Âme de Pureté

Chapitre 100 : L'Expiation | Chapitre 100

4829 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 12/08/2020 18:55

— Comment un adolescent de seize ans en vient-il à apprendre à conduire un jet ?

Le silence requis par Kaiba n’aura pas duré. Sanglée sur le siège passager, la capsule me provoque des sursauts d’hypocondrie.

— C’est légal ? poursuis-je, malgré les nombreux vents accusés jusqu’ici.

De l’extérieur, je ressemble à ces satanés gosses qui geignent en boucle pour connaitre la longueur du trajet et s’en plaindre. Mes lèvres brûlent d’envie de lui poser une énième question pendant que Kaiba effectue les derniers réglages de l’appareil.

— Ce truc a été agréé par le gouvernement japonais ? Ils ne doivent pas voir d’avion en forme de Dragon Blanc tous les jours.

— Est-ce que tu vas te décider à te taire ou je dois demander à Roland de te bâillonner pour ne plus t’entendre ?

Son tin cinglant calme subitement mes ardeurs.

— Ça va… pas besoin d’être désagréable.

Le siège commence à trembler, je me plaque contre le dossier et lui offre le silence tant espéré. J’emplis mes poumons d’air et fixe le ciel le temps du décollage. Mes ongles s’enfoncent dans le cuir taupe et essaie de me projeter dans un paysage paisible. Le décor d’un palais rempli d’hommes torses nus s’imprime sous ma rétine.

Éléonore…

Pense qu’à toi.

Au fur et à mesure que l’avion gagne en altitude, la pression dans mes tympans devient insupportable. Des gouttes de sueur se forment à la racine de mes cheveux. Mes mains encadrent mon visage, brûlant. Lorsque le jet se stabilise au-dessus des nuages, j’ouvre la bouche, mais aucun mot ne s’articule. Tout à coup, ma vision s’assombrit, des points noirs parsèment le ciel, je plonge dans un brouillard, incapable de me raccrocher à quoi que ce soit.

 

— Wow, je lâche quand mes paupières se lèvent sur un couloir obscur et exigu.

Un voile de poussière s’invite dans mes narines et se colle à mes cils. Le brusque changement de luminosité dérange ma rétine. Mes épaules frôlent les parois en granite qui semblent m’engloutir. Je m’empresse d’avancer vers la faible lueur un peu plus loin. Il s’agit d’un passage menant à la bibliothèque de mes souvenirs. De prime abord, elle n’a pas bougé depuis ma dernière visite, si ce n’est la présence d’une intruse à la longue chevelure blonde. Assise en tailleur au pied d’une étagère, dévoilant ses jambes hâlées et menues, elle effleure du bout des doigts la page d’un livre à la couverture rouge. Alors que je m’approche, elle ne bronche pas et continue de lire comme si je n’étais pas là.

— Hé…

Éléonore éclate de rire avant de me lorgner du coin de ses prunelles turquoise.

— Tu te souviens du jour où tu as frappé ce pauvre mec qui avait insulté ta mère ?

Je croise les bras et fais la moue.

— Lequel ?

— Peu importe, répond-elle suivi d’un clin d’œil appuyé.

Le claquement du livre qu’elle referme trouble la sérénité de l’endroit. Pour être honnête, cette histoire est limpide dans ma tête. Ce jour-là, je m’étais jetée au cou de ce gamin avec la ferme intention de lui arracher les orbites. Il s’en est tiré avec un nez cassé et moi, avec une simple punition. C’était une semaine avant que mes parents se séparent. L’amusement sur son visage, me rappelle brusquement le duel livré une heure plus tôt.

— Joli duel.

Elle semble accueillir mon compliment avec joie.

— Depuis quand es-tu devenue une aussi bonne duelliste ?

— Cela fait des mois que tu m’emmerdes avec tes duels, il faut croire que j’ai fini par y prendre goût.

Son haussement d’épaules confirme mes doutes.

— J’ai du mal à te croire. Même pour ta vie, jamais tu n’aurais pris le risque de perdre face à Bakura si tu ne savais pas jouer. Ta manière d’utiliser mes cartes n’était pas celle d’une débutante.

Un gloussement gênant s’échappe de sa bouche.

— Que vas-tu t’imaginer ? Comme si j’avais une vie en dehors de ton corps. À moins que tu sois devenue aveugle, ma chérie.

Sa remarque cinglante m’arrache un grognement. J’ai envie de la questionner davantage, mais je sens qu’elle ne me répondra pas.

— Pourquoi m’as-tu amenée ici ? demandé-je, ignorant son invitation à prendre place à côté d’elle.

Je saisis l’ouvrage qu’elle me tend et le range immédiatement dans l’espace libre de la bibliothèque.

— Tu te trompes, ce n’est pas moi qui t’ai appelée. Dis-toi juste que ton âme avait besoin qu’on lui rafraichisse la mémoire.

Mon attention se détourne de son visage fin pour une série de bouquins incomplète. Je m’approche du meuble et retire le dernier livre à la couverture rouge, puis dévoile des rayures noires sur toute la reliure. À y regarder de plus près, c’est aussi le cas des précédents, bien que les parties sombres soient moins prononcées que celui que je détiens entre mes mains. Quand je me suis rendue au Royaume des Ombres, Éléonore a pris ma place, je me doute que ses réflexions se sont répercutées dans ces cahiers.

— L’histoire est bien plus intéressante depuis quelques tomes, chantonne Éléonore pendant que je parcours négligemment les paragraphes de mon altercation avec Hirutani. Tu devrais sauter au chapitre où je me débarrasse d’Isis, c’était parfait.

Son ton léger me répugne, mais je n’en montre rien, trop occupée à recouvrir des lignes de pensées concernant mon duel face à Yugi. Au bout d’une vingtaine de pages, je finis par tomber sur le soir où j’ai consciemment effacé ma mémoire. Je me laisse glisser sur le sol crasseux, captivée par mes propres réflexions.

« Zoé, je dois le faire.

— Arrête, c’est de la folie ! Comment vas-tu expliquer aux autres que tu as tout oublié ?

— On n’a pas besoin de leur dire, j’ai sauvegardé des notes dans mon téléphone portable. Ce n’est qu’une question de quelques jours avant que je ne me souvienne de tout.

Le silence suivant ma folle requête m’inquiète quant à la réaction de mon amie. Je lui en demande énormément, j’en suis consciente, mais il n’y a pas d’autres moyens pour m’en sortir.

— … Qu’est-ce que tu attends de moi ? a-t-elle fini par lâcher.

Par la suite, je lui indique les différents points que je souhaite temporairement oublier. Après réflexions, je ne parle que du Royaume des Ombres et du meurtre de Madame Yoshida.

— Et Joey ? ajoute Zoé, soucieuse. Il est au courant de tout, tu ne crois pas que tu devrais le prévenir ? Il en a assez bavé comme ça, tu ne crois pas ?

L’entendre prononcer son prénom me serre le cœur. Elle a raison, Joey risque de se poser des questions, mais après tout ce que je lui ai infligé, comprendrait-il ma décision ? Il est une heure et demie du matin et je suis incapable de deviner ce qui pourrait lui passer par la tête.

— Je… vais lui écrire un message, que tu lui transmettras à mon signal, d’accord ? Pour le moment, il n’a pas besoin de savoir, je lui ai assez fait de mal comme ça.

Elle ne rétorque rien. Au bout d’une vingtaine de minutes, notre plan était ficelé, je me retrouve penchée au-dessus de mon téléphone portable à composer un texte en langue étrangère.

— Me crains-tu ? balance l’ombre d’Éléonore par-dessus mon épaule. Ce n’est pas parce que je ne comprends pas ce dialecte que ton âme n’explique pas ce que tu lui écris.

J’avale difficilement ma salive et me recentre sur mes lignes. Mes excuses me paraissent fades, mais mon niveau de fatigue avancée ne me permet pas d’élaborer un chef-d’œuvre littéraire. Je me dépêche de transmettre le message à Zoé.

Joey,

Je n’ai aucune idée de l’ampleur qu’aura prise ma vie au moment où tu découvriras ceci, mais je suis persuadée que tu me liras. J’ai volontairement effacé mes souvenirs, tu le sais probablement déjà. Depuis mon voyage au Royaume des Ombres, j’ai l’impression d’avoir totalement perdu le contrôle. Tu as tes raisons de m’en vouloir. Néanmoins, laisse-moi m’expliquer :

Le soir où j’étais sur le point d’utiliser les pouvoirs d’Éléonore contre ton père, j’ai cru que tu étais sur ce brancard. Il répétait des horreurs pour me faire gober ta mort et, comme l’imbécile que je suis, je l’ai imaginé. Cela m’a rendu hors de moi et j’aurais commis l’irréparable une fois de plus si tu n’étais pas intervenu.

Au Royaume des Ombres, je me suis aperçue avec Yoshida, dans la même posture, j’allais la tuer quand les ténèbres se sont emparées de moi pour remplacer son visage par le tien. Tu es mort sous mes yeux, sous mes coups.

C’est la chose la plus horrible que j’ai vue dans ma vie.

J’ai compris que ma perception de mes actions était biaisée, mes sentiments ne sont pas réels, ils sont altérés au bon vouloir d’Éléonore. À l’heure actuelle, je ne ressens pas la moindre culpabilité ni pour Yoshida, ni pour ton père et encore moins pour les autres victimes collatérales.

Je suis un monstre, et personne n’aime les monstres.

Toutefois,

Je dois réparer tout ça, d’une manière ou d’une autre. Connaissant Éléonore, je ne peux pas assurer que tous mes souvenirs ne soient pas supprimés. Si jamais tu remarques que je te regarde différemment, ce n’est pas mon souhait. Je sais à quel point les revirements de Mai t’ont blessé du mal par le passé, même si tu n’en parles jamais ouvertement. Alors, en dépit de nos disputes, je n’ai pas envie de t’oublier. Au contraire, tu es le vent qui me dirige dans les flots. (Essaie de traduire ça comme tu peux Zoé).

Le plus stupide dans tout ça ? C’est que même si je suis sur le point de perdre une partie de ce que je suis aujourd’hui, la seule chose dont je suis certaine, c’est que je peux compter sur toi. Parce que c’est ce que tu as toujours fait.

Merci Joey.

Ta Cocotte. »

Mes yeux se détournent des lignes, qu’est-ce que je peux être embarrassante parfois !

 Je suis d’accord, confirme Éléonore, taquinant un autre livre rouge.

— Tu peux entendre mes pensées, même ici ?

— Il suffit de voir ta tête pour savoir que tu te trouves dérangeante quand il s’agit de Joey.

Je lui tire la langue en guise de réponse et poursuis ma lecture. Une fois tout en ordre, j’ai demandé à Éléonore d’effacer mes souvenirs. L’écriture devient incertaine au fil des phrases, je ne décris plus ce qu’il s’est produit cette nuit-là, je n’aborde pas la conception de mon deck. J’en sais assez pour fermer le bouquin et le ranger à sa place. Mon attention se reporte sur la jeune femme à la peau bronzée. Confinées dans cet espace clos que représente notre esprit, c’est le moment parfait pour la confronter.

— Pourquoi as-tu retiré mes souvenirs de Joey ? lui demandé-je d’un ton neutre pour ne pas la brusquer. D’après mes écrits, c’était la seule part inconvenante que j’avais choisi de sauvegarder.

Ses orbes turquoise me croisent en une fraction de seconde puis redescendent sur ses mains. L’espace d’un instant, j’ai cru percevoir une once de regret sur son visage, rapidement remplacée par un sourire satisfait.

— Il ne te mérite pas et je voulais te le prouver.

Je hausse un sourcil face à son explication, un peu fade à mon goût.

— Sauf qu’il a fait ce que je lui ai dit dans ma lettre. Qu’il soit fait pour moi ou pas, il m’a défendue devant Kaiba et face aux autres en dépit de ce que j’ai commis. Ce n’est pas à toi de décider qui j’ai le droit d’avoir dans ma vie, Éléonore !

Ses épaules se raidissent, Éléonore se mord la lèvre inférieure, sans pour autant m’accorder un regard.

— Quand vas-tu comprendre que tu n’avais pas le choix ? entonne-t-elle, un soupçon de colère dans la voix. C’était elle ou nous, tu nous as sauvées ! La seule raison pour laquelle tu te retournes contre moi, c’est parce qu’ils te le demandent, parce qu’ils ne saisissent pas non plus le danger que nous avons surmonté, ensemble. Ils ne peuvent pas comprendre ce lien extraordinaire qui nous unit, Lorène !

Aussi répugnants que puissent être ses propos, ils tournent dans ma tête. Je me surprends à les trouver cohérents, bien que la vie d’un humain ne vaille pas l’arrestation d’un autre accompagné d’un esprit maléfique. Mon visage doit refléter ma réflexion, car elle se lève et présente ses mains devant moi.

— Parce que tu crois qu’ils se seraient contentés de t’enfermer derrière des barreaux ? Tu penses un peu aux gens qui t’entourent ? À ta mère qui aurait dû vivre avec ça ? Ta vie vaut bien plus que celle de Yoshida.

Bien que flattée, je ne peux pas lui accorder cette remarque.

— Pourquoi as-tu essayé de tuer Zoé dans ce cas ? j’enchaine pour ne pas lui laisser le temps de respirer.

Ses yeux s’écarquillent puis retrouvent leur excentricité initiale. Éléonore démontre une formidable maîtrise d’elle-même, mais elle est incapable de dissimuler ses changements d’humeur.

— Tu comptes aussi me demander pourquoi tes parents sont morts ? Penses-tu réellement que je suis responsable des fardeaux de l’humanité tout entière ?

Je croise les bras sous ma poitrine et maintiens le regard.

— Tu te perds, là. Zoé ne nous avait rien fait, au contraire. Tout comme Joey, elle cherche à me protéger et tu as tenté de t’en débarrasser.

Les doigts pressés contre le livre, Éléonore réprime un grognement. D’un signe du menton, je l’invite à me fournir ses justifications, aussi abjectes soient-elles. Si je ne veux pas que de telles horreurs se reproduisent, je dois en connaitre les raisons.

— Alors ?

— Ils n’ont pas rien fait.

Elle insiste sur le « rien ».

Néanmoins, j’ai beau fouiller les tréfonds de ma mémoire, je ne trouve pas le moindre moment où Zoé et Joey ont agi à mon encontre.

— Qu’ont-ils fait ? je souligne.

Je scrute ses prunelles, dans l’espoir d’y lire la réponse. Éléonore ancre ses pieds nus dans le sol et secoue la tête, arborant encore et toujours le même sourire figé.

— Tu es vraiment aveugle.

— Et toi complètement malade, je rétorque sèchement.

Un rictus se dessine sur ses lèvres. Elle masque un sursaut et se braque, ses traits s’assombrissent, elle presse le bouquin contre sa hanche.

— Qu’ont-ils fait ?

J’ose espérer que cette chambre de l’âme me protégera d’une quelconque tentative de meurtre.

— Tu penses que je vais te tuer ?! s’écrie-t-elle si brusquement que je recule d’un pas. Pourquoi crois-tu que je me sois liguée face à Bakura, hein ?!

Sa coquille se fissure, tout comme son visage à un mètre de moi. Je ne bouge pas, le cœur martelant durement ma cage thoracique. Ses protestations résonnent dans la pièce, à moins que ce ne soit l’écho dans mon esprit qui les répercute inlassablement.

— Depuis que tu es arrivée dans cet endroit, tout ce qui t’intéresse, c’est ce que tu as oublié des autres. Jamais tu ne t’es demandé si j’avais suivi ton voyage au Royaume des Ombres ? Jamais tu n’as voulu savoir ce que moi j’avais ressenti en ton absence ?

— Tu as essayé de te débarrasser de Marik, Odion et Ishi —

— C’est à cause d’elle si je suis ici ! s’égosille-t-elle pour éviter ma question. Tu as besoin d’éprouver le mal qu’ils m’ont fait subir, encore une fois ?! Quand est-ce que tu vas comprendre que je te protège de ceux qui cherchent à nous séparer ?

Son timbre se brise au terme de ses accusations. Pour la première fois, je décèle des larmes au coin de ses yeux et sens ma poitrine s’affaisser à cette vue. Bakura n’a cessé de lui rentrer dans le crâne que je me débarrasserai d’elle tôt ou tard. Il savait que c’était sa pire crainte. À cette distance, je perçois la tension qui anime le corps d’Éléonore. Elle me supplie, mais de quoi exactement ? Qu’attend-elle de ma part ? Que je lui promette que nous ne serons jamais séparées ? Qu’il n’y a qu’elle qui compte dans ma vie ? Elle baisse le nez vers le sol. Merde, j’avais oublié qu’elle détectait mes pensées. Je peine à articuler une réponse quand une autre voix, masculine, s’élève dans mes oreilles :

— Si tu crèves, je te prie de ne pas le faire dans ma propriété.

Le décor se désagrège brusquement, comme si j’étais emportée en arrière dans un train à grande vitesse. Éléonore et la bibliothèque disparaissent de mon champ de vision, remplacé par le visage fermé de Seto Kaiba. Les membres engourdis, je bats des cils, totalement perdue.

— O-Où sommes-nous ?

Une chaleur moite me colle à la peau, j’ai des difficultés à respirer l’air chaud qui s’engouffre dans mes poumons.

— Ne me rejoue pas l’amnésique, ce genre de conneries ne fonctionnent qu’avec Wheeler.

Si un jour je suis à l’article de la mort et que je dois contacter quelqu’un pour me sauver, Kaiba sera le dernier être vivant sur cette Terre que je choisirais pour me secourir. Mes omoplates se décollent progressivement du dossier en cuir taupe. Je jette un œil par-dessus les ailes du dragon blanc : du sable, du sable et encore du sable.

— On est en Égypte ? Combien de temps ai-je dormi ?

— Je n’en sais rien, mais je regrette déjà ce moment où je ne t’entendais pas.

Les remarques de Sa Majesté commencent sérieusement à me chauffer. Les muscles désormais détendus, je me hisse sur mes bras et rejoins la terre ferme. Derrière nous s’étend un désert à perte de vue, devant, une demeure entourée de palmiers. Le comité d’accueil est prêt à nous recevoir. Si Odion et Marik semblent surpris de me voir en compagnie du PDG de la KaibaCorp, Ishizu ne laisse rien transparaître et nous abreuve de ses saintes paroles habituelles.

— Seto, je savais que tu viendrais.

Le traitement semi-chaleureux ne paraît pas le convaincre. Discrètement, je marche en retrait pour faire profil bas.

— Voilà donc les trois rigolos qui ont transformé mon tournoi de Bataille-Ville en champ de foire.

Une partie de moi est rassurée de constater que je ne suis pas le seul être humain qu’il déteste.

— Maintenant, ôtez-vous de mon chemin, je vous prie. J’ai du travail à faire.

Embarrassée, j’adresse un regard désolé vers Marik et Odion. Ishizu, elle, ne compte visiblement pas se laisser marcher sur les pieds.

— Tu perds ton temps, rétorque-t-elle d’un ton cinglant. Je crains que ce que tu es venu chercher ne soit plus ici.

— Comment cela se fait-il ?

— Le bas-relief du pharaon a retrouvé son lieu de repos éternel. C’est bien ce que tu désires, non ?

Instinctivement, ma main se porte à la poche de ma veste, contenant l’œil du Millénium.

— Le bas-relief ? Pas tout à fait.

— Dans ce cas, qu’est-ce que tu viens faire en Égypte, Kaiba ? D’autant avec Lorène et cet esprit maléfique.

Invisible jusqu’ici, je reprends des couleurs quand le grand brun s’écarte pour me toiser. Naturellement, j’extirpe l’artéfact et l’expose aux autres.

— Voilà ce qui m’amène. Ce voyou de Bakura m’a donné cet objet avant de me laisser au beau milieu d’un duel. Je suis venu finir ce que j’ai commencé.

Le pauvre, j’en ai la larme à l’œil.

— Quant à elle, ajoute-t-il en me désignant ouvertement. Je ne la tolère que parce qu’elle risque d’exploser ma société en mon absence.

Merci, Kaiba, notre amitié achève de monter d’un cran. Une main sur le cœur, je lui témoigne le peu de respect qu’il me reste.

— Très bien, continue Ishizu, n’osant pas un seul regard dans ma direction. Je te propose un marché Kaiba. Je t’aide à trouver Bakura et tu nous aides à sauver le pharaon.

Il ne faut pas plus de dix secondes à Kaiba pour accepter. Je doute cependant sur ses intentions quant à sa partie du contrat. « Sauver le pharaon » en quoi cela peut bien consister ? Arrêter Bakura pour l’empêcher d’accomplir sa destinée ? En quoi Kaiba a-t-il le pouvoir d’une telle chose ? Quoi qu’il en soit, je me contente de suivre le brun comme son ombre quand Ishizu nous invite à monter à bord d’un monospace noir piloté par Odion. Et tandis que mes deux meilleurs ennemis se toisent sur la dernière rangée de sièges, je passe une tête entre le conducteur et Marik pour admirer la vue.

— Les pyramides sont encore plus impressionnantes en vrai ! je « m’exclame » en me tordant le cou pour apercevoir le sommet des merveilles.

— C’est ta première fois en Égypte ? s’enquiert le benjamin des Ishtar.

Je m’empresse d’acquiescer. En y réfléchissant, Yugi et les autres ont certainement foulé le même territoire il y a quelques heures. Bien que Kaiba se montre plus que détestable avec moi - ce qui ne change pas d’habitude -, je crois que je devrais lui prêter main-forte pour retrouver Bakura.

« Pourquoi crois-tu que je me sois liguée face à Bakura, hein ?! »

Sa question trouve tout son sens d’après les vagues explications de Zoé sur mes actes durant mon absence. Éléonore avait pour plan de récupérer l’œil du Millénium et utiliser les pouvoirs de Bakura pour me secourir. Malheureusement pour elle, les événements ont pris une tout autre tournure.

— Vous devriez revenir, dit Marik, me tirant de mes pensées. Je veux dire, tous ensemble une fois que le pharaon aura accompli son destin.

J’oscille nerveusement de la tête. Avant de m’envoler dans cet avion ô combien original, j’ai osé un appel à ma mère pour la prévenir de mon absence indéterminée. Elle n’a pas répondu, je me suis résolue à enregistrer un message vocal.

— Je doute encore être au Japon dans les prochaines semaines, j’avoue d’un timbre plus bas.

Au fond de moi, je présentais depuis le début que cette histoire ne pouvait que mal se finir. Néanmoins, mon cœur entier me criait de partir au secours de Kaiba et je peux sentir toute la détermination de mon être me pousser à faire de même pour Atem. Après tout, c’est aussi ça, l’amitié, pas vrai ? Sauter dans l’inconnu pour tendre la main à quelqu’un qui nous est cher sans se soucier des conséquences.

Le véhicule ralentit à l’approche d’une sorte de capsule géante encastrée dans la pierre. J’ai du mal à croire qu’il s’agit d’un tombeau. Pourtant, Ishizu est la première à nous indiquer de descendre à l’intérieur du monument. Si j’éprouve une légère appréhension au moment de dévaler l’escalier, Kaiba, lui, ne démontre aucune crainte. Les marches sont assez larges pour nous accueillir toutes les deux, je tâche de maintenir une distance raisonnable avec le brun.

— Il y a intérêt qu’on ne soit pas venu ici pour rien, maugrée-t-il une dizaine de mètres sous le sol.

— Je doute qu’Ishizu soit le genre à entrainer des visiteurs dans des tombeaux par hasard.

Soudain, il s’arrête au beau milieu du chemin et je manque de le heurter.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— C’est… !

Intriguée par ce brusque silence, je m’enfonce un peu plus pour constater la présence de Bakura, étendu et inconscient.

— Dommage, il n’a pas l’air en état de livrer un duel, dit Kaiba avant de reprendre la marche.

Mon cœur se serre l’espace d’une seconde. Au vu de ses geignements, il n’est pas mort, c’est déjà ça. Les grognements de mon nouvel acolyte m’intiment de ne pas m’attarder dans les escaliers.

— Bon sang, mais qu’est-ce qu’ils ont ?

Nous parvenons enfin au bout du chemin. Je me fige à la vue des quatre silhouettes familières couchées par terre, dans le même état que Bakura.

— C’est étrange, on dirait qu’ils sont simplement endormis.

Ses constatations sont justes, mais ô combien inquiétantes ! La poitrine comprimée par un poids invisible, je m’avance et m’agenouille aux côtés de Joey. Les images fragmentées du corps de Yoshida dans ce garde-meubles resurgissent dans ma tête. Je les chasse tant bien que mal et écarte délicatement une mèche blonde.

— Va faire ça ailleurs, j’ai envie de vomir.

Mes doigts se raidissent lorsque je souligne sa mâchoire.

— Désolée que mon amour te dégoûte, tu ne dois pas savoir ce que ça fait !

De sa hauteur de géant, il me toise comme un vulgaire déchet abandonné sur le trottoir.

— J’en ai assez vu pendant mon tournoi, les caméras de surveillance étaient suffisantes, je n’ai pas besoin d’assister à tes actes pervers.

Quand je percute enfin son sous-entendu, mon visage se transforme en lave en fusion. Des caméras ? Dans toutes les chambres de son dirigeable ? Ne me dites pas qu’il m’a espionnée en train de… Si on pouvait mourir de honte, je serais déjà six pieds sous terre à l’heure qu’il est.

— Ce bas-relief, reprend Kaiba en désignant la stèle dorée encastrée dans le mur. C’est du musée.

Intérieurement, je le remercie de ne pas s’attarder sur le sujet. En effet, il ressemble énormément à la plaque exposée par les gardiens Ishtar à Domino City. Comme si nos réflexions l’avaient réveillé, l’œil du Millénium dans ma poche se met à scintiller de mille feux. Je l’extirpe et m’approche de la pierre taillée.

— L’œil, il réagit !

D’un instant à l’autre, une lumière éclatante émane de la stèle. Je ne parviens plus à bouger, Kaiba non plus. L’artéfact au creux de ma main me brûle la paume, je laisse échapper une faible exclamation lorsque le halo finit par nous engloutir entièrement. Un cri perce mes oreilles puis s’efface dans le néant.

Éléonore ?


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