Mésentente cordiale

Chapitre 20 : Mésentente cordiale - Ch 20

2180 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 11/10/2014 09:31

Victoria astiquait son comptoir, profitant de ce qu’il était encore tôt et qu’il n’y avait encore que peu de consommateurs dans son établissement. Elle était bien plus reposée que la veille et d’un peu meilleure humeur – au grand soulagement des quelques clients présents – grâce à Don Diego qui avait assuré son tour de garde auprès de l’inconnue, permettant ainsi à Victoria de dormir comme un loir.

Un mouvement et un bruit de porte venant de l’étage se firent entendre dans le calme de ce début de matinée et Victoria leva les yeux vers le haut de l’escalier. Là, elle vit un spectacle peu habituel, surtout dans un établissement aussi respectable que le sien : une femme en simple chemise, ses longs cheveux lâchés et emmêlés, gagnait pieds nus et apparemment en boitant les premières marches de l’escalier, prenant appui sur la rambarde à colonnettes qui surplombait le  rez-de-chaussée.

Victoria eut à peine le temps de reconnaître l’inconnue de Don Diego – comment ça, de Don Diego ? se corrigea-t-elle – qu’au moment où celle-ci atteignait l’escalier sa jambe droite sembla se dérober sous elle et elle s’effondra à demi, s’appuyant alors des deux mains sur la rampe en grimaçant. En trois pas Diego accourut auprès d’elle et la retint, passant son bras autour de sa taille pour la redresser et ce faisant l’appuyant plus que légèrement contre son propre torse.

— Pour l’amour du ciel ! s’exclama-t-il, n’essayez pas de marcher toute seule ! Vous auriez dû m’attendre. Je ne veux pas que vous présumiez de vos forces !

Réveillée ! se dit Victoria, d’abord soulagée pour Felipe – et pour cette femme. Seulement… seulement la voir ainsi à moitié nue arpenter les corridors de sa taverne éclipsait un peu sa joie. Et en présence d’un homme, encore en plus ! Certes, ce n’était que Diego, le dernier homme sur terre susceptible de s’intéresser à… mais enfin tout de même ! Et puis son établissement avait une réputation à maintenir.

Enfin bon, elle était malgré tout surtout soulagée de voir que la malade avait repris connaissance et que ses jours ne semblaient plus en danger. Les bons soins prodigués par elle-même d’abord, par Don Diego ensuite, avaient porté leurs fruits… la nature et la chance ayant certainement eu également leur part dans ce rétablissement. Mais il était vrai que les connaissances de Don Diego, sans égaler bien entendu celles du docteur Hernandez, avaient certainement joué ici. Cette fille pourrait lui être reconnaissante. Il était vrai que, par inquiétude pour Felipe, il n’avait pas non plus ménagé sa peine pour la soigner, ayant passé presque toute la journée écoulée – et la nuit aussi ! – à s’occuper d’elle et la veiller.

L’inconnue, quant à elle, ne s’était toujours pas complètement redressée et s’appuyait toujours en partie sur Diego.

— N’essayez même pas de descendre cet escalier toute seule ! lui intima-il alors.

Victoria la vit pincer ses lèvres parcheminées et enfin tenter de se décoller de Diego.

— Je ne suis pas complètem–, commença-t-elle d’un air un peu agacé en mettant le pied droit sur la première marche.

Mais au moment où son poids passa de sa jambe gauche à l’autre, elle grimaça de nouveau, plissant les yeux, serrant la rampe des deux mains à s’en faire blanchir les jointures, inspirant fortement à travers ses narines pincées.

Ni une ni deux, Diego passa un bras sous ses genoux, l’autre sous ses omoplates, et la souleva avant qu’elle ne s’écroule. Puis la portant comme on porte dans ses bras un enfant pour aller le mettre au lit, il entreprit de descendre l’escalier comme si elle ne pesait rien.

Victoria redoubla alors d’efforts pour astiquer son comptoir pourtant déjà immaculé : décidément, Don Diego prenait beaucoup trop à cœur son nouveau rôle d’infirmier…

Dans les bras de Diego, les jambes quelque peu relevées et en parties exposées par la chemise trop courte de Victoria qui ne lui arrivait qu’au milieu des mollets, la demoiselle montrait sans le vouloir une bonne partie de ceux-ci aux regards. Dieu merci, seule Victoria se trouvait face aux escaliers à ce moment là. Diego quant à lui ne sembla pas relever l’incongruité de la situation.

Arrivé au bas de l’escalier, celui-ci reposa la demoiselle qui, toujours boitillant, se dirigea vers la porte d’entrée à pas lents mais sans se retourner vers lui. Victoria se précipita alors vers elle :

— Señorita, vous êtes enfin réveillée ! Comment vous sentez-vous? demanda-t-elle en lui prenant les deux mains

La jeune femme, un peu hébétée, la regarda sans réagir.

— Êtes-vous certaine d’être en état de marcher ? poursuivit Victoria. Don Diego, ajouta-t-elle en se tournant vers son ami, vous n’auriez pas dû la laisser se lever… Señorita, mais où allez-vous ainsi ?

La jeune femme, comme assommée sous cette avalanche de questions, ne sut que répondre et se tourna vers son bon Samaritain un air interrogateur peint sur le visage.

— Señorita, permettez-moi de vous présenter la señorita Escalante. Elle est la propriétaire de cette taverne et a elle aussi veillé sur vous tandis que vous étiez inconsciente, d’où son inquiétude pour vous et sa sollicitude. Victoria, je vous présente notre invitée, la Señorita Luz Alacen.

Ladite Señorita Alacen inclina poliment la tête et les épaules en signe de salutation, et allait même esquisser un début de révérence lorsque l’effort que cela demandait à sa cuisse intensifia la douleur qu’elle y ressentait et lui rappela vivement sa blessure.

Victoria la salua de même et ajouta :

— Soyez la bienvenue à Los Ángeles, Señorita. Malgré les circonstances un peu… chaotiques… de votre arrivée ici…

— Je vous remercie de votre accueil, Señorita, lui répondit Luz, ainsi que d’avoir veillé sur moi. Je suis navrée des inconvénients que les circonstances de ma présence chez vous ont pu vous occasionner.

— Tout est bien qui finit bien, c’est l’essentiel, l’assura Victoria

— Pas encore tout à fait, intervint Diego, leur rappelant que la situation de Felipe n’était pas encore arrangée.

— Oui vous avez raison, lui répondit la señorita Alacen, allons-y.

— Où… commença Victoria, où comptez-vous donc aller comme ça?

D’un geste, elle appuya son propos en désignant la tenue de son “invitée”.

— Il n’y a pas de temps à perdre, lui répondit la señorita, le fils du Señor de la Vega est injustement emprisonné suite à une épouvantable méprise. Il me faut lever ce malentendu auprès des autorités au plus tôt !

Pendant ce temps, Don Diego parut enfin prendre conscience de ce que la jeune femme était en chemise car il retira aussitôt sa propre veste pour la poser galamment sur les épaules de la demoiselle, dans un souci de pudeur et de correction.

Mmm, remarqua Victoria en pinçant les lèvres, Don Diego était vraiment très galant aujourd’hui… Mais le résultat n’était toujours qu’assez peu convenable…

— Et puis vous êtes pieds-nus! ajouta ensuite Victoria.

Diego regarda alors au sol et vit qu’il avait omis cet autre détail.

— Je m’en occupe ! lança-t-il en avalant quatre à quatre les escaliers en direction de la chambre qu’il venait de quitter.

Pendant ce temps, Victoria prit les choses en main :

— Prenez au moins le temps de vous changer, señorita, je suis certaine que Felipe ne vous en tiendra pas rigueur…

Mais la señorita Alacen ne tenait pas en place :

— Señorita, je ne laisserai pas un jeune homme innocent croupir en prison une minute de plus. Pas si je peux l’empêcher ! Je ne pourrai me regarder dans une glace si je faisais passer le souci de me pomponner avant sa libération et–

— Mais il ne s’agit pas de cela, Señorita ! s’exclama Victoria. Vous ne pouvez tout de même pas traverser la plaza en chemise ! Ce n’est pas très correct.

— Oh… fit alors simplement la señorita Alacen qui parut seulement alors remarquer qu’elle était en petite tenue.

Elles virent alors toutes deux arriver Diego tenant à la main les souliers empoussiérés de la señorita. Celle-ci haussa alors presque insensiblement les épaules et, glissant ses pieds dans ses chaussures elle dit à Victoria tout en resserrant la veste de Diego autour de son buste :

— Tant pis, pas le temps…

— Laissez-moi au moins… commença Victoria avant de s’interrompre pour dénouer le tablier qu’elle portait à la taille.

Elle le noua alors autour de celle de la señorita Alacen. Ce n’était que vaguement plus pudique. Elle attrapa ensuite un grand châle derrière son comptoir et le noua également autour de sa taille, masquant cette fois l’arrière de la chemise de nuit. À présent c’était un peu mieux.

— Parfait, merci, lança précipitamment la señorita Alacen en tournant les talons. Bon venez, allons-y ! ajouta-t-elle à l’intention de Diego tandis qu’elle se dirigeait vers la porte en s’appuyant au passage sur les tables pour ne pas trop forcer sur sa jambe droite.

Diego la rejoignit et, plutôt que de simplement lui offrir son bras gauche afin qu’elle s’y appuyât, il le passa autour de sa taille tandis qu’il lui prenait le bras droit pour le passer derrière son cou et sur son épaule. Et c’est ainsi, elle appuyée tout contre lui, lui la soutenant par la taille, que Victoria les vit quitter sa taverne.

La situation de Felipe allait enfin être résolue et trouver une fin heureuse, elle aurait donc dû se sentir absolument ravie. Et elle l’était, se dit-elle, elle l’était vraiment. Elle se sentait réellement soulagée pour lui, soulagée pour Don Diego. Et pourtant, pour une raison qu’elle ne parvenait à s’expliquer, elle était également bien moins détendue et de moins bonne humeur que quelques minutes auparavant. Étrange.

Sans bien s'en rendre compte, toute à ces réflexions, elle s’était remise à briquer de plus belle son comptoir pourtant déjà rutilant, au risque de l’user !

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