Âme de Pureté

Chapitre 106 : L'Expiation | Chapitre 106

12024 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 23/09/2020 13:07

Focalisée sur ma respiration, je foule le seuil des ruines de Kul Elna. Pas besoin de me retourner pour apercevoir le pickup d'Odion s'éloigner lentement à l'horizon. Il a pris quelques minutes avant de rebrousser chemin, me laissant le choix de changer d'avis une dernière fois. Parvenue au milieu des restes du village, je chasse les mèches blondes balayées par le vent pour dégager ma vue. Le sifflement des bourrasques mêlé au rythme de mon cœur rythme mes pas. Les mains en étau autour de ma bouche, je rassemble le peu d'air dans mes poumons.

— Entechenès ?

Ma voix se répercute en écho, le sable se soulève et s'abaisse, comme si le sol respirait à mes pieds. La tension dans mes jambes provoque des crampes, je me mords la langue et progresse dans ce semblant de village. Les cinq mille ans passés depuis ma dernière visite ont achevé la plupart des bâtiments survivants. Les grains d'or et la pierre recouvrent une grande partie des vestiges. Des monticules se sont formés à droite et à gauche, les briques de boue se sont désagrégées. Sans ce voyage, je n'aurais jamais imaginé qu'un jour cet endroit puisse être habité.

— Entechenès ! appelé-je avec plus d'énergie.

Rien que de crier son nom me vide les poumons. Toujours aucune réponse, je devine rapidement qu'il me faudra relier le versant le plus proche, celui au pied duquel j'ai confié sa dépouille. Les mains moites, j'avance, attentive au moindre détail, les brises plus fortes que les autres. Le silence crée un bruit sourd dans ma tête, je résiste à l'envie de couvrir mes oreilles. Le battement de mon cœur dans mes tympans devient insupportable, je presse le pas et soupire de soulagement quand le lieu de recueillement apparaît à l'horizon. Évidemment, le corps d'Entechenès ne s'y trouve plus. Cependant, un détail troublant me saute aux yeux : les traces d'un torii sont forées à même la terre. Un frisson me parcourt l'échine. Impossible que ce dessin ait traversé les siècles dans l'unique but de décorer le versant de cette vallée.

— Je t'ai manquée ?

Mes épaules tressaillent, je sursaute et fais immédiatement volte-face. Ses joues pâles creusées d'un sourire, l'esprit savoure la surprise et l'effroi sur mon visage. Elle porte la même toile sale que son homologue égyptienne, excepté que le col de celui-ci présente des éclaboussures brunâtres. Des taches de sang séché. Le souffle coupé, je tâche de me ressaisir et avance d'un pas dans sa direction.

— Pas du tout, réponds-je les ongles enfoncés dans les paumes.

Un voile de surprise éclaire son minois.

— Vraiment ? Pourtant, c'est bien mon nom que tu scandes depuis tout à l'heure.

Mon attention descend sur ses mains, les mêmes qui m'ont étranglée quelques heures plus tôt. Si Yugi n'était pas intervenu, qui sait si je serai encore là pour lui témoigner ma haine.

— Je t'appelais pour te faire disparaître.

Ma voix se voulait mauvaise, mais un soupçon de peur s'y glisse pour me donner l'image d'une fillette effrayée. Je me reprends aussitôt :

— Comment as-tu fait pour revenir ?! Tu étais morte quand je t'ai laissée ici, il y a cinq mille ans !

Son regard s'adoucit, elle esquisse un pas vers moi, je dois me faire violence pour ne pas reculer contre la paroi rocheuse.

— Voyons, Lore-chan, croyais-tu réellement qu'en te débarrassant de cette gamine fragile tu allais annihiler mon existence ? Tu m'as simplement prise de court et tu as assassiné quelqu'un d'autre.

Ses mèches d'un blond platine se déchainent, malmenées par le vent qui se lève. Son discours monte une dose d'adrénaline en moi, mes muscles s'échauffent, j'inspire profondément afin de garder la tête froide.

— Mon âme vit dans cet œil du Millénium comme elle gît dans ces ruines, autant qu'elle subsiste au plus profond de ton être. Que tu le veuilles ou non, nous ne serons jamais réellement séparées.

Ma bouche s'assèche, ma vision se brouille peu à peu, je me secoue pour ne pas défaillir. Ce n'est pas le moment de perdre la face, c'est certainement encore un de ses mensonges pour maintenir son emprise sur ma vie.

— P-Permets-moi d'en douter. Si ce que tu affirmes est la vérité, alors pourquoi m'avoir entraînée jusqu'ici ? Si tu vivais en moi, même après ta mort, pourquoi t'être manifestée à travers l'œil du Millénium la nuit dernière ? Tu n'en avais pas besoin !

Un gloussement s'échappe de ses lèvres. Toutefois, elle est la seule à trouver cette situation hilarante, je la foudroie du regard et avance d'un faible mètre.

— Tu veux que je te fasse un cours complet ? Si mon âme est fragmentée, cela ne signifie pas que je dispose des pleins pouvoirs comme autrefois. L'œil m'a permis de reprendre possession de toi.

— C'est pour ça que je n'ai pas réussi à te contrer.

Que ce soit dans cette salle de classe, dans la ruelle, chez les Pegasus, dans l'hélicoptère, à la KaibaCorp, au Tam-Tam… j'étais capable de m'opposer à sa volonté, de repousser son contrôle jusqu'à pouvoir le retourner contre elle-même. Mes yeux s'écarquillent quand je commence soudainement à comprendre.

— Tu veux dire que… qu'en réalité, ce n'est pas moi qui apprenais à te contrer, mais toi qui perdais tes pouvoirs ?

Elle hausse les épaules, signe qu'elle songe à la même théorie. Ce constat est décourageant, je me mords la lèvre inférieure et me masse nerveusement les tempes. La seule raison pour laquelle Entechenès cherchait à m'attirer dans cet endroit, c'est… Soudain, je me courbe en deux et tombe à genoux, le ventre enserré de mes bras.

— Je suis morte ici, que penses-tu d'en faire de même ?

Ses mots s'entrechoquent dans ma tête, son âme semble se fondre dans mon corps pour me les chuchoter au creux de mes oreilles. Une violente nausée me prend au nez, je me penche pour vomir, mais rien ne sort.

— Quand je te disais que je refusais d'être séparée de toi, ce n'était pas une manière de m'incruster dans ton être jusqu'à la fin de tes jours.

Une main glacée taquine mon menton et m'intime de relever la tête. Ses prunelles turquoise plongent dans les miennes, cherchent au plus profond de moi une réponse positive.

— C'était une façon de te faire comprendre que je veux que nos âmes se côtoient à jamais. Nous sommes faites pour être ensemble, Éléonore.

La froideur de ses doigts sur ma peau contraste avec la chaleur de ses paroles. Je me sens emportée dans une sensation brûlante, voire étouffante, une intense fièvre qui crée l'envie de se coller contre la première source rafraichissante. Ses bras s'enroulent le long de mon dos, nos joues se plaquent, les siennes gelées, les miens, irradiantes.

— Quand tu as tranché sa gorge, tu lui as évité de connaître la souffrance du procès du Millénium, le déchirement infligé par Bakura et Atem. Tu voulais me sauver la vie en me l'ôtant. Je l'ai lu en toi, je ne t'en ai pas empêché.

Mon âme l'écoute d'une oreille distraite, le reste de mon être est focalisé sur ces sensations et ces sentiments contraires qui luttent au plus profond de moi. N'ai-je donc pas fait tout ça dans l'unique but de me débarrasser d'elle pour enfin vivre mon existence ?

— Je t'aime.

Mes épaules se raidissent. Ces trois mots… Une vague d'émotions me pique le nez, des larmes s'écoulent du creux de mes yeux et s'échouent en bas de mon menton. Cet amour insensé me tort les entrailles. Son étreinte s'affaiblit, elle se décale délicatement pour observer mon visage dans l'attente d'une réponse. Elle veut que je partage ses sentiments. Mes palpitations, la rougeur de ma peau, la respiration saccadée et mes pensées signifient-elles l'affection que je lui porte ? Est-ce qu'au fond… ne suis-je pas tombée pour elle depuis tout ce temps ?

Un nom surgit dans mon esprit, étirant mes lèvres d'un rictus incontrôlé.

La vérité ou la mort. À moins que les deux me guident tout droit vers l'enfer et que la bonne réponse n'existe pas. Alors que nos visages sont séparés de quelques centimètres seulement, je déglutis le peu de salive qu'il me reste et articule faiblement :

— C'est Joey que j'aime… pas toi.

Durant une faction de secondes, je sens son âme se briser, son expression se décompose puis revient à la normale l'instant d'après. Sa main calée contre mon omoplate se raidit.

— Tu es tellement stupide, Lorène.

Les lèvres pincées, je réfrène une vague de chaleur et m'étire pour m'en séparer. Elle persiste malgré tout à maintenir ce contact. À son insulte, je ne rétorque rien. Aucune excuse ne pourra pardonner mon affront après tout ce qu'elle a mis en œuvre pour m'éviter une vie semée de drames. Au fond de moi, je ne regrette rien. Je ne peux pas aller contre la nature de mes sentiments et je ne le pourrais certainement jamais.

— Tu verras, une fois de l'autre côté, cet idiot ne te manquera pas.

— De l'autre côté ?

Entechenès relâche son emprise et se relève, s'éloignant comme si de rien n'était. Désormais libre, je pousse sur mes jambes pour m'équilibrer et lui emboite le pas. Un détail m'interloque : de légères secousses provenant du sol. Craignant une énième invasion de soldats squelettiques, je me retire avec précaution. Entechenès se tourne pour me faire face, lève le bras en l'air et entonne :

— Voyons si tu pourras résister à l'appel du Royaume des Ombres une nouvelle fois !

Un halo impur enveloppe son poignet, une aile noire, dont la conception s'apparente à l'appareil d'Isis s'attache à sa peau. J'échappe un hoquet de surprise lorsque mon disque de duel aux sigles KC surgit de nulle part. À se demander s'il ne s'agit pas ici d'un autre rêve.

— Tu m'as l'air étonnée, ma chérie. Qu'y a-t-il ? Tu ne vas tout de même pas me refuser un duel, n'est-ce pas ?

Je serre les poings. Dans le doute, je saisis la pile de cartes encastrées dans l'appareil et passe en revue le contenu du deck. Ce sont bien les miennes, ce jeu comprend mes dernières modifications en date. Je hausse un sourcil.

— Comment vas-tu faire pour m'affronter si tu n'as même pas de cartes ?

L'Égyptienne masque son hilarité derrière sa main puis se calme.

— Désolée, il est vrai que tu n'as aucune idée de la manière dont nous fonctionnions jadis. Je me ferai une joie de t'enseigner les règles du Duel de Monstres antique.

Son cours particulier me débecte, je n'ai aucune envie de livrer un duel face à elle. Cela n'a aucun sens, elle ne sait même pas jouer ! D'où peut bien provenir son appareil si seule la garde du pharaon en possédait un ?

— Tu crois encore que je ne connais pas ce jeu, pas vrai ? Ton visage est si clair que n'importe quel esprit pourrait lire en toi.

Un grognement s'étouffe au fond de ma gorge, elle a raison.

— Quoi qu'il en soit, je te propose une ultime partie. Toi, contre moi. Si je gagne, tu quitteras ce monde ennuyeux pour me rejoindre. Et si tu gagnes…

— Tu disparaîtras de ma vie, l'interromps-je fermement. Pour toujours.

Entechenès porte une main à sa poitrine, feignant d'être blessée.

— Que tu peux te montrer insensible parfois ! Mais si nous sommes d'accord, alors commençons !

À ses mots, les secousses s'amplifient, la terre se creuse de sillons entre nous deux. Les limites du terrain sont tracées, un voile des ténèbres s'étend au-delà, comme pour m'empêcher de m'enfuir. Mon cœur remonte dans ma gorge, je n'ai aucune idée de comment me sortir de ce pétrin, si ce n'est en démontrant le meilleur niveau de jeux que je n'ai jamais montré jusqu'ici. Satisfaite de son petit effet, mon alter ego m'ouvre ses bras, à une dizaine de mètres.

— Si tu as peur, n'hésite pas à m'appeler à l'aide ! Je viendrai à ton secours, comme je l'ai toujours fait !

Elle me donne la gerbe. Difficile de garder mon calme, je cherche une contenance en mélangeant mes cartes avant de les insérer dans le disque de duel. Entechenès brandit sa main droite, des volutes noires s'enroulent le long de ses doigts et se transforment en cinq cartes.

— Q-Quoi ? Comment… ?

— Ne fais pas ta surprise, je confie le choix de mon jeu au bon vouloir du royaume des ombres.

Elle qui parlait de cet endroit en des termes peu élogieux, j'ai la vague impression qu'elle est bien plus attachée aux enfers de ce qu'elle laisse penser depuis le début. À moins qu'il ne s'agisse d'un énième mensonge de sa part et que cette partie soit truquée avant même d'avoir commencé. Si je veux l'emporter, je vais devoir la jouer fine. Mais n'est-ce pas perdu d'avance ?

— Comment fait-on déjà ? siffle-t-elle quand une nouvelle carte se forme dans sa main. Ah oui, c'est vrai, je dois déposer un monstre ainsi qu'une carte faces cachées.

Sa fausse ignorance a le don d'accroitre ce sentiment désagréable au creux de ma poitrine. Elle se fout ouvertement de moi. Ce n'est pas la première fois qu'elle affronte quelqu'un au cours d'un duel. J'avais déjà cette impression lors de son combat contre Bakura. Machinalement, j'ajoute une carte à ma main sans vraiment la regarder.

— Allons, qu'attends-tu pour jouer ? On risque d'y passer la vie. Non pas que ça m'embête, tu sais, mais tu as plus à perdre que moi.

Elle m'irrite.

— J'invoque le Chevalier Epée en mode attaque [1600|1000].

Ma voix est méconnaissable, je peine à rester concentrée tant quelque chose m'échappe, mais quoi ? J'envoie mon guerrier à l'assaut de son monstre face cachée. Mon cœur rate un battement quand deux boules rose et vertes se tiennent la main et contre l'offensive.

— Duo Gellen [1700|0] ?

Entechenès lâche un petit rire.

— Je n'ai pas besoin de faire les présentations. Comme tu le sais, la capacité du Duo Gellen empêche leur destruction au combat tant que je n'encaisse pas de dégât.

Je réprime un grognement au fond de ma gorge. Qui me dit que tout son jeu n'est pas entièrement calqué sur le mien ? Mes épaules s'affaissent légèrement. Si c'est le cas, j'ai peut-être une chance de l'emporter face à elle.

— Je pose une carte face cachée et je termine mon tour.

— Tu m'as l'air ennuyée, tu veux en parler ?

Mes poings se serrent. Pour une qui m'avouait ses sentiments il y a quelques minutes, elle semble les avoir complètement oubliés. Son rictus satisfait me donne envie de lui sauter au visage.

— Non merci, je crois qu'on a dépassé le stade des confidences sur l'oreiller.

Nombreuses sont les nuits que nous avons passées à simplement discuter par la pensée. Elle scrutait les recoins de mon esprit. Dès qu'elle percevait la moindre crainte, nous partions dans de longues conversations, sans but précis. Nous nous contentions de parler en silence, elle apaisait mes angoisses, terrassait mes cauchemars et m'accompagnait dans les méandres du sommeil. Ces souvenirs ne calment pas ma rancœur à son égard. Au contraire, ils l'attisent. Elle s'est montrée sous son meilleur jour afin de me manipuler, elle a sournoisement étalé son passé larmoyant pour me pousser à me retourner contre le pharaon.

Mais ça ne marche pas, ça ne marche plus.

— Évite de regarder les gens de travers, soupire-t-elle parée d'une fausse mine contrite. Cela n'est pas très poli.

— Épargne-moi tes leçons de vie et joue.

Une nouvelle carte apparaît dans la main d'Entechenès, elle la lorgne quelques instants avant de la jouer.

— Comme tu voudras, ma chérie. J'active le Canon Ondulatoire !

Une carte magie continue, il n'en existe pas énormément et au vu du canon braqué sur moi, il ne me dit rien qui vaille.

— Le Canon Ondulatoire va rester sur mon terrain pendant quelques tours. À chaque début de mon tour, sa puissance augmentera de 1000 points. Enfin ça, jusqu'à ce que je décide de la décharger sur tes points de vie.

Mes dents grincent. Cette carte ne se trouve pas dans mon jeu, je ne la connaissais même pas ! Cela veut dire que son jeu comporte aussi bien des éléments de mon deck que de nouvelles armes. Cela ne m'arrange absolument pas.

— Eh bien, qu'y a-t-il ? Je ne t'entends plus.

— Depuis quand ? lancé-je, mauvaise.

— « Depuis quand » ?

— Depuis quand sais-tu jouer au Duel de Monstres ?

J'abandonne toute idée de maîtriser ma colère, mes épaules tremblent de rage… et de peur. L'Égyptienne me toise longuement, le visage fermé.

— Depuis toujours, voyons.

Mes ongles s'enfoncent dans ma paume.

— Ne te fous pas de moi ! Durant des mois, tu n'as pas arrêté de m'envoyer au charbon quand il s'agissait des duels ! Même lorsque tu m'as fait jouer le Sceau d'Orichalque contre Atem, là aussi c'est moi qui ai dû l'affronter !

Ma voix se brise dans les aigus, mes entrailles se tordent et mes poumons se vident rapidement. Il m'est impossible de garder une respiration décente ; pas face à elle. Mes cris ne l'affectent même pas, elle se contente de m'observer comme un animal de laboratoire.

— Tu ne me l'as jamais demandé, pas vrai ? déclare-t-elle d'un naturel déconcertant. On dirait que ta mémoire te fait défaut.

— À qui la faute ?

— Rappelle-moi comment tu es entrée dans le tournoi de ce cher Seto Kaiba.

Je me tais, mes membres se figent. Comment en suis-je venue à participer à Bataille-Ville ? En m'inscrivant sans le vouloir.

— Comment as-tu accédé à la phase finale ?

Mon souffle se coupe. Les sourcils froncés, je me mords la lèvre inférieure lorsque je saisis enfin le message qu'elle essaie de me faire passer.

— Les cartes de localisation. C'est toi qui les as récupérées, c'est ça ?

Alors qu'elle affichait une mine fière, Entechenès adoucit son regard et se permet de m'envoyer un clin d'œil compatissant.

— Jamais je ne t'aurais laissé manquer la chance de ta vie, Lore-chan.

Une nausée pointe au loin, j'inspire profondément pour relâcher la pression qui empoigne chacun de mes muscles. Inutile de lui demander ce que sont devenus les duellistes qu'elle a dépossédés, j'ai un petit avis sur la question et il n'est pas glorieux.

— Tu me remercieras plus tard, quand tu comprendras que j'ai agi pour ton bien. En attendant, Duo Gellen [1700|0], attaquez le Chevalier Epée [1600|1000] !

La remercier ? Sans elle, j'aurais été capable d'atteindre cette phase par moi-même. Sans elle, je n'aurais pas dû sauter du haut de cette tour, je n'aurais pas dû m'immiscer dans la quête du pharaon. Lorsque les créatures bicolores se dirigent vers mon guerrier, j'esquisse un faible rictus. Peut-être qu'elle a raison et que je devrais me montrer reconnaissante en fin de compte.

— J'active le Dé Gracieux ! Le résultat de ce dé s'ajoutera immédiatement au montant de l'attaque de mon monstre !

Car sans elle, je n'aurais pas autant appris de Joey. Les doigts croisés, je me concentre sur ce dé rouge tournoyant sur le terrain. Quand ce dernier s'arrête sur le chiffre quatre, j'exulte de joie.

— Chevalier Epée [2000|1400], détruis le Duo Gellen !

Malgré le fait que ces créatures lui appartiennent, je détourne les yeux lors de l'impact. Il emporte avec lui 300 points au compteur. C'est à mon tour, je pioche une carte et m'interromps pour réfléchir. Si Entechenès peut faire apparaître des cartes du néant, dans ce cas elle n'a aucune raison de perdre des points de vie. Je tique : elle a volontairement sacrifié son Duo Gellen dans le but de me déstabiliser. Son terrain est vide, si ce n'est son Canon Ondulatoire qui m'enverra au Royaume des Ombres dans quatre tours.

— Ça cogite, là-dedans.

— Contrairement à toi, je ne dispose pas d'un monde entier pour m'aider à jouer.

Elle hausse un sourcil.

— Parce que tu crois que le Royaume des Ombres m'aide à te vaincre ?

— Tu n'as jamais joué à la loyale, je ne vois pas pourquoi cela commencerait aujourd'hui.

Les bras croisés sous sa poitrine, mon adversaire ferme les yeux. Tu ressens ce que ça fait d'être piquée à ton tour ?

— Pourquoi ne m'aimes-tu pas ? J'ai pourtant tout essayé pour nous permettre de vivre une meilleure vie.

La sincérité dans sa voix me désarçonne. Cela ressemble à une véritable question, en dépit de l'évidence de la réponse.

— J'étais là quand tu pleurais. Qu'aurais-tu fait si je ne t'avais pas extirpée des griffes de Yoshida ce soir-là ?

Elle doit sous-entendre le service qui s'est déroulé juste après le tournoi de Bataille-Ville, au moment où cette pauvre femme a voulu me forcer à satisfaire ce client étrange. Rien que s'y songer, je suis terrorisée. Qu'aurais-je fait ? Je n'en sais foutrement rien. En tout cas, je n'aurais jamais prédit qu'elle terminerait six pieds sous terre.

— Mais tu sais quoi ?

Je relève le menton et croise ses prunelles turquoise. Son regard me réchauffe le cœur autant qu'il me donne froid dans le dos.

— Je ne peux pas te répondre moi-même, parce que jamais je n'aurais laissé quelqu'un te faire du mal.

Nous nous jaugeons en silence, seuls les crissements du vent balayant le sable sous nos pieds troublent cette atmosphère insondable.

— Tu as tenté de me tuer il n'y a même pas vingt-quatre heures.

Plus de cinq mille ans, tout compte fait, mais passons les détails.

— Vraiment ? surenchérit-elle, l'index sous ses lèvres. Pourtant, tu te tiens devant moi. Ne le prends pas mal, chérie, mais tu penses réellement que ta simple bouille aurait résisté aux sept objets du Millénium réunis ? Même le pharaon Atem aurait cédé face à une telle puissante.

— Attends, tu es en train de me dire qu —

— Ce que je te dis, c'est que je ne t'ai jamais tuée. « J'ai peur », « Je vais mourir », pourquoi après t'avoir couvée durant des années aurais-je essayé de me débarrasser de toi, hein ?

Sa brève imitation secoue le sang dans mes veines.

— Alors, pourquoi m'avoir clouée au sol comme tu l'as fait ?!

Ces squelettes étaient prêts à me briser les os, j'en suis sûre.

— Parce que je voulais que tu me choisisses, peu importe la manière.

Ses paroles désespérées contrastent avec la grandeur de ses pouvoirs. Elle semble si fragile et forte à la fois. Je n'arrive plus à la suivre.

— Dès que tu m'as vue, tu n'as pensé qu'à Atem et son combat contre Bakura. Tu n'as pas pensé une seconde à cette personne que tu avais en face de toi.

— Je n'ai reconnu en elle que cette fille qui allait essayer de tuer mes amis quelques siècles plus tard. J'aurais été prête à te suivre si tu n'avais fait souffrir que moi.

La boule de nerfs dans ma gorge me réduit au silence, pourquoi est-ce que je me sens aussi mal, tout à coup ? Sûrement une énième manigance de sa part. Il faut que je me ressaisisse et que je mette un terme à ce duel, coûte que coûte.

— J'invoque l'Ange Lumineux en mode attaque [1400|800], j'active ensuite la carte magie Guide Photon qui me permet d'appeler un monstre lumière de niveau quatre maximum depuis ma main.

Le Kaiser Hippocampe rejoint mes troupes [1700|1650]. Avec trois monstres sur le terrain, je devrais pouvoir m'en sortir. Du moins c'est ce que je pense jusqu'à ce qu'Entechenès m'interrompe.

— Tu viens d'activer l'effet de ma Chasseresse du Chaos.

— Mais tu n'as même pas de cartes sur le terrain !

— Justement, grâce à ton invocation spéciale et à condition d'envoyer une carte de ma main au cimetière, je peux l'invoquer directement en mode attaque [2500|1600] !

Merde ! Désormais, ses points de vie sont hors de portée. Aucun de mes monstres ne peut rivaliser avec le sien. Avant de terminer mon tour, je change la position de mon Chevalier Epée [1600|1000] en mode défense. J'examine sa Chasseresse du Chaos. Cette carte aurait été vachement utile dans mon jeu.

— À moi, tout d'abord mon Canon Ondulatoire engrange 1000 de puissance supplémentaire.

Un autre problème dont je vais devoir m'occuper rapidement.

— Ensuite, j'invoque le Cavalier Squelette Deathcalibur, en mode attaque [1900|1800].

Je déglutis, ses deux créatures dépassent largement les miennes. D'ailleurs, il ne lui en faut pas davantage pour lancer l'assaut. Sa Chasseresse décime mon Ange Lumineux, cette perte de 1100 points de vie me fait l'effet d'un coup de poing en plein ventre. Je n'ai pas le temps de reprendre mon souffle que le Kaiser Hippocampe disparaît à son tour, emportant 200 autres points. Les bras enroulés à hauteur de ma taille, je pousse soupir douloureux.

— J-J'active la capacité de l'Ange Lumineux et j'invoque le Trion Triple Étoile en mode défense [100|100].

Difficile de rivaliser avec le diable en personne. Je baisse le visage vers le sol et expire bruyamment. Quelle que soit l'issue du duel, je ne peux pas la laisser tourmenter ce monde, il en est hors de question.

— Tu… tu ne m'as toujours pas répondu.

— À quel sujet ?

— Où as-tu appris à jouer au Duel de Monstres ?

Entechenès pince ses lèvres et reporte un instant son attention vers l'étendue du désert. Son air fanfaron paraît déjà bien loin.

— C'est une vieille histoire. Mais je ne suis plus toute jeune, tu me diras. Atem m'a révélé ce jeu obscur lors d'une de nos innombrables discussions. Il était plutôt prévenant, tu sais ?

— Tu ne me feras pas croire à votre idylle.

— C'est pourtant la vérité. Si je n'avais pas été son esclave, peut-être aurions-nous eu droit à une fin heureuse ?

Son timbre s'aggrave au terme de sa phrase. « Fin heureuse », j'ai l'impression d'entendre ces termes bien trop souvent depuis quelque temps.

— Ces nuits ont bien eu lieu. Atem s'intéressait à moi, mais cela lui était interdit. Un soir, je lui ai demandé à quoi servaient ces étranges ailes dont toute sa garde se parait.

Elle désigne celle accrochée à son bras. Je me souviens du prototype au bras d'Isis lors de notre saut dans le passé.

— Des DiaDhank, l'équivalent des disques de duel de Kaiba, excepté qu'ils sont bien plus puissants de ces vulgaires machines.

À en croire les dégâts infligés par ces « vulgaires machines », je ne suis pas sûre que les appareils de Kaiba soient si inoffensifs qu'elle l'affirme.

— C'est à toi de jouer.

Je marque une pause, surprise par la fin abrupte de son explication.

— Attends, c'est tout ?

— Tu m'as simplement demandé depuis où j'ai appris à jouer. La réponse est : nulle part, car ce n'est pas un jeu, c'est une arme.[LB1]

À nouveau, j'essaie de l'embarquer sur le sujet, mais elle refuse catégoriquement de poursuivre. J'ajoute une carte à ma main.

— À mon tour, j'active la Marmite d'Avidité et tire deux nouvelles cartes.

Âme de Pureté, enfin. Elle va me débarrasser de son chevalier de mes deux.

— D'abord, je bannis deux monstres de mon cim-

Un halo menaçant émane brusquement de la Chasseresse du Chaos. Elle brandit son fouet pour me cibler.

— Qu'est-ce que… ?

— Pardonne mon impolitesse, j'ai omis de te prévenir de la seconde capacité spéciale de ma Chasseresse du Chaos. Tant qu'elle est sur le terrain, tu ne peux bannir aucun monstre.

— Quoi ?!

La créature arbore le même sourire que sa propriétaire. Cela signifie que je ne pourrais pas invoquer Âme de Pureté tant que sa foutue Chasseresse est présente. Tant pis, cela ne m'empêchera pas de jouer !

— Très bien, dans ce cas, je sacrifie le Chevalier Epée et le Trion Triple Étoile pour invoquer le Maître de la Vanité en mode attaque [2500|1600] !

Heureusement, mon jeu n'est plus tout à fait le même qu'elle a connu. Il ne me reste plus qu'à prier que ces ajustements ne soient pas les derniers. De plus, cette invocation sacrifice rappelle automatiquement mon Trion Triple Étoile pour assurer ma défense en cas de pépin [100|100].

— J'active ensuite le Typhon d'Espace Mystique pour me débarrasser de ton Canon Ondulatoire !

La menace des 2000 points de dégâts au prochain tour disparaît. Je m'autorise un soupir de soulagement. Mon compteur affiche 2700 points, ce n'est pas le moment de prendre des risques.

— Maître de la Vanité [2500|1600], détruis son Cavalier Squelette [1900|1800] !

Les jeux sont rééquilibrés, Entechenès ne possède plus que 3100 points de vie et un monstre valide. À son tour, elle active l'Elégante Charité et se défausse de deux cartes. Mon Maître de la Vanité lui interdit d'invoquer des monstres spécialement, il n'y a pas de raison que je sois la seule à ne pas pouvoir appeler l'Âme de Pureté.

— Je pose une carte face cachée et j'invoque le Maraudeur aux deux Épées en mode attaque [1600|1000] !

En mode attaque ? Mais mon monstre est bien plus puissant que le sien, à moins qu'elle ne cherche à se débarrasser de mon Trion ? Effectivement, à la suite, elle envoie son démon terrasser mon trio de magicien. Si je ne prévoyais pas un tel choix de sa part, je ne m'attendais pas non plus à ressentir une vive brûlure au sein de ma poitrine. Je me courbe en deux et grince pour extérioriser ma douleur. À genoux dans le sable, je toise mon disque de duel affichant 1200 points.

— P-Pourquoi ?!

— Mon Maraudeur aux deux Épées inflige des dégâts perçants aux monstres en mode défense. Pas de chance pour toi, ton monstre était cruellement faible.

Je serre les poings et me hisse sur mes deux jambes. Il faut que je fasse attention à quels monstres j'invoque désormais. Même ma protection n'est pas assurée.

— Ne t'inquiète pas, bientôt ta souffrance prendra fin. Je te le promets.

— Garde tes promesses pour toi ! J'active la Carte du Sanctuaire !

Nous piochons jusqu'à avoir six cartes en main chacune. Je suis consciente d'avoir fourni Entechenès plus que mon propre intérêt, mais au vu du peu de points de vie qu'il me reste, quelques munitions supplémentaires ne seront pas de refus. Parfait, il est temps de mettre fin à sa mascarade.

— J'active la Renaissance du Monstre ! Duo Gellen revient de mon côté du terrain, cette fois !

Kaiser Hippocampe aurait été suffisant pour ce que je m'apprête à faire, mais j'ose espérer que de voir un monstre de son deck disparaître provoquera un déclic dans l'esprit de mon adversaire. Pour le moment, son visage n'oscille pas d'un iota.

— Ensuite, je le sacrifie pour invoquer César Photon en mode attaque [2000|2800] ! De plus, quand ce monstre rejoint mon terrain de cette manière, il appelle un second pour se battre à ses côtés !

Trois créatures à la puissance supérieure à deux mille points. On dirait bien que je suis de retour dans la partie.

— Maître de la Vanité [2500|1600], détruis sa Chasseresse du Chaos [2500|2000] !

Les deux monstres se transpercent mutuellement, laissant l'une d'entre nous sans défense. Sûre de moi, j'envoie mes César Photon à l'assaut de ses points de vie quand Entechenès retourne sa carte face cachée : Annulation d'attaque. Ce n'est pas grave, je l'aurai au prochain tour, je pose une carte face cachée et lui laisse la main.

— Je te plains.

Concentrée sur mon jeu, sa remarque me pique au vif, je redresse la tête et lui lance un regard interrogateur.

— Pourquoi ?

— Quand tu rentreras, il va te falloir régler tout ce bordel que nous avons causé.

Je passerais sur l'utilisation de « nous » alors qu'elle endosse à elle seule la responsabilité de quatre-vingts pour cent de mes problèmes actuels. À quelques heures d'avion d'ici, ma mère doit s'inquiéter de ne pas me voir revenir, c'est indéniable, mais cela ne concerne plus Entechenès.

— Je ne serais plus là pour te rassurer, pour rattraper le coup comme je l'ai toujours fait pour ta mère ou même pour ta situation scolaire.

Les lèvres closes, je dévie mon attention vers le paysage désertique. Hors de question d'admettre publiquement qu'elle a raison, que durant tout ce temps, elle me permettait de me dérober de mes responsabilités. Elle se sentirait supérieure, puissante.

— Je la plains, elle aussi. Cela aurait été si simple de lui avouer la vérité.

— Tu te moques de moi ? finis-je par répondre. Elle n'aurait jamais avalé que sa fille soit sous l'emprise d'un esprit vieux de cinq mille ans.

— Parce que tu la juges assez idiote pour croire la moindre excuse que tu lui sortiras dès ton retour ? Tu vas rentrer en Europe, tu le sais très bien.

Je hausse les épaules, la peur au ventre. En plein dans le mille, encore une fois.

— Et là-bas, tes petits amis ne pourront pas te conforter. Leurs misérables discours sur l'amitié se terniront avec la distance. Tandis que nous deux, le lien qui nous unit, il dépasse les frontières.

Sa voix s'adoucit, son timbre diminue pour devenir un léger murmure rassurant. Elle cherche à m'amadouer et, malgré que j'en sois consciente, cela fonctionne. Je n'ai pas envie de terminer seule, pourtant, c'est inévitable. Ma mère m'avait prévenue : si mon comportement ne s'améliorait pas, elle me renverrait chez mon père. Égoïstement, je pourrais songer à ce cher tonton Pegasus pour me permettre de rester au Japon, mais cela risquerait de l'achever. Elle ne mérite pas ça.

— J'invoque Jowgen le Spirit en mode défense [200|1300].

Notre duel en toile de fond me paraît bien fade face aux enjeux qu'il représente.

— Cocotte, choisis une carte.

Je grince à l'évocation du surnom et désigne sa carte la plus à droite.

— En défaussant une carte de ma main au hasard, j'active la capacité spéciale de Jowgen !

Mes Césars Photons se désintègrent, ne laissant comme protection que mon Maître de la Vanité.

— Il détruit tous les monstres adverses invoqués spécialement.

Mes phalanges blanchissent tant je serre les poings, mon jeu n'a aucun secret pour elle. À moins qu'elle ne continue à lire dans mes pensées sans m'en avertir. Mon monstre étant plus puissant que les siens, elle place son Maraudeur aux Deux Épées [1600|1000] en mode défense, pose deux cartes faces cachées et termine son tour. Je tire une carte. Mon Âme de Pureté ne peut toujours pas rejoindre la bataille, l'effet de son Jowgen la détruirait dès le tour suivant.

— Est-ce qu'Atem t'aimait vraiment ?

Ma question lui arrache un sourire sournois. De toute évidence, elle s'attendait à ce que cette question vienne au tapis à un moment ou à un autre.

— Il ne m'a jamais considéré comme une menace.

Elle élude, une fois encore. J'invoque le Ninja Blanc en mode attaque [1500|800].

— Maître de la Vanité [2500|1600], détruis son Maraudeur !

— J'active la carte piège : Rugissement Menaçant et mets un terme à ta phase d'attaque !

Je peste tout bas, ce n'est que partie remise.

— Atem et moi, c'était un peu comme le soleil et la lune, nous n'étions pas faits pour cohabiter. Alors le ciel a fait en sorte de ne plus jamais nous réunir.

— Jusqu'à aujourd'hui. Mais je ne saisis pas, tu disais l'aimer, pourtant de nombreuses fois tu as essayé de te débarrasser de lui et de prendre ta stupide revanche !

J'en ai moi-même fait les frais lors de notre duel des ombres, ou même au cours de celui qui impliquait le Sceau d'Orichalque.

— L'amour, c'est compliqué, tu comprendras quand tu trouveras quelqu'un qui te correspond.

— Joey sera ravi de l'entendre.

Elle ne perd pas son sourire.

— Atem ne m'a jamais jugée pour avoir été amie avec Bakura, bien au contraire. Il ressentait toute la détresse de mon peuple et essayait de se faire pardonner à travers moi.

Si j'ai bien compris, les habitants de Kul Elna ont été décimés pour constituer les sept objets du Millénium, je m'interroge sur le lien qui l'unit à l'œil. Ayant trop peur qu'elle s'interrompe en si bon chemin, je décide de me taire.

— Un soir, quand j'ai demandé à Atem quel sort on me réservait, il m'a promis qu'il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour me sauver.

Ses yeux turquoise s'assombrissent, j'y décèle une pointe de tristesse. Je me racle la gorge pour ne pas exprimer la moindre peine à son égard sous peine qu'elle s'en serve contre moi. Soudain, les volutes d'ombres enveloppent l'espace de duel, nos monstres disparaissent, je resserre mon emprise sur mes cartes pour ne pas les perdre.

— Je savais qu'il ne pourrait rien faire contre sa garde, ils étaient là pour le protéger à tout prix. Je représentais un grave danger en ma qualité de survivante et d'amie de Bakura.

Le voile se lève sur le village de Kul Elna, du moins les ruines comme je les ai connues quelques heures auparavant. La nuit est tombée, je ne distingue que deux silhouettes qui marchent à quelques mètres de ma position. L'une est celle du pharaon, démuni de toute parure royale, l'autre celle d'Entechenès, dont les cheveux blonds et sales caressent désormais le bas de ses hanches.

— Il faut que tu te caches par ici, je demanderai à Mana de t'apporter de quoi manger.

La voix grave d'Atem me provoque un frisson. J'ai l'impression que ça fait une éternité que je ne l'ai pas entendue.

— Ente '.

Curieusement, elle semble le fuir. Malgré sa masse capillaire, je discerne brièvement son visage, fermé.

— Et puis quoi ? Je vais me cacher et attendre ici jusqu'à la fin de mes jours que quelqu'un me retrouve et m'assassine ?

Je déglutis, soudainement mal à l'aise.

Ironie quand tu nous tiens.

Le pharaon n'en mène pas large non plus. Je l'ai rarement vu dans un tel état. Instinctivement, je m'approche pour contempler cette scène sous un meilleur angle.

— Pas du tout, écoute-moi !

— Non, c'est toi qui vas m'écouter. Si je suis une menace, pourquoi m'avoir gardé dans cette prison pendant aussi longtemps ? Tout ce qu'ils veulent, c'est nous séparer, tu t'en rends compte, j'espère ?!

Son corps entier tremble, telle une feuille. Entechenès ne m'a jamais paru autant fragile qu'à cet instant.

J'étais morte de trouille, avant d'être morte tout court.

— Ente', c'est le seul moyen pour que…

— Pour que je survive, c'est ça ? le coupe-t-elle une fois de plus. Ne me prends pas pour une imbécile, je sais très bien ce qui m'attend.

Un silence s'en suit, ils se contentent de jauger dans le blanc des yeux. En ceux d'Entechenès, je lis une certaine rancœur, mêlée à de l'incompréhension. En ceux d'Atem, la tristesse et l'impuissance qu'il dégage me pince le cœur.

Parfois, il me manque.

C'est peut-être jusqu'à ce jour la seule remarque sincère qui s'échappe de son esprit. Tout à coup, alors qu'ils ne pipaient mot depuis d'interminables secondes, la jeune fille s'avance et pose ses lèvres sur celles de son vis-à-vis. Mon souffle se coupe, ce baiser me rappelle celui que le corps de Yugi et le mien avons échangé, ce fameux jour à la gare de Domino City. Un goût de déjà-vu. Atem y répond puis recule pour les séparer.

— Tu viendras me voir ? chuchote Entechenès, envoûtée, les paupières plissées.

L'absence de réaction d'Atem me resserre les entrailles et m'assèche la gorge. Un « non » n'aurait pas pu être plus blessant. L'Égyptienne se raidit, la magie du moment se brise aussitôt apparue.

— Dans ce cas, pars avec moi, ou tue-moi.

Q-Quoi ?

Là, je me reconnais mieux.

Je partage le même air ahuri que le pharaon, brusquement devenu muet.

— Q-Qu'est-ce que tu racontes ? Tu n'as pas à… !

— Je ne te demande qu'une chose, Atem. Si tu n'es pas capable de m'emporter au loin, alors débarrasse-moi de ce destin tragique qu'ils ont choisi et tue-moi ici, tout de suite.

Son regard est sans appel, elle recule d'un pas et tend sa main vers lui, l'invitant à l'accompagner. Le pharaon la jauge, le visage tordu de regrets.

— Il est incapable d'une chose pareille, grogné-je tout bas. Atem n'est pas un assassin.

C'était certainement son seul défaut.

De plus, il serait incapable d'abandonner son peuple. Effectivement, il secoue la tête et joint ses mains en prière pour l'implorer de revenir sur sa décision, mais c'est trop tard. Sous nos pieds, de légères vibrations troublent les vagues de sable. De la nuit surgit la cavalerie du pharaon, inquiète de son absence. Les hommes plaquent Entechenès à terre, sous l'œil de corbeau d'Isis, dont le collier du Millénium a certainement servi à les retrouver.

— Est-ce qu'Atem m'aimait ?

Un vent violent balaie la scène, nos monstres de duel ont recouvert nos terrains respectifs. Entechenès réapparaît quelques mètres de moi, les bras croisés, un sourire éternel aux lèvres.

— Maintenant, si tu le permets, nous avons un duel à terminer.

Éberluée, je ne réagis pas quand une carte se matérialise dans sa main. Atem a refusé de l'achever, il a cru jusqu'au bout qu'il pourrait la préserver au cœur de ces ruines, loin des craintes de se garde, loin d'Isis qu'elle a fini par tant haïr.

— Tout d'abord, je vais sacrifier Jowgen le Spirit et le Maraudeur aux Deux Épées et j'appelle Bélial, le Marquis des Ténèbres [2800|2400] !

Génial, le monstre qui m'empêchait d'invoquer mon Âme de Pureté et de Lumière a enfin quitté le jeu, mais à quel prix ?

— Tu peux dire adieu à ton Ninja Blanc [1500|800] et le reste de tes points de vie !

L'épée de son Marquis des Ténèbres se heurte à un mur invisible. Repoussé en arrière, il n'atteint ni mon ninja ni mes points de vie.

— C'est mal me connaître, tu viens d'activer ma carte piège : Annulation d'attaque !

Voilà qui devrait m'aider à temporiser son monstre. Entechenès termine son tour sans sourciller. Je tire une carte et me fige. Jamais, lors de la composition de ce deck, je n'avais sérieusement songé à jouer ce monstre. Non, mauvaise idée, c'est beaucoup trop dangereux. Mon attention se reporte sur mon elfe fétiche.

— Très bien, je vais bannir mon Kaiser Hippocampe et Trion Triple Étoile de mon cimetière pour invoquer Âme de Pureté et de Lumière en mode attaque [2000|1800] !

L'ange déploie ses ailes et illumine les ruines de Kul Elna de son halo scintillant. Ma joie de revoir ma vieille alliée s'évanouit lorsqu'un gloussement aigu s'élève à quelques mètres.

— Désolée, ma chérie, mais elle ne restera pas très longtemps parmi nous. J'active ma carte piège : Hommage Torrentiel.

Hommage Torrentiel ? De son illustration surgit d'une violente tempête. Celle-ci s'abat au-dessus de ma tête et emporte tous mes monstres. Mon cœur manque un battement : je suis complètement à nue.

— À trop vouloir l'invoquer, tu as fini par les envoyer tous au cimetière, déclare-t-elle d'un ton faussement moralisateur, elle enchaine avec un clin d'œil. Mais ne t'inquiète pas, nous allons toutes les deux les rejoindre, très bientôt.

Mon sang ne fait qu'un tour.

— Pourquoi cherches-tu tant à ce qu'on meurt toutes les deux ? Pourquoi ne choisis-tu pas posséder mon corps jusqu'à la fin de mes jours ?! Cela n'a aucun sens !

J'ai conscience que perdre mon calme ne m'aidera en rien, mais c'est plus fort que moi. Une fois de plus, je ne comprends pas la manière dont je me suis retrouvée dans cette situation. Si Entechenès souhaite mourir, qu'elle le fasse seule.

— Tu ne saisis toujours pas hein ? Tu es meilleure qu'Atem, tu es capable de me tuer de tes propres mains sans que je te demande de le faire. Tu as réussi là où il a lamentablement échoué.

— Et pour me remercier, tu essaies de m'entrainer dans ta chute ?

— Je vais t'emmener loin de ce monde et de toutes les souffrances qu'il engendre. Je t'emporterai dans un endroit où personne ne pourra te faire du mal.

Elle a complètement pété un câble. La sincérité dans ses yeux turquoise me cloue sur place, croit-elle réellement à toutes ces inepties ? Je ne veux pas mourir, pas maintenant.

— Ce n'est pas à toi de décider pour moi, je grince en analysant mon jeu une nouvelle fois.

Je n'ai pas le choix, il ne me reste plus qu'à croiser les doigts pour que les événements tournent en ma faveur.

— J'invoque le Magicien du Temps en mode défense [500|400] !

L'Égyptienne hausse un sourcil, ma minuterie n'a pas l'air de l'impressionner. Elle semble ignorer qu'il s'agit d'une carte du jeu de Joey, j'espère que sa chance va me permettre de débloquer la situation.

— Ta vulgaire horloge ne vaut rien face à mes monstres, je pensais que ton jeu s'était amélioré.

— Attends de voir ce que mon horloge te réserve avant de l'insulter. J'active l'effet du Magicien du Temps : nous allons jouer à pile ou face. Si je l'emporte, tous tes monstres vont rejoindre ton cimetière. Si j'échoue, c'est le mien qui sera détruit et je subirai la moitié de ses points d'attaque.

Ce qui n'augurera rien de bon, car je n'ai rien d'autre dans ma main qui puisse me débarrasser de son Marquis des Ténèbres. Le Magicien du Temps actionne son sceptre au sommet duquel une horloge affiche des têtes de mort et des bombes. Les doigts croisés, je serre les dents dans l'espoir que le sort me soit favorable. Mon cœur manque un battement quand la flèche s'arrête brutalement sur une bombe, signe de victoire.

— Bingo ! Magicien du Temps, détruit Bélial, le Marquis des Ténèbres [2800|2400] !

Mon tour s'achève ici. Même si elle invoque un nouveau monstre, il devra d'abord se frotter au mien avant d'atteindre mes points de vie, s'élevant toujours à mille-deux-cents.

— Alors, impressionnée ?

— Pas le moins du monde. J'active la carte magie Un pour Un ! En envoyant un monstre de ma main au cimetière, je peux invoquer spécialement un monstre de niveau 1 depuis ma main ou mon deck. Et je choisis le Nécromancien du Chaos que je place en mode attaque [0|0].

— Un monstre sans attaque ni défense ? J'ai hâte de connaître son effet.

Entechenès secoue son index devant son nez.

— Ne sois pas si impatiente, j'y viens. Mon Nécromancien du Chaos gagne 300 points d'attaque pour chaque monstre dans mon cimetière. Laisse-moi t'aider à faire le calcul, entre mes effets visant à me défausser de mes cartes ainsi que les monstres que tu as détruits, la puissance de mon nécromancien avoisine les trois milles points [3000|0].

Mes ongles s'enfoncent dans mes paumes, c'est donc pour cela qu'elle cherchait à défausser ses cartes. Son démon ne fait qu'une bouchée de mon Magicien du Temps. Fort heureusement, elle ne pose qu'une simple carte face cachée avant de mettre un terme à son tour. Je peux encore changer la donne.

— Tu veux déclarer forfait ? Cela nous évitera bien des souffrances.

— Les seules souffrances que je subis sont celles que tu causes, Entechenès. J'invoque la Petite Fille Malheureuse en mode défense [0|100].

— Ta stratégie n'a plus de secret pour moi, chérie. J'active ma carte piège : Appel à l'Être Hanté, je rappelle le Dragon Matéria en mode attaque [2400|2000] ! Qu'est-ce que tu dis de ça ?

Je manque de plier mes cartes. Elle me toise avec amusement, sans se douter qu'elle vient juste de m'ouvrir une fenêtre de tir.

— J'active ma carte piège : Naissance d'un Rival. Ce piège me permet de cibler une de tes créatures et d'invoquer spécialement un monstre du même niveau. J'appelle l'Homoncule Doré [1500|1500] !

Le golem apparaît prêt à l'offensive, ce qui a le don d'intriguer Entechenès.

— Sa puissance n'égale pas un seul de mes monstres.

— En effet, pour le moment, je ne t'ai pas encore expliqué sa capacité spéciale : pour chaque carte bannie, l'Homoncule Doré gagne 300 points d'attaque et de défense [2100|2100].

— Ce n'est toujours pas suffisant !

Un sourire nait au coin de mes lèvres, elle ne se méfie donc de rien. Tant que je n'ai pas lancé d'assaut, je peux activer cette carte :

— J'active ensuite la Libération de l'Âme et bannis cinq cartes monstres de mon cimetière !

Entechenès a détruit annihiler tant de monstre de mon jeu que je ne doute pas qu'il y en ait assez pour renforcer mon Homoncule [3600|3600].

— Désormais, il domine chacun de tes monstres ! Homoncule Doré, attaque son Nécromancien du Chaos !

Six-cents points soustraits à son compteur de vie ne valent rien par rapport à ce qu'elle va subir comme dégât au prochain tour si elle ne parvient pas à se débarrasser de mon golem de lumière. Bien sûr, je ne prévois pas de lui laisser cette occasion.

— Je pose une carte face cachée et je termine mon tour.

Furieuse, Entechenès brandit sa main et appelle une nouvelle carte. Une volute d'ombres plus saccadée que les précédentes fuse entre ses doigts.

— Tu ne t'en sortiras pas ainsi !

Sans même regarder la nature de sa carte, elle l'insère sur son aile de duel.

— J'invoque Copiechat en mode attaque [0|0] ! Il va immédiatement copier l'attaque et la défense de ton Homoncule Doré [3600|3600] !

J'étouffe un grognement au fond de ma gorge, elle triche, j'en ai désormais la preuve. Mais au moins, elle vient de se défausser de sa dernière carte en main. Son seul moyen de reprendre le dessus était d'invoquer un monstre aussi puissant que mon golem. Une fois celui-ci détruit, elle n'éprouvera aucun problème à me soutirer l'entièreté de mes points de vie à l'aide de son Dragon Matéria [2400|2000].

— Copiechat, attaque l'Homoncule Doré !

Les paumes moites, j'inspire profondément avant de lever mon bras en direction de mon terrain. C'est mon ultime chance.

— J'active ma carte piège : Lumiérisation !

Le simili de ma créature se paralyse avant d'atteindre l'original.

— Q-Quoi ?

— Tu as bien entendu, non seulement ton attaque est annulée, mais sa puissance va être drainée par mon Homoncule Doré jusqu'à ton prochain tour [7200|3600] !

Son jeu s'achève ici, en témoigne l'expression figée sur son visage. Je n'attends pas qu'elle l'annonce pour piocher une nouvelle carte. Peu importe mon tirage, mon golem est devenu invincible.

— Il est grand temps de mettre un terme à ce duel ! Homoncule Doré, extermine son Copiechat [3600|3600] !

L'impact de nos deux monstres provoque une lumière éblouissante. Les yeux plissés et le bras plaqué contre mon front. Nul besoin de compteur pour deviner à son visage que ses points de vie viennent d'être réduits à néant. Le souffle court, les jambes à peine assez fortes pour me maintenir debout, j'hésite à me pincer pour m'assurer qu'il ne s'agit pas d'une hallucination.

Je l'ai fait. Ça y est. Je l'ai vaincue.

Je fixe mon disque de duel, puis mes mains. Mon cœur tambourine si furieusement dans mes tympans qu'il couvre presque les reniflements quelques mètres plus loin. Entechenès, agenouillée dans le sable, sanglote. Les ombres qui planent au-dessus de nos têtes depuis le début de notre affrontement persistent à hanter ce lieu, tourmenté depuis des siècles. L'aile au bras d'Entechenès se désintègre, se mêlant aux infimes grains dorés.

— Et maintenant ? demandé-je à demi-mots.

Que va-t-il advenir de nous ? Si je perdais, je devais disparaître avec elle, mais en cas de victoire ? Toutes les informations apprises au cours du duel s'entrechoquent dans mon esprit, j'ai du mal à me remémorer mon dû.

Je désirais juste survivre.

Soudain, creusée à même la roche de la vallée, une immense porte sillonnée apparaît. Au sommet de celle-ci, le symbole du Millénium. C'est là que je percute : son âme doit rejoindre l'Au-Delà, le Royaume des morts. Entechenès demeure prostrée, son épaisse chevelure blonde recouvre l'entièreté de son visage, ses épaules se saccadent au rythme de ses pleurs. J'inspire profondément. Il est grand temps de nous quitter. Cette réflexion me compresse la poitrine. Je ne saisis pas d'où provient ce sentiment de tristesse. Après tout ce qu'elle m'a fait subir, à moi, à mes amis, ma haine et mon désir de revanche devraient suffire à la renvoyer d'où elle vient.

Alors pourquoi ?

Brusquement, le décor désertique s'efface, quatre murs d'une hauteur déconcertante nous enferment dans un lieu que je ne reconnais pas. Entechenès ne bronche pas d'un pouce quand surgissent d'autres silhouettes auprès de nous, des serviteurs vêtus de draps blancs et de parures royales.

— Encore une hallucination.

— Nous attendons votre signal, pharaon !

Je tressaille, cette voix masculine insupportable me rappelle quelqu'un. En tournant légèrement la tête, je croise le prêtre Seto, armé de la baguette du Millénium, tendue en direction de l'esclave. Il n'est pas le seul, les gardiens d'Atem tiennent la captive d'un œil attentif. Un procès du Millénium. Atem n'a pas pu se résoudre à la tuer de ses propres mains, c'est ainsi qu'Entechenès s'est retrouvée dans cette situation, à voir son âme envoyée au Royaume des Ombres.

— Je…

— Pharaon, nous devons le faire, il en va de votre protection, insiste Isis, sa chevelure noire dissimulée sous son voile immaculé.

Elle porte ensuite son index et son majeur contre son collier.

— Il m'indique que vous courrez un grave danger.

Installé sur son trône, Atem se crispe. En proie au doute, il presse nerveusement sa main contre son front. Au fond de moi, même en connaissant parfaitement l'issue de ce rituel, je me surprends à prier pour qu'il change d'avis.

— J-je ne sais pas.

L'indécision du pharaon provoque un râle du côté de l'ancêtre de Kaiba.

— Ne fais pas ça…

Les soupirs d'Entechenès me parviennent aux oreilles, elle relève doucement le visage pour laisser entrevoir ses prunelles turquoise vitreuses et sa peau rougie par ses sanglots. Sa bouche tremble quand elle essaie péniblement d'articuler les mots :

— Je t'aime, sauve-moi.

Mon cœur se resserre davantage, sa détresse m'empoigne les tripes.

— Ente', je…

Mais il ne peut rien ajouter, les gardiens se consultent silencieusement. Atem se contente de détourner son attention lorsqu'un homme, plus âgé que les autres, se positionne dos à lui, face à leur victime.

— Je vais désormais invoquer les énergies de l'œil du Millénium afin de mettre à jour et de faire sortir ce qui se trouve au fond de son âme.

Alors ce vieillard est le détenteur originel de l'œil du Millénium ? Cela m'en a tout l'air. Son artéfact commence à scintiller, l'enveloppe charnelle d'Entechenès brille d'une aura dorée. Pourtant, des grognements d'inconforts manifestent de la douleur causée à ce procédé. Soudain, ces « grognements » se transforment en cris de souffrance. Ses yeux s'écarquillent, son corps s'arc-boute et son visage pointe vers le plafond. Un malaise s'installe en moi, tout comme l'envie d'intervenir, bien que cela ne servirait à rien.

— Que la créature maléfique qui sommeille en cette fille se présente à nous !

Créature maléfique ? Je lance un regard agité au pharaon, il n'ose pas l'affronter. Il se tait, il patiente jusqu'à ce que cette horreur se termine et s'évapore comme un vulgaire souvenir. Mon âme lui en veut à cet instant précis. Entechenès ne méritait pas une telle indifférence.

— Qu'est-ce que… !

Devant les exclamations étouffées des gardiens, je reviens vers l'esclave. Une auréole scintillante s'échappe de son corps, le monstre qu'ils cherchaient à graver dans la pierre n'est pas celui auquel ils s'attendaient. Mon souffle se coupe. Moi non plus, je n'y étais pas préparée.

Un ange blond aux ailes blanches.

Âme de Pureté et de Lumière.

Ses bras fins s'enroulent autour d'Entechenès, comme si elle essayait de la protéger.

— C'est impossible, maugrée la copie de Kaiba, resserrant son emprise sur la baguette du Millénium.

— Prêtre Seto, qu'attends-tu pour sceller ce monstre des ténèbres ?!

— Ne fais pas ça, Kaiba, sifflé-je entre mes dents. Tu vois bien que ce n'est pas une créature maléfique !

Bien sûr, il ne m'entend pas, personne ne m'entend.

Dans le but de recevoir l'approbation de Sa Majesté, le prêtre se tourne brusquement vers le trône.

— Pharaon.

— Atem, refuse ! m'exclamé-je, prise de panique pour une raison insensée.

Pour la première fois, celui-ci risque un regard en direction d'Entechenès, ses yeux améthyste se braquent sur l'ange maculé aux ailes gigantesques. D'un coup, il se redresse, bouche bée. Mais avant qu'il ne puisse exprimer quoi que ce soit, une silhouette féminine se plante face au détenteur de la baguette.

— Prêtre Seto ! Tu dois sceller son âme !

— Non, attends ! proteste finalement Atem.

À cet instant, Isis saisit de force la baguette du Millénium des mains de Kaiba et la brandit face à Entechenès. L'artéfact brille de mille feux, la créature se tord de douleur à son tour. Je me courbe en deux. Une sensation de brûlure m'envahit, comme si un brasier insoutenable grappillait chaque parcelle de ma peau pour la réduire en cendres. Comment suis-je capable de ressentir tout ça ? Des larmes de torture pointent aux coins de mes yeux.

— S-Stop, gémis-je à bout de force.

— On est presque !

Je ne saurais dire qui a crié ces mots tant la souffrance emporte tout sur son passage. Mes propres sanglots obstruent ma vue quand une vive lumière jaillit du corps à quelques mètres.

— Meurs !

La douleur s'estompe, le brasier s'apaise. J'essuie mes larmes d'un revers de poignet pour observer l'Égyptienne debout face aux protecteurs du pharaon, l'Âme de Pureté au-dessus de sa tête. La baguette du Millénium échappe des mains d'Isis, dès à présent défendue par son unique collier. Le prêtre ne parviendra pas à le récupérer avant qu'Entechenès ne canalise toute sa rage en direction de la gardienne.

— MOUREZ TOUS !

Telle une furie, Entechenès fend tout droit vers Isis, prête à l'assassiner de sang-froid. Mon cœur s'emballe, me remémorant cet instant où j'ai fondu sur Yoshida pour l'asséner le coup fatal. Cependant, avant qu'elle ne l'atteigne, le prêtre s'interpose, seuls ses bras en guise de protection.

— Seto ! hurle Atem.

— Que l'œil du Millénium scelle ton âme une bonne fois pour toutes !

Je n'ai pas le temps de saisir chaque seconde qui défile sous mes yeux. Tout ce que je décèle, c'est le détenteur de l'œil du Millénium qui subit Entechenès et toute sa puissance de plein fouet. L'homme se confond en hurlements. L'artéfact ne résiste pas à la fureur de l'âme d'Entechenès. Le vieillard s'effondre, sur le dos, le regard porté vers le plafond. La lumière s'estompe. Entechenès a disparu. Les gardiens se précipitent sur celui qu'ils appellent Aknadin. L'œil du Millénium roule à mes pieds, secoué par des vibrations inconnues. Par réflexe, je tente de l'attraper quand une voix surgit dans mon esprit.

Tu crois qu'il m'aimait ?

En un claquement de doigts, je suis de retour à la réalité, ou du moins ce qu'elle en paraît. Entechenès est prostrée à genoux sur le sable. L'étrange porte gravée se tient toujours dans son dos. Mon souffle est coupé, j'en oublie de respirer, je ne sais plus quoi penser.

— Ton âme était pure en fin de compte, déclaré-je en avançant d'un pas.

Aucun de mes mots ne changera son passé ni son futur. Je me rends compte à présent qu'Entechenès n'a jamais menti sur ses sentiments à l'égard du pharaon, elle a continué à l'aimer, tout en le haïssant pour ne pas avoir réagi plus tôt. Quoi qu'il en soit, leurs deux âmes doivent impérativement retrouver l'Au-Delà. Qui sait, peut-être qu'ils s'y rencontreront une fois de l'autre côté ? Dans cet état d'esprit, je ravale la vague d'émotions qui m'attrape la gorge et marche jusqu'à sa hauteur. Naturellement, je pose une main sur son épaule, glacée.

— Ne me laisse pas, s'il te plait.

Sa prière me raidit. Je pince mes lèvres pour ne rien transparaître. Une paume tremblante rejoint mon bras, Entechenès relève le menton pour planter ses yeux dans les miens. C'est la première fois que son visage me paraît aussi limpide, elle affiche sa faiblesse sans aucune retenue.

— On formait une bonne équipe, pas vrai ?

Elle cherche une confirmation dans mon regard. Je serre les mâchoires. Ne montre rien, Lorène, sinon elle s'en servira contre toi, encore une fois.

— On… Je vais t'accompagner jusque-là.

Mon timbre est plus grave qu'à l'accoutumée, Entechenès ne semble pas reconnaitre ma voix non plus. Néanmoins, elle suit le mouvement quand je l'intime à se relever sur ses deux jambes. Instinctivement, elle se tourne vers l'immense porte formée dans la pierre. Le symbole du Millénium réagit à sa présence, le sol vibre sous nos pieds. Comme promis, je marche à ses côtés sur une faible distance. Un torrent de questions se déchaine dans ma simple tête. Impossible de calmer mes entrailles qui menacent s'enfuir à n'importe quel moment.

— J'ai peur.

Mon cœur se soulève. Est-ce qu'elle se fiche de moi en imitant mon effroi alors que j'allais mourir face à elle ? Un coup d'œil dans sa direction réfute cette théorie. Elle fixe nerveusement cette porte comme une enfant terrorisée par l'obscurité sous son lit.

— Il y a quoi derrière ?

Ma question reste en suspens. De toute façon, je le saurais bien assez tôt. À l'heure qu'il est, peut-être que l'affrontement entre Yugi et Atem a débuté, peut-être même que le pharaon repose déjà en paix. Et si mon ami échouait ? Je secoue vivement la tête, non, c'est improbable.

— Est-ce que tu vas m'oublier ?

Un soupir m'échappe.

— Même si je le voulais, je ne crois pas que ce soit possible de te rayer de ma mémoire.

Un faible sourire se dessine sur sa bouche, asséchée. Soudain, l'œil sur la paroi rocheuse se met à scintiller, le même qui se grave sur le front d'Entechenès.

L'heure est venue.

— Tu vas pouvoir repartir vers…

L'interstice entre les deux pans de porte s'élargit. Je reste paralysée sur l'intérieur, les traits figés par la surprise et l'effroi.

— Ce sont…

Les mots se bloquent dans ma bouche. Le monde inondé de lumière que je m'étais imaginée ne s'avère pas aussi merveilleux que dans mes pensées.

— Les ombres.

Le fatalisme d'Entechenès me ramène brutalement sur terre. Ce n'est pas l'au-delà qui s'étend derrière cette porte, mais le Royaume des Ombres. Un sentiment d'inconfort intense m'envahit, je commence à avoir des palpitations rien qu'à songer à cet endroit.

Entechenès n'a pas le droit au Paradis.

Entechenès ne mérite pas le repos éternel.

Entechenès ne mérite pas.

Mon nez me pique. Je serre les poings le long de mes cuisses tandis que la silhouette fine de l'Égyptienne avance nonchalamment en direction des ténèbres. Elle n'a pas attendu un dernier mot de ma part pour s'y diriger.

Entechenès a tenté de tuer Joey et Zoé, et bien d'autres gens.

Son allure ralentit, les volutes obscures lui lèchent la peau.

Entechenès a pris possession de mon corps et m'a forcée à me soumettre à ses désirs un nombre incalculable de fois.

— C'est ici que s'achève réellement le jeu des ténèbres.

Son timbre est étrangement clair et limpide, contrairement à son apparence, qui devient de plus en plus floue, imprécise. Un pas de plus et son être s'effacera définitivement de ce monde.

De ma vie.

Éléonore ne mérite pas les Enfers.

Au final, je suis comme Atem.

Je la regarde disparaître sans réagir. Comme si elle ne valait pas mon attention.

Son enveloppe a franchi le portail, son âme est de l'autre côté. Les pans acheminent leur ultime mouvement pour se refermer sur cet espace rempli de tortures.

— Désolée, les amis.

Prise par un élan d'origine inconnue, je me précipite sur le seuil et y enfonce le haut de mon corps. Les ombres fusent des quatre coins de la dimension. Elles hurlent dans mes oreilles, s'enfouissent dans mes yeux et agrippent mes membres. Malgré tout, je tâtonne dans le vide à la recherche de mon homonyme, mon bras s'agite dans tous les sens, chassant des âmes obscures sur son chemin.

— Éléonore ! crié-je à pleins poumons.

Je l'appelle, encore et encore. Dans mon dos, les portes se referment progressivement sur la partie intérieure de mon corps, encore à l'extérieur.

Éléonore ne mérite pas les Enfers, mais moi non plus.

— Éléonore !

Son enveloppe surgit alors sous mes yeux, le visage tiré par la surprise.

— Lorène ?! Qu'est-ce que tu fais là ?!

J'ignore quel résultat je cherche à obtenir. Tout ce que je sais à cet instant précis, c'est que je suis incapable d'accepter l'issue qui nous a été choisie.

— Attrape ma main !

La silhouette d'Éléonore se confond parmi les ombres. Un sifflement insupportable me vrille les tympans, je garde un œil ouvert pour la distinguer dans tout ce « bordel ». Mes muscles s'étendent au maximum pour me rapprocher d'elle. La pression dans mon dos se veut de plus en plus forte. Si je ne souhaite pas être happée à mon tour dans cet endroit, je ferai mieux de reculer.

« Pourquoi ? » semblent articuler ses lèvres.

Ma peau se glace, je me sens lentement emportée de l'autre côté. Mon énergie s'amenuit, mes jambes menacent de lâcher à tout moment. Éléonore est l'origine de bon nombre de mes souffrances, mais elle n'a pas toujours agi égoïstement. En me façonnant à son image, elle a détruit celle que j'étais devenue suite à la mort des époux Pegasus, elle m'a donné un second souffle pour m'offrir une illusion de vie normale.

— Je ne t'abandonnerai pas !

Je profite de l'occasion pour saisir son poignet et l'attirer en dehors de ce monde, mais une pression contraire m'en empêche. Comme si son âme était si lourde qu'il était impossible de la déplacer. Je me mords la lèvre jusqu'au sang et renonce à mes dernières forces pour l'extraire de cet enfer. Si Éléonore en est arrivée là aujourd'hui, c'est parce qu'on ne lui a jamais donné sa chance, alors serais-je une meilleure personne en la bannissant moi aussi ? C'est peut-être le pire être sur cette Terre, mais je suis loin d'être une sainte.

Soudain, une douleur lancinante me saisit au poignet, le larsen brûle mes pensées. Je ferme un second œil quand une « puissance » me projette en arrière. Mon dos heurte les pans de la porte et m'éjecte de la dimension. L'air chaud me frappe de plein fouet, le sable m'irradie la peau. La terre continue de trembler, j'ouvre les paupières sur ce portail désormais clos, le symbole du millénium disparaît, tout comme les sillons qui recouvrent leur apparence rocheuse.

Puis tout s'arrête, le silence retombe lourdement, le soleil rayonne sur les ruines, des poignées dorées dansent en rythme autour de moi. Une main portée contre mon visage, j'essuie un filet de sang s'écoulant de ma lèvre. La douleur est aiguë, mais moins que celle de l'incompréhension. J'effleure ma poitrine et plaque ma deuxième main contre ma peau, brûlante. Pour l'instant, les larmes ne montent pas, retardées par le choc.

— Éléonore ?

Ma voix se perd dans le vent. À bout de force, je me laisse emporter par mon poids et me couche sur le dos. Mon disque de duel erre un peu plus loin, accompagné de mes cartes, elles aussi silencieuses. Le menton pointant le ciel, j'échappe un dernier souffle glacé, vite remplacé par une vapeur étouffante, cherchant à comprendre si cette sensation qui s'insuffle dans mon être ressemble à un sentiment de victoire triomphante ou à un terrible échec.

— Pardonne-moi.




Bonjour / Bonsoir !

J'espère qu'à ce stade de la lecture, vous êtes encore vivants. Ca doit être le chapitre le plus long que j'ai écrit de ma vie, pour tout vous dire.

Ici s'achève donc Âme de Pureté. Bon, évidemment, il va y avoir un épilogue qui arrivera dans le courant des prochains jours / semaines le temps de jauger un peu les réactions des gens etc... Je compte également faire un chapitre de type "commentaire", où, si vous avez des questions sur quoi que ce soit (scénario, duel, méthode de travail, montage, visuel), j'y répondrai et j'ajouterai certainement des petites anecdotes.

Si vous êtes parvenus jusqu'ici, je vous en remercie infiniment. Âme de Pureté est un projet très long, autant de lecture que d'écriture dans un univers que j'adore depuis que je suis gamine.


Pour terminer, je vous invite à consulter le lien Youtube ci-dessous pour découvrir l'Opening et l'Ending d'Âme de Pureté, animé par mes soins.


Merci


https://www.youtube.com/channel/UC0EQ6bCMzarhgsHYsZnJnwQ


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