Âme de Pureté

Chapitre 99 : L'Expiation | Chapitre 99

6052 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 04/08/2020 19:48

Les roues de mon vélo crissent lorsque je freine aux abords de la KaibaCorp. Le temps de rejoindre la ville, la nuit a grimpé le ciel et d’épais nuages noirs annoncent le pire des scénarios. Le sommet de la tour m’hypnotise, je plisse les yeux quand des crampes étirent ma nuque et me figent dans cette position inconfortable. D’ici, l’immeuble semble plus impressionnant encore. La réception au rez-de-chaussée éblouit la place tel un phare en pleine mer. Mon cœur martèle ma poitrine dès que je franchis les portes automatiques. À peine ai-je esquissé deux pas vers le guichet qu’une montagne de muscles en costume me bloque le chemin.

— Veuillez quitter les lieux, vous n’êtes pas autorisée.

Mon reflet à travers ses lunettes de soleil hausse un sourcil. Être considérée comme persona non grata ne devrait plus me surprendre à ce stade.

— Laissez-moi passer, je proteste vivement. Je dois parler à Kaiba !

— Monsieur n’est pas disposé à s’entretenir avec vous, vous devez partir.

Même avec toute la détermination du monde, je ne résisterai pas bien longtemps face à cette armoire à glace. Je cherche désespérément un moyen d’échapper à sa surveillance, en vain. À l’instant où une main plus large que mon crâne empoigne mon épaule dans le but de m’entrer vers la sortie, la porte de l’ascenseur s’ouvre sur une célèbre veste blanche.

— Kaiba ! Dis à tes types que je suis là pour t’aider !

Le principal intéressé s’arrête et me dévisage. Sous ses mèches brunes, deux orbes glacials me transpercent. Après un bref signe de tête à son garde de sécurité, il se détourne. Il n’a pas l’intention de m’écouter.

Il est ici.

Kaiba ? Bah oui, merci.

Non, l’œil du Millénium, il n’est pas loin.

Haletante, je tente de me dépêtrer de la poigne de l’homme. Si Éléonore a raison, alors il y a de fortes chances que Bakura rôde dans les parages et soit à l’origine de cette pagaille. Une question me brûle néanmoins les lèvres : pourquoi s’en prendre à Mokuba ?

Soudain, je me revois quelques minutes plus tôt, à l’extérieur, les yeux rivés vers le ciel. Le toit.

— Laissez-moi passer ! ordonné-je.

Le brun tique, il meurt d’envie de me foutre dehors. Ses traits déformés d’inquiétude, il peste à mon encontre et se dirige vers un autre couloir. Le feu au creux de mon ventre crépite, un rien suffirait à embrasser le reste de mon être. L’idée de perdre du temps à cause de sa fierté mal placée me rend complètement folle. La dernière fois que j’ai été confrontée à ce mec dans cette pièce, c’est lorsque je l’ai supplié de nous aider à retrouver Sérénity. Il est l’heure d’ouvrir les yeux Kaiba, je ne suis pas ton ennemie. La tension née au milieu de mon salon ne s’est pas entièrement dissipée.

— Désolée d’avance, je grogne en serrant les poings. Éléonore ?

Oui ?

— C’est toi qui avais envie de te venger de ce type ? Je te propose de réarranger la déco.

Non sans une pointe d’appréhension, j’expire profondément et relâche mes muscles afin d’ouvrir le passage à l’esprit. Il ne lui en faut pas plus pour qu’une ruée de fourmi s’insinue dans mes membres.

Certaine ?

Fais-toi plaisir, mais limitons-nous aux meubles. Nous devons débusquer Bakura le plus vite possible.

Si le simple fait de m’opposer à elle provoque des étincelles, alors autant offrir à ces gens le spectacle qu’ils attendent tous. Mon front fulmine, une sensation de vertige me monte au nez. Tout à coup, ma main s’abat sur le poignet du garde et le broie. Celui-ci, paralysé, se confond en gémissements de douleur. Quand mes ongles s’enfoncent dans sa peau et accroissent ses râles, je décide de passer à l’action. L’emprise de l’esprit m’asphyxie, j’ai l’impression d’être coincée entre quatre murs invisibles. En réponse, je rassemble mes forces et me projette dans cette même ruelle. Les images de Joey sous la menace d’un couteau resurgissent limpides.

Je suis prête.

Je contracte brusquement mes muscles et m’oppose à son contrôle. Nos âmes s’entrechoquent dans un cocktail explosif. Contrairement à notre dernière confrontation, je garde une pleine conscience de mes actes. La réception plonge dans le noir, les plombs ont sauté, déclenchant le système d’alarme insoutenable pour nos oreilles. Le garde se traine à mes pieds. Au vu de la douleur de son poignet, il est probablement cassé. Gênée, je lui adresse un regard désolé. Comme les autres employés, Kaiba ne bronche pas d’un pouce. Pour être honnête, je dois avouer que cette vue est plus satisfaisante que je ne l’aurai imaginée. À travers l’alarme, il tente de s’exprimer :

— Je te conseille d’arrêter ça tout de suite, Yuurei, ou tu ne t’en sortiras pas comme ça !

Sa voix tremble de colère. Il n’a pas l’habitude d’être malmené de la sorte. C’en est presque jouissif. À l’opposé, je démontre un calme olympien face à lui. Déterminée à le rallier à mon camp, je contourne les employés et les débris pour me stopper à sa hauteur. Aucun d’entre nous n’interrompt le jeu de regards.

— Je sens la présence d’objets du Millénium dans les parages. Mokuba ne doit pas être bien loin !

Je m’apprête à le libérer de l’emprise d’Éléonore quand il rétorque sèchement :

— Pourquoi je croirais aux histoires d’une pestiférée dans ton genre ? Tu n’es qu’une putain de meurtrière.

Je tâche de ne pas relever son insulte, aussi pertinente soit-elle.

— Pourquoi ? Parce que je suis de ton côté !

— C’est pour ça que tu détruis tout sur ton passage ?

Figés, ses glaciers bleus désignent l’état chaotique de la pièce. Il n’a pas tout à fait tort.

— Tu me fais perdre mon temps, retournes t’amuser avec tes petits copains.

Mes veines bouillonnent devant son dédain dans une situation aussi critique. Comment peut-il se montrer froid alors que la vie de son frère est en danger ? J’hallucine.

— Très bien, continue de jouer aux cons, je vais me charger de retrouver Mokuba moi-même.

En m’aventurant dans cet endroit, je n’avais pas l’intention de me donner en spectacle. L’envie de lui prouver ses torts est trop forte. Je tourne les talons et m’accroupis près du garde, immobile.

— Votre passe ! je m’égosille à cause de l’alarme.

Celui-ci lance un œil interrogatif à son supérieur et se fond dans un silence relatif.

— Très bien, maugréé-je en inspectant son uniforme pour dénicher une carte magnétique dans la poche intérieure de sa veste. Je vous emprunte ceci.

Foudroyant Kaiba, je me dirige vers l’ascenseur, ouvert depuis le choc. Une fois dedans, je dégage les quelques mèches de cheveux de mon visage. Les doigts pressés sur le plastique rectangulaire, je le présente devant le capteur avant de relâcher la tension. L’énergie resurgit, l’alarme s’éteint, les employés retrouvent leurs corps. La porte se referme sans que qui que ce soit songe à m’arrêter.


L’ascension me parait durer des heures. Le panorama de Domino City à travers la vitre ne m’impressionne plus. Je retiens mon souffle lorsque la cabine grappille les derniers mètres. Le sifflement du vent pénètre par les interstices, mon ventre se comprime. Je réprime un frisson désagréable quand le passage s’ouvre sur le toit de la KaibaCorp.

— Tiens, on dirait que la ligne a été coupée.

La voix grave couplée à une longue chevelure grise secouée par des courants d’air en provenance des enfers. La face sombre de Bakura campe à l’extrémité du sommet du gratte-ciel. La peur au ventre, je marche, luttant pour canaliser le flot d’émotions qui m’envahit. Couvert d’une interminable veste noire, le jeune homme croise les bras et me défie des yeux, il arbore le genre de sourire qui ne vous indique rien de bon. L’anneau du Millénium scintille sur son torse, les pointes me désignent curieusement. Pourtant, je suis certaine que ce n’est pas moi qu’il attendait.

Mokuba.

Un souffle intérieur m’intime à observer plus attentivement les lieux. Au centre du toit, le corps d’un enfant git, sans vie. Mon cœur remonte dans ma gorge, je me précipite dans sa direction quand Bakura brandit sa main droite devant et me coupe dans mon élan.

— Ne touche pas à mon cadeau, il est destiné à notre cher Seto Kaiba.

Si Kaiba voit son petit frère dans cet état, il risque de péter un câble, à juste titre. Mais moi aussi, cela me rend malade. Mes veines pulsent sous chaque parcelle de ma peau. Il est hors de question que ce cinglé s’en sorte après ce qu’il vient de faire.

— Que lui as-tu fait ?! m’égosillé-je, les poings fermés le long de mes hanches.

— Pourquoi es-tu en colère ? répond-il d’un ton si léger qu’il me provoque un frisson, Kaiba n’avait pas le temps de s’occuper de son cher frère, je lui ai simplement offert un voyage en solitaire.

Un voyage… ? Mon attention se fixe sur sa silhouette et le bout de son visage, exsangue. Le Royaume des Ombres, cela ne fait aucun doute. Bravant son interdiction de m’approcher, je m’accroupis à hauteur de Mokuba et le déplace contre le mur, à l’abri des bourrasques.

— Alors, Éléonore, je vois que tu n’as toujours pas appris la leçon.

Son rire narquois me donne envie de vomir, je me tourne, prête à l’affronter.

— Je t’avais dit que cette gamine finirait par se débarrasser de toi. Regarde-la, elle est parvenue seule à s’échapper du Royaume des Ombres, sans ton aide. Si elle y était restée gentiment, tu aurais ce corps pour toi toute seule.

— Tu te trompes, Bakura. Ce corps m’aurait appartenu dans tous les cas, et tu devrais relâcher ce pauvre garçon que tu tiens en otage dans ce corps !

Le duel des ombres contre Atem, c’était son idée. C’est à cause de lui que nos amis ont tant souffert, sans oublier Mokuba dont le calvaire vient juste de commencer.

Il cherche à me protéger…

Je crois que tu te trompes. S’il le souhaitait vraiment, il n’aurait pas pris autant de temps à te retrouver.

— Quel gâchis, tout ça pour les beaux yeux de cette fille que tu ne connais qu’à cause de cet idiot de Maximilien Pegasus !

C’en est à se demander où s’arrête réellement la malédiction qui me lie au créateur du jeu. Après quelques moqueries, Bakura me lance un disque de duel. Je l’enfile immédiatement et insère mon deck. Nous allons régler toutes ces histoires comme les adultes le font : en s’affrontant aux cartes.

Laisse-moi le combattre.

Sa requête me décroche la mâchoire. Toi ? Mener le duel ? Mais jusqu’ici, c’est toujours moi qui me suis chargée d’envoyer nos adversaires au tapis, même en cas de jeu des ombres ! Et qui me dit que tu ne vas faire exprès de perdre ?

S’il te plait, je n’ai aucun intérêt à ce que l’une d’entre nous s’en aille au Royaume des ombres.

Je t’en prie.

Tant de politesses de sa part m’indiquent que quelque chose ne tourne pas rond. J’hésite longuement quand un cri s’élève dans mon dos, celui de Kaiba découvrant le corps de son frangin sur le sol. Il nous fusille tous les deux du regard.

— Vous allez le payer ! Ramenez-le tout de suite !

Des fois, j’ai envie d’étriper ce garçon, il ne parvient pas à concevoir qu’un seul d’entre nous puisse être à l’origine de ce merdier. Non, il faut absolument que j’en fasse partie. À croire qu’il est inscrit « méchant » sur mon front depuis le début et que personne n’ait eu la décence de me le dire. Le sourire carnassier de Bakura crée en mon être le désir irrépressible de lui arracher la bouche, littéralement.

— L’âme d’Éléonore contre celle de Mokuba. Cela me semble un bon deal, qu’en penses-tu, Lorène ? Tu n’aurais même pas besoin de livrer le moindre duel contre moi.

Je n’ose pas sonder l’avis de Kaiba sur la question, il se demande certainement pourquoi les deux méchants complotent encore alors qu’ils lui ont retiré ce qu’il a de plus précieux.

Il t’échange mon âme contre celle de Mokuba.

Je ne peux réprimer la naissance d’un sourire en coin. Il s’imagine déjà dominer ce monde.

C’est d’accord. Livre ce duel, tu seras maître de ton destin.

— J’en pense que tu ferais mieux d’utiliser ta salive à meilleur escient, je ricane avant d’activer le disque de duel. À nous deux !

Consciente du risque énorme que je prends en lui laissant les rennes, j’abandonne le contrôle de mon enveloppe, muscle par muscle. L’esprit d’Éléonore s’insinue dans mon corps, je peux sentir son souffle geler mon sang et ralentir mon cœur. Lorsque mes doigts se glissent sur le sommet de mon paquet de cartes, je ne suis plus que spectatrice des mouvements de mes membres.

— Si je l’emporte, tu ramèneras l’âme de Mokuba. Si je perds, tu enverras la mienne au Royaume des Ombres, définitivement.

Sa voix est plus grave que la mienne, plus déterminée que je n’ai pu l’être au cours d’un duel. Éléonore joue gros, et je ne doute pas de son désir de se venger de Bakura. Un pur sentiment de domination grandit au sein de mon ventre et il emplit chaque cellule de notre enveloppe.

— Tu as choisi le mauvais camp, Ente’. Cette fille va se débarrasser de toi dès qu’elle en aura l’occasion.

— Tu as peut-être raison, mais notre lien est plus puissant que celui que tu entretiens avec ce pauvre gosse dont tu as volé le corps.

À sa décharge, je me considère plus chanceuse que notre gentil Bakura qui subit purement l’intrusion de l’esprit de l’anneau du Millénium.

— Arrêtez de jacasser et finissez-en, se plaint Kaiba en arrière-plan.

— À tes ordres mon cœur, susurre-t-elle en sondant sa main de départ avec minutie. Voyons si j’ai bien retenu la leçon. J’invoque la Tortue Electromagnétique en mode défense [0|1800] et je pose une carte face cachée.

Éléonore a l’air d’avoir suivi mes derniers affrontements. La seule ombre au tableau demeure les précédents équilibrages de mon jeu, il ne ressemble plus exactement à celui utilisé contre Yugi. Ce premier tour n’impressionne en rien notre adversaire, réduit à hausser les épaules avant de piocher.

— Dommage que ce jeu se termine si tôt, j’active le Changement de Cœur ! Grâce à cette carte, je peux durant un tour te voler un monstre et le contrôler. Ironiquement, cette magie me fait beaucoup penser à toi, Ente’.

— Contente-toi de jouer.

La mort dans l’âme, notre Tortue rejoint le camp adverse.

— Un peu de patience, laissons durer le plaisir, veux-tu. D’ailleurs, je vais tout de suite sacrifier ton cher animal pour invoquer le Comte Déchu [2000|700] ! Comte Déchu, attaque directement ses points de vie !

La griffe de l’ombre de son démon emporte la moitié de notre compteur, sans nous donner la possibilité de riposter. Cela n’augure rien de bon, mais j’évite tout commentaire afin de ne pas froisser Éléonore. Ce n’est que le début, après tout. Bakura pose deux cartes face cachée avant de me laisser la main.

— Comment trouves-tu le spectacle, Kaiba ? Assez divertissant à ton goût ?

Comment il se débrouille pour ne pas lui sauter à la gorge ? Vu la tête de notre PDG national, il se demande exactement la même chose à cet instant.

— Tu as intérêt à ramener mon frère, grogne-t-il.

Impossible de deviner s’il s’adressait à Bakura ou à moi, j’ose espérer que ça ne m’était pas destiné.

— Ne t’en fais pas Kaiba, si j’échoue, tu pourras encore risquer ton âme dans ce jeu stupide.

Mais nous n’avons pas l’intention de perdre.

— J’active l’Elégante Charité, ce qui me permet de piocher trois cartes à condition d’en expédier deux au cimetière.

— Un instant, l’interrompt l’esprit maléfique en levant la main vers sa zone magie. Il est temps de corser un peu ce duel : j’appelle le Vendeur de Cercueils.

Quel nom charmant, je sens que nous allons adorer son effet.

— À chaque fois qu’un monstre sera envoyé dans ton cimetière, tu perdras 300 points de vie. Amusant, n’est-ce pas ? Il vaudrait mieux éviter de gaspiller tes pauvres petites créatures.

— Épargne-moi tes conseils, chaton. Je pose un monstre face cachée et je termine mon tour.

Écartée du duel, je lorgne notre jeu ainsi que nos cartes actives. Lors de la composition du deck, je doute qu’Éléonore se soit attardée sur les différentes stratégies mises en place. Dans l’ombre, mes doigts se croisent dans l’espoir qu’elle parvienne à déchiffrer les raisons pour lesquelles j’ai évincé quelques monstres puissants de mon ancien deck.

— Pourtant, cela t’éviterait bien des erreurs ! proclame-t-il en piochant. J’active ma seconde carte piège : Desserts Seuls, tu vas perdre 500 points de vie par monstres sur ton terrain !

Notre compteur chute à 1500. J’y crois encore, nous avons déjà remonté des situations bien plus compliquées que celle-ci. En statut fantomatique, je tourne la tête et remarque le visage fermé de Kaiba. Si seulement il s’apercevait de nos efforts pour ramener son frère du Royaume des Ombres…

— Comte Déchu [2000|700], attaque son monstre face cachée !

L’hologramme s’élance tout droit vers notre unique rempart. Deux minuscules créatures apparaissent et bloquent son offensive d’un bouclier lumineux.

— Dommage pour toi, mon Duo Gellen ne peut être détruit au combat que si je perds des points de vie [1700|0].

En mode défensif, les boules roses et vertes me toisent, ignorant vaguement le terrain adverse. Ils ne regardent pas mon corps, ni Kaiba, mais moi. Est-ce qu’ils captent ma présence malgré le contrôle d’Éléonore ? Pas le temps d’exprimer ma pensée, Éléonore tire une autre carte et l’insère aussitôt dans le disque.

— Tu ferais mieux de te préparer à ramener le gosse, Bakura ! Tout d’abord, j’active la Marmite d’avidité, ce qui m’autorise à piocher deux nouvelles cartes et pas de chance pour toi, je viens de récupérer Watapon et l’invoque immédiatement en mode défense [200|300] ! Ensuite, j’active la magie Guide Photon !

Génial ! Le Guide Photon nous permet d’appeler spécialement un monstre lumière de niveau quatre sur notre terrain.

­— J’invoque le Briseur de Jour en mode attaque [1700|0] ! Et grâce à sa capacité, je peux amener un autre Briseur de Jour depuis ma main.

— Tes guerriers ne peuvent rien contre mon Comte Déchu je te signale [2000|700]. On ne s’improvise pas duelliste, Ente, tu aurais plus de chance en laissant jouer la gamine.

Éléonore feindre de ne pas écouter les railleries de son ancien ami, mais je ressens au plus profond de moi le désir de le réduire au silence.

— Étant donné que mon deuxième Briseur de Jour a été invoqué spécialement par le premier, tu ne verras pas d’inconvénient à ce qu’un autre se joigne à la fête. Tu connais l’adage « jamais deux sans trois » ? Je ne me souviens plus s’il existait déjà à l’époque de nos aïeuls.

Éléonore se débrouille comme un charme, beaucoup trop bien à mon goût. Non pas que je suis jalouse des stratégies qu’elle parvient à mettre en place, de sa victoire dépend l’âme de Mokuba. Cependant, l’aisance avec laquelle elle manie mes cartes me rend perplexe.

— Au lieu de fanfaronner, tu devrais plutôt trouver un moyen de vaincre mon monstre, car je te rappelle qu’aucune de tes minuscules bêtes ne peut le battre.

Mes lèvres s’étirent. Cinq monstres pour protéger nos points de vie bien entamés, c’est pas mal.

— Justement, j’y viens. J’active le Support Photon ! En ciblant l’un de mes monstres lumières de niveau quatre, lui et toutes les créatures portant le même nom verront leur puissante augmenter à 2000 points.

Ce qui n’est pas suffisant pour surmonter son Comte sans dommage collatéral, mais cela nous est égal au vu de l’armée formée par les trois Briseurs de Jour [2000|0]. Éléonore lance l’offensive, le premier transperce le démon de Bakura et l’emporte dans sa tombe. Le second s’élance à l’assaut de son monstre face cachée, mais se heurte à un redoutable Insecte Mangeur d’Hommes [450|600].

— Quand ce monstre est révélé des ombres, son effet s’active !

Pour avoir regardé quelques matchs d’Insector Haga par le passé, je connais bien sa capacité. Il peut choisir l’un de mes monstres et le détruire. Je m’attends à ce qu’il désigne l’un de mes guerriers quand son index pointe fermement mon Duo Gellen.

— Dis adieu à tes stupides amis.

L’insecte les anéantit d’un coup de mâchoire avant de se désintégrer à son tour. Mon cœur se comprime au creux de ma poitrine.

— N’oublie pas l’effet de mon Vendeur de Cercueils, pour chaque monstre envoyé dans ton cimetière, tu perds 300 points de vie !

Le disque de duel affiche désormais 900 points. Malheureusement pour Bakura, cela n’empêchera pas l’attaque groupée de mon ultime Briseur de Jour, qui grâce au Support Photon diminue son compteur de moitié.

— Ça va chéri, pas trop secoué ?

— Tu ne résisteras pas à mon prochain tour. Si je réussis à envoyer tes monstres au cimetière, mon Vendeur de Cercueils t’achèvera bien plus tôt que tu ne l’imagines.

Éléonore lève un doigt à hauteur de mon front et le bouge énergiquement.

— Je n’ai jamais dit que j’avais terminé. Tu te souviens de mes nombreuses invocations de ce tour ? Watapon et les trois Briseurs de Jour, ce n’étaient que des invocations spéciales.

Elle saisit une carte de niveau neuf entre l’index et le majeur.

— Je vais sacrifier mes trois monstres pour invoquer la Créature de la Buée en mode attaque [2800|2900] !

L’Elfe aux allures fantomatiques s’érige en maître sur notre terrain. D’un faisceau de lumière, il élimine les magies et pièges de Bakura. Plus de Vendeur de Cercueils, la menace d’un effet mortel se conclut en même temps que notre tour. Nous ne menons peut-être pas au score, mais notre défense se révèle bien plus solide que celle de l’esprit maléfique de l’anneau. Néanmoins, un rictus orne toujours son visage déformé par l les ténèbres.

— Quel dommage d’avoir pris la peine d’invoquer une si belle créature, Entechénès ! Je vais la réduire à néant à l’aide de mon Trou Noir !

Ma mâchoire de fantôme se décroche, qui utilise encore cette carte magie de nos jours ? Aussitôt arrivée, La Créature de la Buée disparaît.

— Ne sois pas triste, tu risques de la revoir plus vite que tu ne le crois ! J’active la Renaissance du Monstre et appelle ton vieil ami à combattre à mes côtés !

Je déglutis difficilement, c’est à notre tour de nous retrouver à nu, vulnérables à une offensive fatale. Bakura profite longuement de son petit stratagème avant de lancer l’assaut. L’Elfe génère un rayon lumineux éblouissant qui transperce notre disque de duel. Je plisse les yeux pour ne pas finir aveugle. Toutefois, notre compteur demeure inchangé, au grand dam de Bakura.

— Qu’est-ce que…

— Désolée, chaton, mais j’ai bien plus d’un tour de magie dans mon sac. Ou plus précisément d’une tortue !

Tu te mets aux jeux de mots, toi, maintenant ?

J’ai toujours rêvé de savoir ce que ça faisait.

Les bras croisés sous ma poitrine, Éléonore jauge la surprise sur le visage de son adversaire. Il serre les dents si fort que sa mâchoire semble transpercer sa fine peau blanche.

— Il m’a suffi de bannir ma Tortue Eléctromagnétique de mon cimetière pour mettre fin à ta battle phase. Ne me remercie pas, j’essaie d’ajouter un peu de piment à cette partie.

Sans un mot, Bakura pose une carte face cachée et nous intime de jouer. Éléonore s’exécute et pioche. Je lorgne sa main du coin de l’œil. L’infime espoir que je nourris depuis le début du duel gagne brusquement en puissance. Tout n’est pas perdu, il faut juste qu’elle le comprenne. Son visage se tourne subitement vers le mien.

Cette carte… ?

Je hoche imperceptiblement du menton, oubliant un instant que personne à part elle ne peut me voir. Sa bouche serrée se détend peu à peu, elle attrape la carte en question et l’insère dans l’interstice destinées aux magies et pièges.

— Ce n’est pas fini ! J’active Cartes Célestes et bannis Âme de Pureté et de Lumière de ma main afin de tirer deux nouvelles cartes !

Silencieuse et le cœur battant, je croise mes doigts et retiens ma respiration. Yugi n’est plus dans le pays, mais j’ose espérer qu’une partie de l’âme des cartes n’a jamais quitté les lieux.

— Accroche-toi bien, car ça va aller très vite ! J’active la Transformation Céleste, ce qui me permet d’invoquer spécialement n’importe quel monstre Elfe de ma main et je choisis Athéna [2600|800] !

En contrepartie, sa puissance est réduite de moitié [1300|400]. De toute façon, sa force d’origine était insuffisante pour venir à bout de la Créature de la Buée [2800|2900].

— Je bannis ensuite Duo Gellen et la Sphère Lumineuse de mon cimetière pour invoquer une autre Âme de Pureté et de Lumière [2000|1800] !

Si mes souvenirs sont bons – du moins j’espère –, c’est la première fois que nous utilisons plus d’une copie de notre carte fétiche au cours d’un duel. Évidemment, j’aurais été stupide de ne pas posséder cette créature en plusieurs exemplaires, tout comme je suis prête à parier que Yugi dispose du Magicien des Ténèbres en triple.

— Lorsqu’un monstre de type Elfe est invoqué, la capacité spéciale d’Athéna s’active ! Tu vas perdre 600 points de vie à chaque invocation !

Jusqu’ici stoïque, Bakura révèle sa carte face cachée : le Graal Interdit.

— Ne crie pas victoire trop vite, en ciblant Athéna avec le Graal Interdit, son effet est annulé pour ce tour. En échange, je lui offre 400 points d’attaque, mais je doute qu’elle détruise ma Créature de la Buée !

Éléonore peste dans ses dents et insère l’ultime carte de sa main dans son disque de duel avant d’annoncer la fin de son tour. Celui de Bakura sera le dernier et s’il n’a pas de quoi contrer le piège qu’elle vient de poser, alors c’en est fini de lui. Tandis qu’il ajoute une carte à son jeu, ma concentration est interrompue par la boule lumineuse à l’horizon. Le soleil se lève, les ombres se dissipent, je ne suis pas la seule à être saisie par l’irruption de l’aube. Notre adversaire parait bien embêté.

— Eh bien, ce n’est pas que je m’ennuie, mais j’ai d’autres choses à faire. Alors, si vous voulez bien m’excuser.

En retrait jusqu’ici, Kaiba surgit à côté de moi, tendu comme une toile de tente.

— Tu plaisantes ?! Tu ne vas pas partir en plein milieu du duel !

L’empressement du PDG lui provoque un rire satisfait.

— Ne t’inquiète pas, je reviendrai bien avant que tu aies eu le temps de t’ennuyer.

Sans le quitter du regard, il plonge sa main à l’intérieur de sa cape noire.

— J’ai quelque chose qui te fera patienter, tiens !

Bakura projette un objet que Kaiba attrape au vol avant de déplier ses doigts. Mes yeux s’écarquillent dès que je reconnais l’œil du Millénium. Éléonore avait raison, il était bel et bien en sa possession, mais pourquoi le confier à Seto Kaiba plutôt que nous ?

— Attends un peu, dit-il en estimant l’artéfact, ça appartient à Pegasus !

— Excellente mémoire, Kaiba. Il est surprenant que certains éléments de ton passé t’échappent encore, mais je sais comment y remédier : apporte l’œil du Millénium jusqu’en Égypte et je te donnerai une petite leçon d’histoire.

De mon côté, je retrouve le contrôle de mon corps et m’avance aux côtés du jeune homme. Comment se peut-il que Kaiba ait un lien avec l’œil du Millénium, tout comme Éléonore ? Ses membres crispés et sa posture droite témoignent d’une colère partiellement maîtrisée.

— Si tu crois que j’ai le temps de parcourir la moitié du monde pour écouter tes affabulations, je te rappelle que j’ai une société à diriger !

— Excuse-nous, monsieur, je marmonne accompagné d’un regard noir.

Ce n’est clairement pas le moment de jouer à celui qui a la plus grosse.

— Tu ne souhaites donc pas savoir pourquoi les liens qui t’unissent à ton Dragon Blanc aux Yeux Bleus sont si forts ?

— Je peux savoir ce que tu insinues Bakura ?

Je ne saisis pas non plus où il veut en venir.

— La réponse se trouve dans les sables de l’Égypte, Seto !

L’homme aux cheveux grisés se perd dans son propre rire et s’évanouit dans un halo éblouissant provoqué par mon monstre. La lumière du soleil caresse le toit de la KaibaCorp, il ne reste plus que nous deux, Bakura a disparu sans laisser de trace. Je tourne la tête en direction de Mokuba.

— Du moins c’est ce que je croyais, j’ajoute pour moi-même.

Kaiba fixe l’œil du Millénium, révulsé. Animée par une poussée d’adrénaline fulgurante, je me précipite auprès du corps inerte de Mokuba. Ses joues sont gelées, ses lèvres bleutées et sa respiration sommaire. Il ressemble à un pantin sans vie. Mon cœur se comprime quand, après plusieurs tentatives, je comprends qu’il ne répondra pas à mes appels.

— Maki ?

Ce connard l’a envoyé au Royaume des Ombres. Qui sait s’il sera capable de s’en sortir. L’idée que son âme erre en ce moment dans cet enfer me donne envie de vomir.

— Ce type va me le payer, maugrée Kaiba, l’artéfact fermement serré dans son poing.

Le visage de Mokuba enfoui dans mon cou, je m’apprête à surenchérir quand la porte de l’ascenseur s’ouvre sur Roland et deux gardes de sécurité.

— Monsieur ! s’exclame l’un d’entre eux avant de me repérer.

Il dégaine aussitôt son pistolet de service. Je glapis et baisse le nez dans les cheveux de jais de l’enfant, comme si le fait de me cacher suffisait à effacer la menace.

— Préparez mon jet, je pars immédiatement, ordonne le grand brun sans se soucier de l’arme pointée sur mon front.

Roland grimace derrière sa monture de lunettes noires avant de reprendre naturellement son rôle d’assistant personnel.

— Où allez-vous, Monsieur ? Désirez-vous que j’annule vos rendez-vous ?

— Je m’envole pour l’Égypte, c’est une urgence.

Mes doigts se raffermissent sur la veste jaune du gamin inanimé.

— Je t’accompagne ! proclamé-je énergiquement.

Ce qui me vaut un œil bleu et tranchant.

— Pourquoi j’accepterais que tu viennes ? Reste à ta place, Yuurei. Tu as peut-être essayé de m’aider, mais tu as encore échoué.

Le sang me monte à la tête. Éléonore a pris le risque de s’ériger face à Bakura en dépit de sa haine envers Kaiba. Elle allait gagner, elle allait se débarrasser de son plus vieil allié, pour moi. J’inspire profondément et hisse Mokuba sur mon dos pour me relever.

— Je refuse que ce type l’emporte après tout le mal qu’il lui a fait. Je connais le Royaume des Ombres, Kaiba, j’ai affronté les ténèbres de cet endroit. Mokuba a besoin de nous deux ! Ma place est à tes côtés, bordel !

Mes pieds clopinent jusqu’à lui. De ma main libre, je m’empare de l’œil du Millénium. Mon front et ma paume brûlent instantanément, réagissant avec le symbole mystique.

— Si je décline, tu vas encore tout détruire ? lâche-t-il, cynique.

L’envie d’acquiescer me prend aux tripes, je me mords la lèvre inférieure pour ne pas craquer.

— Je te collerai aux basques jusqu’à l’autre bout de la terre comme un putain de chewing-gum.

Une moue sérieuse plaquée sur le visage, je maintiens le contact visuel qu’il me lance. Lorsqu’un soupir désabusé s’enfouit de sa fine bouche, la tension encrée dans mes épaules s’envole.

— Tâche juste d’être silencieuse, je n’ai pas besoin de jouer la nounou.

Impossible de retenir un sourire victorieux, fière d’avoir enfin obtenu un oui de sa part, même à demi-mot. Le garde de la sécurité rengaine son pistolet et s’écarte au passage de Kaiba. Euphorique, je replace Mokuba sur mon dos et le talonne en direction de l’ascenseur.

Finalement, on dirait qu’on va tous se retrouver en Égypte.

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