Âme de Pureté

Chapitre 107 : Âme de Pureté | Epilogue

Chapitre final

2158 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 06/10/2020 19:45

— Proficiat !

(Félicitations !)

Sous les applaudissements d’une salle remplie de jeunes adultes, je fends la foule à grandes enjambées pour me débarrasser le plus rapidement possible de toute l’attention concentrée sur moi. Les doigts serrés sur le bout de papier cartonné qu’on vient de me confier et sourde aux acclamations frénétiques qui résonnent de toute part, je cherche des yeux la sortie, talonnée par une autre personne.

— Lorène !

Mon cœur ne sait plus où donner de la tête, tantôt il bat vite, tantôt trop vite. Essoufflée par le stress et le désir de retrouver l’air libre, je me retourne brièvement vers l’étudiante qui scande mon nom.

— Wat ?

— Oh we gaan eerder naar de kroeg, wat zeg je ervan ?

(On va tout à l’heure au bar, ça te dit de venir ?)

Une fête ? Cela fait des années que je n’en ai pas fait. Pourtant, malgré la joie de m’être fait inviter à cette célébration, je me vois forcer de décliner poliment.

— Bedankt, maar ik heb andere plannen voor deze nacht.

(Merci, mais j’ai d’autres plans pour ce soir)

— Oh… spijtig genoeg, proficiat !

(Oh… c’est dommage, encore félicitations !)

— Proficiat.

Elle ne semblait pas trop déçue que je refuse et s’éloigne en sautillant légèrement. De mon côté, je l’observe disparaître de mon champ de vision avant de me décider à reprendre le chemin de la sortie. Une fois dehors, j’inspire profondément et enfonce nonchalamment le bout de carton dans mon sac.

C’est fini.

Mes épaules tremblent, je m’étire au maximum et laisse l’air frais caresser ma peau et apaiser la chaleur due au stress. Désormais libre, je me dirige d’un pas rapide en direction du parking, détecte ma bicyclette dans le lot et la pousse énergiquement. Toute la pression accumulée dans mon corps me permet de progresser à vivre allure dans le quartier. Le vent s’engouffre dans mes cheveux, fouette mes bras, et ravive des souvenirs aussi douloureux que rassurants.

Un an et demi que tout est terminé.

Après avoir lamentablement essayé de récupérer Éléonore aux ruines de Kul Elna, Odion est venu me chercher. Il n’était pas seul, Joey et Yugi l’accompagnaient. L’image de leurs visages déformés par l’appréhension restera gravée dans mon esprit à jamais. À bout de force, je n’ai pas été capable de tout leur expliquer d’une traite, alors nous sommes rentrés auprès des autres. En mon absence, Atem a rejoint l’Au-Delà et Éléonore aussi, d’une certaine façon.

— Juffrow ! Te snel ! s’égosille un agent de quartier quand je le dépasse avec mon deux roues.

(Mademoiselle ! Vous allez trop vite !)

— Excuseer !

(Désolée !)

Je ne ralentis pas pour autant. En parlant d’excuses, ma mère ne m’a pas encore totalement pardonné d’avoir quitté le pays du jour au lendemain. Comme je le redoutais, la case retour au bercail n’était pas négociable. Abattue par l’absence d’Éléonore, je n’ai pas cherché à argumenter. Cela n’aurait fait qu’empirer la situation. Je ne saurais dire ce qui a été le plus dur à gérer entre le vide dans mon âme et le départ qui se profilait. J’ai pleuré, j’ai beaucoup pleuré. Zoé aussi, bien que nos échanges se soient raréfiés par le temps.

À l’entrée de ma rue, je me décide enfin à ralentir. D’ici, j’aperçois déjà la voiture de mon père stationnée dans l’allée. Il vient sûrement de rentrer du travail, car il a pour habitude de la ranger dans le garage. Sans réfléchir, je saute du vélo et le pose contre le mur avant de dégainer mon trousseau de clés décoré d’une fausse carte de Duel de Monstres. Ironiquement, je n’ai plus joué une seule partie depuis ma victoire contre Éléonore. C’est comme si ma passion s’était envolée en même temps que son âme. Le verrou émet un clic, je m’engouffre dans l’entrée et me déchausse.

— C’est moi ! annoncé-je à bout de souffle.

Mon père me répond brièvement d’un grognement. Au début, vivre avec lui m’a paru un peu étrange. J’étais habituée à l’ordre et la rigueur de ma mère tandis qu’il se contente d’évoluer dans un bordel organisé. Il me demandait de ne pas parler japonais sous son toit, mais il a rapidement mis fin à cette interdiction quand il a compris que je ne cèderai pas. Sans chercher à le croiser, je cale mon sac contre mon épaule et m’approche des escaliers.

— Hoi, je hebt een pakken per post gekregen. Ik heb voor je deur afgezet. Nog je vriend ?

(Hé, tu as reçu un paquet de la poste, je l’ai déposé devant ta porte, c’est encore ton ami ?)

Un paquet ? Pour moi ? Je hausse les épaules sans réellement savoir s’il me voit. Cet ami que mentionne mon père, c’est Joey. Cela me fait toujours un petit pincement au cœur quand son nom me vient à l’esprit. La tête ailleurs, je grimpe distraitement les marches et rejoins ma chambre. Le bordel ambiant tranche avec la clarté de celle du Japon, mes vêtements sont pliés en boule aux quatre coins de la pièce et mon bureau est à peine accessible. Au pied de la porte, un paquet. L’étiquette apposée mentionne bien mon nom et notre adresse.

— Qui est-ce, cette fois ?

Presque excitée à l’idée de connaître le contenu de la boite, je cherche désespérément une lame pour ouvrir le colis. Lorsque le bandage négligemment noué autour de mes mains finit par se prendre dans des bouts de bois, je me raidis. Quelle idiote, j’avais presque oublié que mon père me les avait confisquées. Je me hâte donc en direction de la salle de bain et déniche une simple paire de ciseaux. En un an et demi, j’ai reçu plusieurs sortes de colis : un cadeau de Mai pour mon anniversaire, des cartes postales de Soso, des photos envoyées par Sérénity. Mon dernier échange avec le Japon remonte à quelques mails de Mokuba au sujet du lancement catastrophique des disques de duel en Solid Vision. Il m’a parlé d’un huitième objet du Millénium et des soucis que Kaiba et Yugi auraient rencontré, mais n’a pas voulu m’informer davantage. La plaie causée par le départ d’Éléonore était encore trop profonde.

Le scotch se fend en deux au passage de mes ciseaux, j’arrache une partie du carton d’un coup sec et me penche par-dessus : une boule de papier.

— Ou plutôt une boule enroulée dans du papier, constaté-je en la retirant du paquet.

Bizarre, je m’empresse de démêler l’emballage, jusqu’à le déchirer avec mes ongles. Une griffe plus avisée que les autres me permet d’atteindre le contenu, pas plus grand que ma paume. Soudain, je me crispe, ma vision s’obscurcit. De ma main libre, je me rattrape à ma chaise pour ne pas tomber sous le coup d’une chute de tension. Ma peau se glace, mon cœur, arrêté l’espace d’une seconde, repart de plus belle. Entre mes doigts, une sphère dorée, parée d’un symbole que je n’avais plus vu depuis très longtemps : l’Œil du Millénium.



Allongée dans mes draps, j’essaie d’ignorer la lumière filtrée à travers les rideaux. Mes membres endoloris par le sommeil me supplient de me rendormir, contrairement au sifflement de mon réveil. Je baille à m’en décrocher la mâchoire et, dans un élan de folie, me glisse au bord du lit. Machinalement, j’erre dans ma chambre et enfile une tenue citadine. Mes cheveux en pagaille, je me toise longuement dans le miroir, hésitante.

— Queue de cheval ou lâchés ? soufflé-je en remontant ma tignasse au sommet de mon crâne.

Au bout de dix minutes à tourner en rond, je choisis de les peigner comme d’habitude. Désormais prête, je m’approche du reflet pour inspecter mon visage. Ma peau est un peu pâle, mais cela devrait le faire. Un sourire gêné se dessine sur mes lèvres quand mon téléphone se met à vibrer sur mon matelas, suivi d’un appel en bas des escaliers. Après une ultime vérification, je m’accroupis pour récupérer mon sac et me toise. Mon attention se focalise sur le verre, brisé par endroits. Instinctivement, je porte mon doigt vers l’une des fissures, hypnotisée.

— « Merci. »

— Lorène ! Tu as entendu ?!

Je me relève brusquement et me dirige vers les escaliers sans attendre.

— J’arrive !

En bas des marches, j’enfile mes chaussures à vitesse folle et me précipite vers l’entrée, le souffle court. Mon regard se porte d’abord sur mon vélo, adossé à la barrière, puis à la silhouette postée devant l’allée. Je laisse échapper un soupir soulagé.

— Alors, Cocotte, où est-ce que je t’emmène ?

Mon cœur se soulève à ce surnom, je referme la porte et descends lentement les dalles de pierre malgré mon envie irrépressible de courir. Installé sur la même bicyclette rafistolée qu’autrefois, le blondinet désigne avec fierté l’attache à l’arrière qu’il a bricolé en siège. Je ne suis pas certaine que ce soit très légal, mais au vu de mon passé, il serait malvenu de lui faire la remarque. Sans hésiter, je prends place derrière et enroule mes bras autour de sa taille pour me maintenir en équilibre — entre autres.

— Au musée de Domino.

Le vélo s’engage sur la chaussée, je cale ma tête contre son dos pour profiter pleinement du trajet.

— C’est parti, cap sur le musée ! Accroche-toi, poupée, ça risque de secouer !

Nous dévalons les rues de Flem au rythme de ses coups de pédale, j’admire ces paysages que j’avais fini par oublier avec le temps. Les cheveux au vent, je ferme les yeux pour ressentir le froid sur mon visage. Un agent de l’ordre tente d’interpeler Joey, mais il n’y parvient pas. De toute façon, personne ne peut stopper Joey Wheeler quand il a une idée en tête. Après avoir sillonné les rues de la ville, nous approchons de notre destination. Les premières affiches sur la nouvelle exposition des Ishtar, près d’un an depuis la dernière, apparaissent sur les murs. L’allure du vélo ralentit à hauteur des marches, j’attends qu’il soit complètement arrêté pour descendre, une pointe d’appréhension au ventre.

— Vu que je suis dans un bon jour, je ne te ferai pas payer la course.

La remarque de Joey a le don de détendre l’atmosphère, sûrement a-t-il décelé mon trouble.

— Tu m’en vois ravie, quelle chance d’être tombée sur toi !

Il descend à son tour de la bicyclette et m’accompagne au sommet des marches. Je m’attends presque à ce qu’il prenne congé quand il se tourne subitement vers moi.

— Tu n’es pas obligée de le faire, on pourrait simplement aller au Card Center et…

— Je sais, l’interromps-je sans oser le regarder dans les yeux. Mais je lui dois bien ça. Tu peux patienter ici, si tu veux, je ne serai pas longue.

Il secoue vivement la tête, ses mèches chatouillent sa nuque. Ils ont poussé.

— Tu plaisantes ? Jamais Joey Wheeler ne laisse une demoiselle en détresse !

Je pouffe du nez, incapable de le prendre au sérieux.

— Et la vraie raison ?

Fier, il se redresse brusquement et bombe le torse.

— C’est parce qu’on forme une bonne équipe ! Tu ne trouves pas ?

Durant une seconde, je le fixe et cherche dans mes souvenirs la trace d’une discussion à ce sujet. Lasse, je relâche la pression de mes épaules et affiche un petit sourire.

— C’est vrai, on forme une bonne équipe.

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