la remarque sur l'intelligence restait valide.
— Cosa vuoi ancora ? jargonna le mignon d'Andrew. [1]
Vu l'intonation, c'était une question. Spike opta pour une réponse plausible et détaillée qui avait une chance de rentrer dans l'éventail des possibilités.
— Et bien figure-toi que je t'ai vu partir hier avec tes valises. Non seulement tu n'étais pas dans le taxi des Wells, mais en plus tu tirais une tronche de six pieds de long… J'ai eu l'idée saugrenue de venir voir comment tu allais, parce que j'ai pensé que tu venais de te faire larguer. C'est pas mes oignons mais, franchement, je ne pensais pas qu'Andrew était comme ça… Qu'est-ce qu'il croyait, que tu faisais partie de la prestation ? Maintenant qu'il s'en va, il ne t'emmène pas avec lui ?
— Chiudi il becco !
Spike plissa les yeux avec une moue.
— Un petit indice ? Je ne suis pas tip top en italien…
— Non sai niente. Smettila con le tue stupide assunzione.
— « Stupidé » je crois que je peux deviner… « Assunzioné » peut-être… Est-ce que t'es en train de me dire que je n'ai pas compris que toi tu restes ici et que les autres partent ?
Les bras croisés et le visage fermé, le jeune homme semblait hésiter sur l'attitude à adopter. Rester ? Partir ? Il considéra le vampire blond dont les pupilles réfléchissaient la lumière du couloir comme celles d'un chat. Sa curiosité semblait réelle pourtant.
— Rimango qui perché sono il nuovo bibliotecario. Riprendo il posto di Donna. Era previsto. [2]
— Donna ?
— La signora Wells.
— Ah Dawn. Ok, ça y est ! « Bibliotecario »… C'est toi le nouveau Giles du coin ! Et c'est pour ça que vous passiez votre temps à fricoter ensemble dans les salons de thé avec des bouquins ! A lui donner du « cara mia », à lui tripoter la main… J'ai failli t'arracher la tête pour ça.
— Allora vampiro, siamo un po' geloso ? [3]
— Ouais, c'est ça. Geloso. Dawn est à moi, murmura-t-il en caressant une marque blanche en demi-cercle à peine visible à son poignet gauche.
— È peggio : sei possessivo !
Spike le bombarda d'une œillade assassine. Comment ce petit mioche se permettait-il d'avoir une opinion sur lui ? Il s'énerva un peu pour la forme. Mais il s'ennuyait tant que même cette conversation le sauvait de son ennui poisseux… et des divers scénarios érotiques qu'il entretenait pour passer le temps.
— Non mais là, les adjectifs, je les capte, hein ? Mais t'as raison. C'est plutôt moi qui suis à elle, et pas tellement le contraire.
L'air pensif, Pietro adossé contre le mur opina comme s'il était d'accord. A ce moment, le vampire eut la quasi-certitude que le petit favori transalpin comprenait parfaitement ce qu'il disait et ne restait sur sa langue maternelle que pour lui casser les pieds... Ou parce qu'il savait qu'il était moins baratinable ainsi.
— Il Patto di sangue è rotto per lei. Ma non per te, poveretto ! [4]
Ce dernier mot était clairement moqueur.
— Non mais de toute façon, je ne comprends rien à ce que tu dis… Donc, je crois qu'on a fait un peu le tour… Je vois que tu es parfaitement à l'aise avec le déménagement de ton amant à deux milles bornes… Tant mieux pour toi. Alors si on a fini, je vais y aller moi… En plus, je crois que tu as un rendez-vous avec « Donna ».
Spike se releva debout et tendit les poignets vers le bibliothécaire pour qu'il le détache. Qui ne demande rien n'a rien. Mais il avait assez d'expérience pour savoir que ça ne marchait pas à tous les coups, voire jamais. L'autre ne bougea pas d'un pouce.
— Solo il nuovo direttore ha la chiave. [5]
— « Nuovo direttoré » ça, c'est à peu près clair… C'est lui qui va prendre une décision… Après tout c'est le boulot des directeurs… Et il vient quand ?
— Il direttore Wood ?... Tra circa due settimane.
— Wood ?! Robin Wood ? répéta-t-il avec horreur. Tu charries là ?
— Assolutamente. Non ti piace più scherzare?
Le vampire baissa la tête et choisit de l'ignorer purement et simplement puisqu'il ne pouvait rien en tirer non plus. Deux échecs dans la même journée, c'était énervant. S'il n'avait pas essayé d'être sympa, il n'en serait pas là. Ce n'était pas son truc d'être sympa. Voilà ce qui se passait quand il était sympa, et assez bête pour écouter William qui le serinait de ces conneries à longueur de temps.
Alors qu'il refermait la porte, le garçon suspendit un instant son mouvement avant de lui lancer :
— Hey, playboy. Non vuoi vedere Donna dopo ? [6]
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Il était concentré sur la sensation de la maille fine de son pull sous ses doigts. Il préférait aiguiser tous ses sens, en prévision d'autres ennuis. S'il n'y voyait plus, ou s'il n'entendait plus… Il savait que les Observateurs n'avaient en général pas de goût pour la torture, ils préféraient une extermination simple et rapide. Mais parmi eux, certains pouvaient être corrompus. Cela s'était déjà vu… Pourtant son ouïe fonctionna à la perfection quand il l'entendit et la sentit venir en même temps. Des pas légers, qui se hâtaient, et dont le martellement pressé indiquait de petits talons. Mais elle n'était pas seule. Pietro était avec elle. Il n'avait pas remarqué qu'il avait une légère claudication. « C'est gentil de me couvrir » chuchotait-elle. Spike exulta en entendant la réponse. « Allons, avec tout ce que tu as fait pour moi… ». Ha ! Le « bambino » était finalement démasqué ! Son accent était pourri, mais il parlait !
La porte se rouvrit un tout petit peu, assez pour laisser Dawn se faufiler dans l'entrebâillement maintenu ouvert. Les yeux écarquillés, elle fit quelques pas.
— Spike ?
— Je suis là.
Il agita ses chaînes pour lui indiquer la bonne direction. Vu l'exiguïté des lieux, elle n'aurait pas mis longtemps à le trouver. Elle se dirigea grâce au peu de lumière émanant de l'extérieur. L'Italien devait faire le guet. Les yeux de Dawn accommodèrent enfin et elle le distingua assis. Elle se posa près de lui et attrapa une de ses mains. Les fers qui le retenaient maintenaient un écartement tel qu'il n'aurait pas pu la prendre dans ses bras. L'idée n'était pas complètement déconnante puisque les mêmes ustensiles pouvaient lui servir à étouffer quelqu'un ou à briser une nuque…
— Spike… commença-t-elle d'un ton de reproche inquiet. Mais qu'est-ce que tu as encore fait ?
— Dit ce qu'il ne fallait pas. Je suis un gars constant.
— C'est ennuyeux…
— Ah bon ?
— Non, je veux dire que mes accréditations viennent de m'être retirées. Je ne peux pas te sortir de là.
— Pietro non plus j'imagine.
— Même s'il me remplace… non, souffla-t-elle soucieuse. Je suis censée prendre un avion dans environ deux heures et être à l'aéroport bien avant... Je peux essayer de joindre Andrew mais je n'ai pas encore eu la confirmation qu'il était bien arrivé…
— Ça ne fait rien, chaton. Même sans ça, je serais resté quelques jours en ville. Pour terminer quelques affaires courantes.
— Quel genre de truc illicite ?
— Oh, la routine. Jeter un bouquet des fleurs que Laïta aimait dans la chaudière qui l'a brûlée. Ou retourner à cette foutue fontaine pour vider deux rouleaux de mitraille dedans. J'attendrai. Ne va pas te mettre en retard.
La mention de Laïta changea un peu l'atmosphère. Il l'avait fait exprès mais elle ne releva pas. Elle baissa la tête, concentrée sur une bouloche invisible sur sa jupe.
— J'ai lu ta lettre.
— Et ?
— Et j'aimerais qu'on en discute.
Il étouffa un petit rire en secouant la tête de droite à gauche.
— Tu veux en parler maintenant ? Alors que tu dois filer et que tu ne veux jamais discuter de tout ce qu'il y a d'important sauf si tu y es absolument obligée ?
— Bon alors l'essentiel suffira pour l'instant… Je veux te garder. Je ne sais pas trop comment je vais bien pouvoir faire mais… Je ne veux pas que tu sortes de ma vie, ni de celle de Maya…
Il eut un geste réflexe qui fit tinter les fers. Il avait beau tirer dessus, ils étaient solides. Elle s'approcha et embrassa sa joue.
Ce geste chaste lui poignarda le cœur presque plus que tout le reste. Il s'était dit : si elle m'embrasse, si elle m'embrasse… advienne que pourra. Nous serons ensemble, et tant pis si c'est le Pacte qui parle…
Elle l'avait embrassé mais c'était un baiser d'amie. Rien de plus. Il avait promis qu'il accepterait cela aussi. Il s'y tiendrait. Ses épaules se voûtèrent une minute, il baissa la tête pour cacher le pli plus dur de sa bouche.
Elle se remit debout, lissant nerveusement sa jupe, en murmurant qu'elle était désolée de devoir le laisser là. Qu'elle repousserait son vol s'il voulait. Il l'entendait à peine. Il n'écoutait pas dans l'espoir de repousser la douleur qui s'intensifiait. Que racontait-elle ? Il n'allait pas l'obliger à venir le voir tous les jours dans ce trou, simplement parce qu'il avait été trop bête pour se tenir tranquille !
— Spike ? Tu ne dis rien. Ça va ?
Quand il releva lentement sa tête glorieusement ébouriffée, elle vit ses yeux jaunes et ses crocs à moitié sortis.
— Non ! Pars vite ! dit-il d'une voix rauque.
— Qu'est-ce qui se pa… ?
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Notes
[1] Qu'est-ce que tu veux encore ? / Ferme-la. / Arrête avec tes suppositions stupides.
[2] Je reste parce que je suis le nouveau bibliothécaire. Je reprends le poste de Dawn. C'était prévu (comme ça).
[3] Alors, vampire. On est un peu jaloux ? / Pire (que ça) : possessif !
[4] Le Pacte de sang a été rompu pour elle, mais pas pour toi. Pauvre chéri, va.
[5] Seul le nouveau directeur a la clé. / Le directeur Wood ? Environ deux semaines. / Complètement. Tu n'aimes plus la plaisanterie ?
[6] (Hey, playboy) Tu ne veux pas voir Dawn après ?