When in Rome

Chapitre 9 : Le démon et moi

2320 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 13/09/2020 18:07

J'ai conscience qu'une conversation de trois chapitres abuse un peu de votre patience, mais ne voyais pas comment expédier ça à la va-vite. C'est long, malaisé, maladroit, mais dites-vous que c'est aussi ce qu'ils ressentent... Vous avez un avantage toutefois, vous savez que votre supplice va se terminer bientôt !


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Chapitre 9 Le démon et moi


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"Je ne suis PAS le Spike ! "

Le vampire ne put retenir un bref éclat de rire. Elle esquissa le signe de faire silence, par égard pour les autres occupants de la maison. Obéissant, il en avait profité pour se rapprocher insensiblement d'elle, le menton dans la main, appuyé sur l'accoudoir du canapé. La seule lueur du feu ronflant de cheminée avivait ses pupilles de reflets dansants tout en dorant un peu sa peau trop pâle.

— Quel cliffhanger de la mort ! s'amusa-t-il. Tu devrais écrire des histoires. Est-ce que tu es sûre que ça s'est vraiment produit ? En tous cas, t'as gagné : je ne pars pas avant d'avoir entendu la fin...

— Ça n'avait rien de drôle ! protesta-t-elle.

— Oh, oui pardon. Continue je t'en prie, j'adore écouter tes fantasmes érotiques. Où en étais-tu ? Si je me figure bien la scène, nous sommes par terre, plus ou moins dévêtus, trempés, haletants. Tu es délicieusement effrayée, retenue à ma merci dans une étreinte dominatrice. Et au lieu de t'assommer et de me foutre en l'air comme un brave idiot aveugle et obstiné, je réalise subitement que tes seins nus, ton parfum d'iris et ta peur me donnent passionnément envie de toi ? Correct ?

Sous ses fins sourcils en accent circonflexe, elle plissa les yeux. Son attitude récente lui avait fait oublier combien il pouvait être insupportable quand il était de bonne humeur. Elle s'empêcha de répliquer, parce qu'elle avait fini par comprendre que ses taquineries un peu limites ou ses provocations, ne faisaient rien d'autre qu'attester de ses sentiments. Les gens qui ne l'intéressaient pas, il ne leur parlait pas et les ignorait tout bonnement. C'était l'une des raisons pour lesquelles elle était certaine qu'Angel comptait pour lui...

Elle voyait bien qu'il avait éludé les raisons le poussant à vouloir se supprimer, pour réorienter la discussion vers un terrain beaucoup plus confortable pour lui : le flirt. Comme elle voyait cela comme une manœuvre, elle ne lui accordait guère de crédit et ne le pensait pas spécialement sincère. Aussi poursuivit-elle un peu plus froidement :

— Est-ce que tu veux bien être sérieux ? C'est assez difficile de t'en parler sans que tu te moques de moi en plus... La conversation qui a suivi était des plus bizarres et j'ai besoin que tu sois concentré pour l'entendre.

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Son sourire trop sûr de lui s'effaça aussitôt. Comment n'aurait-il pas largement préféré discuter des sentiments qu'elle avait ? Elle passait dessus comme s'ils n'avaient pas d'importance et n'étaient qu'un effet secondaire inopportun. Il était très important pour lui, très précieux, de comprendre que leur attirance pouvait être mutuelle. La voir jouer les Shéhérazades inquiètes et préoccupées ne faisait rien pour l'apaiser vraiment...

— Tu essaies de me faire croire qu'ensuite, nous n'avons fait que parler ?

— Cela dépend de ce tu entends par « nous »...

— Ok, là je suis paumé. Qu'est-ce que tu veux dire ?

Elle arbora une petite moue entendue qui lui laissait comprendre que ça ne l'étonnait pas. Calée au fond de son fauteuil, elle replia les jambes sous elle frileusement, se laissant absorber quelques secondes par la contemplation fascinée du feu qui crépitait encore. C'était un sentiment déconcertant de la voir si focalisée sur des souvenirs dont il se sentait paradoxalement exclus. Elle continua pourtant, toujours à voix basse et mesurée :

— J'ai eu pas mal de temps pour y repenser et tâcher de comprendre. Il était clair que tu n'étais pas toi-même. La théorie qui expliciterait le mieux la conversation malaisée qui a suivi, c'est que je parlais directement avec ton démon.

— Chaton, tiqua-t-il en secouant la tête pour manifester d'entrée son désaccord. Je suis le démon.

— Oui, ça c'est ce que tu as toujours dit. Un démon remplace l'être vivant. Mais j'avais face à moi un individu qui parlait de toi ou de ta personnalité humaine. Pour l'un comme pour l'autre, il n'avait pas d'indulgence et s'en distinguait nettement. D'abord réticent à me parler, une fois dégelé, c'était une pipelette intarissable... même s'il était difficile à suivre. Il me semblait qu'il avait du mal à communiquer parce qu'il n'avait pas l'habitude ou qu'il pensait dans une autre langue. Il est têtu comme une bourrique, il a une opinion sur tout, se montre assez condescendant envers « les humains-pièges qui sont faibles et génèrent la faiblesse ». Il est en pétard contre toi car il estime que tu l'as trahi. Il ne voulait pas vraiment discuter car je n'étais qu'un « petit leurre » et « pas sa femelle », ce qui avait l'air de le contrarier encore plus.

— De quoi avez-vous parlé au final ?

— Je n'ai pas compris tout de suite pourquoi, mais particulièrement de la cosmogonie des vampires. D'où ils viennent, qui ils sont, pourquoi ils sont là, leur évolution au fil des âges, et de ce que sont les Tueuses... Il s'est fait un devoir de tout m'expliquer et son point de vue est assez unique, je dois dire. C'était très bizarre car il ne donnait pas l'impression d'inventer ça au fur et à mesure. En plusieurs occasions, son récit rejoignait des éléments que nous avons obtenus quand Buffy a fait sa quête de vision pour parler à la Première Tueuse. Il parlait d'elle comme s'il la connaissait et savait son nom qu'il prononçait « Sileya » et pas « Sineya ».[1] Ce qu'il a évoqué était troublant et m'a fait profondément réfléchir sur la mission des Tueuses.

— Attends une minute... Je ne vois pas comment c'est possible un démon aussi ancien ! Je suis né à l'époque victorienne ! Je ne remonte pas à la préhistoire !

— Je n'ai pas d'explication pour l'instant. Tout ce que je peux souligner, c'est que tu as deviné bien avant nous tous que les pouvoirs des Tueuses étaient d'origine démonique. Et ça, comment le savais-tu ? Tu l'as senti ? Tu l'as déduit ? Un peu des deux ? J'ai l'impression que l'information venait de ce démon. A ta décharge, il m'a dit qu'il n'avait jamais vu l'intérêt de te parler, du moins avec ce qu'il appelait « des pensées-sons » – et ça, c'était des mots, figure-toi.

— Je ne sais pas trop quoi en penser. Autant je ressens l'âme comme une sorte tourment permanent, geignard et casse-pieds, autant ça...

Elle laissa aller sa tête contre le dossier du fauteuil et poursuivit prudemment.

— Je sais que tu fais peu de cas des théories psychanalytiques, mais je ne suis pas sûre que nous-mêmes soyons éminemment conscients d'autre chose que notre ego. Il faut une attention particulière pour qu'on repère si c'est notre instinct qui parle ou la somme de nos règles morales, et je pense bien que pour tout le monde, la distinction n'est qu'une vue de l'esprit car nous nous sentons être juste « nous ». Je ne sais pas si c'est « normal » pour un vampire d'avoir une instance instinctuelle qui a son petit caractère. Je ne sais pas si tu es à nouveau parasité par une entité qui peut prendre ton contrôle. Ou si tu es absolument schizo avec un stock de personnalités multiples planquées dans le fond de tes tiroirs... Tout ce que je peux dire, c'est qu'il se sent lié à toi, que vous partagez des traits de caractère comme l'obstination, la ruse, et une certaine... adaptabilité aux situations.

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Face à ce constat qui était effectivement inquiétant, Spike se surprit à vouloir se ronger les ongles. Il savait que c'était là un réflexe de William qui venait presque en confirmation immédiate de ce qu'elle venait de dire... Il arrêta immédiatement et passa une main sur la nuque avant de quémander finalement un autre verre qu'elle lui accorda bien volontiers.

En ce qui le concernait, la théorie la plus plausible était la folie pure et simple. Toute son existence y conduisait presque inexorablement. Les années passées à prendre soin d'une Dru à demi-voyante que sa transformation en vampire avait complètement fait dérailler, les bidouillages de l'Initiative lui collant une saleté de microcircuit dans le cerveau, son âme récupérée qui lui faisait une guérilla à la fois sournoise et fuyante...

— Ce n'est pas très rassurant. Est-ce que tu as pu savoir depuis combien de temps il m'observe ?

— Je pense qu'il est là depuis longtemps ! Il a affirmé que la Force lui a fait des promesses. Il a reconnu sans sourciller qu'il avait fait alliance contre toi, délibérément, pour te punir de l'avoir affaibli en « attrapant l'étincelle du William ». Il t'en veut beaucoup de ça je crois, dit-elle avec un petit sourire en coin.

— Ah ouais ? Oh merde, quelle déception ! Moi qui voulais tant un nouvel ami ! grinça-t-il.

Elle opina en agitant deux ou trois fois la tête.

— C'est mal parti. Si je devais résumer ses griefs : tu l'enfermes tout le temps et ne le laisses pas sortir et jouer comme avant ; tu l'affames en lui donnant de la mauvaise nourriture et il dit aussi que tu le tiens éloigné de sa femelle (qu'il appelle "la dorée")[2] et qui lui manque beaucoup. Ça te parle ?

Il hocha la tête sombrement. Bien sûr que ça lui parlait ! Spike était bien placé pour savoir que ses efforts continuels pour réprimer sa violence et tâcher de se satisfaire d'un régime alimentaire insipide de sang animal, allaient à l'encontre de ce qui était sa "vraie nature" de vampire. Il repensa au rêve fait des mois plus tôt où il se sentait redevenu William et où il voyait sa face de vampire le narguer... Peut-être était-ce simplement une image ? Ses besoins fondamentaux n'étant plus satisfaits depuis la présence de l'âme, ces derniers se rappelaient à lui avec de plus en plus d'insistance. S'il y avait une personne à qui il aurait absolument voulu épargner tout ça, c'était bien elle !...

— J'imagine que la dorée est...

— Buffy. Je l'ai toujours désignée comme ça dans... mes poèmes.

— J'ai l'impression qu'il n'a pas conscience qu'elle est morte. Il dit qu'elle est « diluée » et qu'il n'arrive plus à la sentir nulle part.[3] Ça le déprime, j'ai l'impression. Ce qui me permet de faire le lien sur pourquoi il m'a raconté tout cela à moi… Il espère que je le laisse « retourner à Ocantha ».[4] Il pensait qu'en m'expliquant son histoire, je comprendrais qu'il ne veuille plus, je cite, « rester dans ce plan ». Au début, je pensais qu'Ocantha était un lieu. Mais il y fait plutôt référence comme à une sorte de divinité qu'il considère tantôt comme une mère tantôt comme une amante...

— C'est la façon dont on considère celui ou celle qui nous a transformé. Mais il n'y a pas de dimension « religieuse », c'est un lien puissant qui est fondé sur la magie ancestrale du sang.

— Il a dit que si « la chair du William » était détruite, alors il serait libéré. Comme je ne comprenais pas, il a ajouté que les Premiers Hommes avaient réduit en esclavage l'Esprit de la Grande Ocantha, en l'enchaînant à des corps de femmes et en lui promettant, en échange une très longue vie faite de résurrections successives pour libérer tous ses enfants. Selon lui, toutes les Tueuses portent en elles un fragment de cette Ocantha. Mais il croit fermement que la mission de la Tueuse n'est pas de les éradiquer, mais de libérer les esprits-démons comme le sien, prisonniers des corps humains et soumis à leurs faiblesses. Il voit la mission comme un acte d'amour, car il pense que les siens sont piégés dans cette dimension à laquelle ils n'appartiendraient pas… Je t'avoue que ça m'a fait très bizarre, ça va à l'encontre de tout ce qu'on sait, de ce qu'a transmis la Première Tueuse... Tu crois que ça peut être vrai ?

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Notes de l'auteur

[1] La Première Tueuse s'appelait bien Sineya si l'on en croit les Wikis, mais le fait de l'appeler Sileya qui ressemble particulièrement au "slayer" (prononcé "sleya") est une pure invention de ma part pour jouer avec l'idée que le mot anglais pour "tueuse" dériverait du nom de la toute première exécutrice de démons.

[2] Une bien piètre traduction pour The Golden One. Spike a toujours été sensible à la dichotomie du jour et de la nuit.

[3] Dans le dernier épisode de la série télévisée, pour s'assurer un équilibre des chances contre un ennemi plus puissant supérieur en nombre (les Turok-Hans), Willow accomplit un acte magique qui rend "actives" toutes les jeunes filles qui étaient des Tueuses "dormantes" (les Potentielles) attendant d'être appelées par la mort de la précédente. Il s'agit d'une profonde modification de l'équilibre des forces en présence. Il n'y a plus une seule et unique "Élue" dont les pouvoirs se transmettraient de l'une à l'autre, mais un pouvoir réparti, canalisé par plusieurs personnes tout autour du monde. Ce supposé "démon de Spike" le ressent comme un "amoindrissement" qui rend plus difficile à localiser celle qui était censée le détenir.

[4] Absolument pas canon. Nom tiré de mon imagination et prévu pour sonner "vaguement Klingon".

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