Âme de Pureté

Chapitre 104 : L'Expiation | Chapitre 104

4123 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/09/2020 20:48

Sur la proue, Ishizu se confond en conjectures sur l’ultime destin du pharaon : celui de perdre au Duel de Monstres contre un adversaire de taille, et ce, sans faire exprès d’échouer.

Il n’y a que moi qui décèle toute la dissonance cognitive ? Le mec vient de voyager dans le passé pour empêcher la destruction du monde par les forces du mal et il est réduit à perdre à un jeu de cartes pour mourir tranquillement ? À croire que si mon oncle n’avait pas commercialisé ce jeu à son retour d’Égypte, Atem serait resté coincé dans son puzzle pour toujours.

Évidemment, Kaiba et Joey se tirent la bourre pour savoir lequel des deux aura le privilège de se confronter à Atem. Cependant, tous deux ont déjà essuyé un échec contre lui, et ce, à plusieurs reprises. Quant à moi, je ne me propose pas, mon nombre de défaites face au champion s’élève à trois et c’est largement suffisant.

— C’est moi qui vais affronter le pharaon, déclare Yugi, sûr de lui.

Cette décision, de prime abord totalement inconcevable, semble néanmoins la meilleure. Yugi n’a jamais combattu Atem, et pour cause : ils partagent la même enveloppe depuis des années. Le PDG essaie de le convaincre de revenir sur son choix, mais c’est impossible. L’évidence nous saute tous aux yeux : Atem doit perdre contre celui qui l’a guidé depuis le début.


De retour aux cabines, Yugi s’enferme dans sa chambre dans le but de préparer son deck pour le lendemain. Dehors, le soleil plonge dans la mer et laisse place aux étoiles. Nous devions débarquer sur la terre promise en début de matinée. N’ayant jamais dormi dans un bateau, j’appréhende déjà la nuit à venir. À mes côtés, Zoé baille à s’en décrocher la mâchoire.

— Tu devrais aller te coucher, conseillé-je, ignorant vaguement son regard noir.

— Ne crois pas pouvoir t’en sortir comme ça, je resterai éveillée jusqu’à ce que tu sois passée aux aveux.

Le duo d’Appolon n’a rien raté de notre échange, pourtant aucun ne pipe mot. Découragée, je soupire bruyamment et leur indique les escaliers que nous venons de descendre.

Adossée à la rambarde, je déballe toute mon histoire : l’enlèvement de Mokuba, le duel contre Bakura, l’instant fatidique où j’ai égorgé cette réplique d’Éléonore, après lui avoir promis ce qu’elle attendait. Le trio m’écoute dans un silence religieux, si gênant que je piétine et reporte mon attention sur la mer pour ne pas lire leurs visages.

J’ai tué quelqu’un, encore.

Au terme de mon récit, Zoé me coupe immédiatement la parole.

— Alors elle n’est plus là ?

Discrètement, je me triture les doigts puis acquiesce. Si Éléonore partageait mon corps, elle se serait empressée de répondre à ma place. C’est fini.

— Quoi qu’il en soit, je ne la ressens plus et mon esprit a tendance à me renvoyer tous les souvenirs que j’avais oubliés.

— Comme… ? insiste-t-elle pour prouver mes dires.

— Tu ne m’avais pas raconté que tu l’avais culbutée contre les cassiers de l’école.

Les lèvres de Zoé s’étirent, elle se mord l’intérieur des joues, fière d’elle.

— Mais c’est génial !

Joey explose en même temps qu’elle, contrastant avec leur sérieux quelques minutes plus tôt. Une seconde plus tard, je sens emportée dans une embrassade collective, aussi touchante qu’embarrassante. Au fond, j’ai du mal à me réjouir de son départ précipité. On dirait que quelqu’un s’amuse à empoigner mes entrailles et à les tordre comme bon lui semble.

— Tu es enfin libre ! s’écrie la brune en me décoiffant d’une main énergique.

Je lui réponds d’un sourire, un peu forcé.

— Ne me dis pas que tu n’es pas heureuse !

Une pointe de reproche teinte ses paroles, je secoue immédiatement la tête.

— Ce n’est pas ça, j’ai juste du mal à m’en rendre compte. Je sais que je n’avais pas conscience de son existence avant le tournoi de Bataille-Ville, mais ça me fait bizarre de ne plus entendre que mes propres pensées.

— Ce n’est qu’une question de temps, poursuit Joey, d’une voix douce et enivrante. Une page se tourne, et tu verras que bientôt, ce sera une histoire passée !

Leur joie est communicative, je remarque à quel point j’ai de la chance d’être aussi bien entourée. Cependant, une série d’appréhensions nait au creux de ma poitrine. Diverses pensées tourbillonnent dans mon esprit, comblant le vide provoqué par Éléonore. Zoé réprime un nouveau bâillement, Tristan propose de la raccompagner jusqu’à sa chambre — bien que nous sachions tous de quoi il en retourne. Naturellement, je pivote face à la mer et m’appuie sur la rambarde avec mes coudes pour profiter de la vue. Le bateau semble progresser dans un trou noir, guidé par la lune, aussi étincelante qu’un phare au sommet d’une falaise.

— Je suis tellement content pour toi.

La voix de Joey me tire de ma contemplation, son parfum envahit mon espace vital, il se penche à côté de moi, nos bras se frôlent sans se toucher.

— Merci.

Il s’agissait plus d’une politesse qu’un remerciement sincère. J’essaie d’éprouver du bonheur, mais je n’y parviens pas.

— Hé, cela veut dire qu’on va enfin avoir droit à un rendez-vous, rien qu’à deux ?

Je souris, les yeux baissés. Mon silence est bien plus significatif que n’importe lequel discours auquel je songeais.

— À quoi tu penses ? reprend-il, le regard inquiet.

À tant de choses que je ne sais par où commencer.

— Qui ? Qui suis-je réellement ?

— Hein ?

Les poings serrés sur le bois taillé, je décide de l’affronter de face.

— Je n’ai aucune putain d’idée de qui je suis, Joey. Je viens de passer dix-sept années à vivre comme une marionnette à qui on a ôté toute sensation de douleur !

Le dégoût et le désespoir éprouvés lorsque j’ai découvert cette facette de moi, capable de détruire une vie humaine sans état d’âme me remontent dans la gorge. Sentant mes veines bouillir, je serre le bois jusqu’à ce que mes phalanges blanchissent. Je reporte mon regard vers la houle sombre, difficile de maintenir cette position.

— On a eu tendance à mettre toutes mes erreurs sur le dos d’Éléonore, et si tout ça n’était dû qu’à moi ?

— C’est faux !

— C’est moi qui ai pris l’initiative de lui fracasser le crâne, pas elle !

Joey attrape brusquement mon poignet, me forçant à le regarder.

— Très bien, Cocotte, tu veux partir sur des théories ? Et si Éléonore t’avait fait croire que c’était ton choix depuis le début ? Sur cette foutue vidéo, tu la contiens de l’égorger et tu essaies de raisonner tout le monde, qui te dit que cet esprit de malheur n’avait pas trouvé un moyen de te contrôler ?!

À chaque question, il secoue mon bras et me tire un peu plus vers lui. À sa tête, je comprends que ces idées marmitent à l’intérieur depuis bien longtemps.

— Et ton amnésie, enchaine-t-il sans m’accorder une seconde pour procéder les informations. Tu m’as avoué toi-même que ta décision était stupide, alors pourquoi ne serait-ce pas une autre manipulation de sa part ? Elle avait besoin que tu nous oublies pour te contrôler.

Sa conclusion est pertinente, je le sais. Mais mon cœur, lui, refuse d’y croire entièrement. Éléonore était une personne horrible envers son entourage, mais elle a essayé de me rendre la vie meilleure, en quelque sorte. Je m’apprête à lui partager mes doutes, puis me rétracte aussitôt. Il ne comprendra pas.

— Tu ne sais pas qui tu es ? Parfait, on va le découvrir, mais on sera à tes côtés pour t’aider. Tu peux compter sur nous, sur Tristan, Yugi, Téa, Zoé et surtout sur moi.

Sans s’en apercevoir, Joey vient de répondre à une de mes principales interrogations. Sa poigne me pince la peau, je l’attire de mon côté pour le pousser à se pencher.

— Est-ce que tu supporteras le fait que je ne suis pas la fille courageuse à qui tu t’es lié ?

Ses yeux s’écarquillent et sa bouche bat dans le vide, il me dévisage comme s’il s’adressait à une inconnue. Joey ne s’est intéressé à moi que depuis que je me suis mise en danger pour secourir Sérénity. Toutefois, je crains que, sans la présence d’Éléonore, je sois incapable d’une telle prouesse. Je ferme les paupières pour ne pas avoir à soutenir cette image plus longtemps.

— J’ai déjà supporté celle qui a détruit mon vélo.

Je les rouvre et c’est à mon tour de le toiser étrangement. Joey cherche à ancrer ses prunelles brunes dans les miennes, bleutées. Son souffle me taquine la peau tant il est proche, aucun mot ne me vient.

— J’ai supporté celle qui défendait son amie après avoir racketté un gamin de dix ans, celle qui a enfermé des gens dans un bar, celle qui a accepté de se battre à mes côtés pour prouver à ces chauves apprentis rappeurs que je n’étais pas un moins que rien.

Le poids du monde s’abat sur mes poumons, je retiens ma respiration depuis de longues secondes.

— J’ai supporté celle qui a bravé les ombres pour réparer ses erreurs. Et pour tout te dire, je crois que je l’aime bien, cette fille.

Son emprise sur mon bras s’est affaiblie, glissant le long de ma peau pour toucher ma main. Sa déclaration s’imprime dans ma tête, chaque mot, chaque timbre de sa voix grave d’habitude si moqueuse. Je ne résiste pas bien longtemps à l’envie de l’embrasser. Ma bouche sur la sienne électrise chaque parcelle de mon être. Il y répond aussitôt et presse son corps contre le mien, m’arrachant un hoquet surpris, mais pas déçu. Enhardie par cette sensation enivrante, je le happe encore et encore, autant que mon souffle me le permet. Ses grandes mains bouillantes encadrent mon visage, de quoi aggraver mes ardeurs. Mon cœur cogne durement contre ma poitrine, mais je ne ressens pas l’envie de l’apaiser.

Bien au contraire.

Une de ses mains quitte ma joue pour se plaquer sur ma hanche tandis qu’il approfondit le baiser. Sa langue taquine la mienne, j’appuie au sommet de sa nuque pour le garder contre moi. Quand il s’amuse à mordiller ma lèvre inférieure, j’échappe un léger gémissement et sors de mon état second. Notre échange se brise, bien que j’embrasse une dernière fois sa bouche avant de reculer.

— D’autres questions ? demande-t-il, la voix plus tremblante qu’il ne l’aurait imaginé.

Gênée, je lui assène un coup de coude et l’observe minutieusement.

— Non, tout me semble clair.


Alors que nous descendons sur la pointe des pieds, résolus à regagner nos couchettes, des reniflements étouffés attirent notre attention. Discrètement, je me décale du blondinet pour apercevoir la silhouette fine de Téa, une main plaquée sur sa bouche. Elle est en train de pleurer. Joey la remarque à son tour et se prépare à l’interpeller quand je saisis son poignet.

— Je vais aller lui parler, retourne dans ta chambre.

Il pouffe doucement et tapote mon épaule.

— D’accord maman.

Je manque de glousser. Quel idiot. Il me faut un petit instant pour me reconcentrer. De toute évidence, Téa redoute le départ du pharaon plus que quiconque ici — excepté Yugi, cela va de soi. Alors que Joey disparait dans une autre direction, je m’extirpe de ma cachette et me présente devant la grande brune. Celle-ci, surprise, efface d’un revers les méchantes larmes au coin de ses yeux.

— Suis-moi, on va discuter, murmuré-je, désignant ma cabine attribuée un peu plus loin.

Pour m’assurer qu’elle m’obéisse, je glisse ma main dans la sienne. Téa et moi n’avons jamais été de grandes amies, mais elle a su me prouver sa loyauté au cours des derniers jours. Il est temps désormais de lui renvoyer la pareille.

Une fois dans la chambre, je referme délicatement la porte dans mon dos et l’invite à s’asseoir sur mon lit. Je récupère deux verres dans une armoire et verse de l’eau à l’intérieur avant de lui proposer.

— Bon, ce n’est pas le remontant que j’aurais aimé te servir, mais ça fera l’affaire.

Je veille à lui mettre à disposition un rouleau de papier toilette, à défaut d’une boite de mouchoirs.

— Puis je doute qu’on soit autorisé à se bourrer la gueule à bord de ce bateau.

Téa accepte mon verre avec retenue, mais en vide le contenu d’une traite. Impressionnée par sa descente, je lui propose le mien.

— Atem va s’en aller, c’est ça qui te peine autant ?

Elle renifle et hoche la tête.

— J’ai essayé de lui parler… mais je ne sais pas quoi lui dire.

Son aveu cassé par sa voix déformée me serre le cœur. À cet instant, je suis ravie qu’Éléonore n’intervienne pas pour l’informer que j’embrassais Joey à peine bouche quelques minutes plus tôt. Adossée à un meuble de fortune, je croise les bras et fouille dans mon crâne un moyen de la consoler.

— Tu voulais lui dire qu’il va te manquer ?

Enfoncer les portes ouvertes, c’est un peu ma spécialité. Ses sanglots reprennent de plus belle. Qu’est-ce que je pourrais bien lui dire ? Je n’ai aucune idée des sentiments du pharaon à son égard. À vrai dire, je m’inquiète davantage pour le petit Yugi.

— De toute façon, ça doit faire plaisir à Éléonore de me voir ainsi, n’est-ce pas ?

Sa remarque me pique à vif. Je ne m’y attendais pas, au point où le désir de lui asséner une réplique cinglante me frôle l’esprit.

— Éléonore n’est plus là.

Téa relève le menton, dévoilant ses prunelles embuées.

— Quoi ?

— Il n’y a que nous deux dans cette chambre, donc si tu as envie de dire quoi que ce soit, tu peux.

J’écarte les bras de manière théâtrale et tourne sur moi-même. Elle se contente de me fixer, éberluée. Au moins, elle a arrêté de pleurer.

— C-Comment ça ? P-Pourquoi ? Où est-elle ?

L’avouer une fois devant mes amis m’a suffi, même s’il est évident que je devrais l’expliquer encore et encore jusqu’à ce qu’on cesse de me poser la question.

— Elle est restée de l’autre côté.

Un euphémisme qui ne traduit pas la réalité de la situation, mais je n’ai pas envie de lui conter la façon dont j’ai tranché la gorge de cette fille. Dans le but de couper son élan de curiosité, je m’avance jusqu’au lit et m’installe à côté d’elle.

— Tu sais… Il n’y a rien de mal à avouer à quelqu’un qu’il va nous manquer. Ce serait plutôt normal.

Elle resserre ses cuisses, les épaules prostrées. Je n’imagine même pas le combat intérieur qu’elle mène pour ne pas se précipiter vers la chambre de Yugi.

— J-Je ne veux pas qu’il parte.

Elle chouine tout bas pour que je ne l’entende pas. « Tu n’as pas le choix, c’est son destin, il n’appartient pas à notre monde » serait la phrase que je lui aurais balancée il y a de ça quelques mois. Toutefois, ce n’est pas ce qu’elle souhaite savoir. La vérité, elle la connait, elle n’a pas besoin que je la lui répète.

— Il était plutôt pas mal, en tenue de pharaon.

Un sourire moqueur se dessine sur mon visage quand je reçois son regard circonspect. Peut-être que je ne suis pas la seule à avoir besoin d’une distraction.

— C’est vrai.

Ses joues rosées traduisent les pensées flatteuses qui défilent dans son esprit. Une fois lancée, difficile d’arrêter la future danseuse.

— Il m’a remerciée pour la plaquette que je lui ai offerte à l’aéroport. J’espère qu’il va la garder à jamais.

— Je suis sûre que toutes ses copines de l’au-delà vont être vertes de jalousie.

— Il y a intérêt.

Nous nous jaugeons avant de rire aux éclats. S’il y a bien une chose capable d’unir deux filles, ce sont les ragots. En dépit de l’heure tardive, nous continuons à bavarder de tout et de rien pendant une bonne demi-heure. Soudain, au beau milieu d’une tier-list des garçons les plus sexy à bord de ce bateau - au sommet de laquelle Joey et Atem se disputaient la place de roi du sex-appeal - deux coups à ma porte nous arrachent à notre débat.

— Whoops, on dirait qu’on parle trop fort.

Téa se lève la première, quand elle abaisse la poignée et dévoile un Yugi aux traits tendus, elle pousse un hoquet de surprise.

— Y-Yugi ?

Sa voix est bien trop aiguë pour paraître naturelle. Le principal intéressé n’en mène pas large non plus.

— Vous voulez que je vous laisse la chambre ? proposé-je, avant de remarquer le malencontreux sous-entendu. Enfin, vous m’avez compris.

La brune masque son visage rougi pour que son ami ne repère pas son embarras.

— Hum… Eh bien, je souhaitais te parler, Lore-chan. Mais si Téa a envie de-

Celle-ci se reprend aussitôt et esquisse un rictus qui pourrait ressembler à un sourire.

— Non, non ! Je te la laisse, il se fait tard et je sens que je vais avoir du mal à me lever si je ne file pas tout de suite !

— Tu es sûre ? s’enquiert le champion.

Elle acquiesce tant de fois que j’ai arrêté de compter après dix. Silencieuse, elle se glisse en dehors de la chambre, non sans m’avoir adressé un signe de la main. J’espère avoir réussi à la déstresser, ne serait-ce qu’un petit peu. Yugi referme la porte dans son dos. Au vu de son visage grave, je devine que l’un des trois a décidé de cracher le morceau. Je ne peux pas leur en vouloir. Bien au contraire, un poids s’est enlevé de ma poitrine.

— Prêt pour le duel ? demandé-je, pour briser la glace.

Yugi oscille dans tous les sens. Sa bouche se tortille, ne sachant pas quelle émotion traduire.

— Je crois que oui, mais on n’est jamais réellement prêt à quitter un de nos amis.

Je pouffe sans le vouloir, après tout, je ne peux qu’approuver. Ironiquement, je songe à toutes les fois où lui et moi nous sommes retrouvés seuls dans une chambre. Un jour il m’a plaqué contre le matelas, un autre il a pris mon âme, un autre il m’a embrassée. S’il tient réellement à me rencontrer dans ce lieu, c’est qu’il a forcément une idée en tête.

— Éléonore est…

— Morte.

Un silence de corbeau s’installe, il écarquille les yeux, stupéfait par mon répondant. Les sentiments se mélangent au sein de mon corps : la peur, la joie, la colère, le manque. C’est alors que le symbole au creux du puzzle du Millénium scintille de mille feux, laissant place au pharaon.

— Lorène.

— Atem, je te trouve bien pâle par rapport à notre dernière rencontre.

Ma plaisanterie ne le touche pas, ou alors il cache bien son hilarité. À force de trainer avec Joey, mon sens de l’humour décroit au fil des jours.

— Je suis désolé.

Ses excuses me clouent le bec. Je connaissais le côté solennel d’Atem, sa détermination à accomplir son destin coûte que coûte, mais l’entendre demander pardon de vive voix me déconcerte.

— Pourquoi, exactement ?

À son tour, il prend place à l’autre bout du matelas, distance de sécurité.

— Quand tu étais au Royaume des Ombres, Éléonore m’a raconté ce qu’elle faisait pour toi. Même si son départ doit rassurer nos amis, j’imagine que ça t’a fait de la peine.

Je retiens un rire. La peine est un bien petit mot par rapport à l’ouragan interne qui me malmène.

Par la suite, il me confie qu’au retour de Mana des ruines de Kul Elna, celle-ci lui a glissé quelques paroles à mon sujet. Il savait que quelque chose s’était produit là-bas, mais que je leur avais permis de remettre la main sur les objets du Millénium.

— Tu as choisi de te me sauver malgré tout ce qu’il s’est passé, pour le bien de nos mondes. Je t’en serai éternellement reconnaissant.

Et le revoilà à me parler comme s’il me récitait une prière, Atem ne changera donc jamais.

— S’il y a quoi que ce soit que je puisse faire tant que je suis encore présent, dis-le-moi.

Le pharaon, à mon service ? Je l’observe, amusée, puis considère sérieusement sa proposition. Que peut-on demander à quelqu’un qui est sur le point de mourir ? Une réponse insensée me vient à l’esprit, je n’hésite pas longtemps avant de la lui soumettre.

— Quand tu verras Éléonore, là-bas, dis-lui qu’elle me manque déjà.

Mon cœur se serre, je ne mens pas, son absence a causé un vide dont je doute être capable de boucher un jour. Sans s’interroger davantage, l’âme vieille de cinq mille ans acquiesce.

— Entendu, je lui transmettrai ton message.

— Merci et bon courage pour le duel de demain, vous allez en avoir besoin.

Une expression mi-paisible, mi-tendue apparait sur son visage, il m’adresse un pouce levé, que j’imite aussitôt. Nous en restons là pour cette nuit, chacun d’entre nous doit se reposer après tant d’aventures. Si on ajoute le temps réel à celui qui s’est écoulé durant notre voyage, cela fait plus de vingt-quatre heures que nos corps triment. Exténuée, j’éteins la lumière et m’affale sur le matelas, rapidement emportée par les limbes du sommeil.


Mon dos s’arc-boute. Un épais brouillard me barre la vue, mon esprit vagabondait depuis plusieurs heures quand une horrible douleur m’a tiré des bras de Morphée. Ma bouche s’ouvre pour aspirer l’air, qui ne rentre pas. Un filet de bave s’écoule le long de mon menton.

Hein ?

Ma poitrine secouée de spasme s’affole. Dans un sursaut de conscience, j’essaie d’appeler au secours, mais aucun mot ne franchit mes lèvres. Ma gorge est comprimée à l’extrême. Mon cerveau hurle à mes bras de me défendre, en vain.

Quelqu’un est en train de m’étrangler.

Je vais mourir.

Ma vue s’affine, quoique toujours brouillée par un voile de points noirs. Mes jambes se tendent, privées d’oxygène. Je tente tant bien que mal de discerner le visage de mon agresseur, mais hoquette quand je ne rencontre que le plafond.

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