Mésentente cordiale

Chapitre 23 : Mésentente cordiale - Ch 23

1723 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/11/2016 01:23

Madre de Dios, voilà qu’il remettait ça !

Victoria ne put retenir cette pensée un tantinet agacée lorsqu’elle vit Don Diego entrer dans sa taverne portant dans ses bras la señorita Alacen.

Encore.

Ma parole, cela devenait une manie chez lui ! En tous cas il semblait y prendre goût.

Aussitôt Victoria se morigéna de cette pensée décidément peu charitable : si Don Diego portait cette jeune femme, quelque chose avait dû se passer…

Mon Dieu, songea Victoria qui s’en voulait de son mouvement d’humeur initial, était-elle à nouveau inconsciente ? Ou… ou pire ?

Inquiète, elle se rua auprès d’elle.

— Don Diego, demanda-t-elle, que se passe-t-il ? Est-elle... ? Qu’est-ce qui… ? Que lui est-il arrivé ? Comment va-t-elle ?

Noyé sous ce flot de questions, Diego ne répondit pas de suite. Puis remarquant l’angoisse grandissante de Victoria, surtout face à son mutisme, ce fut la señorita Alacen elle-même qui la rassura, bien que d’une voix faible :

— Je vais bien, Señorita, tout va bien, ne vous inquiétez pas. Señor, ajouta-t-elle à l’adresse de Diego, vous pouvez me reposer maintenant, je vous l’assure.

— Vous avez eu un étourdissement, vous sortez à peine de deux jours de fièvre et de coma, et par-dessus le marché vous avez le ventre complètement vide.

— Je vais mieux, vous pouvez me reposer par terre.

— Il vous faut du repos à présent, objecta-t-il.

— Et je retourne de ce pas me coucher, promis, lui répondit-elle. En tout cas dès que vous m’aurez reposée. S’il vous plait, ajouta-t-elle d’une voix radoucie.

— Oui Don Diego, intervint Victoria un peu vivement, vous pouvez reposer la señorita par terre à présent !

— Je ne la reposerai nulle part ailleurs que dans son lit ! affirma-t-il catégoriquement.

— Oh ! Très bien, faites vite alors, lui dit Luz elle-même, on nous regarde !

Elle semblait enfin prendre pleinement la mesure des choses, des apparences, de sa tenue, du fait qu’elle était dans les bras d’un homme – inconnu de surcroit – et du regard que les personnes extérieures pouvaient avoir sur cette situation.

Victoria, elle, l’avait prise depuis bien longtemps :

— Elle a raison, Don Diego, ma taverne est une maison très correcte avec une bonne réputation que j’entends lui conserver ! Je préfèrerais donc que vous remontiez déposer la señorita dans son lit au plus tôt et que vous redescendiez immédiatement, ou bien je monte vous chercher moi-même !

Voyant que Diego commençait enfin à lentement réaliser ce qu’elle sous-entendait, elle confirma :

— Ou alors vous risquez de faire jaser…

Sans un mot, Diego acquiesça d’un lent mouvement de la tête et entreprit de monter l’escalier, la señorita Alacen toujours blottie dans ses bras. Arrivé à mi-hauteur, il s’arrêta et se retourna vers Victoria pour lui lancer :

— Victoria ! Pourriez-vous avoir l’amabilité de monter un bol de bouillon de légumes et une assiette du plat du jour à la señorita ?

— Le ragout de poisson n’est pas encore prêt, Don Diego, mais dès que possible, je m’en charge !

La tête de Luz émergea alors de l’épaule de Diego et d’une voix un peu faible elle lui dit:

— Je vous en remercie, Señorita. Et croyez bien que je suis désolée des complications et ennuis que cela vous créée.

— Je vous en prie, Señorita ! lui répondit Victoria. Le dérangement n’est pas bien grand, je vous assure. Ne songez qu’à vous reposer et reprendre des forces, et ne vous souciez de rien d’autre.

Diego avait à peine repris son ascension que Victoria se souvint soudain d’une chose.

— Attendez ! lui cria-t-elle.

Elle attrapa quelque chose sous son comptoir et s’avança vers eux. Diego vit alors que le quelque chose en question était un petit bouquet de fleurs sauvages, qu’elle tendit à la señorita Alacen.

— Tenez, lui dit-elle, C’est pour vous. Vous avez raté de peu le caporal Sepulveda qui est passé il y a quelques minutes s’enquérir de votre état et vous apporter ceci, ajouta-t-elle avec un sourire entendu.

— Qui cela ? demanda alors Luz.

— C’est un des soldats de la patrouille qui vous a ramenée au pueblo, lui précisa Diego, un peu agacé de ce contretemps. C’est lui qui vous a amené chez le médecin.

— Et il est aussi passé plusieurs fois veiller sur vous lorsque vous étiez inconsciente, insista Victoria.

— Je crois surtout qu’il me surveillait sur ordre de l’alcade, ajouta Diego d’un ton un peu irrité, afin que je ne… souffle pas son texte à la señorita lorsqu’elle se réveillerait enfin.

— Oh vous êtes injuste Don Diego ! lui dit Victoria.

— Oui, renchérit Luz, la méfiance initiale du señor alcade était somme toute légitime, bien qu’assez désobligeante sur le moment, et il a fini par reconnaître la véracité de mon témoignage !

— Non, dit Victoria, je voulais parler du caporal : il paraissait sincèrement s’inquiéter pour vous… c’était même assez touchant, à la vérité.

— Charmant, dit Diego d’un air de ne pas trouver cela charmant du tout. Nous pourrions peut-être remettre les discussions à plus tard ? proposa-t-il d’in ton assez bourru. La señorita doit se reposer, pour l’instant.

— Très bien, répondit Victoria un peu vexée de voir son bel enthousiasme ainsi douché par Diego.

Luz prit alors le bouquet en lui demandant :

— Señorita, une fois que je me serai reposée, j’aimerais me laver. Vous serait-il possible de me faire monter le nécessaire ?

— Bien sûr Señorita, et je monterai vous aider. Avec votre épaule et votre jambe dans l’état où elles sont, vous aurez des difficultés à la faire seule, ainsi qu’à vous habiller.

— Muchas gracias, Señorita, vous êtes bien aimable. D’ailleurs j’ai bien de la chance : depuis que je suis arrivée dans ce pueblo, je n’y ai rencontré que des personnes aimables, serviables et compatissantes, qui ne cherchent qu’à m’aider : vous-même Señorita, ce caporal Sepulveda, le Señor de la Vega, et même son fils, qui n’avait que de d’honnêtes intentions…

— Cependant, vous oubliez l’alcade, lui dit Diego. Il fait exception.

— Ne soyez pas injuste, lui répondit-elle. J’ignore quelle querelle vous avez avec lui mais force m’est de reconnaitre que, passé la méfiance première à laquelle il est tenu de par sa fonction, il s’est montré un homme tout à fait courtois et attentionné.

— Croyez-moi Señorita, lui répliqua Diego, vous ne connaissez pas Ignacio de Soto…

— Don Diego a raison, Señorita, ajouta Victoria. L’alcade n’est pas un homme plaisant, loin de là. Attendez de le connaitre et jugez-le sur ses actes, vous verrez… si toutefois vous restez parmi nous assez longtemps pour cela bien sûr, mais vous voudrez certainement reprendre votre route dès que vous serez suffisamment rétablie pour cela.

— J’ai quelque affaire à voir ici à Los Angeles avant de m’en retourner, précisa Luz.

Étrangement, Luz crut soudain remarquer que pour une raison qu’elle ne s’expliquait pas, la Señorita Escalante semblait somme toute assez pressée de la voir repartir.

— Je suis navrée des ennuis que mon état vous occasionne, Señorita, ajouta-t-elle un peu chagrinée de l’attitude soudain plus froide de son hôtesse jusqu’ici si charmante, mais je vais devoir abuser de votre hospitalité un jour encore. Je vous règlerai chaque centavo de ce que je vous dois, bien enten–

— De toute façon, la coupa Diego, vous n’êtes pour l’instant pas en état de chevaucher et ne le serez pas avant au moins plusieurs jours. Votre cheval non plus, d’ailleurs. Mais assez parlé pour l’instant : je vous monte dans votre chambre. Au lit !

Et joignant le geste à la parole, il finit de monter l’escalier, Victoria sur ses talons, le suivant de très près, les lèvres pincées.

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