Âme de Pureté

Chapitre 103 : L'Expiation | Chapitre 103

3912 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 05/09/2020 10:18

Lorsque mes paupières s’ouvrent, je rencontre d’abord l’obscurité. Des formes bougent sans que je ne puisse les distinguer. Le sol froid et dur sur lequel je suis couchée n’est pas très confortable, c’est indéniable. Que s’est-il passé exactement ? À l’aide de mes bras, je me hisse sur mes cuisses et relève le visage, croisant ceux du groupe.

— On est de retour ! constate Tristan en se frottant les yeux.

Téa recule d’un pas.

— Cela veut dire que c’est fini ? La tablette nous a tous ramenés dans le présent.

Un frisson me traverse de part en part.

Je me souviens, désormais.

J’ai tué Éléonore pour permettre à Isis et Mana de récupérer les sept objets du Millénium afin qu’Atem mette un terme aux desseins de la forme maléfique de Bakura ! Une migraine pointe au loin, je prends mes joues en étau et inspire profondément. J’ai l’impression que quelqu’un est en train d’enfoncer ses griffes dans ma poitrine.

— Besoin d’aide ? me demande une voix familière.

Une main se présente devant mon nez, Joey m’adresse un large sourire. Mon cœur, presque à l’arrêt depuis quelques minutes, bondit et repart de plus belle. J’accepte volontiers et profite de sa force pour me remettre sur pied.

— Je savais que j’allais te manquer, mais de là à supporter Kaiba pour me revoir… Si ce n’est pas de l’amour ça !

Son clin d’œil appuyé et sa remarque me brûlent le visage, je lui assène un coup d’épaule, incapable de formuler quoi que ce soit. Mes poumons se vident aussi vite qu’ils se remplissent.

— Je doute que ce soit moi le plus insupportable, rechigne le principal intéressé.

Je réponds à son regard noir. Qu’il ne s’imagine pas que son comportement détestable et odieux n’aura pas de conséquences…

— Atem, tu es là ?

La question de Yugi m’intrigue d’autant plus quand le puzzle du Millénium scintille suite à son appel. Curieusement, j’aurais cru que l’esprit du pharaon resterait dans le passé maintenant que les forces du mal ont été anéanties.

— Je suis là où je dois être, proclame Atem d’une assurance déconcertante.

Instinctivement, j’effleure mon cou du bout des doigts et redescends.

Éléonore n’est plus ici, son âme a quitté mon corps, je me sens à la fois aussi légère qu’une plume et remplie d’un profond sentiment d’abandon. Je baisse la tête vers mes chaussures. L’heure n’est pas aux regrets. Après tout, je suis l’unique responsable de la fin d’Eléonore. Pendant ce temps, le pharaon nous toise, fier.

— Les amis, nous avons tous réussi. À présent, les ténèbres libérées par les jeux des ombres il y a plus de cinq mille ans ont été vaincues.

J’esquisse un mouvement de recul tandis que les autres se félicitent d’avoir sauvé le monde. Plus les minutes défilent, plus je me rends compte que j’ai pris la plus importante décision de ma vie. Son sang ne couvre plus ma peau, mais son esprit plane toujours au-dessus de ma tête. Au plus profond de moi, j’espère avoir fait le bon choix et qu’Éléonore le comprendra, où qu’elle soit. Au creux de ma main, l’œil du Millénium ne brille plus, ce n’est qu’à ce moment-là que je remarque que Kaiba me fixe. Ceci ne m’appartient pas.

— Yugi ?

Le groupe entier se tourne vers moi.

— Il me semble que ceci te revient de droit.

Je lui montre l’artéfact avant de lui lancer. Le pharaon l’attrape au vol et me regarde intensément. Je sais pertinemment à quoi il songe. Mana et Isis n’ont certainement pas eu le temps de lui expliquer leur rencontre avec Éléonore et encore moins ce que j’ai dû faire pour leur prêter mainforte. D’un côté, cela m’arrange, je ne me sens pas prête à en discuter.

— Merci, Lorène.

Soudain, une masse titubante dévale les escaliers du temple.

— Salut tout le monde, je peux savoir où on est ?

Les contours de Bakura se dessinent distinctement, nous retenons tous notre souffle avant de nous apercevoir qu’il s’agit là de l’adolescent et non de l’esprit maléfique. Je soupire profondément. Alors c’est ça, les êtres maléfiques sont restés là-bas tandis qu’Atem est revenu sain et sauf ? À bout de force, Bakura parvient péniblement à articuler deux phrases avant de s’évanouir, rattrapé de justesse par Joey et Tristan.

— Et si on allait casser la croute ? propose ce dernier. Vous vous rendez compte ? On n’a rien mangé depuis cinq mille ans !

Au moins, ceux-là n’ont pas changé d’un poil après tant de siècles. Yugi récupère l’anneau du Millénium, lavé de toute ombre. Les garçons acheminent Bakura au sommet des marches, rapidement suivi par Téa et moi, les deux autres duellistes ayant opté pour une joute verbale en contrebas. L’irruption brusque du soleil nous demande un temps d’adaptation pour ne pas finir aveugle. À l’image de notre arrivée en Égypte, le comité d’accueil nous salue chaleureusement à la sortie du temple enfoui.

— Je rêve où ils nous attendent depuis des heures ? Grogné-je sans que personne n’y prête attention.

Au retour de Yugi, le trio de gardiens du tombeau confirme que la dernière mission du pharaon sur cette terre est de sceller les sept artéfacts afin que son esprit puisse reposer en paix. Téa dissimule très mal sa peine quant au départ qui se profile. Pour peu, j’aurais envie de la consoler. Ishizu nous propose de nous emmener à l’endroit où se situe la pierre du Millénium.

— Voici les inscriptions que l’on peut lire au-dessus de cette pierre : Dans le monde des esprits tu iras, mais avant cela une dernière tâche tu accompliras. Les sept objets du Millénium tu apporteras et le nom du pharaon tu énonceras.

Niveau rime, il ne s’est pas foulé le mec qui a rédigé tout ça. On dirait une vieille poésie d’un gamin de cinq ans pour la fête des Mères.

C’est là qu’elle aurait sorti une remarque sur la mentalité des Egyptiens ou quelque chose du genre.

— Es-tu prêt, mon pharaon ?

— Je le suis, répond celui-ci solennellement.

Ishizu acquiesce, ravie.

— Alors, permets-moi de te montrer le chemin vers l’au-delà.

Une partie du trajet s’effectuera en véhicule du désert jusqu’à un embarcadère bordant le Golf du Suez. Pour des raisons de place, nous nous séparons en deux groupes. J’ai la chance de m’incruster dans le même combi que Marik, Joey et Tristan — et Bakura, gentiment abandonné à l’arrière pour dormir, évitant de justesse un énième voyage en compagnie de Kaiba.

— Une minute, si Kaiba est dans l’autre voiture… Qui va dégager son jet privé à l’entrée de la ville ?

Tout le monde hausse les épaules. C’est un problème que seuls les riches dans son genre peuvent rencontrer.

— Je n’arrive pas à croire qu’on vient de faire un bond de cinq mille ans dans le passé ! s’exclame le blondinet en toisant un à un.

— Pareil, surenchérit son ami à la crête brune, je suis bien content d’être rentré !

Loin de leur groupe, je me demande à quoi a bien pu ressembler la bataille de leur côté. J’ose imagine la terreur de Bakura sur le point d’accomplir son funeste objectif. Le poids sur ma poitrine ne cesse de s’alourdir pour une raison que j’ignore. L’air se comprime dans ma gorge. Mes paupières balaient la naissance d’une fine couche humide, je dévie mon regard vers l’armée de dunes de l’autre côté de la vitre. Jamais de ma vie je n’avais vu un paysage aussi larmoyant.

— Au fait, poursuit Tristan en me désignant de la main. Qu’est-ce que tu fais ici, toi ? Je croyais que tu ne voulais pas venir.

Les lèvres pincées, je songe à la raison qui m’a poussée à embarquer dans l’avion privé de Kaiba. Je leur déballe le duel contre Bakura et la manière dont j’ai récupéré l’œil du Millénium.

— Puis nous avons atterri dans ce village d’Égypte.

La suite, je ne tiens pas spécialement à la raconter, c’est pourquoi j’enchaine immédiatement :

— J’espère que Mokuba va bien.

Une force agrippe mon épaule et me force à regarder son propriétaire.

— Je suis sûr que oui, tout est rentré dans l’ordre maintenant. Déclare Joey, d’un ton rassurant.

Dans l’ordre, on peut dire ça. J’aimerais le croire. Si seulement Éléonore n’avait pas pris possession des objets du Millénium, je n’aurais pas été obligée de…

Épuisée de ressasser les mêmes pensées, je m’avachis contre le dossier de mon siège. Mes yeux piquent, je masque l’inconfort derrière une légère toux. Le voyage se déroule dans la bonne humeur, au gré des pitreries des deux lycéens. Lorsque nous entrons dans le port du Caire, l’atmosphère devient un peu plus pesante. Nous descendons des pickups, près d’un énorme paquebot, affrété à nous mener vers l’ultime destination. Suite à une petite et pourtant pertinente remarque sur l’utilité d’un jet pour rejoindre plus rapidement le lieu de rendez-vous, Ishizu reprend joyeusement son rôle de briseuse d’ambiance.

— Il y a plusieurs milliers d’années, selon plusieurs croyances, les bateaux étaient les seuls capables de transporter dans le monde de l’au-delà.

C’est surtout qu’il n’existait pas encore d’avion à l’époque, mais je n’ose pas réfuter ses propos. Même Kaiba, étrangement silencieux, a abandonné toute idée de la contredire.

— Le monde de l’au-delà ?

— Les Égyptiens pensaient que le monde des esprits se trouvait à l’ouest, là où le soleil se couche. Et la cour du pharaon ordonna que ce sanctuaire soit construit sur une île située à l’ouest de l’Égypte.

Les mêmes Égyptiens qui devaient croire que la Terre était plate ? Mon énième réflexion est balayée aussitôt par l’irruption de quatre silhouettes prête à embarquer sur le bateau.

— Hé hé ! Montez bande de marins d’eau douce !

En plissant les paupières, je reconnais le grand-père de Yugi accompagné de trois autres. D’abord heureuse de constater que le jeune Mokuba s’est remis de sa malheureuse expérience, je suis happée par le regard flamboyant que me jette Zoé. J’écarquille les yeux et palpe mes hanches en quête d’une contenance. À elle aussi, je vais devoir lui expliquer.

— Qu’est-ce qu’on attend ? s’enquiert Tristan, content de voir l’adolescente aux boucles brunes. Allons-y !

Prêts à partager la dernière aventure du pharaon, nous embarquons tous à bord du bateau. À ma hauteur, Zoé m’assène une frappe conviviale sur l’épaule à laquelle je réponds moins énergiquement qu’escompter.

— Tu sais que tu vas encore t’attirer des problèmes, me lance-t-elle, enjouée.

Le groupe se disloque dans le couloir des chambres. Ils inspectent les pièces une à une dans l’espoir de s’accaparer la plus confortable du lot. Une fois sûre que personne ne nous épie, je me penche vers mon amie.

— Est-ce que ma mère t’a contactée ?

Ses joues se creusent dans un sourire désolé.

— Elle avait l’air désemparée, elle m’a harcelé de questions sur ton comportement, elle voulait tout savoir sur ton départ précipité en Égypte.

Traduction : Bye bye Japon et aller simple pour la maison dès que pose le pied à l’aéroport. Soudain, un flash éclate devant ma rétine. L’image de la famille Pegasus, réunie dans le hall de la résidence secondaire, surgit et me coupe le souffle. Une vague de froid me frappe de plein fouet, je prédis l’irruption d’une nausée et me rattrape à Zoé pour ne pas défaillir.

— H-Hé ! Ça va ?

Des fourmis grappillent chaque parcelle de ma peau, la moindre bouffée d’air me brûle les poumons.

— Si tu claques sur ce bateau, alors aie au moins la décence de le faire en silence.

Inutile de m’écarter pour identifier l’origine de ces gentilles paroles. Une main crispée contre la poitrine, je tâche de l’ignorer, mais de toute évidence, il ne partage pas mes intentions.

— J’espère que tu ne crois pas que nous sommes amis après ce voyage.

Comme s’il cherchait à profiter de ma réaction, il s’avance jusqu’à moi et récolte les foudres de Zoé.

— Je ne pense pas que tu sois obligé de lui rappeler. Le message était suffisamment clair les vingt autres fois.

En dépit de sa répartie, Kaiba l’ignore et ancre ses yeux de glace dans les miens. Un nouveau flash m’éblouit, un larsen me vrille les tympans. De la sueur se forme au creux de ma nuque. Perturbée et à bout de souffle, je décèle dans le brouillard un petit garçon aux traits impassibles qui refusaient d’être adoptés seuls.

« Pourquoi tu n’es pas parti avec eux ? »

Ma propre voix me revient en mémoire, j’étais sur le point de perdre une énième partie d’échecs.

« Ils ne voulaient pas Mokuba et peu importe où je serai allé, ils pouvaient m’abandonner. Maki, lui, sera toujours là. C’est pour ça que je suis resté pour lui. »

« Et si personne ne vous prend, ensemble ? »

« Je trouverai un moyen. Échec et mat. »

— Alors on a perdu sa langue ?

Le gamin s’efface pour cette espèce d’asperge aux fausses allures d’adulte. Mes souvenirs seraient-ils en phase de refaire surface ? Je m’évente avec mes mains, qu’est-ce qu’il fait chaud ici !

— Je vois, c’est encore plus décevant que ce que j’imaginais.

Mokuba, talonnant son frère, bredouille de faibles excuses. Je ne lui en tiens pas rigueur, nous avons convenu de garder une certaine distance. Kaiba me dépasse, frustré. S’il souhaite à ce point me provoquer, alors dans ce cas…

— Affronte-moi en duel, dis-je, dos à lui.

Un grognement lui échappe, mais il s’apparente plutôt à de la surprise.

— Pas aujourd’hui, pas demain, mais bientôt.

— Et je peux savoir pourquoi j’accepterais de me confronter à un parasite dans ton genre ? Tu as déjà perdu contre Yugi.

Malgré mes étourdissements, je m’efforce de paraître naturelle et hausse un sourcil.

— Seto Kaiba qui rechigne un duel ? Pour quelqu’un qui a mis un point d’honneur à annoncer mon lien avec Pegasus, je suis surprise de que tu te débines face à sa nièce !

— Il a la trouille, ajoute Zoé, amusée.

Notre petit jeune fonctionne, il nous dévisage puis ferme les yeux, agacé.

— Si tu tiens vraiment à te ridiculiser une nouvelle fois, je me ferai une joie de te faire mordre la poussière.

Je prends cela pour un oui et m’apprête à répliquer quand il se dirige vers la proue.

— En attendant, Lorène, j’ai d’autres plans hautement plus importants que de m’inquiéter de ta misérable existence.

Sa silhouette disparait dans les escaliers, contrairement à mon sourire qui refuse de s’en aller.

— Il t’a appelée par ton prénom ? remarque la brune.

J’acquiesce joyeusement lorsqu’une vague de chaleur plus intense que les précédentes absorbe le peu d’énergie restante. Mon corps se laisse emporter dans les bras de Zoé dont les cris ne me parviennent que par bribes étouffées.


Des livres et un sol poussiéreux, un éclairage jauni, mais suffisant pour ne pas vomir, ma chambre de l’âme m’a aspirée telle une brindille dans l’œil d’un cyclone. Du regard, je cherche naïvement une autre présence. Il semble pourtant normal que seul mon esprit subsiste dans ce lieu secret. En pleine contemplation, je m’approche des étagères et parcours rapidement les rangées de livres rouges.

— Éléonore ?

Je la sollicite, sachant pertinemment qu’elle ne me répondra pas. Mes jambes s’aventurent un peu plus loin, vers le meuble où tout reste à écrire. Étonnamment, quelques ouvrages aux couvertures sombres demeurent. Intriguée, j’en décoche un et remarque un incroyable phénomène : la couleur s’évapore. Du rouge s’extirpe sous la couche de noir. Les souvenirs d’Éléonore deviennent les miens. Avant que toute trace de l’esprit ne s’efface à jamais, j’ouvre le livre et balaie les pages.

« — Je veux t’aider à changer ton destin.

Les ombres s’apaisent. Pourquoi ses mots affaiblissent-ils mes pouvoirs ? Je dois garder le contrôle, je dois me débarrasser d’elle.

Mais je ne peux pas. »

Mes doigts effleurent la page en quête d’une suite, mais ne rencontre que du papier imbibé d’eau. Par réflexe, je remonte ma main contre ma joue et hoquette.

— Des larmes ? constaté-je d’une voix cassée.

Le livre se referme brusquement et achève sa dernière couche de peinture. Le vent souffle à l’intérieur de la bibliothèque, balayant toutes les traces laissées par l’esprit jusqu’ici. Eléonore a transformé ma vie en enfer ces derniers mois, alors bon sang, pourquoi est-ce que je me sens aussi pathétique maintenant ? Les mâchoires serrées, je projette le bouquin contre la première étagère que je rencontre. Ma poitrine est si compressée que je ne parviens plus à respirer correctement. Je persiste à pleurer sans savoir pourquoi, l’envie de hurler me prend aux tripes mais aucun son ne sort de ma bouche.

Des cris silencieux, c’est tout ce qui s’échappe de mon corps, désormais libre.


Je remue les épaules au contact d’un tissu léger et fin. Mes membres endoloris se réveillent progressivement, ma vue rencontre le plafond. Des parasites couvrent mes oreilles.

Eléonore ?

Il me faut une bonne minute avant de reconnaitre les voix qui s’élèvent autour de moi.

— Tu crois que la dernière mission d’Atem sera un duel ?

— Tant qu’il ne s’agit pas d’un jeu des ombres, tout me va.

— Ouais, ce serait flippant d’assister à ce genre de cérémonie, je passerai mon tour.

Une boule de feu m’irradie la main droite. Cette sensation me remémore ces hivers, où ma peau gelée brûlait contre les bouillottes préparées par ma mère au retour de l’école. Une boule de nerfs se forme dans ma gorge, un rien pourrait me faire exploser. Quelque peu engourdie, je déplie mes doigts et bats des cils.

— Hé, elle est réveillée !

Lorsque je me redresse tant bien que mal, une silhouette féminine s’approche et pousse mon bras pour m’intimer de me recoucher.

— Doucement, je n’ai pas envie que tu retombes tout de suite.

Zoé me réprimande de ses grands yeux bruns. Ah oui, c’est vrai. À en croire le lit dans lequel je me trouve, j’ai dû m’évanouir dans le couloir. Tout ça à cause de mon stupide subconscient.

— Dé-solée, j’articule péniblement.

Ce qui m’étouffait la main commence à la caresser délicatement, je comprends seulement maintenant qu’il s’agit de celle de Joey, assis au bord du matelas. Il me couvre d’un air inquiet et perdu. Tristan est le premier à mettre les pieds dans le plat.

— Tu vas bien ? On a flippé quand Zoé a crié, tu es tombée comme une pierre !

Ça, je m’en doute. J’accuserais bien Kaiba d’être responsable de mes subites chaleurs, mais personne ne me croira. Mon front est en sueurs.

— Oui. C’est sûrement le mal du pays.

Mon amie croise les bras sous sa poitrine.

— Venant d’une expatriée, c’est la meilleure.

Je grimace, elle marque un point.

— Où est Yugi ? Demandé-je, cherchant désespérément une manière d’éluder leur question.

— Probablement avec Téa, ou Atem. Enfin, ce n’est pas comme si on pouvait les séparer ces deux-là.

La remarque de Joey me percute de plein fouet. Une vague d’émotions me pique le nez, encore, je hoche vivement la tête pour la chasser.

— C’est clair.

Soudain, trois coups frappés à l’extérieur sonnent ma délivrance. Le visage d’Ishizu apparaît, d’abord surpris de nous découvrir tous les quatre, puis impassible.

— Vous deviez venir sur le pont, j’ai quelque chose à annoncer au pharaon.

Son regard s’appuie sur moi avant de s’échapper dans le couloir. A-t-elle senti l’absence d’Éléonore ? Dans mes souvenirs, le jour où l’esprit avait ressurgi dans mon corps, elle était capable de déceler sa présence, ou du moins celle de forces maléfiques. Dans ce cas, son silence m’intrigue.

— Ça va aller ? s’enquiert Tristan tandis que son ami enroule mon bras sur ses épaules.

Sans se soucier de mon accord, Joey me cale fermement contre lui pour me relever du lit. Je ne proteste pas, trop occupée à observer sa mâchoire saillante et ses lèvres fines. Mon être est divisé entre deux sentiments : la tristesse d’avoir perdu Éléonore et l’excitation d’enfin retrouver un soupçon d’intimité. Mon cœur bondit quand il croise mon regard, trop intense. Les autres se dirigent vers la sortie, je suis la seule à remarquer la légère coloration de ses joues jusqu’aux oreilles. Je ne peux empêcher la naissance d’un sourire.

— Tu sais que tu n’es pas obligée de faire semblant de tomber pour que je te porte.

Je lève les yeux au ciel.

— Je tâcherai de m’en souvenir.

De l’air s’échappe de mon nez, je pouffe doucement puis profite de mon appui pour me hisser sur la pointe des pieds et d’embrasser sa peau.

C’est de ça dont j’ai besoin, d’une distraction.

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