Mésentente cordiale

Chapitre 16 : Mésentente cordiale - Ch 16

2512 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 08/11/2016 13:33

Don Alejandro était rentré chez lui. Diego quant à lui s’apprêtait à passer une deuxième nuit sans sommeil. Alors quitte à ne pas dormir, autant effectivement au moins permettre à Victoria de le faire. Après tout, cette inconnue ne lui était rien, et Felipe n’était qu’un jeune homme de sa connaissance, pas un membre de sa famille ! Alors oui, c’était à lui, Diego, de veiller aux intérêts de Felipe, et donc à la rémission de cette femme.

Et voici pourquoi il se retrouvait ici, assis au chevet de la malade au beau milieu de la nuit, ou faisant des allées et venues du lit à la fenêtre d’où il pouvait voir les étoiles et le croissant de lune. Les mêmes étoiles et la même lune que Felipe voyait sans doute lui aussi à l’instant même si comme Diego le craignait il ne dormait pas non plus…

Il sortit sa montre gousset de la poche de son gilet et retourna vers la table de chevet sur laquelle était allumée une chandelle. À la lumière vacillante de sa flamme il put lire l’heure : presque une heure et demie. Pas un bruit dehors. Dedans non plus. La taverne était plongée dans le calme. De l’autre côté du mur de cette chambre, Victoria dormait sans doute paisiblement.

Hum… Diego se racla la gorge. Mieux valait ne pas songer à Victoria dans son lit à seulement quelques mètres de lui… juste derrière ce mur…

Sans s’en rendre compte, à cette pensée il avait posé sa main sur la cloison à laquelle il faisait maintenant face, comme imaginant ce qu’il y avait à voir à travers… Réalisant cela, il retira vivement sa main, comme si le mur était brûlant. Il se retourna vers le lit de l’inconnue et son regard s’arrêta sur le fauteuil que Victoria avait amené pour lui, pour qu’il soit installé à peu près confortablement tandis qu’il veillait la malade.

Il eut une pensée reconnaissante pour elle, d’autant qu’elle l’avait agrémenté de quelques coussins supplémentaires et de couvertures pour adoucir encore sa position, tandis qu’elle-même avait passé la nuit précédente assise sur une simple chaise de bois.

Alors qu’il se rasseyait et reprenait le livre qu’il avait pris avec lui pour s’occuper et s’empêcher de dormir, l’inconnue, cette mystérieuse L.A., commença à s’agiter. Cela débuta par quelques faibles gémissements d’inconforts auxquels Diego tenta de remédier en lui épongeant le front avec un linge trempé dans l’eau fraîche.

Au bout d’un quart d’heure elle sembla s’apaiser, mais le répit fut de courte durée. Après quelques minutes de calme plat, les gémissements reprirent, un peu plus forts, un peu plus inconfortables. Les traits de son visage se crispèrent et elle commença à s’agiter d’un côté à l’autre dans son lit.

Diego la secoua doucement pour tenter de la réveiller, puis un peu plus énergiquement, mais rien n’y fit : elle redoubla d’agitation, semblant lutter à la fois contre ce qui occupait son inconscient, quoi que ce fût, et maintenant contre Diego.

— Nnnn…Nnnnnon ! émit-elle faiblement.

Une main plaquée sur chacune de ses épaules Diego l’immobilisa avec douceur mais fermeté, seulement elle continuait à hocher inconsciemment la tête de droite à gauche sur son oreiller, en continuant de bredouiller de faibles “non” à un interlocuteur contre lequel il ne pouvait ni lutter ni la défendre pour la simple raison que celui-ci ne se trouvait pas dans la pièce mais uniquement dans son esprit inconscient.

— Señorita, l’appela Diego pour tenter de la réveiller, Señorita !

Mais elle demeura inconsciente, se contentant de se calmer un peu. Peut-être après tout la présence de quelqu’un à ses côtés et une voix qui tentait de percer à travers les brumes de son cauchemar avaient-elles un effet apaisant ?

À présent qu’elle s’agitait un peu moins, Diego put poser la main à plat sur son front : il était toujours chaud et moite, mais la fièvre ne semblait pas avoir empiré.

Diego se dit alors que, même s’il n’y avait aucune raison qu’elle comprît ce qu’on lui disait, il lui fallait essayer. Après tout, si cela ne faisait au final aucun bien, cela ne ferait non plus aucun mal ! Et puis tout ce silence commençait à lui peser.

— Señorita, je vous en prie, revenez parmi nous ! tenta-t-il. Un tout jeune homme a grand besoin de vous. Il compte sur vous. Je compte sur vous.

Elle ne réagit pas.

— Et vos proches… Pensez à ceux qui vous aiment et que vous aimez… Raccrochez-vous à cela, je vous en prie !

Toujours aucune réaction.

Après un quart d’heure et deux chapitres de son livre, la lecture de Diego fut perturbée par… il tendit l’oreille… par… oui, c’était bien cela ! De très légers ronflements !

Il leva les yeux de son livre pour les poser sur la femme : oui, le timide bruit de ronflement était bien en cadence avec sa respiration, avec le rythme auquel les couvertures se soulevaient et s’abaissait au niveau de sa poitrine. Il put même voir ses lèvres légèrement entrouvertes sur le côté gauche. Elle semblait dormir profondément, mais paisiblement.

Il haussa les sourcils: des ronflements! Pas très digne d’une dame...

Assez stupidement, se dit-il alors, jamais auparavant il n'avait imaginé que les femmes aussi pouvaient parfois ronfler... particulièrement lorsqu'elles étaient malades.

Souriant à sa propre candeur, il reporta son attention sur son livre.

Une heure plus tard, elle recommença pourtant à s’agiter et à marmonner dans son sommeil. Son nouveau cauchemar ne semblait pas plus agréable que le précédent, au contraire :

— Nnnn… Qu’ssque vous… Lâchez ç–

Tandis que Diego essorait le linge mouillé qu’il allait remettre sur son front, elle poursuivit :

— Nnnn… Ne tirez p–

Tirer ? Diego suspendit son geste. Mais de quoi donc était-elle en train de rêver ?

Il épongea une fois de plus son visage pour la rafraichir puis, satisfait de la voir s’apaiser, il se rassit dans son fauteuil. Il avait même l’impression que son front était un peu moins chaud, ses joues un peu moins rouges. Mais n’était-ce pas simplement parce que l’eau était fraiche, et que la flamme de la chandelle faiblissait ?

Enfoncé dans son fauteuil il reprit sa lecture, bercé et rassuré par le rythme du souffle encore fort mais plus régulier de sa patiente.

z~z~z~z~z~z~z

Ouille… Ouch… Gnnn… Qu’est-ce que c’est que cette lumière?

Grrr… quelqu’un avait-il ouvert les rideaux ? Mais qui ? Ou bien avait-elle elle-même oublié de les tirer la veille ?

En tous les cas, elle sentit la vive lumière du matin agresser ses yeux à travers ses paupières pourtant closes. Et rien que ce petit peu de luminosité suffisait apparemment à lui donner un mal de crâne sourd mais insistant.

Et pourquoi donc avait-elle autant de peine à ouvrir les yeux ?

Et puis son épaule… son épaule gauche lui semblait très douloureuse…

Elle tenta de tourner la tête à l’opposé de la source de lumière pour s’en protéger et prolonger son sommeil, mais rien à faire.

Et puis… Étrange ! La fenêtre de sa chambre n’était-elle pas de l’autre côté ? Mais alors d’où provenait donc cette lumière ?

Pfff, décidément, elle n’avait pas les idées bien claires, ce matin. Mal de crâne, idées embrouillées… elle n’avait pourtant pas forcé sur la bouteille la veille… pour ce qu’il lui en souvenait, en tout cas.

D’ailleurs, de quoi donc se souvenait-elle, au juste ?

Son dernier souvenir… Elle fouilla sa mémoire, creusa, chercha, insista…

C’était flou. De toute façon, il fallait qu’elle se lève, elle avait fort à faire aujourd’hui. Et un voyage… oui, c’est cela, un voyage à préparer. Los Angeles. L’invitation du prêtre de la mission. C’était flou, mais un peu moins.

Oh et puis fini de trainasser au lit, il fallait se lever. Si la lumière était si vive il devait déjà être une heure assez avancée, et elle était sûrement déjà en retard. Si seulement cela pouvait cogner un peu moins sous son crâne !

Doucement, délicatement, elle ouvrit les yeux. Petit à petit, elle s’habitua à la lumière qui baignait la pièce.

Elle tourna ensuite la tête sur la gauche.

Ça alors ! Il y avait un homme dans sa chambre à coucher. Dans un fauteuil, pas dans son lit. Mais surtout, un homme inconnu dans sa chambre ! Il dormait, la bouche entrouverte.

Son regard se posa alentour. Oh… pensa-t-elle alors. Rectification : pas sa chambre à coucher.

D’où la fenêtre du mauvais côté, au moins certaines choses commençaient-elles à s’expliquer.

Elle reporta son attention sur l’inconnu au bois dormant : enfoncé dans un fauteuil tout au bord de son lit, la tête pendant sur le côté droit – il allait avoir mal au cou à son réveil, c’était une certitude ! – les jambes inconfortablement étendues comme il le pouvait, même assis le pauvre homme semblait bien trop grand pour dormir dans un fauteuil.

L’inconnu n’en semblait pas moins profondément endormi. Et même, remarqua-t-elle alors, il ronflait ! Pas très fort, certes – sans quoi elle se serait réveillée bien plus tôt, elle avait une très faible tolérance aux ronflements – mais tout de même ! Et pour couronner le tout, remarqua-t-elle non sans un certain amusement, un léger filet de bave coulait des commissures de ses lèvres et venait faire une tâche humide sur sa veste bleue.

Vêtements de bonne facture, remarqua-t-elle. Apparence soignée. Une trentaine d’années, peut-être ? Sûrement, même.

Mais dans le fond, qui il était n’était pour l’instant qu’un détail. Pour l’instant la vraie question était : où était-elle ?

Oh, et aussi : comment y était-elle arrivée ? Et lui aurait certainement la réponse à cette question. Lentement, doucement, elle sortit le bras droit de dessous ses couvertures et tendit la main vers l’homme. Avec quelque hésitation tout d’abord, elle lui tapota le genou pour tenter de le tirer de son sommeil. Voyant que cela demeurait sans effet immédiat, elle intensifia un peu le geste.

Parallèlement, à présent qu’elle était mieux réveillée, les brumes du sommeil se dissipaient et certaines choses commençaient à se clarifier et à lui revenir en mémoire. Los Angeles, le voyage… elle n’était plus chez elle, elle était déjà partie et avait même parcouru une bonne partie du chemin.

Pourtant elle ne se souvenait pas être arrivée. Était-elle seulement à Los Angeles ?

Mais quel était cet endroit ? cette chambre ?

Comment y était-elle arrivée ?

Qui était cet homme auprès d’elle ?

Oh, et… maintenant que le mal de crâne se dissipait un peu… pourquoi donc avait-elle si mal à l’épaule gauche ? Et à la cuisse droite ?

À cette pensée, des bribes de souvenirs lui revinrent en mémoire. Des images, plutôt.

Un jeune homme… Un couteau… Un scorpion… Une chute de cheval… Le couteau dans la main du jeune homme… ses mains sur son épaule… une intense douleur… le venin… la douleur… oh Dios !

Elle secoua le genou de l’homme plus vigoureusement encore. Qui était-il ? Où était-elle ? Comment y était-elle arrivée ? Quelle était la gravité de ses blessures ? Elle avait des questions, il aurait des réponses.

Du moins l’espérait-elle.

Laisser un commentaire ?