Âme de Pureté

Chapitre 91 : L'Expiation | Chapitre 91

3492 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/06/2020 21:18

— Voilà notre vice-championne nationale !

L'accueil de Duke Devlin a pour effet d'égayer ma soirée. Après mon altercation avec Kaiba et Zoé, j'accepte avec joie ce titre et l'en remercie d'un large sourire. Quand je lui demande où sont les autres, Duke m'indique la table autour de laquelle le groupe a ouvert les hostilités. Un poil fatiguée par la longue journée que je viens de vivre, je glisse une main dans ma tignasse et m'oriente vers mes amis duellistes.

— Oh, Lore-chan ! s'exclame Yugi, un large sourire aux lèvres.

Tout le monde se tourne vers moi, certains ne masquent pas leur surprise, d'autres se contentent de me saluer simplement. C'est notamment le cas de Mai qui, d'un geste habile, se décale de Joey pour m'inviter à m'insérer entre eux d'eux. Je la remercie d'un bref mouvement de la tête et m'installe, non sans une pointe de gêne. Toutefois, je peux compter sur la duelliste aux harpies pour mettre les pieds dans le plat :

— Regardez-moi qui on a ici, une future célébrité ! proclame-t-elle en posant ses griffes sur mon omoplate.

Je la fixe la bouche grande ouverte.

— Une célébrité ?

— Maintenant que les gens connaissent ton autre nom, crois-moi que tu ne passeras plus jamais inaperçue !

Ma mâchoire se crispe. Je n'ai jamais voulu que le monde apprenne mon lien de parenté avec Maximilien Pegasus. Je vois d'ici les curieux qui vont foutre leur nez dans ma vie privée et déterrer les souvenirs bien trop douloureux pour mon ancienne famille.

— Je crois que je préfère largement être anonyme, Kaiba a eu envie de me jouer un sale tour.

— Et bien écoute-moi, ma belle, quand un mec te la met à l'envers, tâche de prouver que ses actions ont du positif pour toi. Profite de ta nouvelle notoriété pour faire chier ce cher Seto Kaiba. Puis après ce que tu as démontré aujourd'hui, il peut dire ce que tu veux, tu es loin d'être nulle !

Les compliments de Mai me vont droit au cœur. Non pas que je manque particulièrement de confiance en moi, mais venant d'une professionnelle de son niveau, cela signifie énormément à mes yeux.

— Ne me regarde pas comme ça, on dirait que tu vas chialer.

— C'est possible...

Mes pleurnicheries sont rapidement stoppées par l'arrivée d'une coupe de glace offerte par Duke. Devant tant de gentillesse, je ne peux m'empêcher d'être embarrassée.

La fille aux gros seins n'a pas tort, nous devrions nous servir de cette réputation pour grimper les échelons de la société.

Cela ressemble vaguement à un plan pour dominer le monde.

Cela veut dire oui ?

Pas du tout.

Alors que je trempe mes lèvres dans la crème glacée, frissonnant de toute part, je décèle les coups d'yeux furtifs d'autres membres du groupe, en particulier ceux de Tristan. Quand Téa achève une série d'éloge sur le jeu de Yugi, il décide enfin à se lancer :

— Zoé n'est pas avec toi ?

— Si si, elle est sous la table, tu ne la vois pas, là ?

Je manque de m'étouffer au mouvement inopiné de ma bouche. Eberluée, je secoue vivement ma main pour signifier mes excuses.

— Pardon, je tousse sans oser l'affronter. Elle avait besoin de repos, elle ne viendra pas.

Ce n'est qu'une partie de l'iceberg. Zoé m'en veut de ne pas prendre son état en considération. Sûrement y suis-je allée un peu fort tout à l'heure en insistant pour qu'elle me révèle les secrets que j'ai enfouis au fin fond de ma mémoire. Ma réponse semble décevoir le brun, mais il ne rétorque rien. A cet instant, je remarque à mon tour l'absence d'une jeune fille croisée plus tôt.

— Sérénity est déjà partie ?

En me tournant vers Joey, je croise son regard appuyé et déglutis aussitôt. Me fixe-t-il ainsi depuis tout à l’heure ? Il semble plongé dans ses pensées, du moins jusqu'à ce que je claque des doigts sous son nez.

— Hé oh, la belle au bois dormant !

— H-Hein ? Oh, ma sœur ?

Il agit trop bizarrement ces derniers temps. Durant le laps délais où il considère ma question, mon attention se porte sur les quelques hématomes visibles sur son bras et de ses phalanges écorchées.

— O-Oui elle a repris le train pour retourner chez notre mère.

J'affiche une moue déçue.

— Dommage, j'aurais aimé discuter avec elle, ça fait trop longtemps.

Au fil de la soirée, les conversations se scindent en deux groupes. D'une part, Téa, Tristan, Yugi et Duke semblent accaparés sur un projet de jeu de ce dernier. De notre côté, je subis un interrogatoire complet de l'inspectrice Mai Valentine.

— Je t'avais dit que tu n'y couperais pas ! Maintenant dites-moi vous deux ce qui se trame par ici.

Interloquée, je jette un œil interrogatif à un Joey au visage fermé.

— Rien du tout, Mai, grogne-t-il d'un ton mauvais. Je t'ai déjà dit ce qu'il y a à savoir.

La principale intéressée feint d'être outrée et croise les bras sous son opulente poitrine.

— Joey Joseph Wheeler, épelle-t-elle avec minutie. Ton petit jeu est on-ne-peut-plus clair, ne crois pas pouvoir gruger une femme comme moi. Je ne vais certainement pas me contenter d'un vulgaire « On est plus ensemble, c'est comme ça » sans chercher à comprendre.

Face à ses accusations, je plisse les paupières d'incompréhension. Cette histoire de présumé couple commence sérieusement à me mettre mal à l'aise. Mais pour le moment, je me résous à profiter du spectacle.

— Donc, si tu veux camper sur tes positions et nier que quelque chose de plus important se cache derrière tout ça, je me ferais une joie de trouver la solution par moi-même.

— Il n'y a rien du tout, insiste-t-il, le regard fuyant.

Il ment, c'est aussi évident que le nez au milieu du visage.

— Je suis ton amie, Joey.

— Justement, parfois être ami, c'est préserver les autres pour ne pas les blesser.

Son discours me rappelle curieusement le comportement de Zoé.

« Quoi que je fasse, je te trahirai. Si je t'avoue tout, j'aurai trahi ta demande d'hier. Si je ne te dis rien, c'est la toi d'aujourd'hui que je trahirai. »

Dommage qu'ils ne s'entendent pas sur d'autres sujets.

— Et toi, blondinette, tu n'as rien à me dire ?

Je tourne la tête vers elle sans réellement saisir le tenant de sa question.

— A propos de quoi ?

— Tu te moques de moi ? Je parle de ton couple avec Joey.

— Je suis en couple avec Joey ?

Ma grimace traduit mon mal-être, je me retiens d’éclater de rire. Tout le monde se plait à croire que Joey et moi formons un couple, mais cela ne parait pas du tout logique à mes yeux. Mai me toise, presque choquée au point de ne plus trouver les mots.

— Alors c'était bien ça.

Le soupir du blond m'intrigue autant qu'il arbore une expression indescriptible. Le sourire au coin de ses lèvres m'a l'air forcé. J'opte finalement pour une totale sincérité envers mes deux amis :

— Désolée, je ne m'en souviens vraiment pas.

— Ça n'a aucun sens ! proteste vivement Mai, le poing serré sur la table.

— C'est donc de ça que Soso n'a pas voulu me parler au Kaiba Dome.

Le timbre de sa voix est si grave que je ne le reconnais pas tout de suite.

— Comment as-tu pu perdre la mémoire ? enchaine la jeune femme.

Honteuse, je reporte mon attention vers ma coupe de glace désormais vide. Grâce à la seconde note de mon téléphone, je suis capable de répondre à cette question que je me posais également depuis la veille.

— Eléonore s'en est chargée à ma demande. D'après elle, je l'aurais fait pour me concentrer sur mon affrontement contre Yugi.

Une main sous le menton, je songe quelques instants avant de reprendre :

— Je devais être désespérée pour prendre une décision pareille. D'accord, je ressentais une pression énorme à l'idée d'affronter Yugi, mais ce n'était qu'un simple duel sans enjeu. Alors pourquoi je...

Ma phrase reste suspendue dans le vide, faute d'explication. J'adresse un autre regard appuyé à Joey.

— On e-

Cependant, quand j'essaie d'articuler une question sur la nature de notre relation, ma mâchoire se paralyse. Je bats des lèvres.

Ce n'est pas le moment de s'interroger inutilement.

Arrête ça tout de suite.

— On peut parler d'autre chose ? Après tout, on est réunis pour fêter la victoire de Yugi et sacrer son titre !

Malgré l'insistance de Mai pour démêler le vrai du faux, l'autre partie de la table nous rejoint et nous finissons par trinquer. L'absence de Zoé se fait ressentir tout au long de la soirée. Nous avons pour habitude de partager ce genre de moments ensemble. Alors que la conversation va de bon train, mes doigts tapotent nerveusement l'arrière de mon téléphone portable. Détail qui n'échappe pas à mon voisin de table.

— Quelque chose ne va pas ? souffle Joey en désignant ma main d'un geste de la tête.

Je me mords la lèvre inférieure. La petite dispute survenue quelques heures plus tôt à mon domicile devrait rester entre elle et moi, mais je meurs d'envie d'obtenir son avis.

— N-Non non, rien de grave. Je me disais juste que j'avais hâte de boire un verre avec Zoé au Tam-Tam.

Un sourire en coin, je tâche de paraître convaincante. Toutefois, le choc sur le visage de mon vis-à-vis m'empêche de conserver cette façade.

— Lorène.

— O-Oui ?

Joey sonde le groupe du regard, ils semblent absorbés dans un débat auquel je ne me suis pas intéressée une seconde. Une fois sûr qu'ils ne nous remarquent pas, il se penche légèrement vers moi.

— Le Tam-Tam n'existe plus.

Ma tension baisse si vite que ma vue se brouille l'espace de quelques secondes. Comment... ? Pourtant j'y travaille, comment pourrais-je ne pas le savoir ?

— Tu te moques de moi ? Depuis quand ?

Madame Yoshida, la patronne du bar, n'est pas quelqu'un de fiable à mon goût, mais de là à fermer son établissement sans en prévenir ses employés, cela relève de la folie ! Toutes les émotions traversent le visage de mon ami, il hésite longuement avant de me répondre :

— Quelques semaines... Je crois.

Exaspérée et désormais au chômage, je pousse un soupir bruyant et m'affale sur le bord de la table.

— Quelle enfoirée cette patronne, moi qui rêvais qu'elle disparaisse.

Au terme de ma complainte, une douleur me secoue le poignet. J'échappe un léger cri de surprise quand la poigne de Joey me brûle la peau. Le regard sombre qu'il m'envoie me paralyse tout entière.

— Tu es malade ?! Ne dis jamais plus une chose pareille !

Son brusque haussement de ton attire l'attention du groupe et plonge notre table dans un silence pesant. Ebahie, je cligne des yeux sans comprendre la raison d'un tel emportement. Joey est définitivement bizarre ce soir.

— Joey, ça va ? s'enquiert Yugi d'une faible voix.

Des picotements parcourent mon bras quand Eléonore me défait de son emprise. J'ai si chaud que ça en devient désagréable. Lorsqu'il saisit qu'il est allé à trop loin, le blondinet se détourne de moi et présente ses mains en signe d'innocence.

— Ce n'est rien, la petite ici a osé penser que Kaiba pourrait me battre.

Embarrassée, j'acquiesce avec un gloussement atrocement faux. Mon attention se reporte ensuite sur mon téléphone portable. Finalement, je ferais mieux d'attendre demain pour contacter Zoé.


Alors que la lune trône fièrement dans le ciel, notre soirée s'achève sur un goût amer. Yugi propose à Téa de la ramener, Mai chevauche sa moto - non sans me menacer d'une énième explication sur mon amnésie - tout comme Tristan qui a déjà disparu. A la lueur de mon téléphone, je devine que ma mère ne m'accueillera sûrement pas à mon retour. Flem me semble déjà si loin.

— Je te raccompagne.

La voix dans mon dos ne me laisse pas l'opportunité de refuser. A vrai dire, je n'y vois pas d'inconvénient. En revanche, l'autre esprit ne partage pas mon avis.

Pas besoin, je suis une grande fille.

— Ce n'était pas une question, je ne laisserai pas une fille rentrer aussi tard toute seule. C'est un principe.

Des crampes s'emparent de mon cou quand Eléonore me tourne face à Joey.

J'en ai rien à foutre de tes principes, Wheeler. Je sais parfaitement me défendre.

A cet instant, je me sens mentalement épuisée. Il croise les bras en guise de désaccord.

— Ce n'est pas ce que j'ai vu quand tu es tombée sur Hirutani.

Hirutani ? Pourtant, cette histoire de hangar et d'enlèvement remonte plutôt loin.

Tu es mignon, mais dorénavant, c'est beaucoup plus simple. Lorène et moi sommes sur la même longueur d'onde, nous n'avons pas besoin de chaperon.

Sans attendre de réaction de sa part, Eléonore tourne les talons et s'éloigne du centre-ville, direction les quais du port de Domino. La brise nocturne mord ma peau, je me réchauffe en frottant énergiquement mes bras, mais rien n’y fait. De plus, malgré les lampadaires, l'obscurité ralentit chacun de mes pas d'appréhension. Peut-être qu'Eléonore a tort sur ce coup, je n'aurai pas refusé un peu de compagnie.

Casse-toi.

Les vulgarités sorties de ma bouche troublent la houle et le roulement des vagues frappant la berge. Intriguée, je jette un regard par-dessus mon épaule et constate que Joey m'a bien suivie jusqu'ici en silence. Contrairement à ma cohabitante illégale, je suis ravie de le revoir aussi vite.

— Je t'ai dit que c'était une question de principe, insiste-t-il, les mains plongées dans les poches de son jean.

Ce n'est pas une si mauvaise idée, j'apprécierai marcher à ses côtés, ne serait-ce que pour éclaircir son étrange comportement envers moi. Enhardie par cette pensée, je rebrousse chemin pour me poster sur sa droite. D'un coup d'épaule amical, je l'invite à poursuivre le chemin.

— Allons-y !

Joey et moi, ensemble... C'est une idée de dingue. Si j'avais la possibilité de choisir un des garçons du groupe, je pense que mon choix se porterait davantage sur Yugi. Après tout, nous nous sommes déjà embrassés deux fois... Mes joues s'empourprent quand je me remémore ces souvenirs.

— Je peux te poser une question ? dit-il sans m'accorder un regard.

Cela dépend quoi.

— Bien sûr.

— Pourquoi as-tu ajouté un Dragon Noir aux yeux rouges dans ton jeu ?

Ce n'est pas vraiment la question à laquelle je m'attendais. Pourtant, le ton employé m'intime qu'il s'agit là d'une requête on-ne-peut-plus sérieuse.

— Il me fallait d'autres monstres que des anges lumières au cas où Yugi composerait un deck contre le mien. Bon, d'accord, il existe des milliers d'autres cartes, mais je ne sais pas, c'est comme si quelque chose m'avait guidé à la mélanger à mon jeu le soir où je l'ai construit.

Loin de mentir, je me rappelle avoir ressenti un pincement au cœur en mélangeant certaines cartes à mes monstres habituels. Comme si une part de moi me criait de les jouer le jour J.

— Mais on ne peut pas dire que ça ait été d'une grande aide. J'ai tout de même perdu devant des centaines de personnes.

— Je... Je t'ai trouvée géniale.

— V-Vraiment ?

Des étoiles dans les yeux, j'attends qu'il confirme ses dires.

— Carrément ! Surtout quand tu as parlé de l'importance de croire du plus profond de son âme pour l'emporter. Je savais que j'étais un mon coach !

Tandis que nous rejoignons le centre-ville de Flem, les premières pièces du puzzle semblent s'emboiter dans mon esprit.

— Alors c'était toi, je ne me souvenais plus qui me l'avait soufflé.

Mon aveu le vexe un peu plus si c'est possible. Néanmoins, il a la décence de ne pas l'exprimer directement, bien que ses épaules crispées traduisent une frustration évidente.

— Merci Joey, je me sens un peu moins nulle maintenant.

Je me mords la langue aussitôt. Qu'est-ce que je peux être empotée pour les compliments... Sur le chemin, je me fige quand je reconnais la rue dans laquelle nous progressons. De l'autre côté du trottoir auraient dû briller l'enseigne du Tam-Tam. A cette heure, Zoé et moi tardons généralement pour nettoyer et compter la recette quotidienne. La présence d'un panneau annonçant l'arrivée imminente d'un nouveau commerce me cloue sur place. Joey avait raison : le Tam-Tam n'existe plus. Mes palpitations s'accélèrent de plus belle quand une main chaude se pose sur mon épaule.

— Rentrons.

Aucun souvenir, aucune trace d'une dernière conversation avec Yoshida, aucune information sur la fermeture du bar. Rien du tout. Les bras enroulés sous ma poitrine, j'avance en réfrénant le tourbillon d'interrogations dans ma tête. J'ai un horrible pressentiment.


A bord d'un des rares trams de nuit, j'observe silencieusement les paysages défiler de l'autre côté de la vitre. De temps à autre, mon regard dévie sur le blondinet, ayant insisté pour me raccompagner jusqu'à ma rue. La lumière du wagon souligne les ecchymoses sur ses bras et un autre au creux de son cou. Cette vision me serre les entrailles. Qui a pu lui faire une chose pareille ? Une bagarre qui a mal tourné ? Je doute qu'il apprécie que je me mêle de ses affaires, mais je ne serais pas en paix tant que je ne lui en aurais pas parlé.

— Joey ?

Avachi contre la fenêtre, il descend ses prunelles brunes vers les miennes.

— Mh ?

— Je sais que ça ne me concerne pas mais... Si tu as des ennuis, n'hésite pas à m'en faire part.

Devant son air confus, je dépose mon index sur son bras et désigne tristement sa peau meurtrie.

— Je comprendrais si tu ne voulais pas m'en parler, mais moi aussi je suis là pour toi.

J'ai envie de vomir, c'est trop niais.

Sa remarque approfondit ma gêne, je détourne les yeux pour me reconcentrer sur les arbres menaçants à l’extérieur. Les vibrations du train me donnent envie de dormir. Il faut avouer que cette journée s'est révélée riche en émotions. La pression du duel peut enfin redescendre, j'espère trouver le sommeil cette nuit en m'allongeant sur mon lit douillet. Mes membres sont engourdis de fatigue.

— Merci Cocotte.

Joey s'appuie contre la vitre, le regard perdu au loin. Un peu niaise, je souris et glousse à l'utilisation de ce surnom. J'ai l'impression de ne plus l'avoir entendu depuis des mois.

— Au fait, reprend-t-il dans un soupir, tu sais à quel arrêt on descend ?

Sa question me pique au vif, je me tourne brusquement vers les vitres et m'aperçois que ce coin ne me dit rien du tout.

— Oh merde.

— Quoi ?

— Je crois qu'on l'a dépassé depuis un moment ! m’exclamé-je, paniquée.

— Attends, tu es en train de me dire que tu ne sais pas où on est ?!

Un sentiment d'amusement mêlé à de la crainte me provoque un fou-rire incontrôlé. Il a pour effet de m'attirer les foudres de mon accompagnateur.

— Tu es vraiment impossible comme fille ! Comment on va faire pour rentrer ?!

Pendant qu’il s’égosille inutilement, le tram semble ralentir à l'approche d'une gare dont les panneaux en hiragana ne m'évoquent rien du tout. Peu importe, nous sommes obligés de nous échapper, au risque de nous perdre davantage.

— Bon sang, qu'est-ce qu'on va faire... grogne le blondinet, prêt à s'arracher des mèches de son épaisse tignasse.

Etrangement, malgré l'obscurité des rues face à nous, je n'éprouve pas la moindre appréhension. Au contraire, je ferme les yeux pour profiter du vent frais de la nuit qui me caresse la peau.

— Eh, je t'ai posé une question.

Un œil ouvert, je le nargue d'un haussement d'épaules et m'engage dans une des directions, pensant bêtement rebrousser chemin.

— Bah quoi ? C'est toi qui s'acharnes à dire qu'on sortait ensemble, alors pourquoi ne pas profiter d'une balade romantique au bout de la nuit ?

Un clin d'œil suffit à détruire le peu de self-contrôle qui lui restait. Avant de me faire tuer au beau milieu de la rue, j'accélère le pas, laissant mon rire troubler le sommeil des habitants endormis.

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