Âme de Pureté

Chapitre 90 : L'Expiation | Chapitre 90

3702 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 03/06/2020 10:50

— Mesdames et Messieurs, nous détenons le nom du champion de Duel de Monstres : Yugi Muto !

Sous les acclamations du public, je me scotche un sourire sur mes lèvres, tâchant de retrouver un état correct après avoir accumulé tant de pression. Lorsque mon ami esquisse quelques pas dans ma direction, main tendue, je déglutis et l'imite.

Pour un qui pensait nous vaincre en une poignée de secondes, il s'est lourdement trompé.

Pas vraiment. En vérité, je n'ai jamais eu aucune chance de remporter ce duel. Si l'issue avait été différente, c'est que le destin le voulait ainsi. Mais Yug a toujours été au-dessus de tout le monde, moi y compris.

— C'était un magnifique duel, dit-il en enfonçant sa main dans la mienne. Tu t'es nettement améliorée depuis notre rencontre.

Son compliment élargit le creux de mes joues. Pour peu, je laisse échapper des gloussements aigus, flattée de recevoir de telles éloges de sa part.

— Merci. J'espère ne pas avoir eu l'air trop ridicule face à toi.

— Loin de là, tu leur as offert un spectacle divertissant !

Dans le but d'appuyer ses dires, Atem désigne les gradins, noirs de monde et aux cris si intenses qu'ils font trembler le dôme entier. Après contemplation, je lui jette un regard en coin et croise le sien. Nos mains sont toujours scellées l'une dans l'autre, comme si aucun d'entre nous n'avait songé à lâcher l’autre. Mon cœur tambourine contre ma poitrine. Cette fois, cette sensation est loin d'être désagréable, elle dégage une douce et enivrante chaleur au creux de mon ventre.

Je peux te rendre un service.

De quoi tu parles ?

Soudain, mes doigts tirent sur les siens. J'abandonne notre poignée symbolique pour glisser mes bras autour de son cou. Mes bras se crispent dans mon étreinte, les crampes dues à la force d'Eléonore me brûle les muscles.

— Lo-Lore-chan ?

Désarçonnée à l'idée que tout le monde puisse nous voir ainsi, je ne réagis pas quand ma bouche s'oriente vers le creux de son oreille.

— J'espère que tu as apprécié le spectacle, pharaon. Je suis si heureuse que tu te sois rendu compte à quel point j'étais importante dans ton existence. Ce baiser m'a comblée de bonheur.

M-Mais qu'est-ce que tu fabriques ? Sous le choc, je défais mon étreinte et adresse à Yugi un regard effaré, incapable de formuler la moindre excuse.

— C-Ce n'est pas grave, Lore-chan.

Hermétique à ce qu'il vient de se produire, Roland nous invective de retourner à nos plateformes respectives. Le retour aux coulisses se déroule sans accroc, si ce n'est mes méninges qui turbinent d'incompréhension. Quand je recouvre la terre ferme, je profite du calme relatif pour me ressaisir.

— Bordel, c'était quoi ça ?!

— Rien du tout, tu as toi-même parlé du baiser avant le duel, non ?

Ce souvenir me réchauffe les joues.

— C-Ce n'est pas le sujet !

— Mademoiselle Pegasus, veuillez nous suivre jusqu'à la sortie.

Je sursaute à l'ordre d'un des hommes de Kaiba. M'a-t-il entendue parler toute seule ? Sûrement, mais j'imagine qu'il a pour ordre de ne pas poser de questions indiscrètes. D'ailleurs, en parlant d'indiscrétion...

— J'ignore ce que votre supérieur vous a raconté comme conneries, mais je ne m'appelle pas Eléonore Pegasus ! Mon nom est Lorène Yuurei ! Y-U-U-R-E-I.

Le garde assuré de ma sécurité hausse les épaules et répète son ordre. Je pousse un long et bruyant soupir avant de me résoudre à le suivre dans le dédale de couloirs du Kaiba Dome. Proche de la discrète entrée par laquelle je me suis introduite dans le dôme, je me stoppe à la vue de la silhouette grande et fine du maître des lieux. L'instruction contenue dans la note de mon téléphone me revient aussitôt : je dois m'entretenir avec Kaiba avant d'accéder à la suite. Alors que le garde m'intime de le suivre, je bifurque brusquement dans la direction opposée, appréhendant sa réaction.

— Kaiba ! je m'écrie, les mains en étau autour de ma bouche.

Lorsque nos regards se croisent, je sens la pression de mon cœur augmenter. Une lueur dans ces orbes d'un bleu glacial me menace si j'ose un autre pas vers lui. Décontenancée devant un tel accueil, je me fige, rapidement rattrapée par l'homme supposé me conduire à la sortie.

— Tu n'as plus rien à faire ici, crache le PDG, bras croisés.

— V-Veuillez m'excuser Monsieur, implore le garde de sécurité, courbé en avant. Je vais la raccompagner dehors.

Ses doigts plus imposants que ma main entière s'enroulent sur mon bras. Ce contact me révulse, je n'hésite pas à m'en défaire et de me rapprocher de Kaiba.

— Je ne vais pas t'emmerder longtemps, je reprends, aussi calmement que possible pour ne pas m'attirer ses foudres. Je dois te parler de ma mère, à propos de son emploi.

Je m'efforce de soutenir son regard. La sécheresse de ma bouche et les tremblements de mes mains trahissent mon appréhension.

— Je n'ai rien à te dire, Yuurei. Tu as lamentablement perdu contre Yugi, tu ne mérites pas même le statut de duelliste. Au moins, désormais, tout le monde le sait.

— Tout le monde est aussi au courant pour mon nom de naissance. Je ne t'en remercie pas, mais j'imagine que cela faisait partie intégrante de ton plan pour me nuire, n'est-ce pas Seto ?

La facilité avec laquelle Eléonore s'empare de mes cordes vocales me désarçonne. Toutefois d'accord avec ses propos, je ne la réprimande pas.

— Il faut être aussi stupide que Wheeler pour croire qu'on est du même côté, toi et moi. Je n'ai aucune raison de te couvrir.

Ce n’est pas bon pour nous.

De toute façon, après avoir balancé mon identité, il n'a plus rien contre moi. N’ayant aucune envie de s’attarder en ma présence, Kaiba esquisse un pas en direction opposée, je m’empresse de le devancer et de me poster en face de lui.

— Parfait, on ne sera jamais potes, génial, je suis d'accord ! j'enchaine, les mains à plat. Je veux juste qu'on discute de ma mère.

Ses sourcils se froncent, il détourne le visage en signe de désapprobation. Mes paroles ne l'intéressent pas, je ne l'intéresse pas. Tandis que je me prépare à laisser Eléonore s'exprime sur ce sujet, un groupe se détache à l'autre bout du couloir.

— Hé, Kaiba !

— Il ne manquait plus que ces guignols. Vous me faites perdre mon temps.

L'amour que Kaiba nous porte m'émouvrait presque. Une boule brune accourt à mes côtés, le regard inquiet. Zoé est accompagnée de nos amis Joey, Tristan, Téa et Yugi, interloqués par notre entrevue.

— Kaiba, je te prierai d'arrêter d'interférer avec le travail de ma mère. Tu voulais ton duel ? Tu l'as eu. Maintenant, tu peux cesser d'agir comme un gamin.

Pas sûre que de l'insulter arrange mon cas. Son air hautain transparait tout le respect qu'il a pour moi.

— Tu n'es pas en position de réclamer quoi que ce soit de moi, Yuurei. Pas après ce que tu as fait. Je n'ai aucune idée de ce qui se trame dans votre groupe de joyeux idiots et j'en ai rien à foutre. Ne t'approche pas de mon petit-frère et n'interfère plus jamais dans les projets de la Kaiba Corp ou je m’occuperai personnellement de ton cas.

Son discours ne déclenche en moi que de l'incompréhension. Pourquoi parle-t-il de Mokuba ? A quel moment, si ce n'est en participant au tournoi de Bataille-Ville, ai-je interféré dans les plans de sa société ? Quel rapport cela a-t-il avec ma mère et son surmenage ? Je suis complètement perdue.

— Ferme-la un peu, Kaiba ! s'insurge Joey en s'arrêtant à un mètre de nous. Tu es le premier à avoir merdé dans cette histoire !

— Apprends à dresser ton toutou, Yuurei, grogne-t-il en me fusillant sur place. Je n'ai pas d'ordre à recevoir d'un type comme lui.

Joey, mon toutou ?

— Hé, viens me parler en face si tu es un vrai homme !

Spectateurs du changement de ton de cette discussion, nos amis tentent de ramener le grand blond à la raison. Kaiba ne lui accorde pas même un coup d'œil. En ce qui me concerne, je ne parviens pas à en placer une.

— Mais oui, c'est vrai, tu préfères profiter des moments de faiblesse des gens pour t'en servir contre eux ! Comme tu le fais avec ces enregistrements vidéo ! Tu n'es vraiment qu'un connard Kaiba !

Enregistrements vidéo ? Bordel, est-ce que quelqu'un veut bien m'expliquer ce qui se passe ici ?

Je crois que ton ami essaie de te sauver le cul d'une manière très maladroite.

Me sauver ? De quoi exactement ?

— Je n'ai pas autant de temps libre que toi, Wheeler. Retourne jouer à la marelle. Je laisse à mes gardes le plaisir de t'indiquer la sortie.

— Je n'ai besoin de personne pour me dire quoi faire ! Et je ne te lâcherai pas tant que tu n'auras pas détruit ces vidéos de surveillance même si je dois te coller le cul jusqu’à la fin de tes jours et  que ton odeur de gosse de riche s’imprime sur ma gueule !

Dans l'incompréhension, je lance un regard à ma partenaire brune. Celle-ci déglutit et ferme les yeux, sa respiration traduit le trouble qui l'empare.

— C'est mignon de voir que tu es prêt à aider une meurtrière dans son genre. Tu es pathétique, Wheeler, j'aimerais bien voir si tu tiendras le même discours le jour où elle aura tué ta sœur. En attendant, j'ai mieux à faire.

Ses mots me glacent le sang. Pourquoi m'en prendrais-je à Sérénity ? Le visage de Joey pâlit instantanément, sa bouche s'ouvre et se referme sans qu'un seul mot ne s'en échappe. Entouré de sa protection rapprochée, le PDG s'éloigne à l'autre bout du couloir quand le blondinet esquisse un pas dans l'envie de le rattraper.

— Joey, abandonne, souffle Zoé, lasse.

Celui-ci se tourne violemment vers elle, le regard sombre.

— Sérieusement ? Tu es censée la protéger toi aussi ! Comment peux-tu rester les bras croisés face à cet enfoiré ?!

Leur haussement de ton me met mal à l'aise. Mes deux amis n'ont jamais été proches, ce qui me rend un peu triste.

— Parce que moi, je suis capable de garder mon sang-froid pour ne pas envenimer les choses. T'essaie de prouver quoi, au juste ? Tout ce que tu vas réussir à faire, c'est d'attirer encore plus d'ennuis à Lorène !

Eberluée, je jauge l'un puis l'autre. Joey est quelqu'un d'assez sanguin et irréfléchi, mais je ressens un peu de peine à son égard. Quant à Zoé, elle est égale à elle-même. Je me fie à son jugement, bien que je ne saisisse pas tout ce qu'il se déroule sous mes yeux.

— En tout cas, moi je bouge mon cul, il est hors de question qu'on dise amen à tous les caprices de ce cinglé !

C'est une discussion de sourds. L'ayant compris, Tristan tente d'apaiser son ami tandis que la sécurité du Kaiba Dome nous somme de quitter les lieux et s'en assure. Dehors, une poignée de journalistes et une vague de personnes nous épinglent. Impossible de s'échapper de leur surveillance, à croire qu'ils ont quadrillé la zone.

— Respire, respire, je me répète à haute-voix tel un mantra, mon estomac se contracte par le stress.

A quelques pas, Yugi n'affiche pas meilleure mine. Malgré sa popularité, il ne semble pas apprécié toute l'attention concentrée sur lui.

— On n'arrivera jamais à partir d'ici, geint Téa, en bouclier devant Yugi.

Mais c'était sans compter l'imagination des garçons.

— Il nous faut une diversion, déclare Joey, toujours tendu. J'ai une idée, viens Tristan.

Sans demander notre avis, ils disparaissent dans la mare de monde, laissant les micros se rapprocher un peu plus de leur cible : nous. La respiration haletante, je ne réagis pas lorsqu'une femme en tailleur surgit à un mètre de moi.

— Mademoiselle Pegasus, un mot concernant votre défaite face au champion mondial ?

La salive se bloque au milieu de ma gorge. « Pegasus », Kaiba vient d'ouvrir une putain de boite de Pandore. Avant que je puisse trouver les termes adéquats pour rejeter sa question, ma tornade brune me tire dans son dos.

— Elle s'appelle Lorène Yuurei et elle n'a pas l'intention de répondre à vos questions, reculez !

La journaliste dévisage Zoé et l'examine de la tête aux pieds.

— Vous êtes son agent ?

— Tout à fait !

Les interrogations mêlés aux cris des fanatiques du Duel de Monstres pleuvent sans que nous puissions nous en défaire. De toute évidence, Kaiba est déjà bien loin à bord d'un véhicule de sa société. Il savait probablement que nous serions engloutis par la foule dès notre sortie et n'avait aucunement l'intention de nous épargner. Téa essaie tant bien que mal de défendre Yugi, attaqué par des flash de toute part.

Ils devraient tous disparaitre.

Un violent frisson me glace les veines. La résonnance des pensées d'Eléonore se répercutent dans les moindres coins de ma tête.

— Que font les garçons ? souffle Téa, les mains accrochées à celles de Yugi.

Cela fait bien dix minutes qu'ils se sont enfuis. Soudain, un bruit sourd éclate en fond. Il est tel que même le brouhaha de la foule ne l'a pas couvert.

Interloqués, la foule entière se tourne en direction de l'altercation. Des effusions de voix explosent, les plus curieux se dégagent de la sortie pour entrevoir la raison du fracas.

— C'est le signal, chuchote Téa assez fort pour qu'on puisse l'entendre.

Elle désigne ensuite une ouverture dans la mare de gens. Sans hésitation, nous nous faufilons au beau milieu des gens, têtes baissées, main dans la main afin de ne pas nous perdre. Instinctivement, je cherche des yeux la provenance du vacarme ambiant. D'après les cris et autres commentaires, il semblait que deux véhicules se soient emboutis quelques mètres plus loin, devant l'entrée principale du Kaiba Dome. Une aubaine, à moins que les Apollons de Domino soient suffisamment avisés pour créer ce genre d'occasions folles. Lorsque nous parvenons sur un trottoir à l'écart des fanatiques et journalistes, nous ralentissons le pas. Malheureusement, la silhouette de Yugi est reconnaissable de loin, nous convenons de nous séparer en deux groupes.

— Ce soir, sur la place principale ! lance énergiquement Téa alors que Yugi peine à tenir sa cadence due à ses petites jambes.

— Entendu ! je réponds, le pouce levé.

Du coin de l'œil, je déglutis devant le monde accumulé dans la rue. C'était effrayant.


Installées autour de la table basse de mon salon, Zoé et moi profitons du calme reposant après cette matinée forte en émotions. Pendant qu'elle zappe frénétiquement entre les différentes chaines nationales, mon attention se concentre sur le moteur de recherche de mon ordinateur portable.

— Mon nom est partout, je constate, cherchant à apaiser la colère grimpant au creux de mon ventre. Enfin, mon autre nom, je corrige aussitôt.

« La nièce du milliardaire Maximilien Pegasus s'est inclinée au Kaiba Dome face à la star du Duel de Monstres, Yugi Mutô », « Qui est Eléonore Pegasus, cette membre de la lignée du célèbre créateur du jeu Duel de Monstres ? », les éditos se multiplient et se ressemblent. Rares sont ceux qui mentionnent mon véritable prénom. Normal, ils ne sont pas supposés le connaitre au vu des décisions douteuses de Kaiba. Selon un des torchons, le nom de « Lorène Yuurei » proviendrait d'une source extérieure.

J'espère qu'ils l'ont eu pour un bon prix.

Je ne sais pas si je suis déjà prête à en rire.

— « Ce n'est qu'une question de temps avant que moi, Seto Kaiba, ne récupère ce titre qui me revient de droit ! »

— Non mais regarde-moi ça, grince Zoé, le bras dissimulé dans un paquet de chips. Ce mec excelle dans l'art de proclamer ce qu'il n'est pas. Il aurait mieux fait d'investir dans son propre duel contre Yugi. Mais bon, au moins maintenant, on est débarrassé de lui.

Elle me jette un regard pour obtenir mon approbation. J'aimerais lui répondre positivement, mais je ne saisis pas tout à faire ce qu'il vient faire dans cette histoire de duel. Ne s'agissait-il pas seulement d'un affrontement entre Yugi et moi ? Tout à coup, les dires de Joey plus tôt dans la journée me reviennent à l'esprit.

— Zoé, dis-moi, est-ce que j'étais championne du jeu ? je demande, l'impression d'être stupide de poser une telle question.

Ses traits se tirent. De toute évidence, elle ne souhaite pas me donner de réponse directe. Tout cela aurait-il un rapport à l'effacement de mes souvenirs ? Cela m'en a tout l'air. Epuisée, je m'allonge sur le tapis de sol et fixe le plafond avec intérêt.

— Joey m'a dit un truc idiot tout à l'heure...

Les crissements du paquet de chips s'arrêtent. Mon amie se recule légèrement pour s'allonger à mes côtés. Ses longs cheveux blonds s'écoulent de part et d’autre de son visage, embaumant la pièce d'une réconfortante odeur fruitée.

— Plus idiot que d'habitude ?

Je pouffe et secoue la tête.

— Il a dit que nous avons eu un rendez-vous, je poursuis d'un ton léger. Qu'il ne se méprenne pas, je sais qu'il lâche souvent des conneries pour attirer l'attention, mais il paraissait vraiment sincère cette fois.

Joey et moi... Du plus loin que je me souvienne, nous partageons une simple amitié, nous aimons tous les deux le Duel de Monstres et, même si je le trouve parfois lourd, il s'avère drôle par moments. Il a su me rassurer un bon nombre de fois, notamment lorsque Mai a perdu connaissance lors du tournoi de Bataille-Ville. Mais de là à le considérer comme un amour potentiel, cela va beaucoup trop loin.

— Ah...

Zoé se fond dans un silence désagréable. Pourtant, notre relation est basée sur la transparence et le principe de pouvoir s'appuyer l'une sur l'autre en cas de pépin. Il suffit de se rappeler cette histoire avec Kaoruko. Depuis ce matin, je ne comprends pas pourquoi un tel changement de comportement.

Elle m'irrite.

— Pourquoi tu ne me dis pas la vérité, Soso ?

Son visage se tourne brusquement dans ma direction. Mon ton sec a dû la heurter.

— Eléonore a pour habitude de me cacher des choses, mais pas toi. Pourquoi es-tu si silencieuse ?

Ses yeux noisette me fixent comme si je venais de lui annoncer que j'allais mourir dans la seconde. Bouche-bée, ses traits traduisent l'inconfort dans lequel elle se trouve.

— Je... n'ai pas le droit de te le dire.

Encore cette histoire de souvenirs ?

— Pourquoi ?

— Tu m'as demandée de ne pas te révéler ce qui n'était pas nécessaire. As-tu lu la deuxième note ?

J'accuse le coup et ferme les yeux. A vrai dire, je désire qu'elle me raconte tout plutôt que de croire à ce que j'ai pu écrire la veille. Qui sait si ce n'est pas une manière détournée d'Eléonore pour me faire avaler n'importe quoi.

Qui sait, en effet.

— Je m'en fous de cette note.

— Tu devrais la lire, insiste-t-elle avec fermeté.

Mes poings se serrent le long du tapis.

— J'en ai rien à foutre de ces notes, dis-le-moi, toi !

Ma voix résonne dans toute la pièce, couvrant les annonces à la télévision. Zoé ne soutient pas longtemps mon regard accusateur et se redresse en tailleur. Une partie de moi m'intime de m'excuser tandis que l'autre regrette de ne pas être plus sévère encore.

— Qu'est-ce que je suis supposée faire, moi ? soupire-t-elle.

Les bras croisés sur ses genoux, elle tourne faiblement son cou, assez pour me laisser entrevoir son expression attristée. Elle enchaine sans m'autoriser à rétorquer quoi que ce soit.

— Quoi que je fasse, je te trahirai. Si je t'avoue tout, j'aurai trahi ta demande d'hier. Si je ne te dis rien, c'est la toi d'aujourd'hui que je trahirai.

Sa voix monocorde transparait tout son mal-être. Cependant, je reste allongée à examiner son visage.

— Ce n'est pas juste pour moi non plus.

Aucun mot ne s'extirpe de ma bouche, je décide de la laisser s'exprimer et de garder pour moi l'envie de la forcer à tout avouer.

— Lorène, tu sais que je t'aime énormément et que tu passes avant les autres, mais je ne peux pas supporter tout ça. Pas encore.

Pas encore ? J'ai du mal à la suivre, à quel moment lui ai-je demander quelque chose d’insurmontable ? Zoé observe minutieusement ma réaction, inexistante. Des bandes annonces bercent le salon jusqu'à l'instant où elle se décide à se remettre sur pieds.

— Tu t'en vas ?

- On a tous mérité un peu de repos après ce duel. N'oublie pas de consulter la note sur ton téléphone.

Je choisis délibérément d'ignorer son commentaire.

— Je vais rentrer bosser un peu sur les cours, je ne pense pas venir à Domino ce soir.

Bien qu'elle l'ait prononcé sur un ton léger, je décèle une pointe de peine dans sa voix. Embarrassée, je me redresse sur les coudes pour tenter de sauver les meubles.

— On se retrouve au Tam-Tam après ?

Ses épaules tressautent, elle se fige, croisant mes yeux puis se détourne vers le couloir et hausse les épaules.

— Désolée, je passe mon tour pour cette fois.

 

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