Mésentente cordiale

Chapitre 11 : Mésentente cordiale - Chapitre 11

1778 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/11/2016 12:09

Don Diego bouillonnait intérieurement. Il détestait ne rien faire, ne rien pouvoir faire, se sentir impuissant, désœuvré, et inutile. C’était, à l’inverse de ce qu’il laissait paraître à autrui, le contraire même de ce qu’il était.

Et là, au chevet de cette femme qui persistait à ne pas reprendre connaissance, il se sentait au summum de son impuissance. Sa seule consolation était que depuis la mésaventure advenue à José Rivas plus de deux ans auparavant, l’alcade avait appris à ne pas mettre en œuvre une justice trop expéditive, et pour l’instant Felipe n’était qu’en détention préventive. Mais il risquait de ne jamais être innocenté car, Diego le sentait bien, Zorro paraissait pour l’instant tout aussi inutile dans cette affaire que lui-même se sentait impuissant. Il n’y avait ici nul criminel ou délinquant à attraper et remettre aux autorités en lieu et place de son fils, car contrairement aux apparences il n’y avait eu nul crime ou délit.

Et seule cette femme pourrait en attester et en convaincre l’alcade. Ainsi que le reste du pueblo.

Même Victoria… Il n’aurait pourtant pas pensé que…

Il poussa un long soupir. Cruelle pensée. Désillusion, même. Une douche froide.

Il se redressa, secouant la tête : ce n’était pas le moment de songer à cela. Son seul souci à cet instant devait être Felipe.

Non que ce fût un sujet plus réjouissant, loin de là. De toutes les personnes que Diego avait vues jusqu’ici son père était la seule qui n’eût pas cru une seule seconde aux graves accusations portées contre lui. L’alcade, Mendoza, le médecin, le caporal, le vendeur de fruits sur la plaza, le vieil infirme qui mendiait à côté poteau où il avait attaché sa jument, et même Victoria, tous croyaient à un certain degré à ce dont on accusait Felipe.

Et le padre Benitez ? se demanda Diego. Lui aussi connaissait bien Felipe, croirait-il en l’innocence du jeune homme ? Lui qui le confessait, qui l’avait conseillé parfois, qui savait regarder dans le cœur de ses ouailles, aurait-il suffisamment confiance en Felipe pour ne pas s’arrêter aux apparences, certes très défavorables ?

Cela lui fit penser qu’il aurait lui-même bien besoin de son assistance spirituelle dans cette épreuve, à défaut de pouvoir agir immédiatement. Et puis, vu la situation de Felipe, une prière à la Sainte Mère, consolatrice des affligés, ne serait de toute façon pas de trop. Et cela lui ferait certainement du bien à lui aussi.

Il jeta un œil à la patiente, qui semblait reposer paisiblement. C’était l’heure de la sieste, tout était calme autour de lui et probablement dans tout le pueblo, et il se dit qu’après tout, elle n’avait pas besoin de quelqu’un à son chevet en permanence.

Et puis oui, tourmenté comme il l’était, Diego avait sans doute besoin d’une conversation apaisante avec le bon padre.

Prenant garde à ne pas faire de bruit pour ne réveiller personne en cette heure sacrée de la sieste – après tout, n’était-il pas passé expert en la matière ? – il sortit de la chambre, descendit l’escalier et quitta la taverne en direction de l’église.

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Santa Madre de Dios, Vous qui avez vu Votre Fils injustement condamné, je Vous en prie, intercédez pour le mien auprès de Notre Seigneur. Nuestra Señora la Reina de Los Ángeles, Mère de tous les hommes, qui avez vu Votre Fils souffrir et mourir pour nous racheter, je Vous en supplie à genoux, protégez le mien et soutenez-le dans cette épreuve.

Saint Joseph, qui avez accueilli, élevé, protégé, aimé et fait vôtre l’enfant que vous n’avez pas engendré, entendez ma prière de père.

Toi ma bien chère mère, qui nous as quittés si tôt et n’as pas eu le bonheur de connaître Felipe, veille sur ce petit-fils que tu n’as jamais rencontré mais dont tu connais maintenant le cœur et la valeur, depuis ton Éternité.

Ô Dios, prends pitié de nous.

Saint Philippe Apôtre, vous qui avez suivi et assisté le Seigneur durant Sa vie terrestre et avez porté Son message au delà, veillez sur celui qui porte votre nom et entendez sa parole.

Saint Jacques le Majeur, sous les auspices duquel j’ai été baptisé et dont je porte le nom, étendez votre protection à mon fils.

Saints Innocents, patrons des enfants trouvés, continuez de veiller sur Felipe et faites que son innocence soit reconnue.

Saint Raymond Nonnat, saint patron de ceux qui ont les lèvres scellées et de ceux qui savent garder les secrets, des victimes de rumeurs, de mensonges et de faux témoignages, intercédez auprès du Seigneur afin que nos mensonges, par parole ou par omission, nous soient pardonnés à tous deux. Et s’il faut malgré tout que quelqu’un expie pour ces péchés, alors qu’il me soit donné de le faire seul, et de prendre sur moi le poids des mensonges que Felipe a commis pour moi, pour me protéger.

Agenouillé sur un prie-Dieu dans le transept, devant une modeste statue de la Vierge et une simple croix de bois, Diego priait avec ferveur. Si le poids du mensonge envers son père lui pesait sans cesse, si celui de ce qu’il dissimulait à Victoria venait toujours désagréablement teinter d’amertume les moments qu’il passait – masqué ou non – avec elle, il n’osait jamais trop s’interroger sur le péché de mensonge dont il était constamment coupable devant les hommes et envers Dieu, qui pourtant voyait tout.

Il s’était jusque là consolé en se disant une bonne fois pour toutes que le Seigneur qui, justement, voyait tout, voyait également dans son cœur et comprenait la nécessité de ces mensonges répétés et sans cesse renouvelés. Il n’avait jamais vraiment pensé aux conséquences de faire mentir également Felipe, même avec son accord, même si c’était son choix. Ces dernières années, il avait en quelque sorte élevé Felipe avec le mensonge pour compagnon permanent. Sans doute pas l’environnement et le compagnonnage les plus sains pour une jeune âme en formation, se dit Diego.

Ce qu’ils vivaient à présent était-il un retour de bâton ? Grands perpétrateurs de mensonges au quotidien, ils se trouvaient eux-mêmes à leur tour pris au piège d’un autre mensonge, auquel ils étaient cette fois totalement étrangers. Ironique, non ?

En cet instant, Diego ressentait le besoin de rechercher l’assistance du padre, même s’il ne pouvait bien entendu se confier à lui à cœur ouvert, pour la propre sécurité du bon prêtre. Mais à son arrivée à l’église il s’était entendu répondre que le padre Benitez était absent pour le reste de la journée. Il lui faudrait donc remettre au lendemain. Dommage, Felipe lui aussi aurait sans doute aimé recevoir une visite du bon padre.

Sorti de son recueillement, Diego se releva à contrecœur et se résolut à aller reprendre sa vigile auprès de la malade, avant de retourner voir Felipe dans sa cellule et de passer un peu de temps avec lui pour tenter de le rassurer et de lui changer les idées, s’il y arrivait.

Longer le cuartel lui donna soudain une idée pour tenter d’en apprendre plus sur l’inconnue : Felipe lui avait dit que les soldats s’étaient chargés de son cheval, qui boitait, et il se dit que celui-ci était certainement encore attaché là. Elle ne voyageait certainement pas à vide et devait avoir quelque bagage avec elle, et dans ce bagage, des effets personnels qui pourraient ‘parler’ sur leur propriétaire.

Effectivement, un cheval inconnu était là, dont la cheville avant gauche avait été soigneusement pansée mais qui, paradoxalement, n’avait pas même été dessellé, pauvre bête… Mais cela arrangeait bien Don Diego qui put à loisir plonger la main dans son sac de selle. Puis, prenant en pitié la pauvre bête, il mit de côté son idée première et dessella la monture, posant selle et étriers sur une poutre horizontale juste à proximité, après quoi il se saisit tout simplement du sac de selle et le ramena avec lui à la taverne. C’était encore l’heure de la sieste, il n’y avait presque personne alentour, et on ne lui posa aucune question.

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