Mésentente cordiale

Chapitre 19 : Mésentente cordiale - Ch 19

2563 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 23:19

La señorita Alacen réfléchit, creusa son esprit, mais apparemment l’étrange sensation que lui avait fait la tête de son humérus se remettant en place, la soudaine compréhension de ce qui était arrivé à son épaule et surtout cette intense, brulante douleur étaient les dernières choses que sa mémoire eût enregistrées.

Ensuite ? lui avait demandé l’homme à son chevet. Ensuite ? se répéta-t-elle.

— Eh bien… rien, répondit-elle enfin.  C’est tout. Plus rien d’autre.

La douleur, songea Diego. La très vive douleur combinée au venin et surtout au coup reçu à la tête lui avaient finalement fait perdre connaissance. Ensuite la perte de sang, le venin, l’infection et la fièvre avaient fait le reste et l’avaient maintenue inconsciente.

— Plus rien d’autre ? répéta Diego.

— Non, désolée, plus rien après cela. Pourquoi donc ?

Sans répondre directement à sa question, Diego insista :

— Donc le jeune homme ne cherchait nullement à vous nuire, mais seulement à vous prêter assistance, c’est bien cela ?

Luz le regarda étrangement, se demandant où il voulait en venir.

— Oui, cela partait d’une bonne intention, répondit-elle. Indépendamment du résultat… ajouta-t-elle en contemplant sa cuisse rougie et lacérée toujours exposée.

Semblant enfin prendre conscience de l’incongruité et de l’impudeur de la situation, elle rabattit les couvertures sur ses jambes.

Mais cela faisait de toute façon bien longtemps que Diego n’y prêtait plus attention. Il avait d’autres soucis en tête.

— Ce jeune homme, Señorita, se prénomme Felipe. C’est mon fils, lui révéla-t-il, et à présent c’est lui qui a grandement besoin de votre aide.

— Votre fils ?! s’exclama Luz les yeux écarquillés, l’interrompant de nouveau. Sapristi, ajouta-t-elle en détaillant Diego de pied en cap, mais quel âge avez-vous donc ?

Oh, pensa Diego. Oui, je suppose que je vais devoir m’y habituer de la part des étrangers au pueblo…

— Il s’agit d’une adoption, expliqua-t-il un peu ennuyé d’avoir à se justifier.

Non que cela la regardât en quoi que ce fût, mais d’un autre côté il comprenait l’étonnement de la jeune femme. Il était légitime. Et puis en un sens, il était assez soulagé de constater que malgré ses premiers – discrets – cheveux blancs il pouvait encore passer pour assez “jeune”… ou à peu près… Il espérait seulement que c’était là aussi l’avis de Victoria.

— Ah, fit simplement la señorita Alacen sur le même ton que lorsqu’il l’avait informée que Felipe était sourd-muet.

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Luz aimait avant tout comprendre. Elle ne se sentait jamais autant ennuyée que lorsqu’elle se trouvait face à quelque chose, une situation, un problème, un phénomène qu’elle ne comprenait pas. L’explication du señor de la Vega éclaircissait parfaitement le point d’interrogation et d’étonnement qui s’était allumé en son esprit lorsqu’il lui avait annoncé que ce jeune homme qui lui avait paru avoir quoi… dix ou quinze ans de moins que lui peut-être… était en fait son fils. Certes, il fallait admettre qu’elle n’avait guère prêté attention à l’aspect du jeune homme – Felipe, c’était bien cela ? – et encore moins aux traits de son visage, et aussi qu’elle ne voyait présentement le señor de la Vega qu’à contre-jour…

Bon, peu importait leurs histoires de famille après tout. En revanche, ne venait-il pas de dire que le jeune homme avait besoin de son aide ?

— Je ne vois pas bien en quoi je puis être utile à votre fils, señor, cependant s’il est en mon pouvoir de vous apporter mon aide à tous deux, je ne me vois guère m’y dérober. Soyez assuré que je ne désire que venir en aide à mon prochain. Dans la mesure de mes possibilités, cela va de soi.

Mais le señor de la Vega restait muet – lui aussi, pensa-t-elle inopinément. Elle chassa de son esprit cette peu respectueuse remarque et l’invita à s’expliquer :

— Que puis-je donc pour vous, señor, ou plutôt pour lui ?

Encore une chose qu’elle aimerait bien comprendre, car elle ne voyait pour l’instant absolument pas en quoi ce jeune homme pourrait avoir besoin d’elle.

Le señor de la Vega paraissait avoir effectivement quelque chose à lui dire, mais tout en donnant l’impression d’y répugner. C’était aussi cette apparente répugnance que Luz ne comprenait pas, au point même de commencer à vaguement l’inquiéter.

— Ainsi donc, reprit l’homme, les cris et appels que vous avez adressés à Felipe, ignorant qu’il était sourd, n’avaient pour but que d’empêcher les gestes de secours qu’il tentait d’avoir à votre endroit ?

— C’est cela, confirma-elle toujours aussi perdue et se demandant où diable il voulait en venir. D’abord car je savais ce qu’il voulait faire avec son couteau et je maintiens que ce n’est pas le bon traitement…

Il parut garder pour lui la réplique qui le démangeait, réalisant sans doute que ce n’était pas le moment de palabrer sur ce point.

— Ensuite, continua-t-elle, parce que j’appréhendais la douleur s’il touchait mon bras. Je l’ai combattu au lieu de le laisser faire lorsqu’il me remit l’épaule en place, ce qui au final n’a dans le fond rendu les choses que plus compliquées pour lui et plus douloureuses encore pour moi… Mais comment… comment savez-vous que j’ai crié et appelé ?

Avec encore quelque réticence, il expliqua :

— Señorita, une patrouille de soldats de notre garnison passait à proximité au même moment. Ce sont eux qui vous ont ramenée au pueblo…

Allons bon, voici qu’il s’interrompait encore.

— Bien, dit-elle comme pour combler le silence, je les en remercierai donc en personne dès que cela me sera possible. D’ici là, auriez-vous l’amabilité de leur transmettre mes remerciements ?

Il acquiesça distraitement. Il avait autre chose en tête. Autre chose à dire, à l’évidence, et son hésitation commençait à sérieusement inquiéter Luz.

— À dire vrai, vous aurez peut-être, en tout cas je l’espère, l’occasion de le faire vous-même dès ce matin si toutefois vous pouvez vous lever. Sans quoi je demanderai à l’alcade de venir lui-même jusqu’à vous ou d’envoyer son sergent pour s’entretenir avec vous…

L’alcade ? s’étonna-t-elle.

— Mais à quel sujet, à la fin ? s’énerva-t-elle enfin. Allez-vous vous décider à me dire ce que vous n’osez pas me dire ?

Il se leva d’un coup. Bon Dieu qu’il était grand ! D’autant qu’elle-même n’était qu’assise, appuyée sur ses oreillers.

Il parut se décider enfin et d’une voix ferme bien que toujours douce, il lui dit :

— Señorita, je vous prie de pardonner l’hésitation que j’ai eu jusqu’ici ainsi que la peine que je vais avoir à aborder le sujet à venir, mais… à dire vrai je vous prie même à l’avance de me pardonner d’oser aborder pareil sujet avec une señorita, et j’avoue ne trop savoir comment m’y prendre pour le faire avec la délicatesse que pareille chose requerrait…

— Diable ! s’exclama-t-elle avec un sourire pour tenter de détendre l’atmosphère, cette fois-ci vous commencez à vraiment m’inquiéter !

Mais il semblait demeurer parfaitement imperméable à son ironie et elle craignit alors que cette interruption ne fît que couper son élan.

— Les soldats… ont entendu vos cris… et aussi ce que vous disiez à Felipe… l’implorant de ne pas vous toucher… et lorsqu’ils sont arrivés vous étiez déjà étendue sans connaissance… Et Felipe vous maintenait l’épaule…

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Diego s’était interrompu et la fixa intensément, attendant qu’elle comprît ce qu’il ne disait pas. Cependant ce ne sembla pas être le cas et il sut qu’il devait poursuivre :

— Et comme vous aviez vos… hum… vos vêtements relevés sur vos jambes découvertes… à cause de la morsure, bien sûr…

De nouveau il la regarda. Elle semblait toujours aussi confuse.

— Eh bien ? demanda-t-elle, visiblement dans le flou total.

Grands Dieux ! s’effara Diego, était-il possible qu’elle fût ingénue à ce point ? Tout d’un coup, il se sentit terrifié d’avoir peut-être à expliquer certaines choses à une jeune fille. Des choses qu’il ne lui revenait absolument pas d’expliquer. Déjà qu’avoir cette conversation avec Felipe toutes ces années auparavant avait été suffisamment… gênant…

Mais à l’idée de devoir l’avoir avec une demoiselle…

Peut-être devrait-il appeler Victoria à la rescousse ?

Lâche ! s’insulta-t-il alors. Hors de question, il n’avait pas vraiment envie que par-dessus tout le reste sa dulcinée le prît pour une prude rosière rougissante.

Donc plutôt que d’aller se réfugier dans les jupes de Victoria, il prit une profonde inspiration pour se donner du courage, et se lança :

— Eh bien… les apparences étaient sur le moment très trompeuses pour un observateur extérieur et… et laissaient penser que… que les intentions de Felipe… qu’il tentait d’abuser de–

— COMMENT ?!

Elle se redressa d’un bond dans son lit, le revers de la couverture serré dans ses mains crispées.

— Mais non ! NON ! s’exclama-t-elle. Du tout ! Señor, je vous assure que votre fils n’a fait absolument aucune tentative en ce sens !

Diego ne put retenir un soupir de soulagement à l’idée que finalement la demoiselle savait parfaitement ce qu’il y avait à savoir quant à ce à quoi il tentait de faire allusion depuis le début de son explication très gênée, et que donc il n’aurait pas à lui expliquer quoi que ce soit en la matière.

La señorita Alacen, elle, parut se méprendre sur la raison de ce soupir.

— Je vous assure, Señor, que le comportement de votre fils envers moi est resté des plus honorables, lui dit-elle précipitamment, et que mis à part l’incident avec le couteau qui n’est qu’une regrettable erreur de jugement–

— Je le sais, Señorita, l’interrompit Diego, jamais je n’ai douté de Felipe. Mais je vous remercie de le défendre contre ces accusations avec autant de… vivacité. C’est d’ailleurs justement en cela qu’il a besoin de vous.

Elle leva les sourcils en le regardant d’un air interrogateur.

— Comme je vous le disais, reprit-il, les soldats de la patrouille n’ont pas tout à fait la même foi en lui et se sont mépris sur la scène qu’ils ont découverte. Mon fils est depuis lors emprisonné en cellule et fait l’objet de ces graves accusations. Je vous en conjure, Señorita, quelques mots de votre part permettront de dissiper ce malentendu au plus tôt et nous permettrait à tous de laisser ce fâcheux incident derrière n–

Il n’avait pas encore terminé sa phrase que la señorita Alacen avait déjà jailli de son lit et s’était dirigée pieds nus vers la porte de la chambre. Chemin faisant elle découvrit qu’elle boitait de la jambe droite mais cela ne l’arrêta en rien dans son élan : elle s’appuya au mur et ouvrit la porte donnant sur le palier surplombant la salle principale de la taverne en lançant à Diego :

— Eh bien qu’attendez-vous ?

Ce faisant, elle ne semblait pas du tout avoir remarqué qu’elle ne portait en tout et pour tout qu’une fine chemise de nuit blanche, et trop courte pour elle encore en plus !

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