Âme de Pureté

Chapitre 98 : L'Expiation | Chapitre 98

3848 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 28/07/2020 20:20

Les phalanges croisées, je m’efforce de garder mon calme. Les frottements du vent à contre les branches résonnent dans mon crâne. La brise fraiche du début de soirée ne suffit pas à apaiser le volcan au creux de ma poitrine. Mon attention se concentre sur la bicyclette négligemment appuyée contre un arbre. À tout moment, je peux m’y précipiter et pédaler le plus loin possible.

— Tout le monde est prêt ? demande une voix que je ne parviens pas à identifier.

Mon corps s’agite. Ma tête oscille dans tous les sens, mes épaules tremblent, mes ongles s’enfoncent dans le tissu feutré de ma robe noire, mes pieds perchés sur des talons piétinent l’herbe du terrain.

— Bien, commençons.

À l’écart, j’observe les quelques invités ayant répondu à la proposition insensée de Soso : Téa garde ses doigts entrelacés, le regard baissé ; Tristan fixe sa cible et contient un sourire benêt en dépit des circonstances ; Joey monte la garde entre deux arbres ; Yugi tapote distraitement son puzzle du Millénium. Des marques violacées cernent ses prunelles améthyste. On dirait qu’il n’a pas dormi depuis longtemps.

Autour d’une parcelle d’herbe fraiche, une vieille photo de Madame Yoshida mal rognée a été encadrée au milieu d’une série de bougies. Nous sommes à deux doigts de provoquer un incendie de forêt, mais de peur de passer pour une rabat-joie, je pince mes lèvres et compte les secondes. Telle la maîtresse de cérémonie autoproclamée, Zoé s’avance et nous toise un à un.

— Merci de nous avoir rejoints pour ce moment. Rassurez-vous, ce ne sera pas long.

Sa remarque m’est uniquement destinée, j’y réponds d’un haussement d’épaules. Un ultime coup d’œil à la bicyclette et j’abandonne définitivement l’idée d’y grimper. Quelques mots sur la personnalité de l’ancienne propriétaire du Tam-Tam sont prononcés. Pas d’éloges au risque de s’attirer les foudres des plus susceptibles. Je jauge le groupe, perplexe. Depuis quand Téa et Tristan sont-ils au courant ? Je pensais que seuls Joey, Zoé et Yugi protégeaient le secret. Ils n’ont pas cru bon de m’en informer, à moins qu’ils n’aient été mis dans la confiance que la veille, ce qui m’étonnerait vu leur résignation.

— Observons une minute de silence, je vous prie.

Le regard de la défunte semble m’épier à travers son cadre. La culpabilité ressentie à son égard sur ce terrain vague n’existe plus, envolée avec le résidu de mes émotions négatives. On ne change pas une équipe qui gagne, hein ?

A-t-on gagné ?

Peu importe, c’était rhétorique. Au terme de cette minute aussi insupportable que le reste de la cérémonie, Zoé et Yugi se chargent de récupérer les effets achetés pour l’occasion. Cette photo se retrouvera bientôt dans une benne à ordures, déchirée ou brûlée dans un dépôt d’immondices. Les bougies orneront les étagères de la brune, que j’aurais déjà oubliées lors de ma prochaine visite. Au fond, je pense que tout le monde s’attendait à ce que je me prononce sur la mort de Yoshida. Avec toute la bonne volonté dont je peux faire preuve, aucun mot intelligible ne serait sorti de ma bouche. Au contraire, je nourris toujours des ressentiments à son égard, bien que je soupçonne Éléonore de jouer avec mes émotions, une fois de plus.

— Merci d’être venu, conclut Zoé en décroisant les doigts sur son ventre.

Une brise, plus violente que les autres, balaie mes cheveux et m’aveugle. Je les récupère d’une main molle et remarque de faibles volutes fumantes s’échappant des bougies. Mes yeux se ferment doucement tandis que je relâche la pression.


C’est fini.


Sur le chemin du retour, mon blond préféré m’a gentiment invitée à prendre place à l’arrière de son vélo pour arpenter les rues de la ville. Les couvertures chaudes du ciel ont abandonné face au voile obscur de la nuit. En dépit de l’accalmie que procure cette balade, une véritable tempête dévale mes pensées.

Et maintenant ?

Mon crime en toile de fond, il me reste tant d’éléments à régler dans ma vie pour prétendre à un quotidien normal, si seulement c’est possible. Éléonore doit partir, mais comment ? Les propos de Marik tournent en boucle dans ma tête comme un froissement sonore.

Lorsque l’allure ralentit à hauteur du parc, je soupire bruyamment.

— À quoi tu penses ? s’enquiert mon gentil chauffeur.

Ses roues grimpent sur le trottoir et franchissent le portail, je resserre la pression sur le porte-bagage pour ne pas tomber.

— À tout. Dis-moi, Yugi va bien ?

Ma question le pousse à s’arrêter complètement. Nous posons tous les deux un pied sur la terre afin de garder notre équilibre. Par-dessus son épaule, Joey me lance un regard soucieux.

— Pas vraiment. Il comptait t’en parler, mais il a eu affaire à Bakura la nuit passée.

— Bakura ? je répète naïvement avant de me souvenir de mon pacte avec Hirutani. Merde, je ne lui ai toujours pas présenté mes excuses.

Il secoue la tête.

— Je ne crois plus que ce soit nécessaire, on a un plus gros souci que ça. Il a réussi à reprendre l’anneau du Millénium de Yugi.

Yugi était en possession de l’anneau ? Décidément, il s’est passé tellement de choses en mon absence. De toute évidence, Joey me doit des explications. Nous descendons de la bicyclette pour nous faire face. Il mesure une tête de plus que moi, je plisse les paupières pour déceler son visage sous le lampadaire. Il a l’air… tendu.

— Qu’est-ce qu’il y a ? je demande du bout des lèvres.

— Insector et Rex ont perdu connaissance cette nuit-là.

Perdu connaissance ? Je le zieute un instant tant ses propos sont décousus.

— Ces deux nabots ? Je croyais que Yugi avait croisé Bakura.

Par la suite, j’apprends que les deux minables ont tenté de voler les cartes de Dieux Égyptiens, mais ont fait chou blanc. À la place, ils ont subtilisé les objets du Millénium et sont tombés nez à nez avec Bakura — la partie sombre de Bakura.

— Quand tu dis qu’ils ont « perdu connaissance », tu veux dire que… ?

— On croit qu’ils ont été envoyés au Royaume des Ombres.

Sa réponse me glace le sang, c’est bien ce que je craignais. Les pouvoirs de cet esprit semblent plus dangereux que ceux d’Éléonore, qui sait ce qui est réellement arrivé à ces mecs.

— Tu m’étonnes que Yugi n’a pas dormi.

— Ouaip, et il veut se rendre en Égypte pour retrouver la mémoire du pharaon.

Je relève brusquement le menton. Un voyage ? Ce n’est pas tout à fait idiot, bien au contraire.

— Même s’il ne nous en a pas vraiment parlé, on compte l’accompagner pour le soutenir.

D’un commun accord, nous nous dirigeons vers notre banc habituel. Quelques riverains profitent des balançoires, je les observe distraitement et caresse le tissu de ma robe. C’était stupide de se vêtir de la sorte en pleine semaine.

— Tu devrais venir avec nous, déclare Joey sans me regarder.

Je frissonne de la tête aux pieds. À vrai dire, c’était prévisible. Yugi et moi partageons désormais un but commun : offrir à Atem et Éléonore un tombeau digne de ce nom. Ils ne peuvent pas vivre dans ce monde qui n’est plus le leur depuis des siècles. Sa proposition est alléchante et mérite qu’on s’y penche, et pourtant…

— C’est impossible, je rétorque, catégoriquement.

Joey se tourne subitement vers moi.

— Pourquoi ?

— Tu sais à quel point elle est imprévisible, je ne peux pas garantir votre sécurité et encore moins celle d’Atem.

C’est trop dangereux.

— Mais tu m’as sauvé la vie l’autre fois, tu es capable de te défendre !

Ma spectaculaire prestation dans cette ruelle ne relève que d’un coup de chance à mon humble avis. L’unique raison pour laquelle je suis parvenue à la contrer d’après moi, c’est que… Mon visage se met à brûler.

— J-J’aimerais éviter de prendre de tels risques, tu sais ?

Il est gênant d’avouer qu’une personne est capable de nous transcender de cette manière. Je reporte mon attention sur le mouvement des branches secouées par le vent. Il rafraichit ma peau et soulève mes mèches. Cette sensation m’électrise autant qu’elle m’apaise.

— Je te rapporterai un souvenir.

Sa façon de briser le silence pour une bêtise m’arrache un gloussement, habilement dissimulé derrière ma main.

— Une fiole de sable me suffira, dis-je suivi d’un clin d’œil.

— Je prendrai tout le désert.

— Prétentieux.

— Tu n’as même pas idée.

Euphorique, je lui assène un coup d’épaule, incapable d’effacer ce stupide sourire de mon visage. Il exprime une fausse plainte et me pousse légèrement. À cause des talons, je manque de perdre l’équilibre et me rattrape à son bras. La panique étire ses traits une seconde et disparait quand je commence à me moquer de lui.

— Essaie de ne pas détruire la ville en mon absence, grogne-t-il.

Je hausse un sourcil à sa remarque.

— Tu me demandes d’être gentille ?

— Peut-être bien, mais je ne suis pas sûr que tu m’écouteras.

Je gigote sur place.

— Il y a peu de chance.

Ses joues se creusent, soulignant sa mâchoire saillante et son nez droit. Je me surprends à le fixer plus que de raison et me détache de ma contemplation pour lorgner une femme avec une poussette.

Il va me manquer.

— C’est dingue.

— De quoi ?

Je sursaute et lui lance un regard circonspect. Est-ce que je viens de penser à voix haute ? Cela en a tout l’air.

— R-Rien, je songeais à un truc.

— Cela m’intéresse, Cocotte.

Au cours des derniers jours, j’ai eu largement le temps de réfléchir à cette perte de mémoire, à ce que mon comportement envers les uns et les autres signifiaient.

— Quand j’ai tout oublié, Zoé m’a guidée, elle représentait un phare dans la nuit. Elle vous a tenu tête et elle n’a jamais lâché. J’ai tellement de chance de l’avoir à mes côtés.

Au fil de mes mots, ma voix devient plaintive. Elle ne mérite pas qu’une fille comme moi lui gâche l’existence.

— Vous me faites penser à Yugi.

Il me raconte une nouvelle fois ce jour où Yugi l’a défendu face à Ushio malgré ses moqueries. Le jeune adolescent n’a pas hésité à se mettre en danger quand Joey est retourné aux côtés d’Hirutani. Tout comme Zoé me tendait la main alors que je venais de l’étrangler.

— Ils sont fous, ces deux-là, je geins en tapant du talon contre la structure métallique.

— N’oublie pas que tu es partie en Californie pour sauver son âme.

Je penche légèrement la tête dans sa direction. Il a l’art de me rappeler toutes mes conneries.

— C’est pour ça que je dois soutenir Yugi jusqu’en Égypte.

J’acquiesce vivement. Si Zoé avait besoin de moi, je n’hésiterais pas une seconde à la suivre à l’autre bout de la terre. Du coin de l’œil, je décèle une pointe d’embarras du côté de Joey. Il ne tient pas en place, et se rassoit sur le dossier du banc avant de se lancer :

— Au fait…

— Oui ?

— Si Zoé est un phare pour toi, qu’est-ce que… moi, je suis ?

Un rire s’échappe de ma bouche. La femme et sa poussette ont disparu du parc, il ne reste presque que nous et deux gosses qui jouent un peu plus loin. Se dévoiler est quelque chose de dangereux, alors exprimer le fond de ma pensée est bien plus effrayant que ce que j’imaginais.

— O-Oublie, c’est idiot.

Il se détourne énergiquement et se relève, prêt à chevaucher son vélo, quand je décide de ne pas bouger.

— Quand je t’ai oublié, je me demandais tout le temps « Pourquoi ils cherchent tant à me foutre avec Joey ? Ce mec est un imbécile, certes drôle, il amuse la galerie, mais il ne me correspond pas. »

À un mètre devant, il me toise, circonspect et vexé.

— Sympa.

— Pas vrai ? Je ne comprenais pas pourquoi tu insistais pour m’accompagner ni pourquoi tu as écrit ce stupide vœu à Tokyo.

Celui qui a failli creuser sa tombe.

— À ce sujet, je voulais juste-

Je ne le laisse pas m’interrompre et poursuis, à peu près sur un ton similaire :

— Puis quand Éléonore a tenté de te tuer, j’ai percuté. Elle te déteste pour les mêmes raisons qu’elle exècre Zoé : elle n’a aucune emprise sur vous.

À la fin de ma phrase, j’inspire profondément. Il m’a fallu si longtemps pour m’en rendre compte que je me sens incroyablement stupide.

— Éléonore tolérait Zoé tant qu’elle protégeait ses intérêts. Mais toi… Elle te hait parce que je suis incapable de t’effacer de ma tête.

Lorsque je relève mon aveu, je m’empresse de rectifier :

— Du moins, pas entièrement.

Sur la jetée le soir de ma défaite, au retour de notre voyage à quatre, les cartes que j’ai insérées dans mon deck pour affronter Yugi. Aussi puissants que puissent être les pouvoirs d’Éléonore, elle n’est jamais parvenue à l’extirper ma mémoire. Un silence s’installe, je ferme mes yeux avant de balancer mes conclusions, embarrassantes.

— Si Zoé est mon phare dans la nuit, alors toi… Tu serais le navire qui m’emporte au loin du rivage.

Quand je rouvre les paupières, appréhendant sa réaction, je tombe sur son air hébété.

— Quoi ? je demande, une pointe d’anxiété dans la voix.

Joey plonge une main à l’arrière de son épaisse chevelure.

— J’ai pas compris.

Instinctivement, je plaque une paume contre mon front et enfouis mon nez dans mes genoux, morte de honte. Ce mec est vraiment con.

— E-Explique-moi ! insiste-t-il à plusieurs reprises alors que je prie pour disparaitre.

Une masse s’abat sur le sommet de mes cheveux et les ébouriffe. Je me sens à la fois vidée et pleine d’énergie. Doucement, je redresse le menton et constate la faible distance entre nos deux visages. Je décèle presque mon reflet à travers ses pupilles tirant sur l’or.

Et moi, qu’est-ce que je suis ?

— De tous mes duels remportés, tu es mon plus beau coup de chance.

Mon cœur se soulève dans ma poitrine, je retiens ma respiration et déglutis. Nos souffles se mêlent, il ne faut pas longtemps avant que nos lèvres se scellent dans une caresse étourdissante. Je doute que les mots “Je t’aime” soient significatifs dans un moment comme celui-ci. Il suffit qu’il me regarde avec la même intensité que maintenant pour me sentir aimée.


Penchée sur la table basse du salon, je balaie distraitement les inscriptions de mon manuel de français. Une semaine s’est écoulée depuis la cérémonie en mémoire de Madame Yoshida. Zoé et moi n’en avons plus reparlé, c’est devenu, à l’instar de bien d’autres choses, un secret tacite entre nous deux. Les amis de Joey n’y ont pas fait d’allusions non plus. C’est un peu comme si chapitre s’était achevé et que nous avons tous plus ou moins oubliés les horreurs dont nous avons été témoin.

L’écran de mon téléphone s’allume sous mes doigts. À l’heure qu’il est, ils ont déjà décollé en direction du Caire. J’échappe un soupir en tournant la page, une autre que je ne lirai pas.

— Essaie au moins de faire semblant, souffle ma mère assise à l’opposé de la table, les yeux rivés sur les infos télévisées.

Une grimace lui signifie mon état de concentration. Comme par magie, ses horaires se sont assouplis, ses tâches devenues plus simples et les repas le soir plus nombreux. Je me doute que l’intervention de Maximilien Pegasus y est pour beaucoup, mais une partie de moi est reconnaissante envers Kaiba.

— C’est chiant, je me plains, le menton plongé dans ma main accoudée à la table.

— Lorène, ton langage. Qu’est-ce que tu vas faire après le lycée si tu n’arrives même pas à lire un syllabus de français ?

Je hausse les épaules. Tout comme le destin d’Éléonore, je n’y ai pas réellement songé. Instinctivement, je reviens aux premiers chapitres de la matière, où les pattes de mouches en romaji de Joey s’effacent au fil du temps. Qui sait, peut-être pourrais-je devenir une duelliste professionnelle, moi aussi ?

Soudain, une vibration trouble le débit de paroles de la journaliste à la télévision. Le cou tendu, je m’aperçois qu’il s’agit d’un appel. Le nom inscrit à l’écran me provoque un frisson.

Seto Kaiba.

Il est rare que ce type me contacte directement, sauf pour m’annoncer de mauvaises nouvelles. Et pour quelqu’un qui cherche à me descendre, cela n’augure rien de bon. Dès que je pose ma main sur l’appareil, ma mère me lance un regard désapprobateur.

— Désolée, je dois décrocher, je marmonne avant d’accepter la communication. Allô ?

— Il est avec toi ?

Son débit est si rapide que je ne reconnais pas immédiatement la voix du PDG.

— Qui ça ?

— Mokuba ! Où est-ce que tu l’as emmené ?!

Son petit frère ? Je ne l’ai pas côtoyé depuis notre entrevue il y a presque deux semaines. Kaiba panique, jamais je ne l’ai entendu dans un tel état.

— Calme-toi, je ne l’ai pas vu depuis longtemps, il n’est pas avec moi !

Je m’exprime trop bruyamment au goût de ma mère qui me fixe intensément. En fond, je perçois sa tension ainsi que des menaces proférées aux personnes sur son passage.

— Dans ce cas, comment expliques-tu qu’il a disparu ?!

L’affolement a pris le pas sur sa colère, il n’a pas l’air enclin à me casser la gueule. Pour peu, j’ai l’impression qu’il me croit. Si Mokuba est introuvable, c’est que quelqu’un cherche à nuire à Kaiba. Et si ce n’est pas moi, alors Maki court un grave danger.

— Réponds-moi, Yuurei !

Son ordre me fait bondir, j’abandonne mon manuel et me redresse sur mes deux jambes.

— Arrête de crier, ça n’arrangera rien ! Tu es à la KaibaCorp ? Attends-moi, j’arrive.

Il n’a pas le temps de protester ou de m’interroger une nouvelle fois sur l’absence de son frère que je lui raccroche au nez. Il n’y a pas une seconde à perdre.

— Où est-ce que tu vas ? s’enquiert ma mère.

Son ton m’intime d’oublier toute initiative, mais je ne peux pas abandonner Kaiba et encore moins Mokuba dans une telle situation. Qui sait ce qu’il a pu lui arriver.

— Un de mes amis a disparu, je dois aller l’aider.

Mes jambes se transforment en tonnes de plomb. Évidemment, Éléonore s’oppose à ce que je prête main-forte à Kaiba. Après tout ce qu’il nous a fait, c’est légitime, mais je refuse de me laisser emporter par de la stupide rancœur.

Reste-là, écoute-moi.

Il y a bien longtemps que je ne t’écoute plus, Éléonore.

— Si ton ami a disparu, il vaut mieux que tu appelles la police. Ils seront plus à même de le retrouver.

Ma foi envers les autorités s’est fissurée le jour où le père de Kageyama voulait me mettre sur le dos l’incendie du lycée. Il se joue ici bien plus qu’un simple enlèvement.

— Tu ne bougeras pas de ce salon.

Mes lèvres se meuvent sans que j’y puisse quoi que ce soit.

— Lâche-moi, je rétorque.

— Écoute-moi.

— Lorène ?

L’inquiétude de ma mère ne suffit pas à nous faire taire. La tension agrippe mes muscles et pulse mes veines. La colère gronde au creux de mon ventre et agite les battements de mon cœur. J’envoie valser les crampes qui me déchirent les jambes.

— Kaiba et Mokuba ont besoin de moi.

— Moi, j’ai besoin de toi.

Une chaleur irrespirable me vrille les neurones, j’inspire profondément, mais rien n’y fait.

— Ta place est ici, alors assieds-toi. Ce type n’a que ce qu’il mérite.

— Assez ! je proteste en serrant mes mains en poings.

L’écran de la télévision se fissure, dispersant des éclats de verre sur le sol. La lampe au plafond grésille puis explose, provoquant des ondes électriques.

— Lorène ! hurle ma mère, abasourdie.

Une expression horrifiée déforme son visage, ses yeux écarquillés et sa mâchoire tombante traduisent l’effroi qui la traverse quand elle me regarde. Dans la panique, elle s’est levée du canapé, une main tendue dans ma direction. Je brasse de l’air avec mes doigts, constatant que mon corps m’appartient de nouveau. Muette, je suis incapable de prononcer quoi ce que soit de cohérent pour justifier ce qu’il vient de se produire. Mon esprit est obnubilé par Kaiba et Mokuba qui ont besoin de moi à l’heure qu’il est.

— D-Désolée, j’articule simplement avant d’accourir vers l’entrée.

 

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