When in Rome
Chapitre 29 William in love
.
Elle eut bientôt la réponse à cette question. Voulait-il juste la repousser en lui faisant peur ? Le front de Spike se plissa et il tira sur ses chaînes en grondant de colère, comme s'il ne comprenait pas ce qu'il faisait là, quêtant un indice en tous sens. La voix sortit bien plus rocailleuse et la pupille était peu amène.
— Toi ! Qu'est-ce que tu as fait ?
— Euh… Comment ça qu'est-ce que j'ai fait ?
Il s'acharna encore sur ses liens et le bruit fit venir Pietro qui fit irruption aussitôt et tira Dawn par le bras pour la faire reculer loin du vampire.
— Te l'avevo detto… *
— Trahison ! rugit le vampire. Tu as dit le Spike heureux ! Mais il crie. A l'intérieur. Il empêche félicité.
— Esci adesso ! la pressa Pietro.
La tête penchée sur le côté, elle leva une paume temporisatrice et fit signe à son ami d'attendre un peu.
— Parmakaï ?
— Qui autre ? répondit-il d'un air méchant.
Elle soupira et secoua la tête en regardant le jeune Italien inquiet à ses côtés... se demandant ce qu'elle allait pouvoir faire. Elle avait promis à Spike de n'en parler à personne. Le regard intelligent de Pietro montrait qu'il analysait déjà ce qui clochait dans cette situation.
— Je ne peux pas sortir tout de suite. Il faut que je règle ça, c'est important. Ne dis pas un mot de ce que tu viens de voir et entendre. A personne.
— Perché ? È instabile… Guardalo !
— Ça va aller. Sors quelques minutes, j'ai un autre service à te demander. Voici mon téléphone, mon billet électronique est dedans, peux-tu voir si je peux prendre un vol un peu plus tard ?
Elle lui tendit l'objet, une prière muette dans les yeux.
— Non, je ne partirai pas ! insista le nouveau bibliothécaire nanti de sa récente autorité.
— S'il te plaît ! Moins tu en sauras, moins le Conseil t'accusera d'avoir caché des informations importantes…
— Donna, non mi piace per niente !
— Je sais, mais fais-moi un peu confiance. Je suis capable de me défendre.
Dubitatif et énervé, Pietro lui prit le téléphone d'un geste brusque, sans doute angoissé de ce qui se passerait pour lui, et pour elle, si jamais Dawn était trouvée blessée – ou pire – dans cette cellule. A sa décharge, personne ne l'avait vraiment averti du don très spécifique de son amie. Il recula et laissa la porte encore plus ouverte. Elle leva les yeux au ciel en pestant tout bas contre son attitude ultra protectrice.
— Bon, à nous ! s'adressa-t-elle au démon.
Elle savait qu'il fallait lui tenir tête, discuter pied à pied sans céder un pouce de terrain, parce qu'il aimait et respectait cela. Mais comment faire en sorte d'éviter que l'adrénaline inonde ses membres, ses oreilles de bourdonner ? Il la contempla d'un œil paillard en passant la langue sur ses dents.
— Toi ouvrir cuisses pour lui ?
— Non. Un démon mal élevé tous les trente-six du mois me suffit amplement !
Elle n'était pas certaine qu'il soit vraiment accessible au second degré mais ça soulageait un peu sa tension. Ses muscles contractés commençaient à lui faire mal. Le sourire matois et suffisant ne la rassurait pas tellement sur la suite des opérations.
— Hhm, Parmakaï très fort sexe. Toi pas oublier mon… ça… ? se rengorgea-t-il avec un coup d’œil appuyé vers ses parties génitales. Parmakaï consent. Petit Leurre bien chaude dedans. Et sent bon ! ajouta-t-il comme si la précision était d'importance et la galanterie à son paroxysme.
— Hm-hm. Je te remercie pour ces compliments tellement… francs. J'ai conscience de l'insigne honneur que tu me fais, mais est-ce que ça n'offenserait pas gravement la Grande Ocantha si tu la trompais ?
Il tourna la tête de côté, puis lui refit face et cligna d'un œil.
— Qui dira ? Pas moi.
Elle s'émerveilla une fois encore de voir combien il ressemblait à l'ancien Spike. Roublardise, mauvaise foi, malice, goût du jeu… autrefois doublés de cruauté gratuite. Parmakaï ne s'était pas montré violent pour l'instant, mais peut-être parce qu'il ne la voyait pas comme une proie. Ou… parce qu'il aimait jouer avec sa nourriture ?
— Tu m'en diras tant ! Ce n'est pas c'est plutôt toi qui aurais envie que « j'ouvre cuisses » ? Non seulement tu es grossier, mais en plus tu as une tête de monstre, c'est pas gagné pour toi !
Immobile, la bouche ouverte, il la fixait sans cligner. Il manifesta vite qu'il était outragé.
— Monstereu ? Mais… Parmakaï beau puissant ! Lignée noble ! Fières femelles combattre aller sa couche ! Petit Leurre insolente !
— « Petit Leurre insolente » veut savoir pourquoi tu as repris le contrôle de ce corps alors que tu as promis de ne plus le faire. Ta parole de guerrier n'a donc aucune valeur ?
Là, elle était peut-être allée un peu loin. En grondant, il se leva pour bondir vers elle et la prendre à la gorge mais il s'arrêta en voyant qu'elle affichait un sourire goguenard. Son comportement se transforma alors. C'était ça. Ses valeurs étaient simples, il en était un peu plus prévisible… Il gloussa joyeusement en découvrant ses canines.
— Toi jouer ? Détache mains et combats loyal ! Toi perdre, toi butin Parmakaï ! Et… fais partir ton tout-qui-cache, ajouta-t-il avec un mouvement vertical du poignet dans la direction de ses vêtements.
— C'est ça, rêve donc. Pourquoi. Es-tu. Revenu ? articula-t-elle lentement, les bras croisés en une imitation inconsciente de la posture signature de sa sœur.
Il jeta les bras en l'air et puis regarda d'un sale œil les chaînes qui arrêtaient ses gestes.
— Parce que le Spike fait bruit ! Assez ! déclara-t-il excédé. Le Spike gronde vengeance. Fait images Petit Leurre larmes – Petit Leurre toute belle, sans pelure, précisa-t-il avec d'un sourire égrillard. Lui affamé-terrifié. Parmakaï veut bien montrer plaisirer Femelle Charnue.
— Quoi ?! s'indigna-t-elle, surtout pour l'emploi du « charnue ».
Se méprenant sur l'interjection qu'il prit pour une question, le démon impatienté secoua la tête, grommelant quelque chose dans une langue gutturale.
— Toi sais rien comprendre ! pesta-t-il. Attends !
.
La seconde suivante son corps fut propulsé en avant comme sous le coup d'un choc violent. Son visage se déplissa pour revenir à la normale. Il cligna des yeux, leva la main pour se les frotter et découvrit qu'elle était attachée. Il ouvrit la bouche sans parvenir à parler tout de suite. Il y avait longtemps qu'il n'avait pas fait usage d'un larynx et il toussa. Tournant la tête en tous sens, il se recula et tomba assis sur le lit de camp.
— Pa… pardonnez-moi, je… est-ce que mes lunettes sont ici ?
— Tes lunettes ? répéta Dawn lentement en fronçant les sourcils. Mais… je croyais que tu avais quinze sur dix à chaque œil… ?
Il la regarda sans comprendre.
— Pourquoi suis-je mis aux fers ? A-t-il encore commis quelque crime atroce ?
Dawn arrondit la bouche. Sous l'effet d'une brusque réalisation, elle retint sa respiration. Une paume posée à plat sous sa gorge ne calmait pas l'emballement de sa surprise. A tâtons, elle revint prudemment s'asseoir près de lui, les yeux écarquillés par la pénombre, l'étonnement et l'incrédulité. Elle posa des doigts tremblants sur son genou comme pour s'assurer qu'il était bien là.
— Oh mon Dieu ! Tu es William !
Troublé, l'intéressé tressaillit. Le dos arrondi, il rentra un peu les épaules, gardant les yeux fixés sur la main qui le touchait. Quand il leva les yeux lentement, durant quelques secondes, elle y lut tout son embarras et sa confusion. Pourtant après un instant où il réalisa qu'il y voyait très bien, il sembla la reconnaître :
— Mme… Wells ?
— Oui, c'est ça… Je suis Dawn… acquiesça-t-elle les yeux brillants.
Il déglutit et humecta en vain ses lèvres qu'il mâchonnait en même temps.
— Seriez-vous… très intime avec cette vile créature ?… Une femme mariée ne devrait pas poser les mains comme cela sur un autre homme…
Surprise, Dawn retira sa main aussitôt. Effectivement, William avait des principes très différents de ceux de Spike qu'elle aurait pu toucher partout sans rencontrer la moindre protestation…
— Oh, je vous mets mal à l'aise, s'excusa-t-elle en revenant au vouvoiement. Spike n'a pas la même éducation.
— Oh, renifla-t-il avec dédain. En a-t-il seulement une ?
Elle se redressa un peu pour s'asseoir d'une façon qu'elle espérait plus conforme, le dos plus droit et les genoux serrés sur le côté.
— Je pense que celle qu'il lui reste provient forcément de vous… Si vous me permettez de demander, pourquoi êtes-vous là ?
Il souffla par le nez en haussant une épaule.
— La créature sauvage, enfin… l'autre plus sauvage, veut que je vous délivre un message parce que « je parle bien ». La plupart du temps, je ne m'occupe ni de l'un, ni de l'autre. Ce qu'ils font est systématiquement très inconvenant ou horrible !
Il s'arrêta soudain de parler. Ses yeux s'écarquillèrent mais il les referma aussitôt secouant la tête de droite à gauche. Il tira vainement sur les fers de ses poignets en voulant se cacher le visage.
Avec une grimace épouvantée, il tordit son cou obstinément vers l'autre côté, ce qui la laissa désemparée. Elle ne savait vraiment pas quoi faire pour l'aider. Il avait l'air… si différent ! Sa posture, son manque d'assurance, il lui était difficile de retenir une forme d'élan protecteur… qui ne serait arrivé à rien d'autre que l'effrayer sans doute, au vu de la façon dont il sursautait au moindre contact.
— Bonté divine ! Quelle abjection ! s'étrangla-t-il. Il m'a montré quelque chose mais, je ne saurais rien vous en dire…
— William, faites simple, ce sera toujours mieux que ce qu'essayait Parmakaï.
— Parmakaï ?
— C'est le nom du démon. Il ne vous l'a jamais dit ?
— En aucune façon ! Il a toujours prétexté que ce serait me donner un pouvoir sur lui. Je n'ai rien entendu de plus risible…
— Connaître le nom d'un démon permet de l'invoquer et ça les rend nerveux.
Etait-il surpris ou bien choqué qu'elle sache quelque chose à ce sujet ? A dix contre un, il allait la prendre pour une sorcière… Mais il resta tout de même très poli :
— Je vous avoue que ne suis guère versé dans les exorcismes…
Elle lui offrait un lumineux sourire et William s'arrêta pour la contempler, la bouche entrouverte, un peu en recul. Il battit encore des paupières sans oser la fixer davantage.
.
Pietro était revenu près de la porte, car il avait fini d'échanger le billet d'avion de Dawn. Il avait l'intention d'entrer pour le lui dire quand il les entendit deviser très courtoisement et très calmement. A sa stupéfaction, le vampire prouvait qu'il était capable de politesse… et de se passer de son insupportable suffisance. C'était étrange, et cela ne fit qu'aiguiser davantage sa curiosité.
Au lieu de les déranger, et à peu près certain que Dawn n'était pas en danger direct pour l'instant, il s'adossa simplement au mur tout près de l'entrée. Ce n'était pas tant pour espionner leur conversation que pour leur laisser un peu d'intimité. Il pourrait toujours intervenir si jamais quelque chose tournait mal : il avait une fiole d'eau bénite dans chaque poche, en cas de besoin.
A l'intérieur, Dawn émit un petit rire.
.
— Vous vous moquez ?
— Non, non ! Je suis désolée, c'est juste vous entendre dire que vous ne connaissez rien aux démons. Depuis toujours, votre visage est pour moi celui d'un vampire qui en sait beaucoup sur les démons et sur leurs mœurs…
Il se trémoussa un peu sur le lit de camp, incertain de savoir comment il pouvait se tenir, toujours plus embarrassé d'être scruté, et circonspect face aux vêtements étranges qu'il portait. Il lui jeta un nouveau regard timide avant de baisser aussitôt les yeux en soupirant.
— Je ne crois pas pouvoir vous parler si vous conservez une telle expression !
Elle se fit la remarque, qu'à sa façon, William s'en sortait aussi bien que Spike pour mettre la patience des gens à rude épreuve… Elle remercia mentalement Pietro d'essayer de repousser son vol. Avec ce petit moineau effrayé, elle risquait d'en avoir pour des heures !
— C'est-à-dire ?
— Vous avez à la fois la douceur encourageante d'une mère et l'attention tendre d'une fiancée. Enfin… j'imagine. Mais… vos yeux sont si directs !
— Ah, je vous mets encore mal à l'aise. Considérez que je suis… une femme du futur. De nos jours, éviter de croiser le regard est un signe de duplicité, pas de politesse. Les Français ont un dicton populaire qui dit « les yeux sont les miroirs de l'âme ». Ce n'est pas à prendre au sens strict. Il faut comprendre qu'ils reflètent les émotions, quelles qu'elles soient. Les cueillir quand elles sont données est un privilège.
En tâchant de cacher un sourire, il répondit :
— C'est… un très beau dicton.
— Je me doute qu'il ne peut que plaire à un poète.
— Comment savez-vous que je suis poète ?
Elle essaya de ne pas le scruter mais c'était gros handicap pour le surveiller ou suivre les variations de son humeur.
— Spike parle de vous, surtout pour dire que vous étiez pitoyable. Mais j'ai eu la preuve qu'il connaissait certains poètes romantiques, et même des Français.
— Alors nous sommes en France ? s'anima-t-il inopinément.
— A Rome.
Son expression se détendit soudain, et il se fit plus volubile sous l'excitation de cette découverte.
— J'ai toujours rêvé de voyager en Europe. Hélas, quand mon père nous a abandonnés, ma mère et moi n'avions plus qu'une maigre pension qui ne couvrait pas notre train de vie réduit et des dettes à n'en plus...
Elle lui pressa le genou une nouvelle fois, et il eut un mouvement réflexe de recul qui fit sonner les chaînes à son pied.
— William, William, je connais déjà beaucoup de votre vie. Essayez de ne pas digresser. Parmakaï n'est pas patient et je ne voudrais pas qu'il vous fasse du mal…
— Oh... oui. Pardonnez-moi, cela fait si longtemps que je n'ai pas pu avoir une conversation avec quelqu'un d'éduqué. Ni… une si belle personne.
Regardez-le, se dit-elle. Dix minutes qu'il me connaît et le voilà qui essaierait presque de me draguer… C'est bien le même à tous étages...
Un rose ténu enflamma ses joues pâles. Aucun vampire n'étant en mesure de rougir, le malheureux devait donc être au comble de la gêne pour y parvenir quand même. Il se racla la gorge dans l'espoir vain de rassembler du courage, et parla le plus bas possible, d'un simple filet de voix à peine audible.
— Le démon a eu vent de votre infortune. Il m'a forcé à voir des images honteuses où... pardonnez-moi... vous ne portiez aucune robe ! Quelqu'un vous molestait d'une façon si indigne et humiliante que j'ai du mal à y penser…
— Et ?
— Il sait que Spike est en rage contre le mécréant qui vous a fait souffrir dans votre chair la plus tendre. Malgré la grande attirance sensuelle qu'il éprouve pour vous, il redoute de s'y laisser aller de peur de réveiller ces mauvais souvenirs. Ce dilemme agace le démon qui pour lui est sans objet. C'est une créature très frustre, vous savez… Il… Il se figure qu'il peut vous « réparer » en se montrant habile pendant… euh… l'acte…
— Ah c'est c'est bien ce qu'il m'avait semblé ! Il ne doute vraiment jamais de rien !… Ne vous faites pas de souci, je sais comment négocier avec lui. Les femmes du 21e siècle ne ressemblent plus à celles que vous avez connues. Elles sont plus… effrontées. Mais la plupart trouveraient votre belle mine et votre timidité charmantes.
— J'ai grand peine à le croire… murmura-t-il.
— Moi en tous cas, je trouve les trouve très attendrissantes.
Il soupira longuement, parce qu'elle venait de confirmer cette effronterie… Ce qu'il découvrait était trop déroutant pour être vraiment exaltant. L'anxiété ne le quittait pas et le sentiment d'inadéquation commençait à l'épuiser. Le chiffre vertigineux qu'elle venait d'annoncer l'assommait. Il devait s'avouer qu'il avait envie de rentrer maintenant dans le petit recoin que les autres lui concédaient.
— Ne vous moquez pas de moi, s'il vous plaît.
— Compte tenu de ce que je sais de vos derniers instants, jamais je n'oserais. Comme vous avez délivré le message, j'imagine que vous allez disparaître très vite… Ai-je encore le temps de vous dire adieu ? demanda-t-elle en se levant.
— Certes… acquiesça-t-il en l'imitant. A… adieu madame, je… repenserai bien à vous et je me sentirai moins seul.
Elle lui tendit une main mais ce ne fut que pour mieux agripper son pull et l'attirer à elle. Elle posa l'autre sur sa nuque et vint effleurer ses lèvres d'un baiser très doux à peine appuyé qui le laissa tétanisé sur place. Sans doute catastrophé par les mœurs absolument dissolues des femmes du futur !
— Au revoir William. Je voulais que vous sachiez, même s'il est bien tard pour l'apprendre, que toutes les femmes ne sont pas comme cette sotte pimbêche de Cecily.
Il resta là, hypnotisé par sa bouche mais trop poli et trop noué pour exprimer le désir qu'elle recommence. Il hyperventilait légèrement.
— Je… regrette bien de ne jamais l'avoir su et d'avoir dû le payer au prix de ma vie.
Il ferma les yeux, elle se recula.
.
…Et l'instant d'après toute sa contenance empruntée se modifia. Resté planté près d'elle, il fit sonner ses chaînes quand il leva d'autorité son menton d'un doigt. Tâcher de la toiser de sa pupille fulminante n'était pas si facile, car elle était à peine moins grande que lui.
— Summers, Summers, Summers, dit-il en faisant claquer sa langue réprobatrice. Mais dans quel état tu es en train d'aller me le mettre ?
Elle ne répondit rien.
— Alors que je comprenne bien. Tu couches avec le démon, tu bécotes William en douce pendant que j'ai le dos tourné… Mais qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ? Je serais donc le seul qui doit se contenter d'une humiliante petite bise sur la joue ?
— Non mais… c'était intéressant de discuter avec lui ! se défendit-elle maladroitement.
— Et bien, si c'est ça que tu appelles discuter, chérie, sache que j'ai beaucoup plus de conversation…
— Donna ? les interrompit la voix de Pietro dans le couloir. Qualcuno ! Vieni qui, subito ! **
Dawn tressaillit. Se défilant devant sa colère, honteuse de constater qu'il avait raison et de devoir l'abandonner ici dans ces conditions, elle se pressa de sortir avant que le jeune Italien ne reverrouille derrière elle. Elle se persuada qu'elle lui évitait des problèmes plus conséquents si elle n'était pas vue dans sa cellule. C'était surtout à elle qu'elle en évitait.
— Et elle s'enfuit encore ! grinça-t-il quand il fut resté seul.
Spike écouta leurs pas décroître prestement. Et d'autres s'approcher. Il se demanda s'ils venaient pour lui, mais non. Ils ne firent que passer lentement sans s'arrêter. Il vida sa frustration en tapant contre un mur.
.
Plusieurs instants durant, il resta immobile, la tête contre la paroi, furieux de s'être fait voler de précieuses minutes auprès d'elle. Il finit aussi par abandonner la vaine tentative de retrouver la sensation de sa peau sous ses doigts. A moitié excité parce qu'il avait senti son corps souple contre lui un très bref instant. Tenaillé par un désir plus grand de l'étreindre, il retourna s'allonger sur le lit, et se cacha les yeux d'un bras.
Il fallait qu'il jette l'éponge. Cela ne marchait simplement pas. Mais comment faire ?
Au fond de lui, il devinait plus qu'il n'entendait le rire du démon. Et la petite pression timide mais agaçante de cette grande andouille si bien nommée, *** qui cette fois se tournait avidement vers lui. Il gémit d'impatience : William voulait lui parler des femmes du futur maintenant ! Et particulièrement de « Mme Wells ». Pitié ! Ce petit crétin allait croire qu'il était amoureux de la première femme qui l'avait embrassé !
Il n'aima pas du tout se rappeler qu'il n'avait pas fait mieux naguère, quand sous le porche impassible d'une synagogue, Dawn avait piqué ses lèvres d'un petit baiser ranimant un feu oublé dans ses veines froides.
Au loin, Parmakaï riait toujours de lui.
.
.°.
Il y avait plusieurs jours qu'on ne l'avait pas nourri. De temps à autre, on lui lançait une poche de sang qu'il rationnait pour tenir plus longtemps. Il supposait que c'était le garde-chiourme qu'on envoyait faire ses petites courses et qui les lui balançait avec dégoût. L'idée qu'il soit obligé de se taper cette corvée amusait encore Spike et égayait un peu sa morne journée. A son avis, il passait bien trop de temps tout seul dans des lieux confinés. D'abord chez les Démons de la Lune, puis maintenant ça… Il aurait bien aimé que l'Esprit Gardien vienne se glisser dans l'un de ses murs. Ou Buffy. Oui, Buffy ça aurait été bien.
Aussi fut-il presque surpris quand il entendit le loquet de la porte mais pas le « ploc » que faisait la poche de sang en tombant par terre dans la poussière.
— Mnhn ? Spike ? appela une voix grave dont les voyelles ondulantes et les intonations britanniques étaient diablement familières.
Il souleva une paupière pour considérer l'homme qu'il avait en face de lui. Ce grand front sous des cheveux châtains courts, ces binocles, cette bouche ridiculement petite en proportion de ce menton improbable. Cette veste de costard qui avait soixante-dix ans de retard sur la mode. C'était…
— Giles ?
— Évidemment, tu attendais quelqu'un d'autre ?
— La vache ! T'as strictement la même tête que quand on s'est vus la première fois…
— Mais toi aussi, Spike… répondit-il pince-sans-rire. Par contre… tes frusques sont tombées en poussière ?
Trouvant la blague maintenant assez usée, le vampire ne releva pas l'attaque vestimentaire, et d'autant moins qu'il venait d'apercevoir un jean au lieu du pantalon à pinces dans la tenue de l'Observateur. Une révolution…
— Non, mais je veux dire, moi c'est normal… argumenta-il en se levant d'un bond impatient pendant que Giles déverrouillait ses fers.
— Eh bien, tu verras ça directement avec Eyghon si tu le croises un jour. ****
— Alors c'est toi le nouveau taulier ?
— Mh-h, il semblerait. Qu'est-ce qui a bien pu te mettre la puce à l'oreille ?
Une expression atone se peignit fugitivement sur le visage du vampire.
— C'est toi qui as la... clé. Quand est-ce que t'es arrivé ?
— Quinze jours, je crois.
— Quoi ?! Et tu me laisses croupir ici tout ce temps ? Alors que j'ai sauvé tes miches des Turoks-Hans ?
L'ancien Observateur de Buffy arbora une figure innocente parfaitement hypocrite pour s'excuser.
— C'est qu'il y avait beaucoup à faire et qu'on ne m'a pas averti tout de suite de ta présence…
Il se retourna et l'invita à le suivre, tout en souriant sous cape. Un prêté pour un rendu : Spike lui avait trop souvent fait perdre patience autrefois…
.
.
.
(A suivre : Partie 6 - The torch I bear)
.
.
Notes
* Je te l'avais dit. / Sors tout de suite. / Pourquoi ? Il est instable… Regarde-le ! / Dawn, je n'aime pas ça.
** Il y a quelqu'un ! Reviens, tout de suite !
*** Autrefois, son patronyme était « Pratt ». En anglais, « prat » signifie « idiot, imbécile, crétin, andouille »
**** Dans les comics, Giles est mort mais il a été « renvoyé » par le démon Eyghon auquel il est lié depuis son adolescence. Par contre, il est réapparu dans un corps de 12 ans, tout en gardant maturité et souvenirs… Trente ans plus tard, il a donc en toute logique la même tête que quand il est devenu l'Observateur de Buffy.